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EN SAVOIR PLUS

Nomad’s lands. Économies, sociétés et matérialités des nomades

NNomad’s lands. Économies, sociétés et matérialités des nomades

Le Laboratoire Junior Nomad’s lands, de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, organise son colloque final intitulé  Nomad’s lands. Économies, sociétés et matérialités des nomades portant sur l’étude des sociétés nomades à travers le monde, depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours.

Il propose un cadre de réflexion commun et transdisciplinaire propice au développement de nouvelles approches pour analyser les nomades, leurs sociétés, leurs cultures (matérielles ou immatérielles), leurs territoires et les rapports qu’ils entretiennent avec ces derniers.
Les communications s’articulent autour de trois angles de réflexion :

1. Connaissance et gestion des environnements par les nomades

Comment les sociétés nomades interagissent-elles avec leur(s) environnement(s) ? Quelle est l’influence de facteurs environnementaux sur ces sociétés ? Comment les activités nomades transforment-elles les environnements ? Quelles connaissances, quelles perceptions les nomades ont-ils de leur milieu et comment cela influe-t-il sur leur gestion de ressources parfois contraintes ? Dans quelle mesure ces modalités de gestion se transmettent-elles au cours du temps et s’adaptent-elles aux changements environnementaux ?

2. Unité et diversité des cultures matérielles

Peut-on définir des cultures matérielles de la mobilité et du nomadisme ? Quels traits communs retrouve-t-on d’un lieu à un autre et d’une époque à une autre ? Quelles sont leurs divergences ? Qu’emporte-t-on avec soi et, à l’inverse, que laisse-t-on derrière soi ? Que fabrique-t-on à nouveau ? Qu’en reste-t-il dans le temps ? Et quels sont nos outils et/ou nos méthodes pour appréhender la matérialité de cultures qui laissent peu de traces ?

3. Relations entre nomades et sédentaires

Comment envisager les relations des sociétés nomades entre elles ainsi qu’avec les sociétés sédentaires ? Quelles sont les modalités de leur insertion dans les réseaux socio-économiques ou politiques locaux, régionaux, nationaux, macro-régionaux et/ou globaux, qu’ils soient nomades ou sédentaires ? Les contacts et échanges sont-ils à sens unique ? Constate-t-on des transferts culturels ?

Pour en savoir plus :

Labos Junior MOM

affiche du colloque Nomad's Lands

affiche du colloque Nomad’s Lands

 

De l’ombre à la lumière. Quand les arts numériques redonnent vie et couleurs aux statues médiévales | Collections & Patrimoine

DDe l’ombre à la lumière. Quand les arts numériques redonnent vie et couleurs aux statues médiévales | Collections & Patrimoine

Si aujourd’hui seule la teinte de la pierre orne les statues et les bas-reliefs des édifices religieux, au Moyen Age églises et cathédrales étaient hautes en couleur ! En collaboration avec deux médiévistes et l’entreprise d’art numérique Theoriz, le Musée des moulages de l’Université Lumière Lyon 2 a mis en place un système de vidéo mapping qui permet de projeter des couleurs et des motifs sur trois statues de sa galerie médiévale. L’enjeu est de donner à voir aux visiteurs du musée l’aspect originel de ces œuvres.

Galerie médiévale - MuMo

Galerie médiévale – Musée des Moulages – Université Lumière Lyon 2 – ©Alexis Grattier

Le Musée des moulages de l’Université Lumière Lyon 2 présente une collection de reproductions en plâtre de statues et bas-reliefs antiques et médiévaux. Douze œuvres du Moyen Âge sont mises en valeur au sein d’une galerie spécifique, volontairement plus sombre, contrastant avec la luminosité et la blancheur de la salle d’exposition principale du musée. Pensée par l’architecte pour mettre en valeur cette collection, la galerie médiévale comprend dans son projet initial une colorisation de plusieurs moulages par un jeu de lumière. Cet aménagement de l’espace s’inscrit dans l’actualité de l’histoire de l’art et accompagne l’intérêt grandissant des chercheur.es pour la question de la polychromie. Dès les années 1970, grâce aux progrès techniques, plusieurs campagnes de restauration, comme à Parme, Lausanne ou encore Amiens, révèlent des vestiges de couleurs et de motifs parfois très perfectionnés. Ces découvertes ont permis d’aborder l’analyse des œuvres religieuses sous un angle nouveau. Le Musée des moulages, grâce au projet de colorimétrie, s’ancre pleinement dans cette actualité scientifique.

