PProcessus créatifs en danse jazz Vivien Visentin est interprète, chorégraphe de la Cie Accord des nous, enseignant et formateur pour le diplôme d’État, et Frédérique Seyve, Doctorante à l’Université Lumière Lyon 2 – Laboratoire Passages XX-XXI, chargée de développement culturel pour plusieurs compagnies et responsable pédagogique au Centre chorégraphique Calabash, ont tenu à se rassembler lors de cette co-écriture d’article afin de réfléchir ensemble sur les processus créatifs en danse jazz. Les processus de création… en danse jazz ?Longtemps décriée, la danse jazz en France est encore trop souvent associée à une danse facile, légère voire totalement dépourvue de processus créatifs. Ces processus peuvent être perçus comme peu recherchés voire inexistants au sein de l’esthétique de la danse jazz. Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un processus en création chorégraphique (jazz) ? Zoom sur la création en danse jazz : rencontre et éclaircissements.Vous avez dit “processus créatifs” ? Tout d’abord le mot processus apparu au XVIe siècle, du latin pro, au sens de l’action vers l’avant, et de cessus, cedere, dans le sens aller, marcher, signifie aller vers l’avant, avancer. Dans sa définition, apparaît la notion de savoir faire : “actions constituant la manière de faire, de fabriquer quelque chose”1. Ceci nous renvoie à la dimension de la créativité et à l’action de créer dans le temps. Rappelons que la création est l’action de donner naissance, de créer, et renvoie au créateur comme peuvent le décrire Laurence Louppe2 ou encore Jacqueline Robinson3.Nous pensons de prime abord au chorégraphe, agissant comme professionnel dans le secteur de l’art chorégraphique. Celui qui va créer, ordonner, organiser un ensemble de pas, de concepts en mouvement ayant pour finalité une représentation sur scène. Au-delà du simple fait de coordonner un certain nombre de combinaisons corporelles, ce dernier, ou cette dernière, va aussi défendre un propos, une idée et innover. Depuis le début du XXe siècle, avec l’émergence de courants comme la danse expressive allemande, des formes chorégraphiques dénoncent ou questionnent notre société. Ce fût le cas pour les chorégraphes allemands comme Kurt Jooss (La table verte) ou Pina Bausch.Ces derniers ont notamment travaillé sur la thématique de la guerre, traumatisés par les deux conflits mondiaux. Ils initieront dans leurs processus créatifs, des gestes et des décors du quotidien. L’expression humaine prendra le dessus sur la technique, la virtuosité, pour laisser place à l’expression d’une certaine intériorité.Tout comme l’ont fait ces personnalités fortes de la danse expressionniste allemande, des chorégraphes américains associés à une corporéité4 jazz ont aussi su dénoncer les horreurs de l’humanité. Donald McKayle dans Rainbow Round my Shoulder saura par différents mouvements comme les contractions du haut du corps ou des implorations à genoux, traduire la souffrance et l’espoir des esclaves noirs afro-américains. Il ne sera pas le seul : West Side Story, l’une des comédies musicales les plus connues au monde, traduit les problèmes sociétaux d’une Amérique inégalitaire et clivée. Rick Odums5, Géraldine Armstrong6 parleront également de ces sujets dans leurs œuvres. Néanmoins, il faut bien comprendre que les processus créatifs sont propres – au-delà des esthétiques – à chaque créateur. L’esthétique jazz en France est très associée au monde de l’enseignement, du divertissement et de la télévision depuis les années 80, mais peu à la création. Aussi, la mode de la fusion des esthétiques actuelles, de la pluridisciplinarité au sein de la création n’aide en rien à sa reconnaissance. Alors que la danse contemporaine ne cesse de puiser dans les danses dites “Pop” (prenons exemple de Lasseindra Ninja ou du collectif La Horde), la danse jazz tente encore d’avoir une certaine reconnaissance au sein de la création. Faisons donc connaissance avec certains chorégraphes qui aiment utiliser cette corporéité pour créer, valorisant ainsi l’’existence de processus créatifs au sein de cette esthétique.La création en danse jazz : état des lieux Comme nous venons de l’évoquer, les chorégraphes en danse jazz ont su aborder différents thèmes au fil des décennies. Ils ont également eu des approches différentes afin de composer et de créer leurs œuvres. Les mises en lumière sur ce répertoire étant plutôt rares, il est essentiel de faire un tour d’horizon afin de pouvoir approfondir ce sujet.Il faut savoir que des reproches autour de la danse jazz fusent souvent : “frontalité”, “divertissante”, “technicité omniprésente”, “trop plein d’énergie”. Ces aspects négatifs sont souvent associés à la danse jazz en lien avec le divertissement. On observe cependant un réel engouement du public pour ces œuvres comme Stories par la RB Dance Company dirigée par le chorégraphe Romain Rachline, mais aussi pour d’autres spectacles d’un autre genre qui relèvent de ces dispositifs. Des créateurs – et ce depuis les années 1950 aux États-Unis, puis ensuite en France – on su exprimer un désir créatif pour défendre un propos. Il existe des foyers de résistances portées par des chorégraphes qui se démènent depuis des décennies pour porter des œuvres jusqu’à la représentation. C’est par exemple