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Eau

Eau et changement climatique : peut-on limiter les dégâts ?

Depuis toujours, la ressource en eau est soumise aux aléas du climat : sa disponibilité varie en fonction des périodes plus ou moins sèches de l’année. Mais le changement climatique en cours pourrait bien faire pencher la balance d’un côté, celui d’épisodes de sécheresse plus longs et plus intenses, entraînant la raréfaction de la ressource, et avec elle de forts impacts sur le cycle de l’eau, la biodiversité et les usages humains. Autant de facteurs à prendre en compte pour une gestion durable de l’eau.

Par Marie Privé

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« Nous devons considérer l’eau comme le bien le plus précieux qui existe sur notre planète. Les impacts du changement climatique nous contraignent à nous organiser dès à présent pour aider les décideurs du monde entier à s’attaquer à ce problème si important.  » Ces mots préoccupés, appelant à une mobilisation massive et organisée autour des questions de la ressource en eau, ont été prononcés par le météorologue canadien David Grimes lors d’une assemblée[1] convoquée par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) en 2019. Depuis, la « planète bleue » subit un stress hydrique toujours plus important. Tandis que l’année 2022 a battu des records historiques de sécheresse sur l’ensemble du territoire français, 2023 lui emboîte le pas avec une sécheresse hivernale inédite et des nappes phréatiques présentant des niveaux bas à très bas en début de printemps, selon la situation hydrogéologique relevée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) au 1er avril 2023[2]. En mai, l’OMM avertissait que la période 2023-2027 sera, avec quasi certitude, la plus chaude jamais enregistrée sur Terre[3], entraînant des épisodes de sécheresse extrême aux répercussions considérables sur le cycle de l’eau.

« Les espèces n’étant pas adaptées, là où il n’y a plus d’eau, elles tendent à disparaître localement. »
Thibault Datry, éco-hydrologue au centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne-Rhône-Alpes et coordinateur du projet DRYvER.

Des rivières moins vives

Les épisodes de sécheresse sont des événements climatiques normaux. « Il s’agit d’une variabilité naturelle du climat qui pèse déjà initialement sur la ressource en eau », explique Jean-Philippe Vidal, hydroclimatologue et directeur de recherche au centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne Rhône-Alpes. Un phénomène habituel, donc, auquel viennent se superposer les effets du changement climatique anthropique[4]– augmentation de l’évapotranspiration, diminution des précipitations – à l’origine de l’aggravation et de l’allongement des périodes d’étiage. « Le changement climatique modifie le « d’habitude » en matière d’hydrologie : par exemple, ce qu’on observe clairement aujourd’hui, rapporte Jean-Philippe Vidal, c’est son impact sur les débits moyens des rivières. » En étudiant l’évolution depuis les années 1960 des débits des rivières françaises peu anthropisées (afin d’obtenir des tendances quasi-exclusivement liées au facteur climat), le chercheur et son équipe ont découvert, au sud d’une ligne allant de Bordeaux à Strasbourg, de lourdes tendances à la baisse de ce débit moyen annuel. « C’est de l’ordre de – 30 % en seulement 50 ans. C’est clairement un marqueur du changement climatique en cours », analyse l’hydroclimatologue. Si on ne détecte pas encore de signaux à la hausse ou à la baisse du débit des rivières au nord de cette ligne (ce qui signifie que cette zone se situe encore dans la variabilité naturelle du climat), leur diminution significative au sud du pays vient corroborer les modèles climatiques qui projettent un assèchement global du sud de l’Europe tout au long du 21e siècle, et particulièrement du bassin méditerranéen, qualifié par les spécialistes de « hot-spot » – « points chauds » – du changement climatique.[5]

A l’été 2022, la rivière Albarine, une rivière intermittente de l’Ain, présentait des
assèchements à des endroits inhabituels et un début d’eutrophisation. / ©Thibault Darty

 

La biodiversité aquatique menacée

Les impacts du changement climatique en matière d’hydrologie sont loin d’être sans conséquences : la biodiversité des milieux aquatiques est la première à en faire les frais. Pour l’observer, il est intéressant de se pencher sur le cas des rivières intermittentes[6]. Pour celles-ci, les chercheurs prédisent à court et moyen terme, au moins pour la partie sud de l’Europe, davantage de longueurs de rivières à sec, pendant plus longtemps, et des assèchements à des endroits qui ne s’étaient jamais asséchés auparavant. Pour Thibault Datry, éco-hydrologue au centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne-Rhône-Alpes et coordinateur du projet DRYvER[7], dans le cas des rivières qui s’assèchent naturellement depuis la dernière période glaciaire, « on n’a pas encore franchi le point de bascule : les espèces de ces milieux parviennent encore à s’adapter quand il y a peu ou pas d’eau, comme elles le font depuis 10 000 ans. » Mais jusqu’à quand ? En 2022, on a déjà pu observer des assèchements sur une étendue spatiale et temporelle inédite, de mars à novembre, ayant notamment pour effet de détériorer les milieux où les  espèces se réfugient habituellement lors des périodes d’étiage. « On a notamment observé des états d’eutrophisation[8] avancés, raconte Thibault Datry, avec le développement d’algues qui accaparent l’oxygène du milieu, ainsi qu’une forte concentration de contaminants (nitrates, toxines, microplastiques, etc.) qu’on ne détecte pas d’habitude, car il y a plus d’eau pour les diluer. » En outre, de nombreux cours d’eau habituellement pérennes se sont asséchés pour la première fois en 2022. Le scientifique précise : « dans ces milieux, nous avons constaté des impacts dévastateurs sur la biodiversité à l’instant T : les espèces n’étant pas adaptées, là où il n’y a plus d’eau, elles tendent à disparaître localement. Ce qu’on va chercher à savoir dans les années à venir, c’est si les espèces auront survécu, en recolonisant progressivement les milieux ou en basculant dans un nouveau mode d’organisation… ». L’avenir le dira. En attendant, les chercheurs continuent de suivre de près l’évolution de ces rivières pour mieux comprendre et anticiper les effets du changement climatique sur les écosystèmes aquatiques.