Le Beau Dieu de la Cathédrale d’Amiens (XIIIe siècle), et les deux statues-colonnes de la Cathédrale de Chartres (XIIe siècle) ont été choisis en tant qu’objet d’étude, et comme support colorimétrique. Géraldine Victoir, (maître de conférences en histoire de l’art à l’Université Paul Valery de Montpellier/Centre d’études médiévales de Montpellier), et Véronique Rouchon (maître de conférences en histoire médiévale à l’Université Lumière Lyon 2/CIHAM) ont apporté leurs expertises pour documenter et formuler des hypothèses sur l’apparence originelle de ces statues.

Document de travail

Document de travail, issu des discussions avec le comité scientifique du projet – Etat du Beau Dieu d’Amiens au XIIIe siècle ©Sarah Betite.

Le Beau Dieu d’Amiens et les deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres ont présenté des problématiques de recherche très différentes. Le Beau Dieu a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, prolongés par la restauration de la façade occidentale de la cathédrale d’Amiens entre 1997 et 1999. Cet ensemble de recherches met en évidence des traces de couleurs en plusieurs couches, et à différents endroits de la statue. Elles révèlent ainsi deux états de la polychromie, à deux époques différentes : une version originale du XIIIe siècle et une seconde plus tardive, que l’on ne parvient pas encore à dater. Initialement, le manteau du Beau Dieu d’Amiens était ocre-rouge et vermillon, orné de motifs dorés « quadrilobés ». Par contraste, sa tunique était de couleur bleu azurite. Comme la campagne de restauration n’a pas révélé la forme précise des motifs, le comité scientifique s’est appuyée sur la polychromie du retable de l’abbaye de Saint-Germain-de-Fly (milieu XIIIe siècle), sur lequel on observe cette forme similaire à quatre feuilles contenant des fleurs de lys.

Son deuxième état, postérieur au XIIIe siècle, présente principalement des modifications chromatiques sur ses vêtements : sa tunique se pare de rouge, et sa robe prend une couleur verte. Ces données sur le Beau Dieu d’Amiens ont permis de déterminer assez rapidement les couleurs à projeter sur le moulage, et d’envisager la projection successive de différentes couleurs témoignant des changements d’aspects de la statue, du XIIIe siècle à aujourd’hui.

 

Enluminure

Saint Matthieu, Bible de Saint-Denis, Latin 116, folio 103v.

Les deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres comportent en revanche beaucoup plus de mystères. L’identité de ces statues n’a pas été clairement déterminée, mais il s’agit très probablement d’un jeune roi de l’Ancien Testament – sa couronne est un précieux indice ! –  et d’un prophète tenant dans sa main un phylactère, qui porte le symbole des saintes Écritures.

De nombreuses questions subsistent également quant aux couleurs originelles de cet ensemble de statues. Des recherches scientifiques ont été réalisées principalement sur les tympans de la cathédrale de Chartres mais peu de traces de couleurs ont été retrouvées sur les autres sculptures de l’édifice. Les restaurations de 1981 à 1983 ont peut-être fait disparaître des traces de couleurs, dont on ignorait alors la possible existence. Le résultat du vidéo mapping sur ces moulages se base ainsi essentiellement sur des hypothèses formulées par Géraldine Victoir et Véronique Rouchon. Elles se sont appuyées sur des sources comparatives, comme les vitraux de la cathédrale de Chartres et des manuscrits contemporains à son édification, retrouvés en son sein.

