Par Caroline Depecker, journaliste

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Nos sociétés sont fortement dépendantes de l’énergie et de la matière, y compris dans leurs usages considérés comme « dématérialisés ». Prenons l’exemple du téléphone portable. Du pétrole raffiné, on produit les granulés de polymères qui, une fois fondus, forment sa coque en plastique. Extraits des mines, les minerais fournissent les métaux précieux intégrés aux cartes électroniques. Le refrain se répète pour tous les matériaux qui le constituent. Usagé, s’il est remis à niveau et non jeté dans un tiroir, il renaît une seconde fois, ou est en partie recyclé pour donner des matériaux secondaires et des déchets. Toutes ces étapes du cycle de vie d’un bien de consommation, c’est-à-dire de sa production à sa fin de vie, nécessitent la mise en œuvre de procédés et le recours aux transports. Ainsi, tout produit que nous utilisons consomme à foison de la matière, puisée dans les ressources terrestres, et génère des pollutions. Autant d’impacts sur l’environnement.

Notre planète peut-elle les absorber ? Pour s’en faire une idée, les scientifiques font appel, depuis quelque temps, à la notion de limites planétaires. « À l’intérieur de ce cadre, né en 2009, on cherche à évaluer quelles perturbations environnementales le système Terre est capable de supporter, tout en conservant l’état d’équilibre qu’il connaît depuis les 10 000 dernières années, à savoir les conditions géophysiques de l’Holocène * », explique Natacha Gondran, professeure à l’École des mines de Saint-Étienne et chercheuse au laboratoire Environnement Ville Société (EVS). C’est ainsi que neuf seuils critiques ou limites planétaires à ne pas franchir délimitent une zone de sécurité.

Vers une analyse du cycle de vie du produit

L’application de ce concept est à l’étude chez certains industriels. Afin de réduire l’empreinte des produits qu’ils commercialisent, ces derniers doivent intégrer la protection de l’environnement dès la phase de conception de leurs biens ou services. Une méthode, communément pratiquée dans ce but, est l’analyse du cycle de vie. Agrégeant des données reflétant l’état des connaissances sur les flux de matière à l’échelle mondiale, l’outil estime, après écriture d’un scénario de conception et de cycle de vie, les émissions polluantes plausibles. C’est là qu’interviennent les limites planétaires.

En effet, à ce stade de la réflexion, et grâce à ce cadre, « il est possible de réaliser une évaluation absolue de la soutenabilité environnementale du produit », note Natacha Gondran. La méthode, toute récente, et sa mise en œuvre sont le sujet de la thèse, financée par l’ADEME**, et préparée depuis 2024 par Mélissa Bounouar au sein du Pôle Éco-conception et de l’École des mines de Saint-Étienne. Elle est supervisée par la scientifique. Un exemple d’objet étudié : une robe. « Les outils méthodologiques classiques permettent de déterminer si une stratégie d’éco-conception *** est meilleure qu’une autre, mais pas si l’une ou l’autre est soutenable écologiquement », commente Natacha Gondran. Lorsqu’on se pose cette question, la réponse est la plupart du temps négative. Mais l’essentiel est la démarche. « Grâce à elle, outre d’éviter le piège du greenwashing, les entreprises sont en mesure de réfléchir différemment à leurs pratiques ». Et d’être aidées de la sorte dans leurs décisions.

Notes

* > L’Holocène est une époque géologique s’étendant sur les 12 000 dernières années : elle est toujours en cours.

** > Agence de la transition écologique.

*** > L’éco-conception consiste à intégrer la protection de l’environnement dès la conception des biens ou services. Elle a pour objectif de réduire les impacts environnementaux des produits tout au long de leur cycle de vie.

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POUR ALLER PLUS LOIN

• Et la matière fut, par Caroline Depecker, Pop’Sciences Mag #16, novembre 2025.
• Du CO₂ pour un recyclage plus vertueux des batteries, par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #16, novembre 2025.