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De l’ombre à la lumière. Quand les arts numériques redonnent vie et couleurs aux statues médiévales | Collections & Patrimoine

DDe l’ombre à la lumière. Quand les arts numériques redonnent vie et couleurs aux statues médiévales | Collections & Patrimoine

Si aujourd’hui seule la teinte de la pierre orne les statues et les bas-reliefs des édifices religieux, au Moyen Age églises et cathédrales étaient hautes en couleur ! En collaboration avec deux médiévistes et l’entreprise d’art numérique Theoriz, le Musée des moulages de l’Université Lumière Lyon 2 a mis en place un système de vidéo mapping qui permet de projeter des couleurs et des motifs sur trois statues de sa galerie médiévale. L’enjeu est de donner à voir aux visiteurs du musée l’aspect originel de ces œuvres.

Galerie médiévale - MuMo

Galerie médiévale – Musée des Moulages – Université Lumière Lyon 2 – ©Alexis Grattier

Le Musée des moulages de l’Université Lumière Lyon 2 présente une collection de reproductions en plâtre de statues et bas-reliefs antiques et médiévaux. Douze œuvres du Moyen Âge sont mises en valeur au sein d’une galerie spécifique, volontairement plus sombre, contrastant avec la luminosité et la blancheur de la salle d’exposition principale du musée. Pensée par l’architecte pour mettre en valeur cette collection, la galerie médiévale comprend dans son projet initial une colorisation de plusieurs moulages par un jeu de lumière. Cet aménagement de l’espace s’inscrit dans l’actualité de l’histoire de l’art et accompagne l’intérêt grandissant des chercheur.es pour la question de la polychromie. Dès les années 1970, grâce aux progrès techniques, plusieurs campagnes de restauration, comme à Parme, Lausanne ou encore Amiens, révèlent des vestiges de couleurs et de motifs parfois très perfectionnés. Ces découvertes ont permis d’aborder l’analyse des œuvres religieuses sous un angle nouveau. Le Musée des moulages, grâce au projet de colorimétrie, s’ancre pleinement dans cette actualité scientifique.

Le Beau Dieu de la Cathédrale d’Amiens (XIIIe siècle), et les deux statues-colonnes de la Cathédrale de Chartres (XIIe siècle) ont été choisis en tant qu’objet d’étude, et comme support colorimétrique. Géraldine Victoir, (maître de conférences en histoire de l’art à l’Université Paul Valery de Montpellier/Centre d’études médiévales de Montpellier), et Véronique Rouchon (maître de conférences en histoire médiévale à l’Université Lumière Lyon 2/CIHAM) ont apporté leurs expertises pour documenter et formuler des hypothèses sur l’apparence originelle de ces statues.

Document de travail

Document de travail, issu des discussions avec le comité scientifique du projet – Etat du Beau Dieu d’Amiens au XIIIe siècle ©Sarah Betite.

Le Beau Dieu d’Amiens et les deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres ont présenté des problématiques de recherche très différentes. Le Beau Dieu a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, prolongés par la restauration de la façade occidentale de la cathédrale d’Amiens entre 1997 et 1999. Cet ensemble de recherches met en évidence des traces de couleurs en plusieurs couches, et à différents endroits de la statue. Elles révèlent ainsi deux états de la polychromie, à deux époques différentes : une version originale du XIIIe siècle et une seconde plus tardive, que l’on ne parvient pas encore à dater. Initialement, le manteau du Beau Dieu d’Amiens était ocre-rouge et vermillon, orné de motifs dorés « quadrilobés ». Par contraste, sa tunique était de couleur bleu azurite. Comme la campagne de restauration n’a pas révélé la forme précise des motifs, le comité scientifique s’est appuyée sur la polychromie du retable de l’abbaye de Saint-Germain-de-Fly (milieu XIIIe siècle), sur lequel on observe cette forme similaire à quatre feuilles contenant des fleurs de lys.

Son deuxième état, postérieur au XIIIe siècle, présente principalement des modifications chromatiques sur ses vêtements : sa tunique se pare de rouge, et sa robe prend une couleur verte. Ces données sur le Beau Dieu d’Amiens ont permis de déterminer assez rapidement les couleurs à projeter sur le moulage, et d’envisager la projection successive de différentes couleurs témoignant des changements d’aspects de la statue, du XIIIe siècle à aujourd’hui.

 

Enluminure

Saint Matthieu, Bible de Saint-Denis, Latin 116, folio 103v.

Les deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres comportent en revanche beaucoup plus de mystères. L’identité de ces statues n’a pas été clairement déterminée, mais il s’agit très probablement d’un jeune roi de l’Ancien Testament – sa couronne est un précieux indice ! –  et d’un prophète tenant dans sa main un phylactère, qui porte le symbole des saintes Écritures.