 

Schéma des couleurs - Statues colonnes cathédrale de Chartres

Document de travail – Colorimétrie de deux statues-colonnes de la cathédrale de Chartres – 2019 ©Sarah Betite

A partir de ces données, plusieurs pistes ont pu être envisagées pour reconstituer les couleurs de ces statues-colonnes. On remarque en premier lieu la constance du contraste entre les différents vêtements des personnages, dont l’objectif est de faciliter la lecture de l’image : à l’instar du Beau Dieu d’Amiens, la tunique et le manteau des figures représentées ne sont jamais de la même couleur. Les bordures des vêtements des personnages les plus éminents sont ornées d’orfroi – broderie d’or qui borde les tuniques et les manteaux. Les couleurs observées sur ces sources visuelles sont par ailleurs vives et variées. Le résultat de cette reconstitution chromatique pour le deux statues-colonnes est vraisemblable – il ne prétend donc pas à l’authenticité – puisqu’il repose sur des hypothèses de restitution basées sur la comparaison.

 

Ce projet de reconstitution chromatique des moulages a été par ailleurs largement accompagnée par l’entreprise Theoriz, en charge de la réalisation et de la mise en place du mapping vidéo. Pour ce projet, l’intérêt du procédé repose sur la nature non invasive de cette technique et sur son caractère réversible. Au gré des découvertes scientifiques, le système de mapping vidéo permettra l’évolution des couleurs projetées sur ces trois moulages.

Dès la réouverture du Musée des moulages, venez découvrir ces statues hautes en couleurs au 87 cours Gambetta, dans le 3ème arrondissement de Lyon!

Statue du Christ, dit le Beau Dieu d’Amiens – Cathédrale Notre-Dame d’Amiens – XIIIe siècle ©Alexis Grattier

 

Pour aller plus loin

 

Audebrand F., Jourd’heuil I., « La restauration des statues-colonnes déposées du Portail royal », Naissance de la sculpture gothique, 1135-1150, Saint-Denis, Paris, Chartres, Catalogue de l’exposition tenue au musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 10 oct.-31 déc. 2018, Berné Damien, Plagnieux Philippe (dir.), Paris, Réunion des Musées nationaux, 2018, p. 105-107.

Nonfarmale O., Rossi-Manaresi R., « Il restauro del ‘Portail royal’ della Cattedrale di Chartres », Arte medievale, I, n°1-2, 1987, p. 259-275.

Plagnieux P., « Le style : la recherche du sentiment et de l’expression perdus », Naissance de la sculpture gothique, 1135-1150, Saint-Denis, Paris, Chartres, Catalogue de l’exposition tenue au musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 10 oct.-31 déc. 2018, Berné D., Plagnieux P. (dir.), Paris, Réunion des Musées nationaux, 2018, p. 117-129.

Rouchon Mouilleron V., « Quelle couleur pour les frères ? Regards sur l’habit des Mineurs aux XIIIe-XIVe siècles », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, BUCEMA [en ligne], 2014, consulté le 21 février 2020 : http://journals.openedition.org/cem/13378

Verret D., Steyart D. (dir.), La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque, Amiens, 12-14 octobre 2000, Paris, Picard, 2002.

Victoir G., « Polychrome sculpture interpreted in context : the retable of the Lady Chapel of Saint-Germer-de-Fly », Polychrome Steinskulptur des 13. Jahrhunderts, Actes du colloque international organisé par le Naumbrug Kolleg et tenu à Naumburg/Saale, 13-15 oct. 2011, Danzl T., Herm C., Huhn A. (dir.), Naumburg, Gunter Oettel, 2012, p. 31-40.

 

 

Marie LAURICELLA – assistante ingénieure en charge des actions et projets de médiation scientifique à l’Université Lumière Lyon 2

Archéologie : un Moyen Âge réel et fantasmé

AArchéologie : un Moyen Âge réel et fantasmé

Il a fait la une de l’actualité sur les écrans du monde entier. L’incendie de Notre-Dame de Paris a démontré une fois de plus combien l’architecture du Moyen Âge imprègne l’imaginaire collectif. À Lyon, deux archéologues et une historienne de l’art décryptent notre perception de l’édifice médiéval au cours du temps. Une recherche aussi riche qu’étonnante.

