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Mars : découverte d’un ancien environnement propice à l’émergence de la vie

MMars : découverte d’un ancien environnement propice à l’émergence de la vie

Le Rover Curiosity de la mission Mars Science Laboratory explorant les strates sédimentaires du cratère Gale NASA/JPL-Caltech/MSSS

Le Rover Curiosity de la mission Mars Science Laboratory explorant les strates sédimentaires du cratère Gale ©NASA/JPL-Caltech/MSSS

 

Notre groupe de recherche publie aujourd’hui dans Nature les premières preuves tangibles de l’existence passée et durable d’environnements à la surface de Mars particulièrement favorables à la synthèse spontanée des premières molécules de la biologie nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous avons découvert des structures fossiles témoins de cycles répétés et durables de séchage-mouillage de sédiments très anciens de la surface de Mars. Ce mode alternatif sec-humide promeut la concentration et polymérisation de molécules organiques simples (sucres ou acides aminés) qui pourraient avoir été contenues dans les sédiments. Ces processus constituent une étape fondamentale vers la synthèse de molécules biologiques tels que les acides nucléiques (ADN ou ARN).

La question qui préoccupe les scientifiques n’est pas tant de savoir si la vie a existé sur une autre planète que la Terre, mais bien de connaître où et comment la vie telle que nous la connaissons sur Terre s’est construite.

Depuis le milieu des années 1980, les biochimistes ont reconnu que le monde ARN fut une étape préliminaire fondamentale sur la route de la vie. L’ARN aurait constitué la molécule originale autocatalytique et porteuse de l’information génétique, avec des fonctions enzymatiques assurées par les ARNs courts. Les protéines auraient ensuite supplanté les ARNs comme enzymes en raison d’une plus grande diversité, et l’ADN remplacé l’ARN comme molécule porteuse de l’information génétique en raison d’une meilleure stabilité.

Pour accéder au monde ARN qui est une molécule complexe il a été nécessaire de construire un enchaînement de type polymère de ribonucléotides, chacun étant composé d’un groupe phosphate, d’un sucre (le ribose) et d’une base azotée (adénine par exemple).

Ainsi, l’émergence de formes de vie primitives telle qu’elle est conçue actuellement par les scientifiques, nécessite d’abord des conditions environnementales favorables à l’agencement spontané de molécules organiques simples en molécules organiques plus complexes.

Des structures datées de 3,7 milliards d’années

Nous rapportons dans cet article des observations inédites transmises par l’astromobile (ou « rover ») Curiosity qui, équipé d’instruments analytiques des paysages et de la chimie et minéralogie des roches, explore depuis 2012 les pentes du Mont Sharp à l’intérieur du cratère Gale.

Lors des « sols » (jours martiens) 3154 à 3156 en juin 2021, nous avons découvert des structures singulières, exhumées au toit d’anciennes couches sédimentaires datées d’environ 3,7 milliards d’années.

Ces structures sont des rides rectilignes qui apparaissent en relief de quelques centimètres à la surface supérieure de strates sédimentaires. Ces rides vues par le haut sont jointives et sont organisées selon une géométrie parfaitement polygonale. Elles sont constituées dans le détail par l’alignement de petits nodules plus ou moins attachés les uns aux autres de roches essentiellement sulfatées. Un nodule est une petite bille qui apparaît en relief dans et à la surface des strates.

Motif fossile de rides polygonales observées et analysées par Curiosity au 3154ᵉ jour de sa progression dans les strates sédimentaires du cratère de Gale sur Mars. NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/LGL-TPE

Motif fossile de rides polygonales observées et analysées par Curiosity au 3154ᵉ jour de sa progression dans les strates sédimentaires du cratère de Gale sur Mars. ©NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/LGL-TPE

Ces structures polygonales représentent fondamentalement des « fentes de dessiccation », structures ô combien familières aux géologues, et similaires à celles que chacun a observées sur le fond d’une flaque d’eau boueuse asséchée. L’eau initialement contenue dans les sédiments s’évapore sous l’effet du vent et de la chaleur. Les sédiments se déshydratent et se contractent alors, engendrant ce système de fentes de retrait qui s’organise en polygones jointifs.

Des fentes de dessiccation fossiles ont déjà été ponctuellement documentées à la surface de Mars. Mais celles découvertes ici sont clairement différentes du fait de trois « détails » particuliers :

  • Le motif polygonal est un motif en Y, formant des hexagones jointifs de type « tomette », avec des angles avoisinant 120° aux points de jonction des fentes ;
  • Les fentes de retrait sont ici remplies de minéraux sulfatés (sulfate de calcium et magnésium) ;
  • Ces motifs polygonaux s’observent de manière récurrente sur une épaisseur totale de 18 mètres de la colonne sédimentaire.

De nombreux cycles de mouillage-séchage

Selon divers travaux expérimentaux menés dans les laboratoires terrestres sur des bacs à boue, ce motif en Y des jonctions des fentes est caractéristique de cycles répétés de séchage-mouillage du sédiment. Au premier séchage, les fentes de retrait s’organisent en T, formant un motif de type « carreau » avec des angles d’environ 90° aux points de jonction. Au fur et à mesure des cycles expérimentaux mouillage-séchage, les fentes se « fatiguent », et montrent des angles typiquement en Y à 120° au bout du 10e cycle.

