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Santé[s] - One Health

La santé : un concept pluriel ?

Où en est-on aujourd’hui avec la définition de la santé ? Cet état, qui dépasse bien souvent la sphère médicale, est sans cesse réinterrogé. À l’heure actuelle, le concept de One Health, « Une seule santé », s’impose dans les communautés scientifiques : un principe qui détermine la santé comme étant partagée par tous les êtres humains, les animaux et l’environnement. Un nouveau tournant pour sa définition ? Pour éclaircir ce sujet, nous avons interrogé Élodie Giroux, professeure en histoire et philosophie des sciences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, et Marc Chanelière, professeur des universités de médecine générale à l’Université Claude Bernard Lyon 1.

Propos recueillis par Samantha Dizier, journaliste.

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©Visée.A

 

Comment définit-on la santé ?

Élodie Giroux : Le philosophe Christopher Boorse a proposé une définition dite naturaliste, qui repose sur une description du fonctionnement physiologique pour la santé somatique [du corps, NDLR], et psychologique pour la santé psychique. D’autres philosophes ont proposé des définitions avec un sens plus large, allant au-delà du simple fonctionnement organique ou psychique et incluant une référence au bien-être. Lennart Nordenfelt définit ainsi la santé comme la capacité à réaliser ses buts vitaux dans des circonstances ordinaires, en prenant en considération à la fois l’individu, mais aussi son environnement.

Marc Chanelière : L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a défini la santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »[1]. Dans le monde du soin, nous sommes longtemps restés, et nous restons, encore, focalisés sur des normes. Ainsi, pour qualifier une personne comme étant en bonne santé, nous allons nous baser sur des indicateurs : résultats de prise de sang, poids, taille, etc. Pourtant, la définition de l’OMS essaye de dépasser cette approche. Si on intègre la notion de bien-être, il faut avoir une perspective beaucoup plus globale. 

Cette définition de l’OMS fait-elle consensus ?

Élodie Giroux : Cette définition est très débattue. On lui reproche d’utiliser cette notion de bien-être. Il s’agit d’un concept trop absolu : cette définition revient à identifier la santé au bonheur. Ce que propose l’OMS est, en réalité, un idéal. Elle donne une direction. Après, la question est de voir comment ce concept est réellement mis en pratique et utilisé dans des contextes précis. Je pense qu’il y a de grandes différences entre les pays et les cultures, ainsi qu’en fonction des systèmes de santé, et de la manière dont on se représente cet état.

Marc Chanelière : La définition de l’OMS induit, en effet, une confusion entre santé et bien-être. Est-ce vraiment la même chose ? On peut se sentir dans un état de bien-être, et pour autant ne pas rentrer dans les normes médicales pour être en bonne santé. Cela peut également dépendre de nos représentations culturelles. Par exemple, une personne avec un poids important sera identifiée comme étant en bonne santé dans certaines cultures. Alors que dans d’autres, on s’inquiétera des effets du surpoids. Ces représentations culturelles modifient grandement la manière dont ce concept est décliné.

En France, notre système de santé prend-il en compte cette définition ? Celle-ci pourrait-elle le faire évoluer ?

Marc Chanelière : Notre système de santé demeure trop orienté vers des soins curatifs. Toutefois, on perçoit une bascule vers plus de prévention. En médecine générale, notre approche est globale : nous ne nous limitons pas au recueil des plaintes des patients. Nous prenons aussi en considération leurs lieux de vie, leur environnement de travail, etc. Mais c’est en travaillant avec d’autres acteurs que nous pouvons contribuer à améliorer la santé des patients. En tant que médecin, je peux expliquer combien il est important d’avoir une activité sportive. Mais s’il n’y pas d’espaces verts, d’installations sportives, mon message ne sera pas aussi efficace. Ainsi, la promotion de la santé[2] et la prévention se construisent avec d’autres acteurs que les personnels soignants.

Élodie Giroux : Toute notre science médicale est orientée vers la pathogénèse, l’étude de l’origine et du développement des maladies. Mais nous connaissons encore trop peu ce qui favorise la santé, et ce qui pourrait permettre de l’améliorer. Émerge ainsi le paradigme de la salutogénèse, une approche centrée autour des facteurs favorisant la santé. Au-delà de la prise en compte de l’environnement pathogène, il faut aussi considérer l’environnement salutogène : le logement, l’alimentation, etc.

Quelle place pour le concept One Health dans la définition de santé ?

Marc Chanelière : Je vois dans ce concept un prolongement de la définition de l’OMS : une considération encore plus globale de la santé. Cela permet de faire émerger l’importance d’autres déterminants : lieux de vie, environnement social et économique, etc. Si on considère leur impact sur la santé des populations, cela permet d’envisager d’autres leviers : agir sur l’environnement urbain, l’alimentation, le monde du travail, etc. Si on prend l’exemple de l’antibiorésistance[3], cela se joue autant du côté des prescriptions médicales que de l’usage de ces molécules dans d’autres contextes, comme l’agroalimentaire.

Élodie Giroux : La définition de l’OMS était une première avancée, en proposant une théorie positive de la santé allant au-delà de l’absence de maladie. Le concept de One Health comporte l’avantage d’être dans une démarche encore plus holistique[4], en prenant en considération les interactions entre les santés humaines, animales et environnementales. Mais, pour autant, avoir une définition unique de la santé, pour ces différentes entités, semble difficile. Cela est compliqué d’appliquer le même concept à l’être humain, aux animaux et à l’environnement. Il y a le risque d’une dérive anthropocentrée vers une caractérisation des santés animales et environnementales à partir de la santé humaine.

La définition de la santé doit-elle évoluer (avec ou sans One Health) ?

Élodie Giroux : D’un point de vue philosophique, nous avons tendance aujourd’hui à penser qu’une théorie générale et consensuelle de la santé, outre qu’elle est difficile à établir, ne serait pas pertinente et utile. On s’intéresse plutôt à des théories appliquées à des disciplines et des contextes particuliers. Définir ce qu’est l’objectif de santé dans un service de cardiologie est sans doute un peu différent de ce qu’on appelle santé dans le cadre de la promotion de celle-ci. Aussi bien que la notion de santé pour l’animal n’a sans doute pas le même contenu et la même signification que pour les plantes.

Marc Chanelière : Je me méfierais d’un changement de définition, si, dans les faits, on ne change pas nos mentalités et nos manières d’agir. Il faut surtout accompagner cette émergence de One Health, en replaçant l’individu dans son environnement, en construisant des politiques de santé où celle-ci est envisagée de manière globale.

 


Notes

[1] Définition issue de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé adoptée par la Conférence internationale de la Santé en 1946.

[2] Selon l’OMS, il s’agit du processus qui permet aux populations d’améliorer la maîtrise de leur santé et de ses déterminants et, par conséquent, de l’améliorer.

[3] Capacité d’une bactérie à résister à l’action d’un antibiotique.

[4] Une approche holistique consiste à prendre en compte un élément dans sa globalité plutôt que de le considérer de manière compartimentée.

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Chapitres
Santé[s] - One Health
One Health : un équilibre à trois
NUMERO 14 | DECEMBRE 2024