Longtemps, l’industrie a occupé une place de choix dans les grandes agglomérations comme dans les villes de plus petite taille. Mais après des décennies de restructurations, fusions et autres délocalisations de grande ampleur, qu’est-il advenu de ces unités de production ? Initialement repliée vers les marges des principaux centres urbains, l’activité industrielle tente désormais de reconquérir le cœur de la cité.
Par Grégory Fléchet
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Auréolée de son statut de métropole européenne cherchant à développer ses activités de services, l’agglomération lyonnaise semble oublier qu’elle reste un important pôle industriel (voir la cartographie « Lyon, Saint-Étienne, Vallée du Gier : comment se répartit l’industrie sur le territoire ? ») . Les chiffres parlent pourtant d’eux-mêmes : avec plus de 75 000 emplois pourvus par près de 7 000 entreprises appartenant à ce secteur, la capitale de la région Auvergne- Rhône-Alpes demeure la première métropole industrielle de France. Il suffit de s’éloigner du centre-ville pour prendre conscience de cette réalité. Au sud de l’agglomération, les entreprises des secteurs pharmaceutique et chimique égrènent leurs imposants bâtiments de part et d’autre du Rhône. Un peu plus en aval du fleuve, ces infrastructures laissent la place aux dépôts de carburants de la raffinerie de Feyzin.
À Lyon, le transfert des activités les plus polluantes vers les marges de son territoire est un phénomène ancien comme le rappelle François Duchêne, chargé de recherche en géographie sociale au laboratoire Environnement, Ville, Société (EVS) de l’Université de Lyon. « Ce que l’on qualifie aujourd’hui de vallée de la chimie commence à s’industrialiser dès la seconde moitié du 19e siècle lorsque les petits ateliers dédiés à la fabrication de produits chimiques sont forcés de quitter le centre-ville à cause de la pollution croissante qu’ils y occasionnent ». Pendant près d’un siècle, des opérations strictement privées vont guider l’arrivée de nouvelles industries, la plus célèbre d’entre elles étant la Société des usines chimiques Rhône-Poulenc, qui s’implante à Saint-Fons en 1928. Mais il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la puissance publique reprenne la main sur ce territoire. « Par le biais de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) chargée des travaux d’aménagement du fleuve, l’État devient une véritable force industrielle », souligne François Duchêne. La terre excavée lors du creusement du canal parallèle au Rhône servira ainsi à l’édification d’une vaste plateforme où viendra s’implanter la raffinerie de Feyzin à partir de 1964.
La difficile reconquête industrielle des villes-usines
Si le tissu industriel de la vallée de la chimie a plutôt bien résisté aux récentes vagues de délocalisations, il a en revanche pratiquement disparu d’une vallée voisine, celle du Gier. Longtemps voué à l’industrie lourde (verrerie, sidérurgie, métallurgie), ce territoire qui s’étire de Saint-Étienne jusqu’à Givors, le long d’un affluent du Rhône, a vu ses imposantes usines fermer les unes après les autres depuis les années 1970. Dans ce paysage de friches industrielles, seule l’aciérie de Châteauneuf, sur la commune de Rive-de-Gier, reste encore en activité. L’entreprise, qui a employé jusqu’à 1 500 personnes à son apogée économique, n’en compte plus que 350 aujourd’hui. « C’est grâce à sa spécialisation dans la réalisation de tôles hyper lourdes destinées à des marchés de niche comme la fabrication des cuves de réacteurs nucléaires ou de matériel de recherche pétrolière en mer que l’activité industrielle a pu se maintenir », précise Georges Gay, professeur émérite en aménagement et urbanisme à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. À l’exception du site de Châteauneuf, la vallée du Gier a depuis longtemps fait le deuil de son riche passé industriel. Dans l’ancienne ville-usine de Terrenoire, où les secteurs de la métallurgie et de la chaudronnerie sont longtemps demeurés les principaux employeurs de la commune, la question d’une possible reconquête industrielle ne s’est jamais vraiment posée. Depuis son rattachement à la ville de Saint-Étienne, en 1969, le discours politique n’a eu de cesse de mettre en avant la résidentialisation et la qualité de vie de ce territoire niché au pied du massif du Pilat.
« Si l’industrie n’a pas totalement disparu de Terrenoire, elle s’y fait de plus en plus discrète, constate Clémentine Périnaud, docteure en géographie rattachée au laboratoire EVS. Cet héritage étant perçu comme un frein au renouvellement de l’image du territoire, il a toutefois tendance à être invisibilisé ». Alors que Terrenoire voit sa démographie plafonner depuis plusieurs années, le quartier ne cesse de s’urbaniser sur ses marges. Ce changement d’échelle dans l’urbanisation qui se traduit par une forte extension des zones pavillonnaires s’applique peu ou prou à toutes les anciennes communes industrielles de la vallée du Gier.