le cas de Jean-Claude Marignale (Répercussions), Wayne Barbaste et bien d’autres.Ces personnalités au sein de leur propre compagnie effectuent un travail de recherche réflectif et corporel lors d’un nouveau projet de création. Les influences vont être multiples. Cela peut partir d’une œuvre littéraire. Ce fut le cas pour les Sœurs Brontë de Raza Hammadi au sein du Ballet Jazz Art, créé en 1992. Cette œuvre a donné lieu à un travail de notation du mouvement réalisé par Sylvie Duchesne, et subventionné par le dispositif d’aide à la recherche et au patrimoine de danse en 2010 par le CND7.Patricia Greenwood Karagozian, directrice artistique de la Compagnie PGK, a elle-même été inspirée par six poèmes de la poétesse américaine Charis Southwell pour son spectacle Unfinished Fragments. Hubert Petit Phar, chorégraphe de la Compagnie La Mangrove, située sur le territoire guadeloupéen, a créé Ustium, une pièce traitant de la lutte des consciences. Une recherche inspirée de la théorie de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, et développée en partie dans Huis clos.Comme évoqué au début de l’article, les sujets sociétaux deviennent très fréquents au sein de l’art chorégraphique contemporain, et donc actuel. Jan Martens8 avec Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones questionnait en 2022 la résistance, les rébellions actuelles face aux enjeux climatiques et aux mutations sociétales que nous subissons. Sidi Larbi Cherkaoui9 présente lors de la Biennale de la danse de Lyon de 2023 Ukiyo-e, pour savoir comment continuer à vivre dans un monde incertain et en déconstruction. Le groupe Grenade porté par Josette Baīz10, propose en 2019 Baobabs pour montrer à quel point la jeune génération s’interroge sur les questions climatiques.Il est tout à fait possible de faire la même chose avec une corporéité jazz si le chorégraphe le décide. Ce n’est pas l’esthétique qui permet d’être revendicatif, mais la façon de dire les choses par la danse et selon les envies du créateur. Avec tous les croisements que connaît l’art chorégraphique aujourd’hui, il serait difficile de ne citer qu’une influence ou qu’une seule corporéité. D’ailleurs HOMME|ANIMAL est au cœur du parcours de la chorégraphe Vendetta Mathea. La pièce est née de son engagement pour la lutte des droits civiques du temps de John Fitzgerald Kennedy aux côtés de Martin Luther King ce fameux jour d’août 1963. Elle interroge ici la nature humaine et sa part d’animalité.Alors que Bruce Taylor crée I have a dream au sein de sa compagnie – Cie Choréonyx, les discours de Martin Luther King contre le racisme sont revisités par le chorégraphe. Dans la pièce I Have A Dream, Bruce Taylor tente de démontrer l’empreinte que ce moment historique a laissée sur nos corps.Dans Joy is my middle name, il évoquera la mort de George Floyd et les émeutes qui ont suivi son décès en 2020. Aussi Wayne Barbaste n’est pas en reste sur les questions sociétales au sein de la Compagnie Calabash : “Les questions sociétales, politiques et culturelles sont au cœur de cette compagnie. Depuis son origine, elle se donne pour objectif de questionner nos sociétés, de mettre en lumière les nombreux dysfonctionnements et injustices qu’elles engendrent11.”La danse jazz étant une danse faite pour et par l’humain, certains artistes se sont aussi interrogés sur les cultures. James Carlès aime interroger la diaspora africaine en occident du 19e siècle à nos jours. Ainsi dans Coupé Décalé en 2014, le chorégraphe travaille autour de cette danse traditionnelle, mais aussi de toute une culture. Il s’entoure pour cela de Robyn Orlin. Cela nous rappelle la relation à un certain héritage africain au sein de la danse jazz.Anne-Marie Porras dans Fils du Vent évoquera le rapport de entre la communauté gitane et la musique.Pour finir cette liste non exhaustive, certains créateurs s’inspirent même de la technique de certains grands maîtres et font donc le lien entre pédagogie et création. En effet, Carole Bordes a réalisé un travail sur la technique Mattox pour créer son spectacle Matt et Moi. Il s’agit dans cette œuvre, de jouer avec les différents éléments de la méthode, mais aussi de la déstructurer pour mieux en tirer l’essence.Circulation entre héritage et contemporanéité > Le langage du corpsIl est possible pour ces artistes chorégraphiques d’utiliser un vocabulaire dansé, ou du moins une expression corporelle pouvant exprimer les émotions souhaitées. Longtemps oubliée, ou du moins rattachée uniquement à la pédagogie, la terminologie en danse jazz est depuis quelques années perçue comme une source d’inspiration inépuisable. Vivien Visentin et Aurore Faurous, explorent cette possibilité depuis maintenant quelques années.Hubert Petit-Phar, chorégraphe de la Cie la Mangrove et pédagogue jazz, défend une vision de dépassement du vocabulaire établi. La terminologie apparaît comme un socle possible pour développer la créativité. À la condition de ne pas s’enfermer et de la relier à la notion de possible transformation et d’évolution. L’enjeu pour le chorégraphe réside dans sa capacité à révéler le potentiel poétique d’un pas de base12. Observons, par exemple, le travail de Fosse qui a fait de la jazz hand, un élément expressif et poétique.La tradition n’est pas un héritage que l’on reçoit en tant que tel, mais il s’agit d’un point de vue actuel et d’un regard porté sur le passé.