Comment les expositions environnementales auxquelles sont soumis les êtres vivants, tout au long de leur vie, façonnent-elles leur santé ? C’est ce que cherchent à comprendre les scientifiques à travers le concept d’exposome. Illustration avec des travaux menés sur le sujet au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard, à Lyon.
Par Caroline Depecker, journaliste.
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Quel sera leur taux de PFAS[1] ? La campagne de prélèvements sanguins visant à évaluer le niveau de contamination en composés per- et polyfluoroalkylés de quelque 300 riverains de la Vallée de la Chimie (département du Rhône) devrait débuter en 2025. En effet, la plateforme industrielle de Pierre-Bénite est reconnue comme l’un des cinq hotspots – points chauds – nationaux associés à cette pollution[2]. Les risques sanitaires concernent, entre autres, le développement de cancers. Révélé en 2023 par les médias et pointé du doigt par les militants écologistes, l’empoisonnement de notre quotidien par les PFAS, des polluants dits « éternels » en raison de leur très faible dégradabilité, a soulevé une vague d’écoanxiété et provoqué le passage à l’action.
Le concept d’exposome
Ainsi, en 2023, l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer s’est vu confier, par la Métropole de Lyon, l’étude d’imprégnation des habitants lyonnais, pour déterminer la quantité de PFAS dans leur sang. Objectif ? Préciser les liens entre la contamination par les PFAS et la santé. Cette préoccupation anime pareillement des chercheurs académiques de tous bords, engagés à alimenter par leurs travaux un concept récent : celui d’exposome. Tabac, radiation, polluants atmosphériques, perturbateurs endocriniens, alimentation ou inégalités sociales… 70 % des maladies non transmissibles chez l’humain trouveraient une origine dans « l’environnement » au sens large. Fondée en 2005 par l’épidémiologiste Christopher Wild, la notion d’exposome constitue le pendant au « tout génétique »[3] qui a longtemps caractérisé la recherche sur les pathologies humaines. À travers elle, il est question de tracer toutes les expositions auxquelles est sujette une personne pendant sa vie, de l’état embryonnaire à sa mort, et surtout de comprendre comment celles-ci impactent sa santé. On y intègre les comportements de l’individu, l’environnement socio-économique ou encore l’état psychologique.
À travers cette définition, on comprend que de nombreux spécialistes différents comme des chimistes, des toxicologues, des généticiens, des épidémiologistes, des statisticiens ou des physiciens peuvent travailler sur le même sujet. Car il s’agit non seulement de collecter des informations sur les expositions, mais aussi de les traiter, de les modéliser, de les analyser et de les interpréter d’un point de vue sanitaire. Le champ d’étude est vaste et les défis nombreux. L’un d’entre eux particulièrement : la collecte des données. Celles concernant les taux de PFAS mesurés chez les riverains de la Métropole de Lyon seront, pour partie, utilisées par les scientifiques du département Prévention cancer et environnement du Centre Léon Bérard (CLB). Au sein du centre hospitalier lyonnais, « des travaux débuteront bientôt pour mieux comprendre l’exposition aux PFAS et ses déterminants, commente Lény Grassot, chercheur au CLB. Pour ce faire, nous utiliserons des modèles mathématiques développés antérieurement dans le cadre d’une étude nationale, baptisée TESTIS ».
Risque de cancer du testicule
En quoi consiste cette autre recherche ? Initiée en 2015, l’étude TESTIS[4] vise à évaluer l’association entre expositions environnementales, domestiques et professionnelles aux pesticides et le risque, à l’âge adulte, de tumeur germinale du testicule (TGT), c’est-à-dire de cancer prenant naissance dans les cellules germinales qui produisent les spermatozoïdes (90 % des tumeurs testiculaires). TESTIS a nécessité d’enquêter pendant trois ans et de façon rétrospective sur les parcours de vie de 472 hommes atteints de TGT et de les comparer à ceux de 683 individus sains, tous âgés entre 18 et 40 ans. Les informations, recueillies par l’organisme Ipsos, avaient trait aux lieux de résidence occupés, aux habitudes domestiques, dont l’usage de pesticides, et aux métiers. Cette enquête a été réalisée aussi auprès de 50 % des mères des participants de l’étude. Enfin, des questionnaires santé sont venus compléter les données.
