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Ville et Vivant

Place du vivant : quelle participation des habitants ?

Semer des fleurs aux pieds des arbres, planter des légumes avec ses voisins, prendre part à une concertation sur le plan local d’urbanisme… autant de manières de contribuer à rendre sa ville plus verte, et plus accueillante pour la biodiversité. Amélie Deschamps est maîtresse de conférences en géographie à Cergy Paris Université et a travaillé sur la participation habitante dans la végétalisation de l’espace public au cours de sa thèse. Amélie Dakouré est doctorante à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et étudie la combinaison de l’urbanisme participatif [1] et des sciences participatives [2], comme un outil de gouvernance favorisant le bien-être et la biodiversité en ville. Toutes deux reviennent avec nous sur ces implications des habitants qui peuvent mener à une ville plus verte.

Propos recueillis par Samantha Dizier

 

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©Visée.A et Flor Labanca

 

Quelles formes peut prendre la participation habitante ?

© Up

Amélie Dakouré : On va trouver différents types d’actions locales ou nationales comme la participation à des forums ou des conférences citoyennes, comme la Convention citoyenne pour le climat[3]. Ce sont des évènements où on donne aux habitants un accès à l’information et à la connaissance, pour qu’ils puissent prendre des décisions sur le sujet. À côté de ces dispositifs non obligatoires, il existe également des formes réglementaires. Dans le cadre de ma thèse, je travaille ainsi sur la concertation préalable à la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU), que la ville de Paris a l’obligation de mettre en place, selon la loi, pour réviser ce document. Il y a également la contribution à des enquêtes ou des débats publics.

 

 

 

© DR

Amélie Deschamps : Puis, on retrouve des modalités directes de participation, qui se déroulent sur le terrain, comme le permis de végétaliser[4] et les jardins partagés. Ces dis- positifs découlent d’une demande des habitants d’investir l’espace public pour pouvoir planter. Les pouvoirs publics, et notamment les municipalités, ont alors répondu à cette demande en proposant des cadres et des programmes de développement de ces espaces. Ce sont les habitants qui construisent le projet, le soumettent à la mairie, sont en charge de son aménagement et de son entretien. Ils vont également souvent devoir rechercher des financements et monter une association pour organiser ces jardins.

Qui participe à ces actions ?

A.Da. : Il y a des filtres à la participation : tout le monde ne participera pas. Ce sont souvent les populations les plus vulnérables qui seront absentes de ces actions : ceux qui ne parlent pas la même langue, les plus jeunes, les personnes âgées isolées. Car, cela demande d’avoir du temps, d’être flexible, mobile. Ces questions pratiques peuvent être un vrai frein.

A. De. : Dans le cas des programmes de végétalisation, les projets n’existent pas s’il n’y a pas de volonté habitante. Mais, il y a une vraie problématique de l’accès à l’information. Elle est disponible en ligne, mais il faut pouvoir aller la chercher. Ensuite, il faut monter un dossier pour la municipalité : fournir un plan, des mesures, des photographies, une liste de personnes qui participeront, etc. Il s’agit donc d’une procédure administrative qui peut être lourde. Et une fois le jardin mis en place, c’est un travail sur le temps long, pour son entretien et son financement. À l’échelle individuelle, la question du coût économique est une vraie limite. Il y a alors la possibilité de créer une association, pour, par exemple, aller chercher des subventions. Tout cela peut mener à une démobilisation des habitants. Alors que les municipalités ont le sentiment que ces dispositifs fonctionnent très bien. Elles reçoivent, en effet, plus de demandes de végétalisation qu’elles ne l’avaient prévu, à tel point qu’elles n’arrivent pas à toutes les traiter. Mais, à l’échelle de villes comme Paris ou Lyon, moins de 0,5 % de leur population totale prend part à des jardins partagés.

 

Est-ce vraiment bénéfique pour le vivant ?

A.De. : Des études ont montré que les jardins partagés pouvaient être des réservoirs de biodiversité, mais à une échelle très locale, celle du jardin. Un jardin ne va pas transformer son quartier en un oasis de verdure. Néanmoins, ces espaces peuvent devenir des lieux importants d’habitat, de nidification pour la petite faune, comme le hérisson ou les oiseaux. Pour les permis de végétaliser, il s’agit d’une échelle encore plus petite, comme des pieds d’arbres. Là, ce sont les pollinisateurs qui peuvent profiter de ces endroits. À l’échelle d’une ville, ces projets, s’ils sont seuls, n’ont aucun intérêt. Cela devient intéressant s’ils s’articulent avec des plantations d’arbres, des espaces végétalisés, privés et publics. Si on veut qu’il y ait un réel impact, par exemple, pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est tout un réseau de ce type d’espaces qui est nécessaire.

A.Da. : Ces participations ont un vrai impact. Les habitants peuvent prendre part à des recensements d’arbres ou d’espaces verts, ce qui peut mener à leur protection. Les conférences citoyennes peuvent également contribuer à prendre des décisions en faveur de l’environnement en ville. Néanmoins, dans le cadre d’une implication dans des instances démocratiques, comme une conférence citoyenne ou une concertation, se pose la question de la traçabilité de la participation. Comment on peut retrouver et savoir l’influence de cette participation à la prise de décision ? Par exemple, quand on réalise un plan local d’urbanisme, et qu’on fait appel à des habitants pour faire des prescriptions localisées, il y aura des espaces qui seront protégés. Ils seront inscrits dans le plan local d’urbanisme, mais il s’agit d’un document technique, difficile à décrypter pour un non-spécialiste qui souhaiterait y retrouver sa contribution.

 

Comment aller plus loin ?

A.Da. : Ce sont des projets sur lesquels les habitants vont être confrontés à des documents techniques, avec des cadres juridiques et administratifs. La question de l’information et de la pédagogie sont donc prioritaires. Il serait également primordial de lever l’ambiguïté sur la traçabilité de la contribution, ainsi que sur les modalités de la prise de décision. Cela permettrait de mobiliser davantage de personnes, qui discerneraient mieux les finalités de leurs actions.

A.De. : Sur le terrain, le soutien matériel et financier sont les problématiques principales. Autant du côté des habitants que des mairies, qui vont manquer d’agents pour traiter les demandes. Dans le contexte actuel, où les collectivités voient une diminution de leurs ressources, il y a une tentation de laisser la participation habitante devenir une forme de délégation. Cela ne peut pas fonctionner. Il faut accompagner et former les habitants. La participation habitante doit continuer à être une co-construction.

 


NOTES :

[1] Urbanisme participatif : Dans la mise en œuvre d’un projet urbain, travail collectif associant les concepteurs, les usagers de la ville, des chercheurs et divers acteurs publics
ou privés.

[2] Les sciences participatives correspondent à des dispositifs de recherche dans lesquels les acteurs de la société civile participent aux processus de production scientifique.

[3] La Convention Citoyenne pour le Climat est une expérience démocratique inédite en France, qui a pour vocation de donner la parole aux citoyens et citoyennes pour accélérer la lutte contre le changement climatique.

[4] Autorisation d’installer des dispositifs de végétalisation sur l’espace public.


POUR ALLER PLUS LOIN

Installé à l’emplacement d’une ancienne usine de métallurgie, le jardin des Herbes Folles est un jardin partagé de Lille, où les habitants ont mis en place des potagers dans des bacs, les sols étant pollués.

Crédit photo : Amélie Deschamps.

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