Par Ludovic Viévard, rédacteur.

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© Visée.A

© Flavien Chervet

La presque interview

Flavien, comment définiriez-vous la créativité de l’IA aujourd’hui et en quoi diffère-t-elle de la créativité humaine ?

La créativité, c’est l’inattendu, la surprise. Une œuvre qui ne surprend pas n’est pas créative. Or, l’IA a déjà démontré sa capacité à nous étonner. Quand AlphaGo a joué son célèbre 37e coup[1], personne ne l’avait vu venir, pas même ses créateurs. C’était un geste inédit, qualifié de « créatif » par les experts eux-mêmes.

Mais la créativité ne se résume pas à l’originalité. Elle est aussi profondément liée à l’expression d’une singularité, d’un regard sur le monde. L’humain, en créant, révèle une part de lui-même, de son histoire, de sa sensibilité. Une IA peut générer des images, composer de la musique ou écrire des textes, mais elle ne le fait pas à partir d’une expérience vécue ou d’un désir intime. Cela dit, l’IA évolue. Si aujourd’hui, elle est souvent un outil qui amplifie notre créativité, demain, avec les systèmes [que j’appelle] « C-Borgs » capables d’apprentissage et d’autonomie décisionnelle, elle pourrait devenir une force créative à part entière. La question n’est pas de savoir si l’IA sera créative, mais à quel moment nous serons prêts à le reconnaître.

En quoi les outils d’IA transforment-ils le processus créatif, notamment dans les arts et le design ?

Les outils d’IA révolutionnent la création en la rendant plus accessible, plus rapide et parfois même plus surprenante. Dans les arts visuels, les algorithmes de text-to-image permettent à chacun de générer des œuvres sans savoir dessiner, en se concentrant sur l’intention et l’esthétique plutôt que sur la technique. Cela marque le « sacre de l’amateur », où la créativité devient plus démocratique. Dans le design, ces outils transforment la manière dont les créateurs travaillent. Plutôt que de partir de zéro, ils peuvent expérimenter rapidement avec des styles, des compositions et des idées générées par l’IA. Le rôle du designer évolue : il devient un chef d’orchestre, sélectionnant et affinant les propositions algorithmiques.

Cette évolution rappelle l’histoire de la photographie : elle n’a pas remplacé la peinture, mais a changé son rôle et élargi le champ des possibles. De même, l’IA ne remplace pas les artistes, mais leur offre une nouvelle matière à explorer. L’important reste la vision de l’auteur et son intention, qui donnent du sens à la création.

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Les détails de l’expérience

Cette interview générée par IA a nécessité l’intervention de plusieurs personnes. En effet, pour la réalisation de cet entretien, nous avons suivi plusieurs étapes que nous détaillons pour montrer le travail humain masqué.

En amont de l’entretien, une réflexion approfondie sur le thème de l’intelligence traité dans Pop’Sciences qui a mobilisé un comité scientifique, une rédaction de journalistes et sa direction, soit des temps d’échange, de réflexion, de documentation. Après un repérage des ressources existant sur le sujet (articles, chercheurs, experts, conférences, etc.), le travail de conception de l’article, de son plan, de l’interview s’organise.

Une fois posé le principe d’un entretien avec Flavien Chervet, nous l’avons contacté, puis échangé avec lui pour finalement imaginer ensemble cette expérience. Ceci fait, il a fallu la produire in concreto. Flavien Chervet a créé une section de Chat GPT fonctionnant à partir des données que constitue son ouvrage Hypercréation. Côté Pop’Sciences, nous avons rédigé les prompts, c’est-à-dire une série d’indications les plus précises possibles de façon à donner aux deux IA toutes les contraintes permettant de générer un texte correspondant à ce qu’on attend classiquement d’une interview. Cela comprend des indications de contexte, de thématique, de forme, de volume de textes, de niveau de langue, etc.

