Indispensable à la croissance des cultures, l’eau est rarement disponible lorsque celles-ci en ont le plus besoin. Pour s’affranchir de cet aléa, la collecte d’eau dans des réservoirs d’appoint est privilégiée par un nombre croissant d’agriculteurs.
Par Grégory Fléchet
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Emmagasiner l’eau en période d’abondance pour disposer d’une réserve utilisable quand elle vient à manquer relève du bon sens paysan. « À partir du 19e siècle, les aménagements dédiés au stockage de l’eau deviennent consubstantiels du développement de l’agriculture française », rappelle Patrice Garin, agrogéographe au centre INRAE de Montpellier. Depuis lors, ces dispositifs de stockage n’ont cessé de se multiplier. Toutes superficies confondues, on en dénombre aujourd’hui près de 700 000 dans l’Hexagone. Outre les lacs de barrage aménagés sur les grands cours d’eau et les réservoirs en dérivation alimentés par un canal relié à un fleuve ou une rivière, il existe une myriade de retenues collinaires disséminées dans tout le pays. « Ces ouvrages qui interceptent les eaux de ruissellement d’un versant sont en théorie déconnectés du réseau hydrographique », explique Nadia Carluer, hydrologue au centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne-Rhône- Alpes. Avec la multiplication des retenues collinaires et autres réservoirs alimentés par un simple ruisseau, un volume d’eau significatif finit par être soustrait au bassin versant qui accueille ces ouvrages. De surcroît, certains cours d’eau qui composent ce territoire voient leur continuité écologique[1] altérée. Un risque d’autant plus grand que le nombre de petites retenues reste largement sous-estimé. « Sur le seul bassin du Doux[2], un inventaire de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse en a dénombré un peu plus de 900 dont au moins un tiers n’ont plus d’usage agricole », illustre Nadia Carluer.
La tentation des mégabassines
Depuis une quinzaine d’années, des dispositifs de stockage d’un tout autre genre fleurissent dans certaines zones de grandes cultures à faible relief. Qualifiées de mégabassines par leurs détracteurs, il s’agit en fait de réservoirs à ciel ouvert de plusieurs hectares et d’une dizaine de mètres de profondeur ceinturés de hauts murs en terre. D’une capacité de plusieurs centaines de milliers de mètres cubes, ces retenues de substitution sont remplies durant l’hiver en pompant l’eau des nappes phréatiques. « Ce type d’ouvrages est le résultat d’un compromis entre l’État et le monde agricole qui cherche depuis plusieurs années à sécuriser son approvisionnement en eau durant l’été lorsque les arrêtés préfectoraux leur interdisent tout prélèvement dans les aquifères[3] et les cours d’eau », souligne Patrice Garin. Bien que cette solution demeure pertinente pour protéger les récoltes en cas de sécheresse, elle devrait être décidée après concertation de toutes les parties prenantes (syndicats agricoles de tous bords, élus locaux, associations écologistes…) et au bénéfice de l’ensemble des agriculteurs. Or, c’est loin d’être le cas des premières bassines installées dans l’ouest de la France. Alors que ces infrastructures sont financées à plus de 70 % par des fonds publics, elles profitent à moins de 5 % des exploitations agricoles, dont une large majorité de producteurs de maïs irrigués. « Si la vocation première des retenues de substitution est de maintenir sous perfusion le modèle agricole productiviste, cette stratégie est vouée à l’échec comme en témoigne l’exemple de l’Espagne, où après plusieurs décennies d’existence, ce modèle est désormais à bout de souffle », alerte Nadia Carluer. Pays européen le mieux doté en infrastructures dédiées au stockage de l’eau, l’Espagne ne parvient plus à les remplir tandis que l’aridification ne cesse de gagner du terrain.
NOTES
[1] La continuité écologique garantit la libre circulation des organismes vivants et des sédiments à travers les cours d’eau et autres milieux aquatiques.
[2] Affluent du Rhône s’écoulant sur 70 km dans le nord du département de l’Ardèche.
[3] Formation géologique contenant de façon temporaire ou permanente de l’eau et constituée de roches perméables permettant l’emmagasinement et la circulation de l’eau.
POUR ALLER PLUS LOIN
« L’agriculture à l’épreuve de la pénurie », par Grégory Fléchet, Pop’Sciences Mag #12, novembre 2023.