La concurrence des territoires industriels
Après la disparition de ses derniers fleurons industriels, la ville de Givors n’aura guère d’autre choix que de miser elle aussi sur son attractivité résidentielle pour tenter de redynamiser son territoire. La fermeture de l’entreprise de mécanique lourde Fives-Lille, en 1980, suivie de celle des Verreries mécaniques champenoises (VMC), en 2003, laissaient pourtant augurer un renouveau économique sur ces vastes tènements industriels de plusieurs dizaines d’hectares situés tout près de l’autoroute. C’était sans compter le Plan de prévention des risques inondations (PPRI) du Gier qui interdira finalement toute nouvelle construction sur le site de Fives-Lille.
Sur l’ancienne friche VMC, un projet de zone d’aménagement concertée (ZAC) associant activités tertiaires et artisanales est annoncé en 2005. Il sera finalement abandonné en raison du surcoût important qu’aurait engendré la dépollution préalable de ce terrain contaminé par divers produits chimiques. Pour limiter la diffusion des polluants à moindre frais, un parking de 40 000 m² sera finalement aménagé sur une partie du site. Celui-ci accueille désormais un parc de plusieurs concessions automobiles. Il faut dire qu’à la même époque, la priorité de la métropole lyonnaise est donnée au réaménagement du quartier de l’industrie de Vaise situé à quelques minutes du centre de Lyon. « L’action publique n’ayant pas la capacité de se déployer partout en même temps, la stratégie consiste le plus souvent à intervenir très fort sur un secteur pour faciliter le retour rapide des investisseurs », analyse Clémentine Périnaud. Cette stratégie de réhabilitation très ciblée laisse alors peu d’espoir aux territoires les moins attractifs pour valoriser leurs friches industrielles d’un point de vue économique.
Entre une métropole régionale dynamique, mais où la rareté du foncier conjuguée à la flambée de l’immobilier réduit drastiquement les opportunités d’implantation, et des villes satellites souffrant d’un trop grand déficit d’image, les opportunités de reconquête industrielle se font rares à l’échelle de l’agglomération lyonnaise.
Usines en ville : un retour sous conditions
C’était tout l’enjeu de « L’appel des 30 ! », lancé en 2014 par la Métropole de Lyon en collaboration avec trente partenaires privés ou publics installés dans la vallée de la chimie. Ce programme en trois phases, qui s’est achevé en 2019, a permis de réaffecter près de 80 hectares de friches industrielles à des entreprises du secteur de la chimie, de l’énergie ou de l’environnement. L’appel à projets avait aussi pour ambition de réconcilier Saint-Fons, Feyzin et Pierre-Bénite avec leurs no man’s lands industriels. Dans ces communes, la fracture entre la population et les usines pétrochimiques semble malheureusement trop grande. « Plus les gens sont socialement éloignés de l’industrie, ce qui est désormais le cas dans les villes de la vallée de la chimie où les opportunités d’embauche se sont fortement réduites ces dernières années, moins ils consentent à accepter les nuisances qui s’y rattachent », constate François Duchêne.
Du côté de Vénissieux, le projet USIN Lyon-Parilly pense toutefois avoir trouvé la bonne formule. Implantée sur une parcelle de 11 hectares rachetée au groupe allemand Bosch, cette initiative se définit elle-même comme le lieu totem d’une industrie en ville à la fois responsable et plus vertueuse. « Nous nous sommes fixés pour objectif de reconnecter l’industrie au tissu urbain en expérimentant une nouvelle façon d’organiser les moyens de production dans la ville », complète Élise Varenne, chargée de projet sur cette opération d’aménagement portée par le groupe SERL. D’ici 2028, USIN Lyon-Parilly entend doubler les 30 000 m² de locaux industriels existants afin d’accueillir une vingtaine d’entreprises. Chaque candidat à l’installation se doit de respecter un cahier des charges rigoureux : absence de nuisances sonores et olfactives, activités industrielles à la fois innovantes et non polluantes, faibles besoins en matière d’espace de stockage …
Les heureux élus bénéficient, en retour, d’un accès rapide au boulevard périphérique tandis que leurs salariés peuvent se rendre très facilement en transports en commun ou à vélo sur leur lieu de travail. Pour Thomas Zanetti, maître de conférences en géographie urbaine au laboratoire EVS, le retour de l’industrie en ville ne dépend pas de sa seule capacité à être vertueuse en matière d’environnement : « Cela passera forcément par un partage plus équitable des bénéfices socio-économiques avec la population avoisinante, comme le fait de fournir en nombre suffisant des emplois de qualité aux habitants des quartiers qui accueilleront ces futures industries ».
Bibliographie
- BEAL V., CAUCHI-DUVAL N., GAY G., MOREL JOURNEL C., SALA PALA V., Sociologie de Saint-Étienne, La Découverte, 2020.
- MARICHALAR P., Qui a tué les verriers de Givors ? La Découverte, 2017.
- DESALEUX D., DUCHENE F., MARCHAND L., Lyon, vallée de la chimie : traversée d’un paysage industriel, Éditions Libel, 2015.
- BERTHET F., CIGOLOTTI A., WASSERSTROM S., Atlas de l’aventure industrielle de l’agglomération lyonnaise, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 2009.