Nous avons testé plus d’une dizaine de prompts et renouvelé d’autant l’expérience, ajustant chaque fois les éléments pour que le résultat soit plus proche de ce que l’on attendait. Par exemple, sans l’indication « sans jargon technique », les phrases générées étaient parfois complexes pour les non-spécialistes.

Nous avons soumis les résultats à Flavien Chervet pour nous assurer que les réponses de son IA correspondaient à ce qu’il aurait souhaité répondre. Là aussi, nous avons essayé plusieurs fois et ajusté le prompt, notamment en allongeant le volume de caractères attendu.

Au final, le texte obtenu est cohérent dans sa forme. Sur le fond, il synthétise ce qu’écrit Flavien Chervet dans son livre, sans apporter d’idées supplémentaires. On le voit, utiliser l’IA n’efface pas le travail humain amont et ne permet pas d’obtenir une réponse créative. Il produit cependant un résultat d’un degré de vraisemblance suffisante pour faire illusion.

Prompt à Chat GPT :

Contexte : Tu es journaliste pour un magazine grand public universitaire. Tu interviewes Flavien Chervet, spécialiste de l’IA. L’interview porte sur son travail, la créativité de l’IA, les transformations qu’elle peut apporter au travail de création, etc. Après t’être renseigné sur Internet sur Flavien Chervet, pose-lui deux questions. Les questions doivent anticiper les réponses, afin de former une interview finale qui fasse un tout cohérent et progressif.

Chaque question fait entre 100 et 150 caractères, espaces compris. Elles sont rédigées dans un style clair, sans jargon technique :

– Flavien, comment définiriez-vous la créativité de l’IA aujourd’hui et en quoi diffère-t-elle de la créativité humaine ?
– En quoi les outils d’IA transforment-ils le processus créatif, notamment dans les arts et le design ?

Suite aux premiers résultats insuffisamment précis et après échange avec Flavien Chervet, il a été décidé de procéder de façon itérative, de manière à ce que son IA puisse tenir compte de la première réponse fournie lorsqu’elle formulerait la seconde.

Prompt 1 à l’IA de Flavien Chervet :

Contexte : Vous répondez à une interview pour un magazine grand public universitaire sur votre travail de création graphique. Première question : Flavien, comment définiriez-vous la créativité de l’IA aujourd’hui et en quoi diffère-t-elle de la créativité humaine ? Répondre en 1200 caractères espaces compris, dans une langue simple, vivante, sans jargon technique.

Prompt 2 à l’IA de Flavien Chervet :

Contexte : Vous répondez à une interview pour un magazine grand public universitaire sur votre travail de création graphique. Deuxième question : En quoi les outils d’IA transforment-ils le processus créatif, notamment dans les arts et le design ?  Répondre en 1200 caractères espaces compris, dans une langue simple, vivante, sans jargon technique, et en tenant compte de la première question et réponse.

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Réaction de Flavien Chervet : 

Instructive expérience ! Au départ, les réponses obtenues de mon IA étaient superficielles, éloignées de ma pensée. Étonnamment, en posant moi-même les mêmes questions, les réponses étaient excellentes, parfois même troublantes de précision. En fait, dans le premier temps du test, trois questions étaient regroupées en un seul prompt qui limitait chaque réponse à 200 caractères, obligeant l’IA à trop synthétiser… Jusqu’à perdre le sens de mes propos. Finalement, en réduisant à deux questions et en donnant davantage d’espace à l’IA, la qualité s’est améliorée, même si le résultat reste encore bien en-dessous de celui obtenu lorsqu’on ne pose aucune limite de texte à l’IA.

Note :

[1] En 2016 se tint un tournois de go organisé entre AlphaGo, une IA développée par Google DeepMind et Lee Sedol, l’un des meilleurs joueurs du monde. L’IA gagna 4 des 5 parties. Atypique, le 37^e coup de la 2e partie est un exemple de créativité d’une IA.

Pour aller plus loin :

• Que nous fait l’IA ?, par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #15, été 2025.
• L’IA, une intelligence sans esprit, par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #15, été 2025.

Image créée par Flavien Chervet avec Midjourney.