De nombreuses questions subsistent également quant aux couleurs originelles de cet ensemble de statues. Des recherches scientifiques ont été réalisées principalement sur les tympans de la cathédrale de Chartres mais peu de traces de couleurs ont été retrouvées sur les autres sculptures de l’édifice. Les restaurations de 1981 à 1983 ont peut-être fait disparaître des traces de couleurs, dont on ignorait alors la possible existence. Le résultat du vidéo mapping sur ces moulages se base ainsi essentiellement sur des hypothèses formulées par Géraldine Victoir et Véronique Rouchon. Elles se sont appuyées sur des sources comparatives, comme les vitraux de la cathédrale de Chartres et des manuscrits contemporains à son édification, retrouvés en son sein.

 

Schéma des couleurs - Statues colonnes cathédrale de Chartres

Document de travail – Colorimétrie de deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres – 2019 ©Sarah Betite

A partir de ces données, plusieurs pistes ont pu être envisagées pour reconstituer les couleurs de ces statues-colonnes. On remarque en premier lieu la constance du contraste entre les différents vêtements des personnages, dont l’objectif est de faciliter la lecture de l’image : à l’instar du Beau Dieu d’Amiens, la tunique et le manteau des figures représentées ne sont jamais de la même couleur. Les bordures des vêtements des personnages les plus éminents sont ornées d’orfroi – broderie d’or qui borde les tuniques et les manteaux. Les couleurs observées sur ces sources visuelles sont par ailleurs vives et variées. Le résultat de cette reconstitution chromatique pour le deux statues-colonnes est vraisemblable – il ne prétend donc pas à l’authenticité – puisqu’il repose sur des hypothèses de restitution basées sur la comparaison.

 

Ce projet de reconstitution chromatique des moulages a été par ailleurs largement accompagnée par l’entreprise Theoriz, en charge de la réalisation et de la mise en place du mapping vidéo. Pour ce projet, l’intérêt du procédé repose sur la nature non invasive de cette technique et sur son caractère réversible. Au gré des découvertes scientifiques, le système de mapping vidéo permettra l’évolution des couleurs projetées sur ces trois moulages.

Dès la réouverture du Musée des moulages, venez découvrir ces statues hautes en couleurs au 87 cours Gambetta, dans le 3ème arrondissement de Lyon!

Statue du Christ, dit le Beau Dieu d’Amiens – Cathédrale Notre-Dame d’Amiens – XIIIe siècle ©Alexis Grattier

 

Pour aller plus loin

 

Audebrand F., Jourd’heuil I., « La restauration des statues-colonnes déposées du Portail royal », Naissance de la sculpture gothique, 1135-1150, Saint-Denis, Paris, Chartres, Catalogue de l’exposition tenue au musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 10 oct.-31 déc. 2018, Berné Damien, Plagnieux Philippe (dir.), Paris, Réunion des Musées nationaux, 2018, p. 105-107.

Nonfarmale O., Rossi-Manaresi R., « Il restauro del ‘Portail royal’ della Cattedrale di Chartres », Arte medievale, I, n°1-2, 1987, p. 259-275.

Plagnieux P., « Le style : la recherche du sentiment et de l’expression perdus », Naissance de la sculpture gothique, 1135-1150, Saint-Denis, Paris, Chartres, Catalogue de l’exposition tenue au musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 10 oct.-31 déc. 2018, Berné D., Plagnieux P. (dir.), Paris, Réunion des Musées nationaux, 2018, p. 117-129.

Rouchon Mouilleron V., « Quelle couleur pour les frères ? Regards sur l’habit des Mineurs aux XIIIe-XIVe siècles », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, BUCEMA [en ligne], 2014, consulté le 21 février 2020 : http://journals.openedition.org/cem/13378

Verret D., Steyart D. (dir.), La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque, Amiens, 12-14 octobre 2000, Paris, Picard, 2002.

Victoir G., « Polychrome sculpture interpreted in context : the retable of the Lady Chapel of Saint-Germer-de-Fly », Polychrome Steinskulptur des 13. Jahrhunderts, Actes du colloque international organisé par le Naumbrug Kolleg et tenu à Naumburg/Saale, 13-15 oct. 2011, Danzl T., Herm C., Huhn A. (dir.), Naumburg, Gunter Oettel, 2012, p. 31-40.

 

 

Marie LAURICELLA – assistante ingénieure en charge des actions et projets de médiation scientifique à l’Université Lumière Lyon 2

Une Afrique en couleurs

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Loin des clichés en noir et blanc et des sculptures admirées pour leurs formes et leur patine sombre, cette exposition vous propose une immersion dans une Afrique où la couleur est reine.

Plus d’informations sur le site du :

Musée des Confluences