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Ville et Vivant

L’espace urbain, foyer méconnu du vivant

L’image que tout un chacun se fait d’une métropole comme Lyon ou Saint-Étienne n’est pas celle d’un environnement foisonnant de plantes et d’animaux. Bien que ces territoires artificialisés et densément peuplés paraissent peu adaptés à l’épanouissement d’une grande diversité d’espèces, nombre d’entre elles y ont pourtant élu domicile et leur présence produit des effets bénéfiques pour les citadins. Il ne tient qu’à nous d’enrichir cette biodiversité urbaine en facilitant l’installation des organismes qui aspirent à y vivre.

Par Grégory Fléchet

 

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©Visée.A et Flor Labanca

Au cours des dix dernières années, 30 000 hectares de terres agricoles et de zones naturelles ont été transformés en habitations, infrastructures routières et autres zones d’activités, rien que pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. Or, cette artificialisation, qui demeure consubstantielle de l’expansion de nos villes, n’est pas sans conséquence pour la faune et la flore. « À cause du phénomène d’îlot de chaleur urbain[1] qui résulte de cette artificialisation, les grandes métropoles constituent des avant-postes du réchauffement climatique où les petits organismes à sang froid davantage sensibles à la hausse des températures, comme les insectes et les araignées, ont de plus en plus de difficultés à se
maintenir », constate Bernard Kaufmann, maître de conférences au laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés[2] (LEHNA).

Ces dernières années, des évolutions réglementaires ont toutefois permis de contrebalancer, en partie, les effets délétères du réchauffement climatique sur les arthropodes[3] citadins. Depuis le 1er janvier 2017 et l’entrée en vigueur de la loi Labbé, les collectivités territoriales ne sont plus autorisées à répandre des pesticides de synthèse sur les espaces verts, les voiries et les lieux de promenade. En 2022, l’interdiction a même été étendue aux habitations et à tous les lieux accueillant du public. « Pour l’ensemble des pollinisateurs particulièrement exposés aux risques de contamination par les produits insecticides, le bannissement de ces substances contribue à faire des villes de véritables zones refuge », souligne Bernard Kaufmann.

Le retour gagnant du martinet à ventre blanc

De par sa configuration verticale et sa nature minérale, la ville s’attire, par ailleurs, depuis fort longtemps, les faveurs de nombreux oiseaux. Originellement inféodé aux milieux rupestres, le pigeon biset trouve ainsi, dans les façades des immeubles, des falaises de substitution indispensables à son développement et sa reproduction. À Saint-Étienne, un autre oiseau bien moins commun réinvestit depuis le début des années 1990 les bâtiments du centre-ville : le martinet à ventre blanc (Tachymarptis melba).

Chaque printemps, cet oiseau migrateur, taillé pour voler vite et longtemps, parcourt plusieurs milliers de kilomètres depuis l’Afrique de l’Ouest pour venir se reproduire en Europe. Selon le dernier recensement effectué en 2023 par la Ligue de protection des oiseaux (LPO), la seule métropole stéphanoise accueillerait 2000 couples de martinets à ventre blanc, soit la plus importante colonie de l’hexagone. Sa présence au cœur de la ville serait liée à l’existence, en nombre suffisant, de petites cavités au niveau du bâti que les martinets affectionnent pour installer leur nid. Cette espèce strictement insectivore disposerait également d’une ressource alimentaire abondante sur Saint-Étienne et ses environs.

Pour Simon Arnaud, chargé de missions à la délégation territoriale Loire de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes, la forte densité de martinets à ventre blanc dans la cité ligérienne est une bonne nouvelle pour ses habitants : « sachant qu’un couple de martinets consomme à lui seul plusieurs milliers d’insectes par jour, dont une part non négligeable de moustiques, cet oiseau contribue très certainement à limiter leur prolifération ». Afin de protéger sa précieuse population de martinets, la municipalité stéphanoise s’appuie depuis peu sur l’expertise naturaliste de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes. Objectif de cette collaboration : finaliser l’état des lieux de la répartition de l’espèce sur l’ensemble de la ville pour préserver les colonies de martinets à ventre blanc en cas de travaux sur le bâti.

Et lorsque les sites de nidification ne peuvent être conservés, ces derniers sont suppléés par des nichoirs en bois ou en béton de bois[4]. Sous réserve que le volatile s’approprie ces nouveaux sites de nidification, l’opération devrait se révéler bénéfique à plus d’un titre pour l’espèce. Elle pourrait, tout d’abord, permettre de maintenir, voire accroître, la population stéphanoise de martinets. Les nichoirs en bois offrant une meilleure isolation thermique que les nids situés sous les toitures, ceux-ci devraient en outre contribuer à réduire la mortalité des oisillons en cas d’épisode caniculaire.