> L’improvisation : un processus originelL’improvisation dans les danses jazz a une source différente qu’en danse contemporaine. Mais n’est-il pas question de penser l’improvisation au présent, comme un outil au service de la création ? Dans les danses afro-américaines qui constituent, en partie, les racines de la danse jazz, on observe que ces danses ont permis la liberté et le renouvellement : elles étaient centrées avant tout sur des processus et des états de corps en lien avec l’improvisation, véritable lieu de l’expérimentation corporelle. Cela a débouché sur un vocabulaire codifié, mais il y a toujours eu la notion intrinsèque de transformation et de développement.Patricia Greenwood Karagozian aime traverser le travail d’improvisation en relation avec la musique afin de créer. C’est notamment ce qui a été réalisé dans Light Motif. Marianne Isson poursuit un travail de fond autour de la pratique de l’improvisation. > La relation musicale dans la créationLongtemps critiquée pour son attachement à la musique, les créateurs en danse jazz savent pourtant s’amuser des silences et apprécier leur musique intérieure. C’est le cas pour Anne-Marie Porras qui avoue créer dans un premier temps en écoutant la musique qui l’habite, comme une introspection. Elle ne travaillera qu’ensuite avec un musicien. Patricia Greenwood Karagozian quant à elle, n’a aucune peur d’inclure le silence au sein de sa partition chorégraphique afin de créer une rupture. Cela fait partie pour elle également des solutions créatives.Aussi, si dans d’autres esthétiques la bande son est seulement un support, en danse jazz le danseur va venir ajouter sa propre proposition sur celles des musiciens, comme dans un réel orchestre. Ainsi, cela rend subtil les processus créatifs. Les moments collectifs et individuels où un des artistes va prendre le « lead » vont se succéder. Ceci est la réelle essence du jazz. C’est d’ailleurs ce que souhaite communiquer Patricia Greenwood Karagozian avec sa nouvelle création The Spirit of Swing13. Ceci pourrait être également une métaphore de notre société : l’individualisme dans une communauté qui ne cesse de chercher le vivre ensemble.De même, des chorégraphes s’affranchissent des codes et gagnent en liberté dans leurs choix musicaux au sein de leur création. Lhacen Hamed Ben Bella s’appuie notamment sur des textes forts servant de bandes sonores, Alain Gruttadauria aime aller dans des sonorités plus rock.La formation à la création : un vivier pour l’art chorégraphique jazz de demain > De l’éducation nationale…Des cours de danse moderne jazz du mercredi après-midi en MJC, école privée ou conservatoire aux ateliers de danse au sein du milieu scolaire, beaucoup d’élèves auront traversé cette discipline. Parfois en ayant la liberté de pouvoir créer à leur guise. Les nouveaux programmes des lycées, de l’enseignement commun de l’Éducation physique et sportive (EPS), indiquent qu’il est nécessaire pour les élèves de traverser un processus de création durant leur scolarité. Cette expérience créatrice et esthétique, initiée dès le cycle 1, poursuivie au collège, devient un impératif au lycée. Tout comme dans les textes officiels encadrant l’enseignement artistique, la notion d’atelier de composition apparaît clairement.> …à la formation professionnelleLors d’un entretien réalisé avec Françoise Dupuy en février 2022, dans le cadre de la recherche doctorale menée par Frédérique Seyve sur la transmission de la danse jazz, la chorégraphe et pédagogue déplorait le cloisonnement qu’il y avait entre pédagogie et création. Pour cette grande dame de la danse, tout venait de cette créativité y compris au sein du cours. Aussi, toujours au sein de cette même recherche – même si de nombreux professeurs ayant obtenu leurs diplômes d’État de 2000 à 2020, constatent le manque d’une dimension artistique dans la formation au diplôme d’État – la notion d’atelier émerge de plus en plus. Cette dernière est notamment amenée par les formateurs. Cela devient d’ailleurs un critère dans l’évaluation finale. Cette inclusion de la créativité au sein du cours de la formation au terrain, permettrait à l’élève de s’exprimer davantage mais aussi de valoriser le contenu pédagogique et artistique qu’il acquiert au fil du temps.Cette mise en place de l’atelier au sein de la pédagogie – et donc de la dimension créative – questionne le cloisonnement qu’il peut y avoir entre les différentes activités de chorégraphe, danseur et professeur de danse. Un professeur de danse jazz n’est-t’il pas un peu des trois de part l’investissement corporel engagé dans ses cours et les différents projets artistiques proposés (spectacles de fin d’année, participation à des évènements collectifs, concours…) ?Actuellement, le PSPBB14 propose depuis 2007 le DNSPD15 en danse jazz , seule formation publique en Europe pour la danse jazz. Ce cursus permet de créer un vivier d’interprètes avec un bagage jazz, mais aussi des créateurs contemporains (jazz).