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Cerveau & émotions

Musique : les émotions donnent le «la»

De tous temps, la musique infuse les cultures du monde et accompagne le quotidien de tous les humains. Pendant le premier confinement, au printemps 2020, elle y a d’ailleurs tenu une place particulière. Quel est le pouvoir émotionnel de la musique ? Comment notre cerveau réagit-il à l’écoute d’une chanson ou d’une mélodie que nous aimons ? Si la musique nous procure indéniablement du plaisir, la science révèle aujourd’hui d’autres de ses bienfaits thérapeutiques.

Cet article est extrait du Pop’Sciences Mag #10 : Sous l’emprise des émotions

Par Par Héloïse Therrat et Matthieu Martin |  mars 2022

 

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Dans une scène du film Pretty Woman (Garry Marshall, 1990), Vivian (« Viv »), une prostituée, interprétée par Julia Roberts, se rend à l’opéra pour la première fois au bras d’un milliardaire. Ce soir-là se joue La Traviata de Verdi. Un opéra qui n’est pas choisi au hasard puisque Violetta, le personnage féminin principal, est une prostituée rédimée par l’amour. En écoutant la fin du dernier acte, Vivian frémit, tremble, son visage se contracte et de grosses larmes se mettent à couler sur ses joues. Elle est tout simplement bouleversée, submergée par l’émotion du spectacle. Vous est-il, vous aussi, déjà arrivé de pleurer en écoutant de la musique ?

Le pouvoir émotionnel de la musique

La musique est un véritable outil de stimulation physiologique et psychologique. « Quand on écoute de la musique, c’est tout un concert d’activation dans notre cerveau ! Cela implique tous les niveaux : perceptifs, moteurs et cognitifs. On active les régions qui nous permettent de percevoir la musique, mais aussi, les régions de contrôle sensori-moteur », explique Laura Ferreri, chercheuse spécialisée sur la musique et les neuro- sciences au Laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs (EMC) et maîtresse de conférences à l’Université Lumière Lyon 2. La musique est capable de nous faire voyager dans cet espace d’émotions par les modes, le rythme, les timbres, l’intensité… L’émotion musicale s’évalue donc en fonction de deux composantes : l’éveil (dynamique, stimulante ou calme) et la valence (positive ou négative).

Par exemple, l’écoute d’une musique stimulante peut engendrer une activité des muscles zygomatiques (pour le sourire) alors qu’une musique à valence négative et calme entraîne l’activation du muscle sourcilier (pour le plissement frontal). De manière générale, la musique nous permet de réguler notre état émotionnel. Notre humeur évoluant au fil de la journée, l’écoute de la musique peut tout aussi bien nous aider à se détendre, nous donner de l’énergie ou encore à faire face à un événement douloureux. Par exemple, certaines personnes l’utilisent pour trouver le sommeil avec une musique calme et apaisante, ou pour la pratique d’un sport, avec une musique dynamique.

D’après une récente étude de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) sur la consommation de musique (menée auprès de 43 000 personnes dans 21 pays), la musique constitue une source de réconfort et d’évasion, et « contribue sensiblement à notre bien-être ». Ainsi, 87 % des sondés ont déclaré que « la musique leur avait procuré du plaisir et du bonheur pendant la pandémie [de Covid-19] ». La musique les avait aidés à se sentir mieux sur le plan émotionnel dans cette période et leur a donné un sentiment de normalité. Plus des deux tiers des 16-19 ansont affirmé que « les nouveaux albums de leurs artistes préférés les avaient aidés dans ces moments » difficiles. Un exemple probant sur l’importance d’écouter dela musique et l’impact qu’elle a sur notre qualité de vie. Mais la recherche montre aussi que la musique à d’autres bienfaits pour notre santé.

« Quand on écoute de la musique, c’est tout un concert d’activation dans notre cerveau ! » Laura Ferreri, Maîtresse de conférences en psychologie cognitive, chercheuse au laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs (EMC - Université Lumière Lyon 2).

La musique, une voie thérapeutique ?

Les vertus thérapeutiques de la musique sont de plus en plus utilisées dans les pratiques cliniques, pour des pathologies très variées (comportementales, psychologiques, psychiatriques, neurologiques, motrices, etc.). Certaines études ont démontré le lien entre les émotions suscitées par la musique et ses effets bénéfiques sur le plan cognitif. Dans les années soixante-dix, des chercheurs ont développé des thérapies rythmiques et mélodiques, encore utilisées aujourd’hui, pour remédier à des troubles du langage. Par exemple, la Melodic Intonation Therapy (MIT) est une technique qui améliore la communication verbale chez des adultes atteints d’aphasie. La pratique les aide à chanter des mots alors qu’ils éprouvent beaucoup plus de difficultés à communiquer par la parole. L’objectif pour ces patients en réhabilitation est de retrouver une prosodie naturelle parlée. D’autres exemples d’études se dirigent vers la remédiation des troubles mnésiques dans des thérapies musicales dites de « réminiscence ». Incapables de se remémorer certains épisodes de leurs vies, des patients atteints de la maladie d’Alzheimer réagissent à des chansons qui les font sortir de l’apathie. « Il semble y avoir une mémoire spéciale pour la musique. Peut-être parce qu’ au moins dans les premiers stades de la maladie, les aires de la mémoire musicale ne sont pas touchées par l’atrophie », avance Laura Ferreri. Des études neurocognitives confirment la simplicité de retenir une chanson plutôt que des phrases parlées. La structure rythmique ainsi que les variations de mélodies servent de médiateurs et activent des facilitateurs mnémoniques.

