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Villes

Détournements urbains au quotidien

Échanger

Par Ludovic Viévard
Photographies : Visée.A

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La ville est par excellence le lieu de la circulation, plus rarement celui de l’échange de biens. Aujourd’hui, en tout cas. Car, comme le souligne l’historien Maurice Garden, la rue du Moyen-Âge est, elle, encombrée de tréteaux sur lesquels tout se vend, les boutiques ne servant que de lieux de stockage. Cet immense marché qu’était la rue s’est progressivement organisé et aseptisé. Contre ce mouvement d’hyperstructuration, des échanges réapparaissent des formes plus libres et spontanées, voire sauvages. Certaines, telles les boîtes à livres ou les « givebox », visent à créer de la convivialité, du lien entre habitants. Associatives, municipales ou installées par des particuliers, ces boîtes permettent de créer une circulation non marchande des biens. Échanger dans l’espace public peut ainsi prendre une forme militante. Par exemple, les « dead drops », ces clés USB scellées dans les murs qui permettent d’échanger des données numériques ! Certains, qui n’ont pas de voiture, le temps ou simplement l’énergie d’aller jusqu’à une « donnerie » officielle, se contentent de déposer dans la rue un réfrigérateur, un meuble, un fond de placard ou de cave… avec un panneau invitant le passant à se servir.

  1. Pompe à vélo… servez-vous !
  2. Plus lourd qu’une pompe à vélo, le frigo est à aussi donner. Une précision qui sous-entend qu’il fonctionne !
  1. Boite à dons colorée qui accueille livres et petits objets
  2. Une chaise devant cette boite à livres ; avant de glisser l’ouvrage dans son sac, on peut prendre le temps d’en picorer les premières lignes !
  3. Les boites à livres aussi peuvent être hackées !
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Communiquer - militer

La rue est traditionnellement un lieu d’expression et de contestation. Si l’espace public est constitué de signes légaux (panneaux indicateurs, enseignes commerciales, publicités, etc.), il est régulièrement « hacké » par tous ceux qui souhaitent s’y exprimer librement. Visibles mais pas toujours lisibles, les tags sont une signature par laquelle leurs auteurs s’approprient les lieux. Des habitants ou des passants anonymes s’échangent des messages, passent des annonces, sur une porte, un mur. Les artistes s’expriment eux-aussi dans la rue, contraignant le passant à une confrontation avec un art parfois militant. Certains nous enjoignent à une plus grande vigilance sur le fonctionnement de notre société. D’autres ont entrepris de renommer les rues pour souligner combien les femmes sont absentes de cette mémoire collective. D’autres encore, détournent les espaces publicitaires pour lutter contre la consommation et la « pollution visuelle ». Il y a également ceux, comme Faites-les parler, qui nous invitent à contribuer à une œuvre collaborative autour des personnalités médiatiques ou politiques. Ainsi, grâce à tous ces détournements, la rue redevient cette agora si chère aux Grecs, un lieu d’échange et d’élaboration d’idées, comme elle le fut lors du mouvement Nuit debout en 2016.

Œuvre de By Dav’ alertant sur la situation des ours polaires

By Dav’, qui nous invite à l’art plutôt qu’à la guerre

Discussion suivie sur une porte d’entrée… Ici on prend le temps de s’écouter ! Manifestement,Delphine avait quelque chose d’urgent à dire à Jimmy !

Sur l’œuvre d’Adelsa, Regarder Vraiment nous rappelle que si son Oncle en avait… on l’appellerait sa Tante