> Étiquetage non obligatoire et contemporanéité assuméeIl est fondamental aujourd’hui de parler de la création en danse jazz. Non pas pour valoriser une certaine catégorisation et cloisonner les disciplines, mais simplement pour démontrer que la création existe au sein de cette esthétique. Que cette dernière est dotée comme n’importe quel autre de processus lui permettant de porter des propos avec une réelle portée poétique et artistique assumée.Jacques Alberca, à l’honneur lors d’un week-end de Mémoires Vives organisé par Codajazz et le Centre National de la Danse de Pantin, affirme lors d’une conférence qu’il était professeur et formateur en danse jazz, mais qu’en tant que chorégraphe il était simplement lui-même avec quelque chose à dire et à porter. En effet, de par les formations pluridisciplinaires, la pratique accrue de la danse jazz (assumée ou non par certains chorégraphes contemporains), pouvons-nous nous interroger sur l’usage de cette esthétique au sein des compagnies dites contemporaines ? Est-ce que la danse jazz ne ferait pas partie de part son vocabulaire, de l’essence de certains processus créatifs contemporains ?Peut-être que la solution réside dans la recherche d’un juste milieu entre le rejet total de l’appartenance à cette esthétique, devoir catégoriser et réprimer les artistes, et ne pas du tout reconnaître la danse jazz ? Il serait donc temps à la fois d’actualiser la connaissance de cette esthétique, de ses fonctionnements et de lui laisser le bénéfice du doute. Sans oublier de ne plus avoir peur de citer son nom quand elle fait partie d’un processus, et ce peu importe le contexte. L’humilité et la générosité de cette esthétique n’empêchent pas sa reconnaissance créative, surtout quand les processus de création en danse jazz sont utilisés sur les scènes françaises actuelles.Un article écrit par Fréderique Seyve et Vivien Visentin pour Pop’Sciences – 10 novembre 2023.——————————————————————-Notes[1] Définition de « processus » – Larousse[2] Écrivaine, critique et historienne de la danse, spécialisée en esthétique de la danse et des arts visuels et artiste chorégraphique. Son ouvrage, Poétique de la danse contemporaine est devenu une référence.[3] Elle a écrit notamment Éléments du langage chorégraphique (Vigot, 1981) et est considérée comme une des principales figures de la danse moderne en France.[4] Concept où le corps n’est pas une simple identité unique, mais davantage une pluralité de dimensions.[5] Diplômé de la High School of Performing and Visual Arts de Houston, ce danseur, chorégraphe (créateur en 1983 des Ballets jazz Rick Odums) et professeur (Directeur de l’Institut de Formation Professionnelle Rick Odums jusqu’en 2023) reconnaît deux influences importantes dans sa formation, celles de Patsy Swayze et de Frank Hatchett.[6] Elle reçoit sa formation en danse classique et jazz sous la tutelle de Matt Mattox.Elle danse pour sa compagnie Jazz Art qu’elle suit à Paris en 1975. Elle danse et/ou chorégraphie pour de nombreuses compagnies, notamment pour Les Ballets Jazz Rick Odums, Reney Deshauteurs et la Compagnie Off Jazz de Gianin Loringett.[7] Centre Nationale de la Danse à Pantin.[8] Danseur, chorégraphe, il aime travailler sur la relation avec le public et les danseurs mais aussi sur la croyance que le corps peut communiquer et à quelque chose à dire.[9] Danseur et chorégraphe contemporain, issu de la nouvelle génération émergente des chorégraphes flamands. Son travail se base sur une physicalité importante. [10] Danseuse et chorégraphe en danse contemporaine, connue pour son travail de pédagogue et de chorégraphe avec les enfants et les adolescents au sein du Groupe Grenade. [11] A propos de la compagnie Calabash[12] VISENTIN, V, Vocabulaire et créativité : pour un langage au service de la création, p.49.[13] Soutenue par la DRAC Ile de France pour l’aide à la création en 2023.[14] Pôle Supérieur d’enseignement artistique de Paris Boulogne Billancourt.[15] Diplôme National Supérieur Professionnel de Danseur.PPour aller plus loin Les autrices sur la composition chorégraphique > Poétique de la danse contemporaine – Laurence Louppe> Outillage chorégraphique Manuel de composition – Karin Waehner> Éléments du langage chorégraphique– Jacqueline RobinsonTravail autour des Sœurs Brontë > Aide à la recherche et au patrimoine en danse 2010, Sylvie Duchesne Dans le domaine de l’éducation nationale> Revue AEEPS « Enseigner L’EPS 288« – Septembre 2022.> Sandrine Beulaigne et Cédric Préhaut, paru sous le titre : Processus de création artistique ; Mobiliser par CONTRAINTES / Réguler par CONTRASTESDes danses jazz aux danses hip-hop, il n’y a qu’un pas (de Charleston) : des racines communes pour des inspirations chorégraphiques multiples – Camille Thomas Konaté et Frédérique Seyve, Laboratoire Passages Arts & Littératures (XX-XXI) – 1er mars 2023
