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Santé[s] - One Health

L’héritage vétérinaire lyonnais : pionnier de l’esprit One Health

Ce n’est pas un hasard si la capitale des Gaules occupe une place déterminante en matière de liens féconds entre médecines humaine et vétérinaire. Ceux-ci ont été à l’origine d’avancées majeures dans la prévention et le traitement des infections. Et le fait que Lyon ait accueilli la première école vétérinaire au monde y est sans doute pour quelque chose…

Par Anne Guinot-Delemarle

 

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©Visée.A

Retour au 18e siècle, où la philosophie des Lumières bouscule certitudes et croyances au profit de la pensée et du raisonnement. Le microbiologiste Jean Freney, professeur émérite à l’Université Claude Bernard Lyon 1, nous rappelle : « Le statut de l’animal y connaît une mutation qui va rompre avec la conception de l’animal-machine[1] : le naturaliste Buffon (1707-1788) lui attribue conscience, sensibilité, voire intelligence. À la cour de France, on s’entoure même d’animaux de compagnie (lévriers, bichons, épagneuls), soignés par les médecins de famille… ».

C’est le 4 août 1761 qu’un arrêt du conseil du Roi crée, à Lyon, la première école vétérinaire au monde qui s’installe dans le faubourg de la Guillotière. Son fondateur, Claude Bourgelat (1712-1779), écuyer du Roi, a participé aux travaux des encyclopédistes. Pour Jean Freney, « ce visionnaire est l’homme-clé d’une démarche One Health avant l’heure ». Son but : créer un établissement pour lutter contre les fléaux qui déciment le bétail et les cavaleries. Ces maladies épizootiques ou enzootiques[2] (parmi lesquelles la tuberculose, la peste bovine) entraînent, à l’époque, des pertes économiques énormes pour un pays rural comme la France.

De l’animal à l’homme

Si Bourgelat n’est pas le seul à avoir saisi l’intérêt de la médecine vétérinaire, il est le premier à avoir conçu le projet de l’enseigner et de la développer. Par ailleurs, il s’intéresse à l’expérimentation animale et pressent l’utilité de comparer les maladies des animaux et celles des hommes. Jean Freney précise : « Avant même la création de l’école, préoccupé par le fléau de la rage, il travaillait à l’Hôtel-Dieu avec le grand chirurgien lyonnais Claude Pouteau (1724-1775) et utilisait des traitements communs pour soigner l’homme et l’animal ». Par la suite, de nombreux vétérinaires lyonnais s’illustrent dans la lutte contre la rage, en particulier Pierre-Victor Galtier (1846-1908), véritable précurseur de la vaccination qu’il pratique notamment sur le mouton.

Tout au long du 19e siècle, l’École vétérinaire remplit ainsi sa mission de protection de la santé animale et apporte une contribution majeure à la biologie. En témoignent les apports de deux grandes figures : Auguste Chauveau (1827-1917), dont les travaux d’anatomie, de physiologie du cœur et de la circulation sanguine, de pathologie comparée[3] ont fait faire des progrès significatifs à la science, tant médicale que vétérinaire. Avant les expériences de Pasteur, Chauveau a pressenti que les maladies infectieuses étaient dues à de minuscules organismes microscopiques. Et avec Saturnin Arloing (1846-1911), il a établi l’identité des tuberculoses humaines et animale ainsi que la possibilité de contagion humaine par ingestion de viandes provenant de bovins tuberculeux.

La collaboration entre vétérinaires, médecins, chercheurs, autour des défis One Health, s’accentue au cours du 20e siècle, sous l’impulsion du docteur Charles Mérieux (1907-2001), grand vaccinologue et industriel lyonnais, dont l’un des adages favoris est : « Pas de frontière entre médecines humaine et vétérinaire »[4] . Plus proche de nous, l’École vétérinaire s’associe, en 2010, à l’École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles de Clermont-Ferrand pour créer l’école VetAgro Sup, afin de regrouper compétences vétérinaires et agronomiques et d’y ajouter une composante environnementale.

 

Exploration de la fonction cardiaque dans le cœur d’un cheval. Reconstitution, par Auguste Chauveau (alors âgé), des expériences conduites entre 1861 et 1863.


Notes

[1] L’animal-machine est une thèse selon laquelle le comportement des animaux est semblable aux mécanismes des machines.

[2] Une épizootie est une maladie qui frappe une espèce animale ou un groupe d’espèces. Si l’épizootie frappe une région d’une façon constante ou à certaines époques déterminées, on parlera d’enzootie.

[3] Étude et comparaison des maladies qui se manifestent à la fois chez l’homme et chez les animaux.

[4] « Sans frontière entre les deux médecines : de Claude Bernard au vétérinaire Galtier ». Discours d’intronisation de Charles Mérieux à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon (1970).


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