« Sachant qu’un couple de martinets consomme à lui seul plusieurs milliers d'insectes par jour, dont une part non négligeable de moustiques, cet oiseau contribue très certainement à limiter leur prolifération. »
Simon Arnaud Chargé de missions à la délégation territoriale Loire de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes

Un bâtisseur au service d’autres espèces

Si les tonitruants cris de crécelle, que le martinet à ventre blanc émet en permanence lors de ses voltiges aériennes, trahissent sa présence en ville, la plupart des animaux sauvages s’aventurant en zone urbaine préfèrent jouer la carte de la discrétion. C’est le cas du blaireau d’Europe (Meles meles) dont au moins cinq groupes sociaux ont élu domicile dans certains arrondissements de Lyon. Comment expliquer qu’une espèce avant tout rurale s’accommode de ce mode de vie citadin ?

Pour Emma Marinho, chargée de missions biodiversité et spécialiste des mammifères au sein de l’association France Nature Environnement Rhône, deux éléments peuvent être avancés : « avec l’expansion rapide du tissu urbain, certains animaux ont pu se retrouver encerclés par la ville. Mais, d’autres ont pu arriver plus récemment, les parcs, jardins et autres friches urbaines offrant de l’espace disponible pour un groupe de blaireaux en quête d’un territoire ».

Les espaces verts dont les pelouses sont régulièrement arrosées, même en cas de sécheresse estivale, facilitent, en outre, la recherche de nourriture de ce mammifère, dont le régime alimentaire se compose principalement de lombrics, mais aussi de gastéropodes et de larves d’insectes. Terrassier hors pair, ce mustélidé[5] creuse un vaste réseau de tunnels et de chambres souterraines que desservent parfois des dizaines d’ouvertures. « Le blaireau européen est considéré comme une espèce ingénieure[6], car sa présence dans l’environnement contribue à le modifier de façon significative au bénéfice d’autres espèces », précise Emma Marinho.

Blaireautins européens repérés en périphérie de Lyon © Laurent Martin – FNE Rhône

À Lyon, ses terriers servent ainsi d’hébergement à d’autres mammifères comme le renard roux. Le blaireau contribue également à la dissémination de certaines graines de plantes à travers la consommation de leurs fruits charnus ou en les faisant remonter à la surface lors de ses fréquentes opérations de terrassement.

« Avec l'expansion rapide du tissu urbain, certains animaux ont pu se retrouver encerclés par la ville. »
Emma Marinho, Chargée de missions biodiversité et spécialiste des mammifères au sein de l’association France Nature Environnement Rhône

Par le biais d’aménagements conçus pour favoriser la biodiversité, l’homme est tout aussi capable de faciliter l’installation de nouvelles espèces en milieu urbain. Au-delà des très anecdotiques hôtels à insectes, censés offrir le gîte à tout un cortège de pollinisateurs, des initiatives bien plus ambitieuses en termes de restauration écologiques peuvent être mises en œuvre. En témoigne le projet GABIODIV’ – contraction des mots gabion[7] et biodiversité – lancé en 2019 par l’association Des Espèces Parmi’Lyon. Cette structure de soixante mètres de long sur deux de large est constituée d’un assemblage de cages métalliques remplies de galets et d’alluvions de différentes tailles. Immergé en rive gauche du Rhône, non loin du centre nautique Tony Bertrand, ce dispositif affleurant à la surface de l’eau a préalablement été végétalisé avec sept espèces de plantes locales. « Quatre ans après son installation, notre aménagement rassemble plus d’une centaine de végétaux différents et autant d’espèces animales, dont certaines aux enjeux de conservation importants », se félicite Matthieu Coumoul, chargé de projet biodiversité urbaine au sein de l’association naturaliste. Grâce aux fagots de branches fixés en périphérie de la structure, des poissons tels que le chevesne, la perche ou le rarissime brochet, dont la reproduction n’avait encore jamais été observée à Lyon, viennent désormais déposer leurs œufs sur ces frayères[8] de substitution.