Un article rédigé par Fabien Franco, journaliste, Lyon, 14-06-2019

Un article Pop’Sciences

De Los Angeles à Tokyo, les images des flammes ravageant la toiture de Notre-Dame de Paris, jusqu’à celles de l’écroulement de la flèche d’Eugène Viollet-le-Duc ont été largement relayées. Au-delà de l’émoi qu’il a suscité, l’événement interroge sur notre rapport au bâti médiéval et sur la perception que nous pouvons en avoir. Les édifices hérités du Moyen Âge nous semblent immuables, comme s’ils avaient existé en l’état depuis leur fondation. Ancrés dans l’imaginaire collectif, ils véhiculent nombre de mythes dont notre quotidien se nourrit.

La cathédrale Notre-Dame est à ce titre emblématique de notre besoin de construire le réel à partir de nos idéologies qu’elles soient politiques, économiques ou historiques. Perçue comme l’un des symboles de la France éternelle, Notre-Dame de Paris a pu compter sur la littérature, le cinéma et désormais sur la croissance du tourisme mondial pour conforter son statut d’icône nationale. De la même manière, les populations du XVIe au XXe siècle ont projeté sur l’architecture médiévale leurs propres perceptions chargées de mythes et de croyances. Aujourd’hui, ce que les monuments médiévaux donnent à voir, ce n’est donc pas une image unique du Moyen Âge, mais différentes strates superposées de perceptions différentes qui se sont accumulées au cours du temps. À l’instar des strates géologiques qui contiennent une mine d’informations sur les âges de la Terre, ces multiples perceptions rendent compte des âges de notre civilisation.

C’est cette évolution que des archéologues du laboratoire ArAr (pour archéologie et archéométrie) à Lyon explorent avec application. Leurs travaux permettent de mieux caractériser l’architecture médiévale et ouvrent de nouvelles perspectives de compréhension sur les époques modernes et contemporaines.

Olivia Puel, Anelise Nicolier et Laura Foulquier animent une équipe de scientifiques qui explorent « la perception de l’édifice médiéval par les populations qui, tout au long de l’époque moderne et jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, furent amenées à le fréquenter, à le transformer ou à le restaurer, à le détruire ou encore l’étudier » indiquent-elles en préambule sur le blog du laboratoire ArAr. Leur voie de recherche ne les a pas conduites exclusivement vers les sites prestigieux, illuminés, de temps à autre, par les feux de l’actualité. Non, leurs recherches s’attardent aussi dans les territoires ruraux, auprès de personnalités discrètes dont les travaux restés confidentiels sont pourtant « des témoignages éloquents sur l’origine de nos disciplines. »

Ainsi, petites églises, donjons en ruine, couvents disparus concentrent leurs regards. À partir des archives produites par les savants, les érudits, les architectes départementaux ou diocésains, les fonds des Monuments historiques, composées de textes, de photographies et de relevés, elles ont nourri ces sciences médiévales dédiées au bâti castral, civil et religieux. Leur approche épistémologique parvient après analyse à rendre compte des époques que ce bâti a traversées jusqu’au XXe siècle, de leur sociologie, de leur organisation administrative, de leur économie.

La pierre mise en scène

Chevet du Puy, mur constitué de remplois. / © Laura Foulquier.