FFrançaises, Français : le langage inclusif n’est pas une nouveauté ! Les protestations hautes en couleur entendues ou lues à propos de l’écriture inclusive pendant l’automne 2017 et le débat actuel après les déclarations d’Emmanuel Macron et la proposition de loi ont une nouvelle fois confirmé qu’il existe dans notre pays une hypersensibilité aux questions de langue.Et qu’elle jette régulièrement sur le champ de bataille des troupes aussi persuadées de l’urgence de leur engagement que peu armées pour mener le combat.Histoire de la langueLe contexte national explique ces protestations intempestives. Le français est enseigné à l’école comme un ensemble de difficultés orthographiques et grammaticales à mémoriser plutôt qu’à comprendre – d’autant que, bien souvent, elles n’ont pas de sens. Mais un bagage capable, à terme, de faire le tri entre celles et ceux « qui savent » et les autres. Entre celles et ceux qui sauront écrire une lettre de motivation, une note de synthèse, un discours, un livre… et les autres. Or, « celles et ceux qui savent » ne savent rien, le plus souvent, de l’histoire de leur langue, ni même de ce qu’était réellement cette « langue de Molière » qu’on voit régulièrement alléguée dans les controverses et qu’on croit sauvegarder en s’opposant à tout changement. D’où les cris poussés à l’idée d’écrire nénufar (que Molière a connu tel quel) et les évanouissements provoqués par ognon (dont le i aurait dû être supprimé en même temps que celui de montaigne, campaigne, et autre besoigne).Concernant la « féminisation », bien peu de gens savent que les terribles nouveautés qu’on impute aux féministes n’en sont pas, et que s’il y a idéologie quelque part, elle n’est pas là où l’on croit. Car la langue française a bel et bien été l’objet d’infléchissements contraires à son fonctionnement (qui va plutôt vers l’équilibre du féminin et du masculin), par un groupe de pression particulier (l’Académie et consorts), pour des raisons strictement politiques (la mettre au service de l’ordre masculin). Le tout avec la complaisance des gouvernants, qui financent l’Académie et son dictionnaire avec les deniers publics, sans lui donner la moindre feuille de route et pouvoir y caser de temps en temps quelques serviteurs.Des innovations limitées et encore en cours d’ajustementL’écriture inclusive n’a pourtant rien de bien nouveau, à part son nom, qui a une vingtaine d’années mais qui n’a que récemment devancé ses concurrents (écriture égalitaire, épicène, non sexiste, non discriminante…). Les abréviations qui ont tant soulevé d’émotions (par exemple « artisan·e ») sont pour leur part en expérimentation depuis un peu plus longtemps ; sous leur forme la plus archaïque, les parenthèses, elles ont d’ailleurs reçu l’aval d’institutions aussi peu soupçonnables de féminisme que le Ministère de l’Intérieur, à qui l’on doit le « né(e) » qui figure sur nos cartes d’identité. L’emploi des termes féminins désignant des fonctions prestigieuses, qui relève aussi de l’écriture inclusive, est plus ancien encore : il a fait l’objet de plusieurs circulaires de premiers ministres, dont la première date de 1986. Quant à l’expression successive des termes féminins et masculins (« les candidats et les candidates », « celles et ceux »…), elle remonte au moins aux discours du Général de Gaulle, qui commençaient par « Françaises, Français ». Le père de l’écriture inclusive, c’est lui !Comme on le comprend avec les deux derniers exemples, ce n’est pas d’écriture que nous devrions parler, mais de langage inclusif : celui qui inclut. D’abord les femmes, massivement exclues du langage ordinaire, mais aussi les minorités, généralement malmenées linguistiquement.Ses adeptes se sont échiné·es à le répéter depuis un an, et il faut le redire : le langage inclusif n’est nullement réductible à une typographie spécifique, comme celle des points médians, et il peut même s’en passer tout à fait. Rien ne m’oblige à écrire « les Français·es » : je peux écrire les deux mots en toutes lettres, en reproduisant ce que je fais à l’oral. Simplement, c’est plus rapide à écrire, et ça prend moins de place. Les abréviations sont faites pour cela, depuis que l’écriture existe. Jusqu’à présent, elles servaient à raccourcir des mots (Dr, M., Mme…). Là, il s’agit d’écrire deux mots en un seul. À besoin neuf, réponse neuve – même si cela fait une vingtaine d’années qu’on bricole pour savoir comment faire au mieux, et quel signe est le plus adapté pour noter cette abréviation-là.Le point milieu, ou médian, n’est que le meilleur des candidats expérimentés, après les parenthèses, les traits d’union, les E majuscules et les points bas, en raison de sa discrétion, de son insécabilité, de son emploi nouveau et spécifique à cet usage (et donc dénué de connotations positives ou négatives). Quant à son utilisation, elle laisse encore à désirer. Les années qui viennent verront certainement sa simplification (le second point dans les mots au pluriel est à oublier, c’est un simple héritage des parenthèses). Et aussi sa restriction aux termes très proches morphologiquement (« artisan·es » et « ouvrier·es », mais pas « acteur·rice »). C’est le seul débat qui, dans un contexte apaisé, c’est-à-dire informé, aurait dû avoir lieu l’automne dernier. Les responsables de l’Agence Mots-clés, à l’origine du premier Manuel d’écriture inclusive (2016) et moi-même faisons la promotion d’un système plus simple que celui qui a généralement cours dans Le Langage inclusif : pourquoi, comment.Des ressources séculaires, qu’il suffit de réactiverLoin de se réduire, donc, à cette question qui ne concerne que l’écrit, le langage inclusif repose sur différentes ressources du français, qui ont toutes plusieurs siècles d’existence.Celle qui consiste à nommer les femmes avec des noms féminins, de même qu’on nomme les hommes avec des noms masculins, est de rigueur dans toutes les langues romanes. La bagarre