Pop'sciences Mag

Top
Portail Popsciences
Retour

Ville et Vivant

Des solutions fondées sur la nature pour rendre la cité plus habitable

Rafraichissement, atténuation du bruit, lutte contre les inondations, bien-être… Recourir au vivant pour résoudre ces problématiques posées par la ville est possible en faisant appel aux Solutions fondées sur la Nature (SfN). Une stratégie innovante qui est à l’œuvre sur le territoire lyonnais. Explications.

Par Caroline Depecker

>> Version à feuilleter en ligne : cliquez ici

>> Ou téléchargez le pdf du Pop’Sciences Mag #13 :

©Visée.A et Flor Labanca

Balade en ville un soir d’été. La chaleur est étouffante, les rues sentent mauvais, vision déprimante d’un béton à perte de vue, bruit de klaxons en guise de musique de fond. Soudain la pluie tombe drue, voilà les chaussées inondées, zigzags de vélos entre les flaques… Et si la nature était LA solution ? En remettant de la nature en ville, pourrait-on résoudre tous ces désagréments en même temps et se sentir mieux en milieu urbain ?

« L’homme a pris l’habitude de solutionner ses problèmes de façon séquentielle, en leur apportant une réponse en général technologique », explique Xavier Le Roux, directeur adjoint du laboratoire d’Écologie Microbienne[1]. En ville, l’être humain a pensé à améliorer la performance thermique des bâtiments pour gérer des problématiques de chaleur urbaine, mais quid du bénéfice réel pour la santé ? Dans les espaces naturels, il a pu choisir de planter des végétaux à fort potentiel de stockage de carbone et décoratifs, mais avec quel souci pour la biodiversité ? Une approche plus satisfaisante est possible. « À l’instar du vivant, les Solutions fondées sur la Nature sont, elles, multifonctionnelles, poursuit le chercheur. Leur pari : faire appel au vivant pour répondre aux multiples enjeux du territoire. » Envisagées comme des stratégies innovantes à fort potentiel, les Solutions fondées sur la Nature (SfN) font l’objet du programme de recherche national prioritaire SOLU-BIOD[2] dont le scientifique est l’un des coordinateurs. 

À l’instar du vivant, les Solutions fondées sur la Nature sont, elles, multifonctionnelles.

Xavier Le Roux, directeur adjoint du laboratoire d’Écologie Microbienne.

Par, avec et pour la nature

Des « Solutions fondées sur la Nature », de quoi parle-t-on ? « Solutions » pour trouver des réponses adaptées aux grands défis sociétaux que sont l’adaptation au réchauffement climatique, l’amélioration de la santé, le bien-être et la qualité de vie, la justice sociale, etc. « Fondées sur la Nature », car ces solutions utilisent les propriétés des écosystèmes naturels pour aborder ces défis. Mais pour que ces solutions soient pérennes, il est important que le vivant s’épanouisse durablement. Elles sont donc aussi pour la nature, c’est-à-dire qu’elles concourent au maintien de la biodiversité.

L’approche est incompatible avec l’idée seule de verdir les habitats en végétalisant les murs des bâtiments ou bien leurs toits. Qu’il s’agisse de renaturer un cours d’eau, d’assainir les sols ou de veiller à la bonne santé des insectes et des oiseaux, il faut penser le déploiement de la nature à grande échelle. « Quels liens existent entre l’habitat et les espaces de nature adjacents, privés ou collectifs ? Comment l’habitant peut-il y accéder ? Ces questions sont fondamentales », souligne Xavier Le Roux. Exemple concret de SfN, la végétalisation urbaine doit atteindre une masse critique pour qu’on puisse en observer des effets tangibles en termes d’abaissement des températures, de dépollution et de bien-être citadin. « Le jeu consiste à mailler la ville avec des parcs urbains et des coulées vertes associant arbres et végétations de pied d’arbre, complète le scientifique. L’aménageur aura pour rôle d’identifier les contraintes posées par ce maillage sur la mobilité et la gestion des infrastructures souterraines. » Car, la mise en œuvre des SfN conduit nécessairement à réaménager le territoire, pour la satisfaction, en bout de course, de ses administrés.