Laura Foulquier travaille sur les pratiques de remploi. L’historienne de l’art a étudié la cathédrale du Puy-en-Velay, et, plus spécifiquement, ses remplois antiques. Elle a remonté le temps, de l’origine des matériaux jusqu’à leur récupération au XIXe siècle, époque à laquelle la cathédrale « a été presque entièrement démontée et remontée pour « assainir » ses structures.1 » Le remploi des blocs de pierre gallo-romains a permis aux autorités d’alors de « promouvoir des origines anciennes. » Les remplois étaient « visibles et mis en scènes » note-t-elle. Son étude rend tangible l’esprit du temps qui a vu la création de l’Inspection générale des Monuments historiques en 1830, du ministère des Arts en 1882 et aussi, de la chaire d’archéologie médiévale à l’École des Chartes de Paris en 1847. S’achevant d’une certaine manière, en 1905, avec la loi de séparation de l’Église et de l’État, le siècle aura transformé les églises et châteaux en monuments historiques à conserver et valoriser. Rappelons que c’est au XIXe siècle que vont naître les premières définitions de l’identité nationale, que le capitalisme va connaître sa première grande crise, que les juristes vont redéfinir la nationalité comme « appartenance à l’État »2, et que va s’imposer la figure de l’écrivain national dont Victor Hugo, l’auteur de « Notre-Dame de Paris » publié en 1831, fut l’un des plus illustres représentants…

Une image en constante mutation

 

Chevet roman de l’église de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf : on constate qu’il manque la nef détruite au XIXe siècle. / © Pierre Boucaud

Anelise Nicolier s’est intéressée quant à elle aux églises du Brionnais (sud Bourgogne). Sa thèse de doctorat soutenue en 2015 se tient éloignée des édifices urbains et prestigieux, leur préférant le charme discret et néanmoins puissant des lieux de cultes modestes et ruraux situés au sud-ouest de la Saône-et-Loire. Elle a travaillé à partir des procès-verbaux issus des visites pastorales du XVIIe au XVIIIe siècle et des archives de l’administration provinciale de l’Ancien Régime. Le territoire compte 50 églises romanes et, d’après les sources, « 63 églises aujourd’hui détruites3. » Les promeneurs pourraient y voir aujourd’hui un patrimoine médiéval intact. Mais ce serait une illusion. Grâce aux archéologues, on sait désormais que beaucoup de chœurs romans ont été entièrement détruits et reconstruits et des nefs transformées au XVIIIe siècle, dans le but de gagner de la place pour répondre à la croissance démographique. À la période révolutionnaire, les travaux ont été mis à l’arrêt, avant que de nouveaux chantiers poursuivent la modification du paysage architectural brionnais sous la Restauration. Puis, « à partir de la Deuxième République et jusqu’au début du XXe siècle, d’autres églises sont intégralement reconstruites et le phénomène atteint sa plus grande ampleur sous le Second Empire ».

L’archéologie médiévale parvient ainsi à mettre au jour l’évolution politique et religieuse de l’histoire de France, en révélant un paysage monumental en constante évolution. En comparant ce Brionnais, où l’on agrandit les églises, au territoire voisin qu’est le Charolais, se dessine enfin une nouvelle perspective sociologique : « Les Brionnais ont une sensibilité politique plutôt conservatrice, et ce sont des catholiques pratiquants, quand les Charolais portent davantage leurs voix à gauche et ont une pratique religieuse plus lâche », remarque Anelise Nicolier, d’où le constat que « la nécessité d’agrandir ou de reconstruire les églises et villages ait été plus importante en Brionnais que sur le territoire voisin. » L’analyse archéologique, on le constate, déjoue l’esprit traditionnaliste fondé sur une hypothétique sagesse héritée du passé. Elle tente au contraire d’adopter une démarche neutre qui démonte les idées reçus et les préjugés. D’aucun voudrait circonscrire le passé dans un cadre définitif et rassurant. Ce serait ne pas tenir compte de la variation des normes idéologiques et de l’extraordinaire créativité de la pensée humaine qui fait « le thème de notre temps »4.

À l’épreuve des temps

L’église Sainte-Marie de Savigny avant sa Église Sainte-Marie de Savigny : photographie du transept et des ruines de l’abside. /
© Amédée Cateland, avant 1914. Musée historique de Lyon – Hôtel Gadagne.

Décrire les civilisations, n’est-ce pas d’une certaine manière, tenter de comprendre le temps culturel des sociétés humaines ? Les travaux d’Olivia Puel sur l’abbaye de Savigny sont en ce sens des plus éloquents.