menée depuis les années 1970 pour bannir les appellations masculines (l’auteur, le juge, le professeur, le ministre, le maire…) ne consiste qu’à refermer une parenthèse de quelques siècles, voire de quelques décennies pour les fonctions politiques et la haute fonction publique. Parenthèse durant laquelle des grammairiens masculinistes ont explicitement condamné des mots féminins d’usage courant, afin que certaines activités, fonctions, métiers et dignités qu’ils estimaient propres à leur sexe aient l’air d’être impropres aux femmes.Des centaines de textes témoignent du fonctionnement normal de la langue avant leur action, puis encore longtemps après (c’est ce que j’ai appelé les « résistances de la langue française »). Ainsi, mairesse figure parmi les métiers soumis à l’impôt au XIIIe siècle, au même titre que féronne, maréchale et heaumière. Écrivaine est attesté dès le XIVe siècle, autrice depuis le XVe, les premiers académiciens utilisaient d’ailleurs ces mots normalement. Procureuse figure dans le Dictionnaire françois de Richelet, ambassadrice dans le premier qu’ait fait l’Académie ; les immortel·les devraient décidément lire leurs prédécesseurs ! On a appelé médecines les femmes soignantes jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Il y a eu des proviseuses dans les couvents de femmes durant des siècles. Professeuse est répertorié en 1845 dans le Dictionnaire des mots nouveaux de Radonvilliers, qui donne du reste comme exemple « professeuse de langue » ! Mais on le trouvait déjà dans les Lettres écrites de Lauzanne d’Isabelle de Charrière (1785), et il est toujours employé dans certains pays francophones. Voltaire utilisait les mots inventrice et huissière. La presse parisienne a fêté les premières chevalières et officières de la Légion d’honneur – et même le mot commandeuse a existé, à côté de commandeur (c’est les noms qu’on donnait aux dirigeant·es des plantations en Afrique coloniale).Ce que nous appelons aujourd’hui des « doublets », ou des « doubles flexions » (Françaises, Français), est également une pratique très ancienne – bien plus que les discours du général de Gaulle ! La coutume de Vitry (le-François), mise par écrit en 1481, stipule à propos des serfs que « tous hommes ou femmes de corps sont audit baillage [susceptibles] de poursuite, en quelque lieu qu’ils aillent demeurer […]. Car tels hommes et femmes de corps sont censés et réputés du pied et partie de la terre » (art. 145). Les Reglemens des maîtres passementiers, tissutiers et rubaniers de la ville et faubourgs de Lyon (1763) précisent que « nul maître ne pourra tenir plus d’un apprentis ou d’une apprentisse à la fois », qu’il « paiera l’apprentis ou l’apprentisse pour son année en apprentissage », que « ne pourra aussi aucun maître avoir un apprentis ou apprentisse s’il n’est marié » (art. 8)… La double flexion figure six fois dans ce seul article, elle est systématique. Ce qui n’est nullement préconisé aujourd’hui, mais qui montre que personne ne trouvait « lourd » ou « ridicule » ce qui est décrété tel avec tant d’assurance par les esprits chagrins du XXIe siècle.L’ordre alphabétique ne paraît pas non plus pouvoir être mis au compte des innovations, même si son recours ici est nouveau. Se pose en effet la question de savoir dans quel ordre disposer les doublets : « Françaises, Français ! », « Travailleuses, travailleurs ! » ou le contraire ? Les politiques qui ont mis ces formules au point avaient choisi la « galanterie », là où l’ordinaire déférence au sexe masculin nous a fait dire jusqu’il y a peu de temps « l’égalité hommes-femmes ». L’une n’étant que l’envers de l’autre, l’ordre alphabétique – totalement arbitraire – apparaît comme la solution idéale : « les candidates et les candidats », mais « les auteurs et les autrices ». En faisant démarrer ce mécanisme avec l’article, pour ne pas voir revenir par la fenêtre ce qu’on a mis à la porte : « la directrice et le directeur ».Un autre pilier du langage inclusif est l’accord de proximité, qui, à côté de l’accord selon le sens, a été d’usage pendant des siècles en français, avant et encore bien après l’invention de l’accord selon le genre « le plus noble » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, 1647 ; Bouhours, Doutes sur la langue françoise, 1674), ou « le plus fort » (Dictionnaire de Furetière, 1690, entrée « Masculin »), ou « le premier des genres, parce que ce genre est attribué particulièrement à l’homme » (Dictionnaire de l’Académie, 1762, entrée « Masculin »).L’accord de proximité évitait de se casser la tête : lorsque plusieurs substantifs doivent être qualifiés par un adjectif ou un participe, c’est le plus proche qui donne ses marques. Ainsi le théologien janséniste Pierre Nicole parle-t-il, dans son traité De l’éducation d’un prince (1670), de « ces pères et ces mères qui font profession d’être chrétiennes » (et non chrétiens). Renouer avec ce mécanisme permet d’éviter les répétitions (et les recours aux abréviations, si l’on y est allergique) : « Les acteurs et les actrices qui ont pris position ont été entendues et seront reçues bientôt par la ministre » (plutôt que entendu·es et reçu·es).L’accord selon le sens permettait quant à lui de ne pas mettre tous les substantifs à accorder sur le même plan, si pour une