« Pour ce projet de recherche épidémiologique, l’histoire résidentielle nous aide à reconstituer les données d’exposition environnementale aux pesticides, explique Lény Grassot. Les personnes n’ont, en général, aucune notion précise de l’occupation des sols entourant leur habitat et des surfaces agricoles traitées chimiquement qui ont pu s’y trouver. » Or, ce sont elles qui intéressent le chercheur en géomatique, une activité qui vise à décrire le territoire grâce à des données numériques. En effet, en connaissant le type de culture et les pratiques agricoles, en un lieu et une date donnés, on peut estimer la nature et le volume des pesticides dispersés à l’époque, donc évaluer l’exposition auxdits produits. Les questionnaires étant inutiles, comment faire ?
Photographies et intelligence artificielle
« L’idée a été de s’appuyer sur les clichés des lieux de vie des gens numérisés par l’Institut national de l’information géographique et forestière, poursuit Lény Grassot. Et de les interpréter visuellement pour reconstituer le panorama agricole environnant ». Chronophage, ce travail de reconstitution a été réalisé à ce jour pour un seul moment de vie des participants de TESTIS : la période entourant leur naissance. Pour cela, il a fallu développer, en collaboration avec l’Ademe[5] et le LIRIS de Lyon[6], un outil informatique permettant de classifier les images de façon semi-automatique, une fois leur préanalyse faite par un géographe. Selon la même méthode, l’exposition aux pesticides pendant l’adolescence (12-17 ans), une phase critique pour le développement des parties génitales, est en cours de calcul. Le traitement des images tire profit cette fois-ci de l’intelligence artificielle et d’un réseau de neurones artificiels mis au point au CLB, qui aura utilisé, pour son apprentissage, les données générées lors de la première classification. Restera, ensuite, à croiser ces données d’occupation des sols avec l‘historique de l’utilisation des produits phytosanitaires par l’agriculture sur le territoire national. Il faudra également prendre en compte la dispersion aérienne des substances pour finaliser la modélisation de l’exposition environnementale aux pesticides. Avant de passer à l’évaluation de son impact sur la santé, ce qui nécessitera encore du temps.
L’étude Testis a déjà livré des conclusions. Suite à une exploitation statistique des informations de l’enquête, « nous avons conclu que l’exposition professionnelle des hommes aux pesticides, mais aussi celle de leurs parents, augmente le risque de cancer du testicule », indique Béatrice Fervers, médecin épidémiologiste et cheffe du département Prévention cancer et environnement au CLB. Autrement dit, les travailleurs agricoles constituent une population à risque. « On note aussi une augmentation du risque associée à la manipulation domestique de pesticides par les parents, notamment pour traiter le bois », complète la cancérologue.
Des facteurs environnementaux en cause
Bien que rare (1 à 2 % des cancers masculins dans le monde), le cancer des testicules représente près d’un tiers des cancers de l’homme de moins de 40 ans. C’est le plus fréquent chez l’homme jeune. En raison de l’augmentation récente de son incidence au cours des 30 dernières années (+2,6 % par an en France en moyenne), mais aussi de ses variations spatiales à l’échelle du globe, le rôle de facteurs environnementaux et surtout celui des perturbateurs endocriniens[7] a été suspecté.
Selon l’hypothèse en cours, ces composés chimiques modifieraient le développement des cellules germinales in utero, ou pendant l’enfance, et donneraient naissance à des cellules dites « initiées » : celles-ci ne prolifèrent pas sous la forme d’une tumeur maligne à ce stade, mais seraient susceptibles de le faire lors de périodes sensibles telles que la puberté. « Nous avons montré que d’autres métiers, exercés par le sujet lui-même, sont associés au risque de tumeur du testicule, précise Béatrice Fervers. Ceux qui nécessitent l’emploi de solvants, de certains métaux ou le soudage. » Toutes ces activités peuvent, en effet, être associées à l’exposition aux perturbateurs endocriniens.
