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Cerveau & émotions

Les neurosciences au chevet des joueurs compulsifs

Interview, par Vanessa Cusimano,

Éditions 2020 et 2022

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Neuroscientifique, spécialiste de neuro-imagerie, le jeune chercheur mène ses travaux sur les addictions, notamment le jeu pathologique, au sein du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon.
Guillaume Sescousse

Quel est le profil émotionnel des joueurs compulsifs ?

Il n’y a pas un seul profil ! On sait aujourd’hui qu’il existe une grande diversité de profils émotionnels chez les personnes souffrant d’addiction, comme c’est aussi le cas pour toutes les pathologies psychiatriques. Dans le cas des joueurs compulsifs, une catégorisation qui fait plutôt consensus permet de distinguer deux principaux types de profils. On trouve d’un côté les joueurs émotionnels, au profil dépressif et anxieux, chez qui les émotions négatives de la vie quotidienne vont constituer le principal déclencheur du jeu comme mécanisme d’échappatoire.

Cette catégorie compte une proportion relativement importante de femmes et s’adonne majoritairement aux jeux de hasard pur comme les machines à sous ou les jeux de grattage. De l’autre, on rencontre un profil de joueurs impulsifs, avec une personnalité antisociale et des problèmes attentionnels, qui vont jouer pour exacerber des émotions positives, pour vraiment ressentir l’excitation du jeu. On retrouve beaucoup plus d’hommes dans cette catégorie, qui vont s’intéresser particulièrement aux jeux stratégiques tels que le poker ou les courses hippiques.

 

Comment peut-on étudier le jeu pathologique en laboratoire ?

Plusieurs méthodes peuvent être utilisées. On recrute des panels d’individus qui jouent beaucoup et régulièrement, associés à des groupes témoin, à qui on va faire exécuter certaines tâches. La neuro-imagerie, qui comprend l’IRM fonctionnelle, non invasive et abordable donc largement utilisée, et la tomographie par émission de positons (TEP), plus coûteuse et invasive puisqu’elle nécessite l’injection d’un traceur, permettent des observations très fines de l’activité cérébrale. Cette dernière technique notamment est la seule qui permette de mesurer la quantité de dopamine libérée dans le cerveau. On peut également faire appel à la psychopharmacologie : il s’agit de recourir à certaines molécules pour modifier de façon transitoire le fonctionnement du cerveau, en agissant, par exemple, sur la transmission de la dopamine afin d’évaluer si cette modification influence le comportement de l’individu, comme sa propension à prendre des risques ou sa persistance à jouer.

Une limite de ces méthodes est la difficulté de comparer des réactions suscitées en laboratoire à un instant t avec celles qu’on aurait dans la vie quotidienne et sur une durée plus longue. Un passage dans un dispositif d’IRM reproduit tout, sauf la vraie vie ! C’est un sujet qui me tient à cœur et que je compte explorer dans mes prochains projets, en instaurant un suivi à distance après la visite des participants au laboratoire. Grâce à une application sur smartphone, on pourra leur poser des questions plusieurs fois par jour et sur plusieurs semaines, et ainsi recueillir des données sur les liens entre leur état émotionnel et leur activité de jeu en conditions réelles.

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