Une rivière renaturée grâce au génie végétal

« Les personnes perçoivent des bénéfices liés à l’utilisation de ces SfN, notamment en ce qui concerne la naturalité des berges, l’esthétique de leur ville et l’ombrage[3]. C’est ce que montrent les enquêtes de terrain que j’ai conduites auprès des habitants », commente Marylise Cottet-Tronchère, chercheuse CNRS au laboratoire Environnement Ville Société. Dans le cadre de ses recherches en géographie sociale de l’environnement, la scientifique s’est penchée sur les relations qui unissent les citoyens et l’Yzeron, un affluent du Rhône dont les berges situées dans la commune d’Oullins se sont radicalement transformées au cours des dix dernières années. Exit le canal bétonné : le cours d’eau a été restauré, grâce à des travaux de reméandrage[4], et une végétalisation de ses berges, à l’aide du génie végétal. Cette dernière technique consiste à arrimer, à différentes hauteurs de berge et moyennant l’usage de géotextile[5] et de pieux en bois, de jeunes plants dont la croissance rapide permettra, au bout de quelque temps, de stabiliser la rive et de protéger les constructions alentour des inondations.

« Les personnes perçoivent des bénéfices liés à l’utilisation de ces SfN, notamment en ce qui concerne la naturalité des berges, l’esthétique de leur ville et l’ombrage. »
Marylise Cottet - Tronchère, chercheuse CNRS au laboratoire Environnement Ville Société.

Berges consolidées, restauration de fonctionnalités écologiques de la rivière et amélioration du cadre de vie : cette SfN semble faire l’affaire. Mais il y a un « hic ». En milieu urbain, sa diffusion se heurte au problème de perception du risque d’inondation qui jouerait en sa défaveur. Ainsi, au cours de ses enquêtes menées auprès des acteurs de la gestion des milieux aquatiques, la chercheuse a relevé que les décideurs faisaient davantage confiance au béton plutôt qu’au génie végétal pour prévenir les inondations. « Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment modéliser le degré de protection des berges apporté par le végétal, explique Marylise Cottet-Tronchère. Et pour un syndicat intercommunal ou un maire chargé de la sécurité des administrés, c’est un souci. Lorsqu’on a recours à des constructions de génie civil, il est plus facile d’évaluer la protection apportée, c’est plus rassurant. »

Végétaliser le territoire de façon concertée

Des verrous restent donc à lever pour que les techniques du génie végétal apparaissent comme une solution adaptée. Il est nécessaire, entre autres, de convaincre les décideurs qu’elles sont fiables et de résoudre la question du partage des responsabilités en cas de défaillance de l’ouvrage. De plus, la végétation demande souvent un entretien continu. « La gestion des berges aménagées grâce au génie végétal nécessite d’être raisonnée, avec une temporalité différente de celles aménagées par le génie civil », souligne la chercheuse. Il faut aussi, d’après elle, revoir les modes d’évaluation des ouvrages, en prenant en compte tous les services rendus par la SfN, au-delà de la seule protection vis- à-vis du risque d’inondation. Un changement de paradigme !