Une utilisation de l’eau à repenser

La diminution de la ressource en eau liée au changement climatique impacte brutalement l’usage et les besoins humains : la production d’énergie, l’irrigation, l’eau potable, la sécurité des populations (incendies), la navigation, le tourisme… Autant de secteurs touchés par cette situation de stress hydrique de plus en plus fréquente et critique à l’échelle mondiale, avec des conséquences déjà visibles sur le territoire national. Des centaines de communes ont été privées d’eau potable en avril 2023 et en août 2022, le transport fluvial a été fortement réduit sur le Rhin face à un niveau historiquement bas à la fin de l’été 2022, ou encore la disponibilité en eau a diminué dans les réservoirs d’eau douce, comme celui de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes. L’exemple de ce barrage réservoir, le plus grand d’Europe de l’Ouest, illustre bien la manière dont la raréfaction de la ressource peut cristalliser les tensions, et nécessite d’engager des discussions, voire des arbitrages. Le réservoir de Serre-Ponçon, comme d’autres en France, est multi-usages : « Sa réserve en eau est utilisée pour faire fonctionner des centrales hydroélectriques. Elle sert aussi à l’irrigation de la plaine de la Crau où se trouvent de nombreux vergers, elle alimente les villes du pourtour méditerranéen comme Marseille en eau potable, permet les activités de loisirs aquatiques dans la région… tout en gardant des débits suffisants dans la rivière pour la préservation du milieu aquatique, énumère Jean-Philippe Vidal. On se retrouve avec plein d’usages différents sur un seul réservoir, il faut donc que tout le monde se mette d’accord sur la quantité d’eau utilisée par chacun. »

Avec la raréfaction de la ressource en eau, il faut se préparer à devoir faire des choix de plus en plus radicaux.

Jean-Philippe Vidal – Hydroclimatologue et directeur de recherche au centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne-Rhône-Alpes.

 

https//www.hydro.eaufrance.fr/ Fond de carte BD TOPAGE – Carte Jean-Philippe Vidal (INRAE, UR RiverLy)

Ainsi, à l’issue du difficile épisode de sécheresse de l’été 2022, les différents acteurs de la gestion de l’eau ont dû faire face à des choix. « Il aura finalement été décidé qu’EDF turbinerait moins d’eau pour les centrales hydroélectriques en fin d’hiver 2022, afin d’en garder davantage en réserve pour les autres usages pour l’été suivant », indique le chercheur. C’est un exemple d’arbitrage parmi d’autres : on a choisi de produire moins d’énergie verte et conserver de l’eau pour l’arrosage des cultures. Avec la raréfaction de la ressource en eau, il faut se préparer à devoir faire des choix de plus en plus radicaux, par exemple, entre une alimentation carnée et de l’électricité à volonté. Pour relever ces défis, l’un de nos meilleurs espoirs reste encore l’interdisciplinarité : des travaux[9] sont actuellement menés entre scientifiques, sociologues, économistes, politistes et gestionnaires de l’eau, pour aider ces derniers à trouver des stratégies d’adaptation qui, face à l’urgence climatique, devront être appliquées sans attendre.

 


NOTES

[1] Hydrological Assembly, Organisation météorologique mondiale (OMM), Genève, 6-8 juin 2019.

[2] Nappes d’eau souterraine au 1er avril 2023 et risques de sécheresse estivale, BRGM (2023).

[3] De nouveaux records mondiaux de températures attendus ces cinq prochaines années, Organisation Météorologique Mondiale (2023).

[4] Est dit anthropique un phénomène attribuable à l’activité humaine.

[5] Briche, E. et al., Variabilité, changement climatique et conséquences en Méditerranée, Les impromptus du LPED (2017).

[6] Cours d’eau qui s’assèchent à un moment de l’année.

[7] Projet international qui vise à étudier l’impact du changement climatique sur l’assèchement des réseaux de rivières et les conséquences sur les écosystèmes.

[8] Apport en excès de substances nutritives (nitrates et phosphates) dans un milieu aquatique pouvant entraîner la prolifération des végétaux aquatiques et la détérioration du milieu.

[9] Exemples de travaux visant à informer et mobiliser les acteurs locaux pour une gestion durable de l’eau : Explore2, LIFE Eau&Climat.


Pour aller plus loin

« LyonTech-La Doua : expérimentation pour une gestion durable des eaux pluviales » par Marie Privé, Pop’Sciences Mag #12, novembre 2023.

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