Les sulfates sont des roches sédimentaires chimiques dites évaporitiques, c’est-à-dire résultant de la précipitation de saumures associée à l’évaporation d’eau saline. Leur présence au sein des fentes de retrait conforte l’interprétation de celles-ci en termes de fentes de dessiccation. Les nodules qui portent les sulfates sont très irréguliers en morphologie et en composition chimique, ce qui suggère également plusieurs phases de précipitation (séchage) – dissolution (mouillage) partielle des nodules.

Le fait que l’on retrouve à plusieurs reprises ces motifs polygonaux sur une épaisseur de 18 mètres d’empilement vertical des strates sédimentaires indique que cet ancien environnement de dépôt, sujet à des cycles climatiques certainement saisonniers de mouillage-séchage, s’est maintenu sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années.

Le sens ultime de la découverte

Ces cycles climatiques saisonniers de mouillage-séchage des sédiments ont potentiellement permis aux molécules simples contenues dans ces mêmes sédiments d’interagir à différentes concentrations dans un milieu salin, et ce de manière répétée et durable.

Ce potentiel de polymérisation des molécules simples au sein des sédiments montrant les structures polygonales prend un sens particulier sachant que celles-ci contiennent d’une part des minéraux argileux de la famille des smectites et d’autre part une quantité significative de matière organique. Les smectites sont des argiles dites « gonflantes » pour lesquelles il a été montré expérimentalement qu’elles ont la faculté d’adsorber et de concentrer les nucléotides entre leurs feuillets constitutifs. L’instrument SAM (Sample at Mars) a par ailleurs révélé la présence au sein de ces mêmes strates de composés organiques simples tels que des chlorobenzènes, des toluènes ou encore différents alcanes. Ces composés sont probablement d’origine météoritique, et leur quantité résiduelle peut atteindre environ 500 g. par m3 de sédiments. Ces molécules ont pu dès lors servir comme certaines des « briques de base » de molécules plus complexes telles que l’ARN.

En résumé, nous déduisons de nos observations, de nos mesures sur Mars, et des différents concepts et expériences terrestres, que le bassin évaporitique de Gale a constitué un environnement très favorable et durable au développement de ce processus de polymérisation des molécules organiques simples en molécules plus complexes nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous savons enfin que les structures ici étudiées se situent dans une unité géologique de transition verticale depuis une formation plus ancienne riche en argiles vers une formation plus récente riche en sulfates, et que cette même transition a été détectée par voie orbitale en de nombreux cratères et plaines de Mars.

En conséquence, il apparaît désormais que la probabilité que des précurseurs moléculaires biotiques aient pu se former et être fossilisés à la surface de Mars il y a environ 3,7 milliards d’années au cours de l’Hespérien n’est plus négligeable.

Vers un retour des échantillons martiens ?

Le paradigme actuel pour la vie terrestre est celui d’une émergence dans l’Hadéen, période de temps initiale comprise entre la formation de la Terre il y a environ 4,6 milliards d’années (Ga) par l’accrétion des météorites primitives et environ 4,0 – 3,8 Ga. Mais le plus vieux et seul témoin d’un possible processus biologique hadéen est un graphite (carbone) inclus dans un minéral de zircon daté à 4,1 Ga, ou encore un schiste noir métamorphisé, daté à 3,8 – 3,7 Ga. De plus, l’Hadéen ne comporte actuellement qu’une infime proportion de représentants rocheux à la surface de la Terre en raison de la tectonique des plaques, et en tous cas aucune roche sédimentaire intacte, non métamorphisée. Ceci rend cette quête sous nos pieds d’une vie terrestre primitive a priori vaine.

Contrairement à la surface de la Terre, celle de la planète Mars n’est pas renouvelée, ni transformée par la tectonique des plaques. La surface de Mars a ainsi préservé quasi intactes des roches très anciennes, incluant celles formées dans un environnement et un climat propices à la construction spontanée de précurseurs moléculaires biotiques. En conséquence, autant il semble très peu probable que la vie ait pu évoluer sur Mars aussi fertilement que sur Terre – à ces environnements favorables à l’émergence de la vie à l’Hespérien ont fait suite des environnements arides et froids de l’Amazonien), autant il apparaît désormais possible et opportun d’y explorer l’origine de la vie, et d’y rechercher des composés biotiques précurseurs par le biais de retours d’échantillons prélevés dans le futur par des robots ou des astronautes sur des sites tels que ceux étudiés ici.

