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UUn an pour fabriquer les vaccins Covid : une prouesse qui s‘explique

une laborantine effectue un mélange derrière un chronomètre en premier plan ©Fotomelia

Article #7 du dossier Pop’Sciences « De la variole à la Covid, les vaccins… »

A la mi-juillet, 53% des Français ont reçu leur 1re dose de vaccin contre la Covid-19. Sereins quant à leur sécurité ? Pas forcément. Le désir est grand de retrouver le chemin de la « normalité », mais le doute subsiste face à ces vaccins dont l’arrivée sur le marché a été fulgurante. Cette prouesse s’explique cependant, et n’a laissé aucune place à l’improvisation ou à la légèreté.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 13 juillet 2021

Sept à dix ans, c’est le temps requis généralement par l’industrie pharmaceutique pour développer un médicament. Pour les vaccins Covid, il en a été tout autre. 11 mois se sont écoulés en effet entre la publication de la séquence du génome* du virus SARS-CoV-2 par les Chinois, en janvier 2020, et la première vaccination contre la maladie. Le 8 décembre, la britannique Margaret Keenan recevait la première dose de vaccin Pfizer/BioNTech, en dehors de tout essai clinique. Avait-t-on grillé des étapes dans la conception des vaccins ? Il n’en est rien.

Des processus réglementaires revisités pour accélérer l’évaluation des dossiers

Face à l’urgence sanitaire, l’année 2020 a été marquée par une collaboration plus intense que la normale dans le monde de la recherche, ainsi que dans le dialogue avec les autorités. L’organisation permettant aux pouvoirs publics de valider la mise au point des vaccins a été profondément bouleversée. Cette réorganisation fut l’élément central permettant d’accélérer l’accès aux vaccins.

Les étapes de développement et de tests d’un médicament sont menées d’ordinaire de façon séquentielle. Les preuves amenées par les scientifiques et les industriels sont soumises à évaluation : la validation d’une étape conditionne le passage à celle qui suit et ce, jusqu’à la phase finale, la production des doses.
En pleine pandémie, les processus habituels sont chamboulés (voir schéma ci-dessous). Au lieu de se succéder, les différentes étapes sont conduites en parallèle. Lors des phases cliniques (1, 2 et 3), des patients d’un groupe tests sont inclus dans le groupe suivant pour gagner encore un peu de temps.

Enchainement des phases d’évaluation lors des vaccins Covid / ©EMA

« On a encore appliqué la « rolling evaluation, c’est-à-dire une évaluation des essais au fil de l’eau », explique Stéphane Paul, professeur en immunologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne et membre du comité vaccins Covid-19.

Dans ce cas de figure, les industriels transmettent régulièrement leurs données cliniques et réglementaires, par paquet, aux autorités qui étudient ainsi le dossier, petit bout par petit bout et peuvent in fine délivrer une autorisation d’urgence. Et si le vaccin s’avère prometteur, les fabricants lancent sa production à grande échelle avant même les conclusions définitives des essais ». Ce fonctionnement repensé est bien expliqué par l’Agence européenne du médicament (EMA) sur son site. Prévu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en cas d’épidémie majeure, il avait déjà été mis en œuvre pour lutter contre le virus Ebola en 2014.

Le contexte pandémique a encore joué un rôle d’accélérateur dans l’obtention des données. Lors des études cliniques de phase 3, il s’agit de réaliser des essais en double aveugle : 20 000 personnes d’un bras placebo reçoivent de l’eau sucrée tandis qu’on administre le vaccin à 20 000 autres volontaires. Puis, on compte le nombre de cas graves, ou d’hospitalisations, naissant dans les deux populations. Ceux-ci sont majoritaires dans le bras placebo. Lorsque le nombre de cas est suffisamment important pour que le calcul permettant de déterminer l’efficacité du vaccin est jugé fiable statistiquement, on arrête l’essai. Or, en 2020, la circulation du virus était importante. L’immunologiste de commenter brièvement : « Si le rythme d’infection est élevé, les cas apparaissent rapidement et l’étude s’arrête de même. C’est globalement…arithmétique.»