Exposition domestique aux pesticides, professionnelle, ou bien environnementale. Il existe, non pas un seul facteur de risque à la tumeur du testicule, mais plusieurs. Est-il possible de les hiérarchiser ? Peuvent-ils agir en synergie ? L’« effet cocktail » comme on le nomme couramment. En épidémiologie, les facteurs de risque sont en général considérés séparément. « Cependant, lorsque les expositions sont conjointes, on doit pouvoir prendre en compte leurs possibles interactions et les analyser ensemble », précise Béatrice Fervers.
Notes
[1] Les per- et polyfluoroalkylées, ou PFAS, sont des substances chimiques qu’on retrouve dans de nombreux produits de la vie courante : textiles, emballages alimentaires, mousses anti-incendie, gaz réfrigérants, revêtements antiadhésifs, cosmétiques, produits phytopharmaceutiques, etc.
[2] Lauréat Projets structurants : Julien Biaudet, CLB, projet ASTEROPA, Cancéropôle CLARA (2023).
[3] On a longtemps pensé que le développement de pathologies pouvait être expliqué par des différences génétiques avant tout.
[4] Coste, A., et al., Exposition aux pesticides domestiques à la puberté et risque de tumeurs germinales du testicule : l’étude TESTIS, Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique, 70 (2022).
[5] Agence de la transition écologique.
[6] Le Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information (LIRIS) est une unité mixte de recherche (UMR 5205) du CNRS, de l’INSA Lyon, de l’Université Claude Bernard Lyon 1, de l’Université Lumière Lyon 2 et de l’École Centrale de Lyon.
[7] Les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interférer avec notre système hormonal et pouvant donc affecter différentes fonctions de l’organisme : métabolisme, fonctions reproductrices, système nerveux, etc.
Comment l'exposition aux métaux lourds modifie la physiologie des chevreuils
Le développement de maladies chroniques et le vieillissement sont favorisés par le stress oxydatif : un processus naturel qui correspond à la production de molécules réactives dérivées de l’oxygène, appelées radicaux libres, au sein de nos cellules. Les animaux y sont sujets tout autant. Lorsque les radicaux libres sont produits en excès et que les mécanismes de protection de l’organisme sont insuffisants, des dégâts cellulaires apparaissent. « Nous avons mesuré que, chez les chevreuils exposés sur le long terme à de très faibles concentrations de métaux lourds, les mécanismes enzymatiques de défense contre le stress oxydatif diminuent et que la dégradation des lipides et des protéines [des constituants essentiels au bon fonctionnement des cellules, NDLR] augmente », explique Pauline Vuarin, spécialiste d’écophysiologie au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive* de Lyon.
Fruit d’un travail de thèse en cours, ce constat résulte de l’analyse de 636 échantillons de poils, entre 2016 et 2019, auprès de 429 chevreuils issus de la faune sauvage. Parmi les 19 métaux analysés, présents sous forme de traces**, neuf métaux lourds dont le plomb, le cadmium, l’arsenic, le mercure et l’aluminium sont préoccupants du fait de leur toxicité. Les cervidés appartiennent à deux populations étudiées depuis plus de 45 ans par le laboratoire : l’une évolue en forêt domaniale, à Trois-Fontaines (Marne), l’autre en réserve biologique intégrale, à Chizé (Deux-Sèvres, le secteur est voisin d’une zone agricole). Point commun des deux sites : avoir abrité des camps militaires dans les années 1950 et stocké des munitions.
Notes
* Le Laboratoire de biométrie et biologie évolutive est sous les tutelles du CNRS, de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et de VetAgro Sup.
** Parler de traces métalliques revient à mesurer des concentrations de métal de l’ordre du nanogramme, voire du microgramme dans un gramme de poil.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Galanopoulo, L., L’exposome : l’exposition d’une vie, Journal du CNRS (2023).
- Changement climatique : des risques accrus de maladies liés à la météo, par Caroline Depecker, Pop’Sciences Mag #14, décembre 2024.