raison où une autre on donnait plus d’importance à l’un d’eux, comme dans le titre de ce livre publié en 1571 : Le Parnasse des poètes francois modernes contenant leurs plus riches et graves sentences, discours, descriptions et doctes enseignements, recueillies par feu Gilles Corrozet, Parisien (et non recueillis). Renouer avec cette logique nous autoriserait enfin à écrire : « Cinq fillettes et deux chiens ont été retrouvées mortes dans les décombres » (et non morts) ; et surtout à nous adresser au féminin à toute assemblée majoritairement féminine. Le retour à ces systèmes simples aurait surtout l’avantage de ranger au magasin des antiquités la ritournelle qui dit que « le masculin l’emporte sur le féminin » (version IIIe République du genre le plus noble), ou sa variante euphémisée « le masculin l’emporte » (où donc ?), qui font des ravages dans les têtes des filles comme dans celle des garçons.Des exigences nouvellesEnfin, le langage inclusif consiste à mettre aux oubliettes aussi le terme homme dans tous les cas où l’on veut parler de l’espèce humaine, que ce soit au café du commerce, dans les amphis de paléontologie, dans les copies de philosophie ou dans les lieux dédiés à la parole publique, notamment à propos des « droits de l’homme ». Avec ou sans majuscule. D’une part, celle-ci est inaudible, et à l’écrit bien souvent oubliée ; elle est d’ailleurs d’usage récent (le Dictionnaire de l’Académie ne la préconise que dans son édition en cours – démarrée en 1936, la lettre H ayant dû être traitée dans les années 1960). D’autre part, les droits de l’homme ont exclu les femmes jusqu’à ce que des textes législatifs viennent explicitement les leur ouvrir : d’abord l’Ordonnance du 21 avril 1944, qui précisa que « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », puis la Constitution de 1946, qui stipula que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».Une fois de plus, la confusion revient à l’Académie. Avant elle, personne n’avait eu l’idée de soutenir que le mot homme désigne « toute l’espèce humaine, et se dit de tous les deux sexes » (Dictionnaire de 1694). Que la Constitution française persiste à proclamer « solennellement son attachement l’[attachement du peuple français] aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 », n’est plus tolérable.Autrement dit, à part les abréviations, rien de nouveau sous le soleil. Le langage inclusif ne consiste qu’à recourir à des usages validés par le temps, parce que fondés sur le système de la langue, la politesse, l’exactitude, la raison. Ce n’est pas par hasard que ces usages s’étaient imposés, qu’ils ont survécu aux tentatives d’éradication, et qu’on les a retrouvés dès lors qu’on en a ressenti le besoin – c’est-à-dire dans un pays qui prétend désormais promouvoir l’égalité, et où des gens, des groupes, des forces poussent à la réalisation de cet objectif. Il s’agit de généraliser ces usages. Ce qui implique une action concertée, à la fois dans l’ensemble de la société pour parvenir à l’homogénéisation des (meilleures) nouvelles pratiques, et dans l’éducation nationale pour qu’elles soient enseignées à l’âge où l’on apprend à maîtriser sa langue.Dans son ensemble, cependant, le langage inclusif dessine bel et bien un programme politique ambitieux – pour ne pas dire révolutionnaire. Il ne s’agit rien moins que de démanteler les stratégies élaborées pour installer en douce dans les cerveaux l’évidence absolue, incontestable, légitime de la supériorité masculine. Ce n’est pas non plus un hasard si des grammairiens et intellectuels masculinistes y ont travaillé avec application, s’ils ont intrigué inlassablement pour que l’État les suive, ni si ceux d’aujourd’hui montent au créneau pour défendre cet édifice. Ni si leur bras armé n’a pas hésité, l’année dernière, à crier à ce « péril mortel » où serait la langue française, à partir du moment où la puissance du masculin y serait amoindrie.La langue n’est pas un « donné » qui serait tombé du ciel avec toutes ses bizarreries. Il faut réaliser que des gens l’ont complexifiée à plaisir pour pouvoir « se distinguer des ignorants et des simples femmes », comme le disait crûment dans les années 1660 l’homme qui était alors chargé de la confection du Dictionnaire de l’Académie, Eudes de Mézeray. Que ce qui a été fait dans un sens peut être fait dans l’autre. Que l’école, chargée malgré elle d’enseigner que « le masculin l’emporte sur le féminin », pourrait enseigner qu’il l’a emporté longtemps parce que des misogynes le voulaient ainsi, mais qu’il ne l’emporte plus, parce des féministes et des hommes progressistes se sont battus contre eux pendant des siècles, et qu’elles et ils ont finalement gagné la partieAuteure : Éliane Viennot, Professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, Université Jean Monnet, Saint-Étienne Cet article a été co-publié avec le blog de la revue Terrain.Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.>>> Lire l’article original.