Dix milliards de dollars au bas mot

Les États ont mis la main à la poche pour les vaccins. / ©GRStocks sur Unsplash

Autre facteur clé expliquant la disponibilité rapide des vaccins  : le soutien financier des États auprès des laboratoires et des sociétés privées. Lorsque le développement d’un vaccin se fait de façon linéaire, chaque étape validée rassure les investisseurs. Avancer dans une étape, alors que la précédente n’a pas livré la totalité de ses résultats fait prendre des risques. Surtout lorsqu’il s’agit de passer aux premiers tests sur l’homme, pour lesquels il faut des lots de vaccins de grade pharmaceutique, très onéreux à produire.

« A ce stade, les investissements sont énormes. L’aide internationale a offert des garanties aux laboratoires pour aller de l’avant, sans savoir ! et ainsi de minimiser leurs risques », complète Stéphane Paul. On estime à 10 milliards de dollars le financement public et à but non lucratif dédié, en 2020, à la recherche et au développement des candidats-vaccins pour lutter contre la pandémie. Cette somme est probablement sous-estimée vu la rareté des données sur le sujet. Les millions de doses précommandées très tôt par les gouvernements, avant même la finalisation des vaccins, ont constitué un autre signal fort donné aux industriels.

Enfin, lancées dans la course pour concevoir un vaccin contre le SARS-CoV-2, les entreprises se sont largement appuyées sur les connaissances accumulées sur le SARS-CoV-1, responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002-2004. Avec comme certitude de devoir cibler la protéine Spike, elles ont concentré leurs efforts à développer la technologie dans laquelle elles étaient expertes. Certaines, comme Moderna, n’attendait que le moment propice pour tester à grande échelle une solution technologique facile à adapter : les vaccins à ARN* messager. Cette stratégie vaccinale n’avait pu être testée au-delà des essais cliniques de phase 1 jusqu’à cette date.

En France : 4 vaccins, 2 technologies et un « bouclier » vaccinal

Hôpital des Yvelines / ©NicolasDuprey – Flickr

15 vaccins différents sont distribués aujourd’hui un peu partout dans le monde. 4 le sont en France : 2 d’entre eux sont basés sur la technologie à ARN (le vaccin Comirnaty de Pfizer/BioNtech et le Spikevax de Moderna) et 2 sur l’emploi de vecteur viral (Vaxzevria d’AstraZeneca et le vaccin Janssen Covid-19). Comprise entre 67 et 94 %, leur efficacité globale à prévenir les formes sévères du Covid-19 et les hospitalisations font de ces vaccins un outil privilégié permettant de protéger les personnes les plus fragiles et notre système hospitalier.
Et, depuis le début des campagnes vaccinales, les études s’accumulent pour dire que les vaccins réduisent la transmission du virus. Dans une dernière étude, des chercheurs en santé publique de l’université de Yale ont calculé que le risque d’être infecté, et donc de transmettre le virus SARS-CoV-2 est abaissé de 88% avec le vaccin Cominarty. Cette évaluation a été faite grâce au suivi épidémiologique de la population israélienne, avant que le variant Delta ne fasse irruption dans le pays. Dans le cas de cette dernière souche, plus contagieuse, la baisse de contagiosité serait moindre : de l’ordre de 64%.

Présentée le 12 juillet par Emmanuel Macron comme un « bouclier » nous protégeant des variants et de futurs confinements, la vaccination rapide des populations pourrait jouer un rôle majeur dans la gestion de la pandémie Covid.

Ces vaccins ont donc franchi avec succès les différentes phases d’évaluation clinique attestant de leur efficacité et sécurité. Mais l’affaire n’est pas si simple. Parce que les molécules d’ARN messager sont en quelque sorte « des copies » de l’ADN* contenu dans le noyau de nos cellules, d’aucuns se sont interrogés sur la capacité des vaccins ARN à modifier notre génome. Les scientifiques ont apporté les arguments infirmant cette inquiétude.