Dans sa thèse d’archéologie médiévale, soutenue en 2013, à l’Université Lumière Lyon 2, elle montre l’évolution du monastère au cours du temps et, ce faisant, elle dévoile non seulement un pan de l’histoire architecturale médiévale et le fonctionnement de l’institution religieuse avec le monde extérieur, mais aussi plus largement, une réalité approchée dans ses dimensions physiques, morales, politiques et historiques. Se révèle un monde où le présent et le passé sont intimement liés. Il en va ainsi du lieu d’implantation de l’abbaye de Savigny dont l’approvisionnement en eau a exigé la construction d’un canal de dérivation dont les habitants ont, semble-t-il, pâti des siècles plus tard. L’abbaye a été fondée au IXe siècle, à l’époque carolingienne, avant d’être supprimée avant la Révolution française. Le tour de force d’Olivia Puel aura été de lui redonner vie, malgré son niveau de destruction avancée, à l’aide des archives personnelles des savants, des publications officielles, des vestiges archéologiques. Et surtout grâce aux archives saviniennes qui sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. En effet, elles ont survécu de peu à l’abandon et au pillage. Et il faudra attendre 1970 pour qu’elles soient classées. « L’abbatiale est devenu un lieu d’autant plus symbolique qu’elle a été démantelée après la Révolution française : sa destruction a ôté tout intérêt au site monastique. Conséquence majeure du phénomène : le sujet est neuf, ou presque, et il bénéficie d’une documentation aussi abondante que sous-exploitée. »

Grâce à son étude, nous en savons plus sur l’organisation du diocèse de Lyon durant le Haut Moyen-Âge, ainsi que sur les pouvoirs ecclésiastiques et seigneuriaux. La thèse parcourt le temps avec érudition : les siècles se suivent et à chaque nouvelle époque c’est une manière de s’approprier l’héritage du passé qui est mis au jour. L’abbaye connaîtra son apogée en l’an mil, puis « Grâce à son patrimoine important et habilement géré, l’abbaye savinienne se maintient néanmoins jusqu’au XVIIIe siècle au contraire d’établissements situés à Lyon même, comme Ainay ou l’Île-Barbe qui sont sécularisés dès le XVIe siècle5. » En dépit de la destruction du bâti, Olivia Puel pourrait faire sien l’énoncé du chimiste Lavoisier pour lequel « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Sa recherche permet surtout de comprendre combien l’archéologie est une science qui, à partir du passé, écrit l’histoire des hommes au présent.

À l’heure où l’État précipite l’annonce de la reconstruction du bâti endommagé par l’incendie de Notre-Dame de Paris, les scientifiques insistent sur l’importance d’étudier les vestiges de pierre, de bois et de métal qui se sont écroulés car ces derniers représentent une source de savoirs considérable. Avec cette année 2019, les archéologues de demain auront de quoi étudier le bâti médiéval à l’aune des pouvoirs et des sociétés humaines. Un axe de recherche inépuisable.

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Notes :

(1) Élise Nectoux et Laura Foulquier, La vie multiple des pierres. Les remplois antiques de la cathédrale du Puy-en-Velay à travers l’archéologie du XIXe siècle, Aedificare, à paraître.

(2) Gérard Noiriel, À quoi sert ʺl’identité nationaleʺ ?, Marseille : Agone, 2007.

(3) Anelise Nicolier, Conserver, transformer ou détruire : qu’a-t-on fait des églises romanes du Brionnais du XVIIe au XIXe siècle ?, Revue de l’Histoire de l’église de France, vol. 105, 2019.

(4) José Ortega y Gasset, Le thème de notre temps, Paris : Les Belles lettres, rééd. 2019.

(5) O. Puel, Saint-Martin de Savigny : archéologie d’un monastère lyonnais. Histoire monumentale et organisation spatiale des édifices cultuels et conventuels (IXe-XIIIe siècle), thèse d’archéologie médiévale, 2013.

 

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