Pour favoriser cette évolution des mentalités, un groupe de travail a été initié en février 2024, qui regroupe 14 laboratoires de recherche dont les thématiques variées telles que l’écologie, l’anthropologie, les sciences de l’ingénieur… permettent de couvrir de nombreuses problématiques soulevées par les SfN. Mais comme la finalité est avant tout d’agir sur le terrain, d’autres acteurs non académiques œuvrent au sein de ce groupe, baptisé Anthares. Parmi eux, figurent actuellement la ville et la Métropole de Lyon, la ville de Villeurbanne, le Cerema, l’entreprise d’ingénierie Egis et l’association naturaliste Arthropologia. « Anthares est l’un des 11 laboratoires vivants ou « livings labs » créés dans le cadre de SOLU-BIOD, explique Xavier Le Roux. Le but ? Passer d’une situation où des solutions de végétalisation sont déployées par les uns et les autres de façon isolée, à une conception concertée des SfN, à l’échelle du tissu urbain lyonnais et de sa périphérie. » 

Ce travail de concertation vise, en outre, à améliorer l’évaluation des effets systémiques[6] des SfN, ainsi que leurs conditions de mise en œuvre. Y a-t-il des compromis à faire dans les réponses à donner à tel ou tel défi sociétal ? Y a-t-il une solution naturelle à prioriser au détriment d’une autre ? En amenant une vision multifonctionnelle des SfN à l’échelle du territoire, Anthares devrait permettre d’éclairer les décideurs lors des arbitrages à venir. Mais aussi de pointer les enjeux non pris en compte jusqu’à présent. Parmi eux, la question de l’incidence des SfN sur le prix de l’habitat et, en conséquence, de l’accès à celui-ci.

En effet, lorsqu’on améliore les aménités d’un quartier, c’est-à-dire qu’on le rend plus agréable à vivre grâce à la présence de services de proximité ou la jouissance d’un parc urbain, les prix du logement augmentent en comparaison des quartiers voisins. « Lorsqu’un endroit devient plus attractif et le logement plus cher, au jeu de l’offre et de la demande, ce sont mécaniquement les revenus les plus aisés qui peuvent en profiter », commente Florence GoffetteNagot, chercheuse en économie au laboratoire GATE[7]. L’économiste illustre ses propos en citant des travaux de recherche canadiens sur la valeur des arbres en zone urbaine : parce qu’ils ont un pouvoir rafraîchissant, leur présence a été la cause d’une augmentation sectorisée des prix du logement. « Si on considère les SfN à l’identique d’une aménité, leur mise en œuvre pourrait conduire à des hausses locales des prix de l’habitat et finalement à de la ségrégation résidentielle », complète Florence Goffette-Nagot. L’effet peut être modulé, cependant, en fonction de la répartition de ces SfN dans la ville. Alors les SfN, oui. Mais avec quelle justice sociale ? La nature est une solution à beaucoup de défis, sans doute, mais sous certaines conditions. 

 


Notes

[1] Le Laboratoire d’Écologie Microbienne (LEM) est une unité mixte de recherche en cotutelle avec INRAE, l’Université Claude Bernard Lyon 1, le CNRS et VetAgro Sup.

[2] Innover avec et pour la nature, CNRS (2023)

[3] Cottet, M., et al., Knowledge influences perceptions and values of naturebased solutions: The example of soil and water bioengineering techniques applied to urban rivers, Anthropocene, 45, 100424 (2024).

[4]  Action de reméandrer : redonner au cours d’eau un écoulement plus naturel.

[5]  Produit textile, pouvant être conçu avec des matériaux naturels et biodégradables, utilisé dans le génie civil pour la séparation et le renforcement des sols.

[6]  Systémique renvoie à la notion d’appréhender un système dans son ensemble.

[7]  Le Groupe d’Analyse et de Théorie Économique (GATE) de Lyon-Saint-Étienne est une unité mixte de recherche rattachée au CNRS Sciences humaines & sociales, à l’Université Lumière Lyon 2, à l’Université Jean Monnet Saint- Étienne et à l’emlyon business school.


Pour aller plus loin

10'
Chapitres
Ville et Vivant
Projet COLLECTIFS : quand la biodiversité fleurit en pied d’immeuble
NUMERO 13 | JUIN 2024
Ville et Vivant
Faune sauvage et domestique, visible et invisible
NUMERO 13 | JUIN 2024