Faisons le point sur la sécurité des vaccins ARNm
Parole donnée à Altan Yavuz, vaccins (3/5) : Que savons-nous de la sécurité des vaccins ARN messager ?

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On sait en outre que les vaccins à matériel génétique, à ADN, sont commercialisés depuis vingt ans en vaccination animale (chez le cheval, les saumons d’élevage, les poulets et les chiens) sans qu’aucun effet indésirable majeur n’ait été rapporté. Ces propos suffisent-ils pour être pleinement rassuré ?

15 ans de recul sur les vaccins ARNm dédiés à la lutte contre le cancer

« Non, si ce sentiment existe, il est juste. Il y a des choses qu’on sait et des choses qu’on ne sait pas, reconnaît Stéphane Paul. Si on inclue les volontaires ayant reçu les premières doses de vaccins Covid, et qui font toujours l’objet d’un suivi, on a aujourd’hui un an et demi de recul sur les vaccins Covid à ARN messager. Et aucun signal d’alerte rencontré. On a également plus de 15 ans de recul sur d’autres vaccins à ARN messager comme ceux étudiés pour le traitement des cancers. Mais nul ne peut affirmer que d’ici à 5 ans, rien n’apparaisse ».

Le chercheur, chef d’équipe au Centre international de recherche en infectiologie (CIRI) de Lyon, envisage l’hypothèse d’une recrudescence de maladie auto-immunes. Une leçon tirée du passé. Alors que le nombre de personnes vaccinées, de plusieurs milliards, augmente, « ce risque serait au final forcément extrêmement faible. Dans le cas contraire, nous aurions vu émerger des signaux rapidement ». Le recul sur les vaccins à adénovirus est lui un peu plus important car ce type de vaccins est déjà utilisé contre Ebola.

Vaccinadrome Covid aux Etats-Unis @Unsplash

« Nous restons très vigilants, attentifs aux rapports émis par le dispositif de pharmacovigilance renforcée ».

Ce n’est qu’après sa mise sur le marché, alors qu’un médicament est largement prescrit, que peuvent être observées des effets indésirables rares. Leur surveillance est internationale et permet de sécuriser l’emploi des médicaments en vie réelle. Chaque pays se voit délégué une partie de ce suivi. En France, celui-ci est coordonnée par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui recueille les observations des patients et des professionnels de santé, ainsi que les déclarations obligatoires des fabricants sur la survenue de ces effets indésirables.

Pharmacovigilance renforcée pour davantage de réactivité

Dans le cadre de la Covid-19, des mesures ont été adoptées afin de rendre le dispositif de pharmacovigilance plus réactif : augmentation de la fréquence des rapports des fabricants (mensuels et non semestriels), rappels par SMS de la démarche de signalement, analyse en temps réels des signaux, etc.

Dans un souci de transparence, l’ANSM publie sur son site une synthèse hebdomadaire des données collectées depuis décembre dernier.

D’après son rapport du 2 juillet :
– les effets secondaires graves (ayant nécessité une consultation médicale ou une hospitalisation) concernent 0,03 % des personnes vaccinées (15 500 cas pour 50 988 000 injections),
– un lien est possible entre le vaccin Cominarty (Pfizer) et le risque rare de myocardite (inflammation de la membrane du cœur), les cas signalés ayant toujours évolué favorablement,
– il existe un risque très rare de développer une thrombose atypique et des troubles de la coagulation avec le vaccin Vaxzeria (AstraZeneca), pour les moins de 50 ans.
Dans chaque cas, les mesures de prévention sont expliquées.

Après un semestre de vaccination, les informations accumulées reflètent un rapport bénéfice/risque nettement en faveur de la vaccination. Nul ne peut dire qu’elle sera la liste finale des effets non attendus en lien avec les vaccins. Les réseaux de surveillance ont toutefois été largement consolidés pour les capter rapidement et s’y adapter.

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