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Réparer - embellir

Si l’espace public est le lieu de tous, son aménagement et son entretien dépendent des institutions publiques, seules compétentes. Pourtant, nombreux sont ceux qui interviennent et, apportant leur touche personnelle, réparent ou embellissent la ville. L’un des exemples les plus connus, et dont Ememem est emblématique (lire son interview), est celui du flacking, cet art de raccommoder qui consiste à reboucher les nids-de-poule avec des fragments de carrelage. D’autres utilisent des Lego comme une pièce réparant un mur. Les deux n’offrent évidemment pas la même solidité, mais elles ont en commun de détourner le matériau réparé pour embellir la ville. C’est aussi une démarche que poursuivent de très nombreux artistes qui insèrent leurs œuvres dans l’environnement. Ainsi, les fleurs que CAL colle et intègre à la végétation réelle produisent une réalité augmentée de la ville ! Certains « customisent » le mobilier urbain, ici une poubelle, là une vespasienne. D’autres peignent sur les murs, y collent des tableaux, des objets, des sculptures ou exposent leurs photos. D’autres encore se livrent au yarn bombing, une pratique qui consiste à habiller poteaux et rampes d’escalier de tricot. Réparation, embellissement, ludification aussi, comme le font certains artistes qui sèment des objets ou des cartes à retrouver et transforment ainsi la ville en terrain de jeu.

Au-dessus du squelette de By Dav’, l’exposition sauvage de Adrien Nguyen

La réalité augmentée par CAL

Flacking de Ememem, ou l’art de raccommoder la ville

Comment Green aurait-il pu mieux dire la fragilité de la nature qu’en installant cette statue de papier dans l’espace public ?

CAL a encore trouvé l’endroit parfait pour coller un dessin ! Une illustration du Lion et le rat ?

Les chats aussi aiment cet homme-loup collé par Agrume

Entre une borne à incendie et une boite à lettre fraîchement nettoyée, une poubelle quasi-vivante !

Réservé aux personnes handicapées… et aux fleurs.

Yarn bombing, ce panneau d’interdiction de stationner est paré pour l’hiver

Patte Blanche utilise les éléments de l’urbain pour y adapter ses œuvres

Photo de « Lego wall », réinstallée à l’emplacement de l’oeuvre originale très rapidement détruite, par RS & XS

Fleur-mosaïque surplombant la ville (anonyme)

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Habiter - se nourrir

L’espace public est de plus en plus investi par des habitants qui en font une extension de leur habitation ou de leur balcon. On se réapproprie la rue pour y faire pousser des plantes aromatiques, on cultive des jardins partagés, on dépose ses déchets biologiques pour les transformer en compost, etc. L’association Incroyables comestibles dispose, par exemple, des bacs dans l’espace public pour y planter des légumes et, dans certaines rues, des habitants fabriquent eux-mêmes des jardinières avec des palettes de bois. Entre agriculture urbaine, DIY (« do it yourself ») et embellissement, il s’agit bien souvent de pratiques de loisir qui permettent de vivre la ville autrement, d’y tisser des liens, de s’y détendre. Cet investissement de la ville se concrétise aussi, l’été, dans de nouvelles formes d’« habiter ». Ici on paie un ticket de stationnement pour y placer la table du déjeuner. Là des hamacs se tendent entre les arbres, on passe la nuit dans les parcs en jouant de la musique, en dansant, en buvant un coup… Autant d’occasions de pousser les murs de son appartement et de se rencontrer. La rue devient maison ouverte. Mais ces pratiques récréatives choisies ne doivent pas masquer les situations subies où la rue est le seul espace possible où habiter. Des cartons, parfois une tente, un duvet, un réchaud, la promiscuité et la galère… la rue investie par nécessité est aussi une prison.

L.V

Âgée ou convalescente, une personne a fait déposer sur son trajet cette chaise de repos. Pas sûr qu’elle y reste longtemps !

Sous le Christ graffé par Cygraffiti, Sysylife et Dany, un sans-abris a installé sa tente pour quelques temps.

Hamac, tentes, bidons et banderoles de récup’…. Depuis le pont Morand, on aperçoit le campement de sans-abris

Plantations avec fenêtre sur rue

Dans les bacs des Incroyables comestibles, tout le monde peut jardiner et chacun peut piocher de quoi cuisiner !

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Pour aller plus loin

CAL. La customisation de la ville à la portée de tous

Les démarches de détournement de l’urbain sont poursuives par de très nombreux artistes qui insèrent leurs œuvres dans l’environnement. Ainsi les fleurs que CAL colle et intègre à la végétation réelle produisent une réalité augmentée de la ville ! Interview.