« Depuis 20 ans, l’association Se Canto fait vivre le lien entre générations en allant chanter et jouer de la musique dans les maisons de retraite et les hôpitaux gériatriques. » (Association Se Canto)

La musique peut donc réveiller nos souvenirs en ranimant les émotions ressenties du moment. Cette mémoire musicale est un point d’accroche pour créer du lien avec les personnes âgées. Depuis 20 ans, les bénévoles de l’association Se Canto chantent et jouent de la musique dans les maisons de retraite et les hôpitaux gériatriques, notamment dans les unités Alzheimer. Amélie Boulan, coordinatrice et responsable du développement de Se Canto, observe une certaine évolution émotionnelle des personnes âgées au cours des animations musicales : « Au début de la rencontre, on trouve des personnes endormies, et qui se mettent petit à petit à fredonner, puis viennent taper le rythme avec leurs mains ou leurs pieds et les paroles reviennent. Les souvenirs rejaillissent et les connections avec des épisodes de leurs vies refont peu à peu surface. Lors de notre dernière rencontre, sur une chanson d’Édith Piaf, une dame s’est même levée instinctivement de son fauteuil. En chœur avec les bénévoles, elle s’est mise à chanter« Paname, Paname » à tue-tête et des larmes de joie se sont mises à perler sur ses joues… Moment riche en émotions. »

« On laisse nos peurs au service de la musique. Nous sommes là pour la sublimer ». Amandine Ammirati, Soprano, membre du Studio de l’Opéra National de Lyon et Révélation Classique de l’Adami.

Et les émotions des musiciens ?

Pendant leurs performances, les chanteurs professionnels doivent s’équilibrer entre deux états émotionnels : le leur et celui qu’ils transmettent. D’un côté, ils ressentent intensément les émotions de la musique qui les accompagne et de la mélodie qu’ils interprètent. De l’autre, ils doivent garder le contrôle de leurs émotions afin d’avoir la juste interprétation de leur personnage et de l’intention qu’ils veulent transmettre. En groupe, des mécanismes de synchro-nisation et de socialisation entrent en considération pour ressentir et transmettre les émotions. Pour un musicien membre d’un orchestre, cela passe par une écoute collaborative, qui permet d’adapter son jeu avec celui les autres. « Je pense que la difficulté pour les chanteurs ou les musiciens n’est pas seulement de ressentir leurs émotions quand ils jouent, mais aussi de pouvoir les contrôler afin de soigner leur interprétation et d’induire des émotions chez ceux qui écoutent », ajoute Laura Ferreri.

Formée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, la soprano Amandine Ammirati est membre du Studio de l’Opéra National de Lyon et Révélation Classique de l’Adami. Elle nous livre sa connaissance de la scène : « Parfois, on puise tellement loin dans notre propre expérience qu’on peut se sentir à la limite du trop-plein émotionnel. Cette limite d’interprétation, on la cherche lors des répétitions pour savoir jusqu’où on peut aller. Il faut savoir trouver le juste milieu pour rester dans le rôle de notre personnage et pouvoir continuer à chanter. »

« La musique, et la voix en particulier, ont un pouvoir magique. Un pouvoir qui influence notre rapport aux autres, mais à nous-mêmes aussi ». William Shelton, Contre-ténor et chanteur à l’Académie Philippe Jaroussky, « Young Artist Award » au concours d’opéra baroque Cesti à Innsbruck.

Jeune chanteur à l’Académie Philippe Jaroussky, William Shelton, contre-ténor, a remporté plusieurs prix dans des concours internationaux dont le « Young Artist Award » au concours d’opéra baroque Cesti à Innsbruck. Pour lui, l’enjeu réside dans le fait de trouver l’accord parfait entre le jeu du chanteur et ses émotions : « Le public distingue très bien la nuance entre une émotion « jouée » par le chanteur et une émotion qu’il ressent réellement sur scène. Ce sont deux choses complètement différentes. C’est universel, musicien ou non-musicien, on sent quand quelqu’un essaye de faire semblant. Je dirai que les notes représentent seulement 5 % de notre travail, tout le reste c’est trouver en nous l’émotion qui soit la plus juste en fonction du texte ou de la note qu’on chante. »

« La musique me prend, elle s’empare de moi. Sur scène, je vis des émotions que je ne retrouve nulle part ailleurs. », avoue Amandine Ammirati. Tous les deux s’accordent à dire que la scène est une explosion d’émotions intenses. En passant de la mélancolie à la joie, de la tristesse à la colère, la musique transcende l’instant pour arriver à un état émotionnel dépassant l’entendement : « Pour moi, la musique a un pouvoir magique, c’est une façon d’arrêter le temps. Elle permet de nous faire ressentir des choses que l’on ne peut même pas exprimer avec les mots. C’est de l’ordre de l’indicible », précise William Shelton.

Accrochés aux dernières notes, aux derniers silences, la musique peut faire battre nos cœurs au rythme de nos émotions. La musique a ce pouvoir de suspendre le temps. Et « c’est à ce moment-là que nous sommes complètement dans le moment présent. Notre rapport à la temporalité change. L’art et la musique permettent de nous reconnecter à la beauté de la vie », conclut William Shelton.

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