Notre découverte ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’origine de la vie, y compris (surtout) sur d’autres planètes que la nôtre. Elle est à même également de faire reconsidérer les objectifs premiers des missions d’exploration de la planète Mars et celles en particulier du retour d’échantillons.The Conversation

Auteur : Gilles Dromart, Professeur de géologie, École Normale Supérieure de Lyon – 9 août 2023.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

>> Lire l’article original sur le site :

The conversation

La recette de la vie, une formule fascinante

LLa recette de la vie, une formule fascinante

Malgré l’intensification de la recherche de la vie ailleurs dans l’Univers, nous n’avons pour le moment pas de preuve qu’il existe d’autres formes de vie que la nôtre. Cela fait de l’apparition de la vie sur la Terre un évènement fabuleux ! Quels ont été les ingrédients qui ont permis ce prodige ?

Le vivant et la matière sont composés de briques élémentaires appelées les molécules. Cependant, dans le cas du vivant, la coopération des molécules entre-elles permet le passage d’un état inanimé à un état animé de la matière. Il existe trois grandes propriétés à cette matière animée et vivante : elle est capable de subsister seule sans l’aide d’autres êtres vivants, elle peut se multiplier et perdurer, elle ne se reproduit pas à l’identique et cette variabilité lui permet d’évoluer au fil du temps.

Dans le cadre de ma thèse, je m’intéresse tout particulièrement aux molécules qui, associées entre-elles, auraient pu constituer le premier être vivant sur Terre. On pourrait appeler cela la « formule magique de la vie ». Ces molécules devraient pouvoir assurer trois rôles primordiaux pour tout être vivant : l’isoler partiellement du milieu extérieur, lui conférer une identité et réaliser des réactions chimiques indispensables à son métabolisme.

Afin de comprendre quelles sont les molécules capables d’assurer ces rôles, l’approche la plus classique est de regarder ce qui se passe actuellement dans le vivant et, par exemple, dans des bactéries. On remarque qu’en général ce sont les lipides qui forment une capsule permettant d’isoler, au moins partiellement, l’organisme du milieu extérieur. En outre, ce sont plutôt les oligonucléotides (les polymères de nucléotides comme l’ADN ou l’ARN) qui codent une identité et les protéines qui réalisent des réactions chimiques. Néanmoins, reproduire ce qui s’est passé sur Terre il y a environ 3.9 milliards d’années ne consiste pas à assembler ces molécules issues du vivant pour insuffler la vie à la manière du monstre de Frankenstein de Mary Shelley. En effet, il faut pouvoir retrouver lesquelles de ces molécules étaient présentes sur Terre à ce moment-là et quelle combinaison a pu donner la vie.

Les geysers (© O.Grunewald) et les fumeurs (© SOI) sont des environnements que l’on retrouve toujours actuellement sur Terre (ex. : à Dallol en Éthiopie et dans le bassin de Lau dans l’archipel des Tonga, respectivement). On pense que c’est dans ces milieux que la vie pourrait être apparue sur Terre.

Pour nous aider à trouver des éléments de réponse, on analyse la composition des météorites qui ont fourni des molécules d’origine extraterrestre en grande quantité à la Terre. Cet apport correspond à l’équivalent en masse de 10 tours Eiffel par an environ à cette période ! Grâce aux données géologiques, on estime également les conditions présentes sur Terre à ce moment-là pour reproduire des réactions chimiques qui pourraient s’y être produites. Les environnements hydrothermaux comme les geysers ou les fumeurs sont, par exemple, des environnements considérés comme communs à cette époque. Ensuite, en utilisant un matériel adapté (comme un incubateur qui permet de contrôler la composition de l’atmosphère, mais également la température, dans le cas des geysers) on étudie les molécules qui y seraient synthétisées. Ces deux environnements sont de bons candidats pour l’apparition de la vie sur Terre, car de nombreuses molécules essentielles comme les lipides auraient pu y être produites. On suspecte donc que c’est à partir d’un mélange de ces molécules (lipides simples, courts oligonucléotides et petites protéines) que la vie est apparue dans l’un de ces endroits sur notre planète.

Le but de ma thèse est d’étudier l’apparition de la vie au sein des geysers. Pour cela, j’utilise un incubateur qui simule les conditions d’un véritable geyser avec des cycles alternant des hautes températures, 80°C (lors des arrivées d’eau chaude) et des températures plus basses, de 25°C. Des molécules qui auraient pu y être présentes au moment de l’apparition de la vie (lipides simples, courts oligonucléotides et petites protéines) sont associées dans ce contexte et forment un système chimique. Au fil du temps, on cherche à observer dans ce réseau, l’apparition de propriétés propres au vivant, comme la faculté de se diversifier (les molécules simples deviennent plus complexes ou plus longues) via des réactions chimiques. En modifiant les paramètres, tels que le nombre de cycles alternant les hautes et basses températures, le type de molécules ajoutées…, on cherche la « bonne recette » pour arriver à un système chimique qui pourrait devenir plus complexe. Cette étape reproduirait une étape cruciale de l’apparition de la vie sur Terre, étape qui aurait pu avoir lieu dans des conditions semblables.

Article écrit par Augustin Lopez, doctorant au Laboratoire de chimie organique 2-Glycochimie – LCO2GLYCO de l’ICBMS à l’Université Claude Bernard Lyon 1.

Article publié dans le cadre des dossiers  « Les doctorants parlent de

leur recherche » en partenariat avec Pop’Sciences