Faites-les-parler. La rue redevient une agora 

La rue est traditionnellement un lieu d’expression et de contestation. Par exemple, des habitants ou des passants s’échangent des messages, passent des annonces, sur une porte, un mur. Les artistes s’expriment eux-aussi dans la rue. Certains, comme Faites-les parler, nous invitent à contribuer à une œuvre collaborative autour des personnalités médiatiques ou politiques. Interview

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Chapitres
Villes
Friches. Nouvelles opportunités de l’urbanisme transitoire
NUMERO 2 | NOVEMBRE 2018
Société
Coworking : de nouvelles façon de travailler
NUMERO 2 | NOVEMBRE 2018
Pour aller plus loin
Article
Université de Lyon

Ememem, street-artiste qui raccommode les rues

Si l’espace public est le lieu de tous, son aménagement et son entretien dépendent des institutions publiques, seules compétentes. Pourtant, nombreux sont ceux qui interviennent et, apportant leur touche personnelle, réparent ou embellissent la ville. L’un des exemple les plus connus et dont Ememem est emblématique, est celui du flacking, cet art de raccommoder qui consiste à reboucher les nids-de-poule avec des fragments de carrelage. Sans doute vous êtes-vous déjà arrêté devant ces chutes de carrelage colorés comblant un trou dans le bitume du trottoir ou de la rue. Emenem en a fait sa marque de fabrique. Il nous parle de cette activité poétique et artistique qui interroge le passant. Propos recueillis par Ludovic Viévard, pour Pop’Sciences Mag : « Hackez la ville ! » Quand avez-vous commencé à reboucher les nids-de-poule ? C’était en février 2016, à Lyon. À l’époque, mon atelier était situé dans une vieille traboule écorchée, j’ai eu envie de réparer et de colorer l’entrée sombre qui y menait. J’ai rafistolé les fissures avec des chutes et ce n’est pas allé plus loin. Dans mon atelier suivant, il y avait carrément des trous béants qui me narguaient à un mètre de l’entrée alors, une nuit, je leur ai cousu des greffons rose et bleu. C’est quand j’ai observé de loin la réaction des passants le lendemain que j’ai compris que ça touchait un point sensible. Ça secouait vraiment les gens cette...

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Article
Université de Lyon

Incroyables comestibles. Nathalie cultive un potager de rue

Membre des Incroyables comestibles, Nathalie présente l’action de ce mouvement citoyen qui met à la disposition de tous des bacs où chacun peut cultiver des plantes comestibles.  L’espace public est de plus en plus investi par des habitants qui en font une extension de leur habitation ou de leur balcon. On se réapproprie la rue pour y faire pousser des plantes aromatiques, on cultive des jardins partagés, on dépose ses déchets biologiques pour les transformer en compost, etc. L’association Incroyables comestibles dispose par exemple des bacs dans l’espace public pour y planter des légumes, et dans certaines rues, des habitants fabriquent eux-mêmes des jardinières en palettes. Propos recueillis par Ludovic Viévard, pour Pop’Sciences Mag : « Hackez la ville ! » Nathalie est membre des Incroyables comestibles. Quel est le principe des Incroyables comestibles ? Incroyables comestibles est un mouvement citoyen totalement informel lancé en 2008, en Angleterre, à l’initiative d’un groupe d’habitants. Ils souhaitaient cultiver des plantes comestibles (légumes, fruits, aromatiques, etc.) dont tout le monde pourrait bénéficier. Le mouvement s’est vite étendu. À Lyon, il existe depuis 2011. C’est encore une petite communauté mais son côté informel fait qu’il est compliqué d’avoir une idée précise du nombre de ses membres. Il n’y a pas besoin d’être adhérent pour planter, arroser, cueillir ! Aujourd’hui, il y a neuf zones à Lyon où trouver des bacs, plus d’autres à Villeurbanne. Ces bacs sont situés dans l’espace...

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