Recyclez ! L’injonction est partout. Mais ce terme simple cache une réalité plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, le recyclage est au cœur d’enjeux globaux, qu’ils soient économiques, scientifiques, techniques, politiques, sociétaux et même géopolitiques. Recycler, oui, mais à condition qu’une organisation existe à l’échelle mondiale, afin que, derrière la « poubelle verte », toute une chaîne de solutions permette à un geste simple de contribuer efficacement à la gestion des déchets et à l’optimisation des ressources.
Par Ludovic Viévard, rédacteur.
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Le Code de l’environnement définit le recyclage comme : « toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins » (art. L541-1-1). En clair, il consiste à récupérer tout ou partie des matériaux qui composent un déchet afin d’obtenir des matières premières dites « secondaires » permettant de fabriquer un nouvel objet, qu’il soit ou non similaire à celui qui a été traité. Ainsi, « recycler, c’est retourner à la matière, explique Jean-François Gérard, professeur à l’INSA Lyon. Cela peut être le retour à l’atome, en particulier pour les matériaux métalliques. Mais si c’est un polymère plastique, comme le PET[1], on peut revenir à la molécule de départ ou à des composés re-polymérisables, c’est-à- dire des monomères. Le recyclage, c’est donc revenir à la matière, mais à des états qui peuvent être différents ».
50 ans après, un travail d’organisation toujours en cours
Sous l’effet des règlementations françaises et européennes, et à mesure que la société de consommation produisait des déchets toujours plus nombreux, le recyclage s’est progressivement institutionnalisé. Fondatrice, une première loi de 1975 pose le principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP) à qui elle confie la gestion de la fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché. En 1992, la Loi relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées pour la protection de l’environnement est votée, instituant l’ambition du tri et du recyclage généralisé. C’est aussi l’année de la création d’« Eco-emballages » – devenu CITEO –, le premier éco-organisme en France. Dédié à la gestion des emballages, il collecte les éco-participations acquittées par les industriels et structure le recyclage des déchets de cette filière. « Cela a représenté une avancée majeure, explique Laurence Rocher, professeure de géographie à l’Université Jean Moulin Lyon 3, car ces éco-organismes constituent toujours aujourd’hui des instruments d’action publique qui permettent, à partir des éco-contributions prélevées sur les biens de consommation, de financer l’organisation du recyclage, qui n’est pas rentable, et notamment de soutenir les collectivités locales qui ont la charge de la collecte et du tri. » En 2025, en France, l’ADEME[2] identifie 25 éco-organismes agréés et 23 filières qui, des jouets aux batteries, en passant par le bâtiment ou les pneumatiques, collectent près de 1,9 milliards d’euros.
Pourtant, « 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte, et 50 % n’est pas recyclé »[3]. C’est que le recyclage est une réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît, qui évolue constamment selon les changements dans les usages des consommateurs, les filières et l’adoption de nouveaux matériaux par les industriels, les contraintes économiques, la raréfaction des matières premières… Comprendre le recyclage suppose ainsi de l’envisager comme un fait global dépendant d’une multitude de facteurs parfois très lointains.
Une activité aux multiples facettes
« Le recyclage nécessite réellement une approche systémique ou holistique », prévient Jean-François Gérard. Pourquoi ? Parce qu’il concerne des objets variés, fabriqués partout sur la planète avec des matériaux très différents. Il implique alors de s’intéresser moins à la fonction de l’objet qu’au gisement de matière, qu’avec d’autres, il constitue. Prenons l’exemple d’un téléphone. Il est fait de 30 à 50 % de plastiques et de matières synthétiques, de 10 à 20 % de verre et céramique et pour 40 à 60 % d’une trentaine de métaux, dont des métaux précieux et des terres rares. Si les sciences de la matière savent les retraiter, les métaux sont si divers et leurs quantités tellement minimes – parfois moins d’un microgramme –, qu’il faut une quantité considérable de téléphones pour alimenter des sites industriels rentables. « La question, explique Jean-François Gérard, est de savoir comment on récupère des millions de téléphones de manière continue pour établir un flux alimentant les usines. » On voit comment le recyclage mobilise les sciences de la matière, des procédés, de la logistique, mais aussi de l’économie.
C’est pour cela que le PEPR[4] Recyclage, recyclabilité et réutilisation des matières que dirige le chercheur est organisé à partir d’une approche globale, selon des axes consacrés aux matériaux, aux filières mais aussi à des approches transversales qui apportent une réflexion sur les usages et sur l’apport du numérique (big data, IA, robotisation, etc.). Mis en place en 2021, il coordonne des laboratoires de recherche aux sein d’universités, d’écoles et d’organismes (CNRS, INRAE, CEA, IFPEN, BRGM), voire des industriels à travers la France, dont de nombreux acteurs du site universitaire lyonnais. Ce dernier est, en effet, héritier d’une longue histoire où se mêlent recherche et industries chimique, textile ou en plasturgie. Pour le PEPR, l’enjeu est de coordonner et combiner différentes disciplines académiques qui vont contribuer à comprendre et améliorer les différentes étapes du recyclage. La spectroscopie[5], par exemple, pourra être utilisée pour identifier en quelques secondes un matériau sur une chaîne de tri. Dans l’axe plastique, on s’intéressera à la présence de contaminants ou au désassemblage de structures complexes. Un enjeu clé quand on sait que « une barre chocolatée peut être emballée dans un sachet fait de 7 à 12 couches de polymères différents de quelques microns seulement ! », précise encore Jean-François Gérard. Il s’agit bien de questions de recherche fondamentale qui ont des visées applicatives directes.
