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Ville et Vivant

La ville-être, êtres en ville

La ville vit, animée par l’homme, l’animal et le végétal. Si l’espace est partagé, le rythme ne l’est pas nécessairement et les interactions sont nombreuses. La coexistence appelle certainement des continuités écologiques suffisantes, une modération dans l’usage des produits phytosanitaires et une maîtrise de l’éclairage urbain.

Par Philippe Billet, professeur agrégé des Facultés de droit (Université Jean Moulin Lyon 3) et directeur de l’Institut de droit de l’environnement (EVS-IDE, UMR 5600)

 

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©Visée.A et Flor Labanca

 

« Une ville finit par être une personne »
Victor Hugo, Moi, l’amour, la femme, 1870

 

La ville est humaine, voulue, conçue et bâtie par et pour l’homme. Elle est aussi végétale, par conquête ou par domestication, plantée par l’homme ou arrivée au hasard du vent ou du déplacement animal. Elle est animale, donc : colonisation discrète des nuits urbaines ou au grand jour, plus sauvage la nuit que le jour. La ville ne dort jamais. Sauf peut-être la ville humaine, par périodes, parce que l’autre, l’animale, la végétale, ne connaît pas le repos. Des vies parallèles coexistent, se croisent parfois, à mi-chemin entre le jour et la nuit, se partagent l’espace-temps comme elles se partagent l’espace physique. Des intersections, souvent, rencontres fatales contre un véhicule, contre un obstacle de verre, invisible ; des insectes collés aux toiles que les araignées tissent sur les lampadaires qu’elles savent attractifs, par milliers, humaine aubaine. Des espaces de liberté aussi, rats sans chats, reliefs de repas à disposition pour tout opportuniste, fleurs plantées pour attirer les pollinisateurs…

« La ville ne dort jamais. Sauf peut-être la ville humaine, par périodes, parce que l’autre, l’animale, la végétale, ne connaît pas le repos. »
Philippe Billet, professeur agrégé des Facultés de droit (Université Jean Moulin Lyon 3) et directeur de l’Institut de droit de l’environnement (EVS-IDE, UMR 5600)

Un maillage du vivant (in)visible à préserver

La ville n’est donc pas contre-nature dans son essence. Elle serait même attractive, offrant le gîte et le couvert à une faune variée et des espaces d’enracinement pour les végétaux, naturellement ou artificiellement. C’est, au reste, un maillage animal invisible qui la partitionne pour former des continuités écologiques, au gré des opportunités de parcours qu’elle offre. L’humain peine à identifier ces discrets corridors pour satisfaire aux obligations du code de l’urbanisme qui les concernent (création, préservation et remise en bon état des continuités écologiques) et se donner les moyens d’instituer des « espaces de continuités écologiques » qui formaliseraient les trames vertes et bleues dans le plan local d’urbanisme. Sans doute le cours d’eau présente-t-il plus de visibilité, mais il ne renferme pas nécessairement plus de vie que la surface terrestre, quantité et diversité du vivant variant au gré de la qualité de son eau, de sa morphologie…

Ces espaces de transition entre les espaces de nature qui ponctuent la ville, lorsqu’ils existent, sont souvent plus construits que constatés. Ils sont gagnés sur les espaces artificialisés, en mobilisant le règlement de zone du plan local d’urbanisme[1], pour imposer des surfaces non imperméabilisées ou éco-aménageables, des espaces libres et des plantations, des espaces verts et même des espaces et des secteurs contribuant aux continuités écologiques, tout en définissant les règles nécessaires à leur maintien ou à leur remise en état. Le régime des espaces boisés classés soumet à contrôle les coupes et abattages de la végétation arbustive et interdit tout défrichement. Il peut, de son côté, pérenniser les bois et parcs à conserver, à protéger ou à créer, mais aussi les arbres isolés, haies ou réseaux de haies et les plantations d’alignements, situés sur les terrains publics comme sur les terrains privés.

Permettre aux espèces de circuler

Milieu urbain oblige, ces trames ne sont, cependant, pas toujours adaptées, ni fonctionnelles, en raison des discontinuités qui les affectent du fait du recoupement avec le milieu artificialisé. Elles seraient d’ailleurs plus favorables à la gent ailée qu’à la faune terrestre. Une progression « en pas japonais »[2], par sauts successifs, s’impose alors aux espèces, qui doivent franchir les espaces « à risque » pour se rendre dans les noyaux relais. Tout est prétexte pour constituer ces pas : les micro-espaces plantés autour des arbres, fruits d’un libéralisme certain de la part de l’autorité gestionnaire du domaine public routier, qui accepte que la population urbaine puisse « verdir » les marges laissées libres entre le tronc et le trottoir ; les jardins urbains, comme les jardins en toiture, également, mais qui peuvent aussi constituer des écosystèmes autonomes, n’imposant plus à la faune qui y vit le risque d’une traversée de la ville. L’existence de ces jardins repose, le plus souvent, sur des structures associatives qui louent les terrains auprès de la commune. Tandis que la canopée urbaine doit son verdissement aux efforts consentis par les co-propriétaires pour accepter et gérer une transformation du couvert de tuiles ou de goudron.

Encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires

La qualité du milieu d’accueil peut être affectée par l’utilisation de produits destinés à lutter contre les parasites en tout genre qui peuvent coloniser les végétaux (insectes, champignons…) et qui piègent la faune qui fréquente les milieux ainsi traités. De ce point de vue, la loi « Labbé » du 6 février 2014, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, a libéré les espaces concernés de leur protection chimique, interdisant aux personnes publiques d’utiliser des produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts, promenades et voiries accessibles ou ouverts au public. Elle a toutefois maintenu la possibilité d’utiliser les produits phytosanitaires de biocontrôle, à faibles risques et autorisés en agriculture biologique et tous les autres produits de protection des végétaux (substances de base, macro-organismes). L’extension de ces dispositions aux jardiniers amateurs, propriétés privées et différents lieux fréquentés par le public ou à usage collectif, va donner plus encore de respiration et de refuges à la faune, au premier rang de laquelle prennent place son cortège de pollinisateurs et les insectes phytophages[3].

Protéger la nuit des pollutions lumineuses

Tout serait (presque) pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si ne demeurait la question de la nuit, affectée par une rassurante lumière qui associe progrès et ordre public. Depuis le Décret du 16 août 1790 sur l’organisation judiciaire, en effet, la lumière participe de la pacification de la nuit. Les maires se sont vu confier « tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques ; ce qui comprend […] l’illumination ». De façon constante, les juridictions opposent, à ceux qui en contestent les excès, le fait que « l’éclairage des rues, places et voies publiques procure aux habitants l’avantage d’en parcourir sûrement tous les quartiers pendant l’obscurité de la nuit ».

L’éclairage urbain s’est cependant démultiplié à un point que la nuit n’existe presque plus, sous les effets d’une « surenchère de photons »[4], liée aux usages de toute nature de la lumière, récréatifs, publicitaires comme sécuritaires. Ces excès perturbent le rythme nycthéméral[5], indispensable au cycle biologique de certaines espèces, affectant leur alimentation (modifications des relations entre les prédateurs et leurs proies et de la compétition au sein d’une même espèce), leur repos, leur reproduction, leurs déplacements et, plus généralement, leur habitat et leur orientation. La fragmentation lumineuse de l’environnement urbain se traduit par des effets d’attraction et de répulsion en fonction des espèces concernées, des isolements, du fait du caractère infranchissable de la lumière, des mortalités directes par collision avec les véhicules et les infrastructures. Même les végétaux voient leurs cycles perturbés, avec un affaiblissement de leur résistance aux maladies, des décalages des périodes de floraison par rapport à la présence des pollinisateurs…

La prise de conscience récente de cette forme particulière d’atteinte à la biodiversité urbaine a justifié l’institution d’une réglementation propre à constituer des trames noires, afin d’organiser un partage de l’espace nocturne entre humains, faune et flore. Cependant, ce sont surtout des préoccupations d’économie d’énergie qui ont emporté l’adhésion des communes, plus que le « devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l’environnement, y compris nocturne » prôné par la loi Grenelle II de 2010.

Une révolution culturelle reste encore à accomplir : apprendre à apprivoiser la nuit.

 


NOTES :

[1] Document d’urbanisme qui, à l’échelle de la commune ou du groupement de communes, traduit un projet global d’aménagement et d’urbanisme et fixe en conséquence les règles d’aménagement et d’utilisation des sols.

[2] Corridors écologiques discontinus, à la manière des dalles de jardin.

[3] Qui se nourrissent de matières végétales.

[4] Challéat, S., Sauver la nuit. Empreinte lumineuse, urbanisme et gouvernance des territoires, Thèse géographie, U. Bourgogne (2010).

[5] « Rythme fonctionnel suivant la variation de luminosité du jour et de la nuit » Sordello, R., Paquier, F., et Daloz, A., Trame noire, Méthodes d’élaboration et outils pour sa mise en œuvre, OFB (2021).


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