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Intelligences

L’intelligence végétale, un sujet sensible

De récentes avancées dans le domaine de la biologie végétale témoignent des étonnantes facultés sensorielles des plantes. De là à en faire des êtres intelligents, il n’y a peut-être qu’un pas que les scientifiques se refusent toutefois à franchir.

Par Grégory Fléchet, journaliste.

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© Visée.A

Les arbres nous surpassent dans bien des domaines. Capables de s’enraciner dans les déserts les plus arides de la planète, certains spécimens nous toisent depuis 5 000 ans tandis que d’autres parviennent à survivre aux incendies ou à l’explosion d’une bombe atomique. Pour autant, peut-on parler d’intelligence du monde végétal ? « Si faire preuve d’intelligence consiste à se maintenir sur Terre durant des centaines de millions d’années, les arbres peuvent sans doute prétendre à un tel statut », suggère avec une pointe de provocation Catherine Lenne, enseignante-chercheuse en botanique au laboratoire de Physique et physiologie intégrative de l’arbre en environnement fluctuant (PIAF) de Clermont-Ferrand. Sur le plan physiologique, le principal obstacle à cette reconnaissance demeure l’absence d’un système nerveux périphérique dédié à la transmission d’informations et d’un cerveau permettant de les analyser. Alors que la communauté des sciences du vivant n’envisage pas, pour l’heure, d’élever les végétaux au rang d’êtres intelligents, la question de leur sensibilité fait davantage consensus. Ces dernières années, les découvertes remettant en cause la vision aristotélicienne[1] des plantes, selon laquelle elles ne seraient que de simples formes de vie passives, se sont en effet multipliées.

« Confrontée au vent, [le peuplier] réduit sa croissance en hauteur et augmente son diamètre tout en développant plus de racines pour améliorer son ancrage dans le sol. »
Catherine Lenne - Enseignante-chercheuse en botanique au laboratoire de Physique et physiologie intégrative de l’arbre en environnement fluctuant de Clermont-Ferrand.

Les arbres s’adaptent à la force du vent

S’inscrivant dans cette démarche, les travaux du laboratoire PIAF visent notamment à comprendre comment les espèces végétales parviennent à percevoir le monde qui les entoure. « Des expériences menées sur de jeunes peupliers ont montré qu’ils étaient capables de ressentir la force du vent, illustre Catherine Lenne. Confrontée au vent, cette espèce réduit sa croissance en hauteur et augmente son diamètre tout en développant plus de racines pour améliorer son ancrage dans le sol. » Cette réaction adaptative découle de la faculté de l’arbre à « ressentir » les conditions environnementales (vent, lumière, humidité…) à partir de capteurs disséminés dans l’ensemble de son organisme. « Un peu à la manière de notre sens du toucher, toutes les capacités sensorielles des végétaux s’expriment de façon diffuse », résume Catherine Lenne. Toutes les plantes sont, en outre, dotées du sens de la proprioception qui leur permet de percevoir la forme de leur corps dans l’espace. C’est notamment grâce à cette faculté que les arbres parviennent à réajuster en permanence la courbure de leur tronc.

Hêtre ayant rectifié l’axe de son tronc. © Catherine Lenne

Depuis quelques années, on sait, par ailleurs, que les plantes émettent des ultrasons en cas de stress hydrique ou de blessure. D’autres travaux de bioacoustique végétale ont montré que certaines espèces étaient réceptives aux stimuli sonores. Chez l’arabette des dames, le bruit de mastication d’une chenille, qui se délecte habituellement de cette plante, déclenche la production de substances toxiques dans ses feuilles[2]. Soumise à des vibrations sonores similaires à la fréquence des battements d’ailes d’une abeille, l’onagre des plages augmente, pour sa part, la production de nectar de ses fleurs[3]. En matière de sensibilité, les végétaux n’ont assurément pas fini de nous surprendre.

 


Notes

[1]  Philosophe de la Grèce antique né en 384 av. J.-C et mort en 322 av. J.-C., Aristote est notamment connu pour avoir établi les premiers fondements de la philosophie de la nature, discipline regroupant la physique et la biologie

[2] Appel, H., et al., Plants respond to leaf vibrations caused by insect herbivore chewing, Oecologia (2014).

[3] Veits, M., et al., Flowers respond to pollinator sound within minutes by increasing nectar sugar concentration, Ecology Letters (2019).

 


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