Quand la géopolitique se mêle de nos poubelles
Le recyclage est aussi affaire de géographie, voire de géopolitique. Car il met en relation des échelles très différentes, allant de l’hyperproximité de la collecte des poubelles au fort lointain des pays producteurs. Sonia Boulade, responsable de l’équipe Filières à la Métropole de Lyon explique ainsi que le marché des matières premières « secondaires » obtenues par recyclage est dépendant du celui des matières premières : « Quand le prix du baril de pétrole brut baisse, le prix de nos déchets plastiques recyclables baisse aussi alors que les coûts de traitement restent les mêmes ! ». L’exemple des terres rares permet de bien comprendre un des enjeux géopolitiques majeurs associés au recyclage. Le 4 avril 2025, la Chine qui produit 90 % des terres rares raffinées[6], a annoncé une restriction des exportations de sept métaux rares pour répondre à la guerre commerciale lancée par Donald Trump. On comprend alors combien peut être décisif le recyclage des objets qui en contiennent afin de limiter la dépendance aux pays producteurs !
Cette géopolitique du recyclage est l’exact pendant de la géopolitique des matières premières. Laurence Rocher explique ainsi qu’il y a « des circulations marchandes mondialisées, légales ou illégales, des déchets, y compris pour des fins de recyclage ». Et si, comme le souligne Sonia Boulade, la Métropole de Lyon recycle la totalité de ses déchets en Europe[7], ce n’est pas le cas de tous. L’exemple du textile, pour lequel il existe au Kenya ou au Ghana un marché de la seconde main et du recyclage, montre qu’une partie n’est pas ou mal recyclée. « Le problème, décrypte Laurence Rocher, c’est que souvent sur une tonne de déchets, il va y avoir 10 % desquels il est possible de tirer un profit, en réemploi ou en recyclage. Le reste va alimenter des décharges locales qui ne sont pas adaptées pour recevoir ces déchets-là, avec des conséquences négatives pour la santé des gens et la contamination des milieux naturels. » Recycler localement permettrait ainsi de mieux contrôler l’impact de la fin de vie des biens que nous consommons. C’est tout l’enjeu du projet pilote FIREX et de son démonstrateur Nouvelles fibres textiles installé à Amplepuis, dans le Rhône. Initié en 2022 et soutenu par l’ADEME, il doit permettre d’industrialiser le recyclage en France des textiles en fin de vie.
Et demain ? Un changement de modèle ?
On le voit, le recyclage interroge aussi nos économies, qu’il s’agisse de nos modes de production ou de consommation. Éco-concevoir un produit, c’est penser à l’ensemble de son cycle de vie. C’est faire en sorte qu’il soit économe à produire, en matière, en énergie, en CO2, etc., et facile à recycler. Cela inclut, par exemple, d’en simplifier le démantèlement des différents éléments. À l’usine de tri Nicollin, dans le Rhône, Christophe Warambourg, directeur d’exploitation adjoint, explique que certains fabricants de produits alimentaires y font tester leurs projets d’emballage pour s’assurer qu’ils sont adaptés au tri sur les lignes mécanisées. Mais de gros efforts restent à fournir sur d’autres produits manufacturés.
Une autre évolution est celle de l’économie de la fonctionnalité, qui consiste à acquérir une fonction plutôt que le bien. L’exemple type est celui du leasing automobile : on achète non pas une voiture mais des kilomètres parcourus. L’impact est double. Le premier est que le fabricant – s’il est aussi le loueur – a intérêt à produire des objets robustes et fiables, ce qui va à rebours des pratiques d’obsolescences programmées. Le second est que l’objet reste la propriété du loueur et, lorsqu’il arrive en fin de vie, celui-ci le récupère. Cela simplifie l’accès aux gisements de tonnes de déchets qui, sans cela, peuvent échapper au recyclage. Cette approche pourrait s’étendre à des métaux et terres rares, faisant alors l’objet d’une location et non d’une vente, comme le vanadium, métal utilisé dans certaines batteries. Un changement de paradigme lourd de conséquences. « En fonction de l’origine et du positionnement du loueur, il peut y avoir un paradoxe écologique et un risque de souveraineté, prévient Gaétan Lefebvre, ingénieur géologue et expert en intelligence minérale au Bureau de recherches géologiques et minières. Par exemple, quand le leasing consiste à renvoyer en Chine les équipements utilisés en Europe à leur fin de vie, il peut constituer un risque pour les industriels européens tentant de développer des projets d’économie circulaire. L’alerte a été lancée par ces derniers dans le cas des aimants à terres rares des éoliennes. »
Notes
[1] Le PET, ou polytéréphtalate d’éthylène, qui se recycle très bien, est un des plastiques les plus couramment utilisés, notamment pour les bouteilles conditionnant les boissons.
[2] Agence de la transition écologique.
[3] Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), conseil général de l’économie (CGE), inspection générale des finances (IGF), 2024 : Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur.
[4] Programme et équipement prioritaire de recherche.
[5] La spectroscopie regroupe un ensemble de méthodes analysant les interactions entre la matière et un rayonnement (émission, absorption, diffusion…), afin d’obtenir des informations sur sa composition, sa structure et ses propriétés.
[6] Goutte, S., et Depraiter, L., Terres rares : Ces nouveaux venus qui entendent concurrencer la Chine et les États-Unis, The Conversation (2025).
[7] Il est question ici de déchets ménagers. 77 % sont recyclés en France, les 23 % restant dans les pays européens limitrophes ou presque (Pays-Bas et Portugal) (données Métropole de Lyon, 2023).
POUR ALLER PLUS LOIN
- Du CO2 pour un recyclage plus vertueux des batteries, par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #16, novembre 2025.
- Trier : la première étape du recyclage, par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #16, novembre 2025.