Libérer le Rhône de ses entraves écologiques

Dupliquer cette oasis de biodiversité le long des berges les plus artificialisées du Rhône pourrait permettre d’établir une trame verte et bleue à travers la ville. Un tel corridor écologique aurait le mérite de favoriser la circulation d’un grand nombre d’espèces entre les secteurs les moins altérés du fleuve situés quelques kilomètres en amont et en aval de l’agglomération. Dans ces zones qui témoignent d’une époque où le Rhône dessinait un entrelacs de bras secondaires – les fameuses lônes – un programme de restauration écologique, initié il y a plus de vingt ans, s’efforce de restituer le fonctionnement naturel du fleuve. « Le simple fait de multiplier par dix le débit réservé du vieux Rhône au niveau de Pierre-Bénite a eu pour effet d’augmenter sa profondeur et la vitesse de l’eau qui y circule, permettant d’accroître de façon significative la part des poissons d’eau courante comme le hotu, le barbeau et l’ablette », illustre Jean-Michel Olivier, biologiste au LEHNA et membre de l’observatoire RhônEco, chargé d’évaluer le programme de restauration écologique du Rhône.

Dans le sud de la métropole lyonnaise, la Compagnie nationale du Rhône prévoit de nouveaux travaux pour redonner plus de liberté au fleuve : suppression de digues, creusement des lits des Iônes, plantation d’espèces caractéristiques de ces zones. « Sur cette partie du Rhône qui reste très contrainte par les usages, l’ambition première est de réhabiliter toute une mosaïque d’habitats avec sa biodiversité et ses processus écologiques associés », explique Jean-Michel Olivier. En offrant plus d’espaces de divagation au fleuve, ces aménagements devraient également contribuer à ralentir sa vitesse d’écoulement en cas de fortes crues, atténuant ainsi le risque d’inondation pour les riverains situés à l’aval. »

« Il est temps de reconsidérer le rôle écologique des plantes dites “envahissantes”, car ces espèces, dotées d’une résilience remarquable, sont sans doute les plus à même d’atténuer la hausse des températures en milieu urbain. »
Florence Piola, Maîtresse de conférences en écologie végétale au LEHNA

Tout au long de son cheminement dans la métropole lyonnaise, le Rhône demeure, malgré tout, largement corseté par des berges bétonnées, des digues et des enrochements artificiels. Or, cet environnement très minéral est propice à l’installation de plantes pionnières, au premier rang desquelles la renouée du Japon. Considérée souvent à tort comme une espèce se développant au détriment de la végétation autochtone, cette plante exotique s’épanouit en fait sur les milieux les plus ingrats. « Au niveau des enrochements situés le long du Rhône, aucune autre espèce que la renouée n’est en mesure de s’installer, ce qui explique cet aspect de canopée exubérante que l’on observe sur ce type de milieu », précise Florence Piola, maîtresse de conférences en écologie végétale au LEHNA.

À l’heure où la plupart des écologues et des biologistes s’accordent sur le fait que la renouée du Japon ne peut plus être éradiquée des territoires qu’elle a colonisés, notre perception de l’espèce est inévitablement amenée à évoluer. Du statut de peste végétale à éliminer à tout prix, à celui d’espèce utile voire bienfaitrice, le fossé n’est peut-être pas aussi grand qu’il n’y paraît pour la renouée. Un changement de paradigme d’autant plus justifié que la plante nous rend de nombreux services. « Face à l’amplification du réchauffement climatique, il est temps de reconsidérer le rôle écologique des plantes dites “envahissantes”, car ces espèces, dotées d’une résilience remarquable, sont sans doute les plus à même d’atténuer la hausse des températures en milieu urbain », conclut Florence Piola.

 


Notes

[1] Durant la nuit, les façades des immeubles et le bitume restituent la chaleur emmagasinée dans la journée, générant ainsi plusieurs degrés d’écarts entre ville et campagne environnante.

[2] Unité CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENTPE/INRAE.

[3] Vaste embranchement du règne animal regroupant tous les invertébrés (insectes, crustacés, araignées …) dotés d’un squelette externe.

[4] Le béton de bois est un matériau de construction composé de bois, en très grande majorité, et de ciment.

[5] Famille de mammifères carnivores à longue queue et aux pattes courtes, dont le corps est étroit et allongé.

[6] Organisme qui par son activité modifie l’environnement qu’il occupe tout en créant de nouveaux habitats pouvant bénéficier à d’autres espèces.

[7] Sorte de casier constitué de fils de fer tressés que l’on remplit de pierres. Les gabions sont notamment installés le long des cours d’eau pour limiter l’érosion des berges.

[8] Lieu où les poissons déposent leurs œufs.


POUR ALLER PLUS LOIN

La renouée du Japon est présente en bords de Saône.
© Descheemacker.A – Conservatoire botanique national
du Massif central. Via la Métropole de Lyon.

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