CCycle de rencontres à la Ferme du Vinatier – Une traversée de l’histoire de la psychiatrie à Bron <à la découverte de l’Asile de Bron Cet automne, La Ferme du Vinatier programme chaque mois un rendez-vous autour de l’histoire de la psychiatrie au Vinatier. Il s’agira de s’intéresser à l’enfermement des malades au XVIIIe siècle, à la naissance des asiles départementaux d’aliénés suite à la loi de 1838, au quotidien à l’asile de Bron au début du XXe siècle, au rôle de l’asile pendant la Première Guerre mondiale ou encore la période moins connue de l’entre-deux guerres. Ce cycle de rencontres, animé par des spécialistes, vous invite à mieux comprendre les liens qui se tissent entre l’Histoire et le Centre hospitalier Le Vinatier.Mercredi 20 septembre de 18h30 à 20h | Les gens de l’asile : autour des photos d’Hippolyte LaurentPlongez dans les centaines de clichés pris par l’infirmier Hippollyte Laurent pour aller à la rencontre de ceux et celles qui ont habité l’asile de Bron. Avec Philippe Cialdella, psychiatre et Marie-Ange Villeret, archiviste référente archives hospitalières aux Archives départementales et métropolitaines du RhôneMercredi 18 octobre de 18h30 à 20h |Naissance de l’aliénisme à LyonÀ Lyon comme ailleurs, le sort des malades mentaux change radicalement à la charnière des XVIIIe et XIXe siècle sous le coup de la désincarcération, de la naissance de l’aliénisme et de sa « thérapeutique », le traitement moral. Où et comment accueillait-on ces malades exclus du système hospitalier habituel ? Olivier Faure, professeur émérite d’histoire à l’Université Lyon 3 et Fabienne Barbarini, psychiatre libérale nous invite dans un tour des institutions lyonnaises.Mardi 14 novembre de 18h30 à 20h | Des tranchées à l’asileEntre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918, ce sont 1981 soldats qui ont été hospitalisés à l’asile de Bron. Chacun arrive avec sa propre histoire, mais tous ont vécu l’expérience d’une guerre d’un nouveau type, qui a bouleversé leur vie. Bernadette Angleraud, professeure d’histoire et le Dr Jacques Marblé, ancien psychiatre des hôpitaux des armés, nous invitent à retracer les itinéraires de ces soldats jusqu’à l’asile de Bron.Mardi 12 décembre de 18h30 à 20h | Entre solidarité républicaine et tentation eugéniste : l’assistance aux aliénés du Rhône dans l’entre-deux guerres (1918-1939)Jusqu’en 1914 et même s’ils s’alarment à plusieurs reprises de l’augmentation du nombre de malades internés, les membres du conseil général du Rhône se déclarent fiers de leur asile qu’ils considèrent comme la plus grande réalisation du département en matière d’assistance. Qu’en est-il après la Grande Guerre ? Isabelle Von Bueltzingsloewen, professeure d’histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2 et Anne Parriaud-Martin, psychiatre, analyseront cette nouvelle époque et les conception de la folie véhiculée.>> Tout le programme sur le site de :la Ferme du Vinatier
PPenser les sociétés humaines dans une longue histoire évolutive Où allons-nous? Qu’allons-nous devenir ? Pexels, CC BY-NC-ND « Et si les sociétés humaines étaient structurées par quelques grandes propriétés de l’espèce et gouvernées par des lois générales ? Et si leurs trajectoires historiques pouvaient mieux se comprendre en les réinscrivant dans une longue histoire évolutive ? Dans une somme importante récemment parue aux Éditions de la Découverte, Bernard Lahire propose une réflexion cruciale sur la science sociale du vivant. Extraits choisis de l’introduction. »« D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? » [Ces questions] relèvent non de la pure spéculation, mais de travaux scientifiques sur la biologie de l’espèce et l’éthologie comparée, la paléoanthropologie, la préhistoire, l’histoire, l’anthropologie et la sociologie.C’est avec ce genre d’interrogations fondamentales que cet ouvrage cherche à renouer. Si j’emploie le verbe « renouer », c’est parce que les sciences sociales n’ont pas toujours été aussi spécialisées, enfermées dans des aires géographiques, des périodes historiques ou des domaines de spécialité très étroits, et en définitive coupées des grandes questions existentielles sur les origines, les grandes propriétés et le devenir de l’humanité.Les sociologues notamment n’ont pas toujours été les chercheurs hyperspécialisés attachés à l’étude de leurs propres sociétés (industrialisées, étatisées, bureaucratisées, scolarisées, urbanisées, etc.) qu’ils sont très largement devenus et n’hésitaient pas à étudier les premières formes de société, à établir des comparaisons inter-sociétés ou inter-civilisations, ou à esquisser des processus de longue durée.De même, il fut un temps reculé où un anthropologue comme Lewis H. Morgan pouvait publier une étude éthologique sur le mode de vie des castors américains et où deux autres anthropologues étatsuniens, Alfred Kroeber et Leslie White, « ne cessèrent d’utiliser les exemples animaux pour caractériser la question de l’humanité » ; et un temps plus récent, mais qui nous paraît déjà lointain, où un autre anthropologue comme Marshall Sahlins pouvait publier des articles comparant sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs et vie sociale des primates non humains.La prise de conscience écologiqueMais ce qui a changé de façon très nette par rapport au passé des grands fondateurs des sciences sociales, c’est le fait que la prise de conscience écologique – récente dans la longue histoire de l’humanité – de la finitude de notre espèce pèse désormais sur le type de réflexion que les sciences sociales peuvent développer. Ce nouvel « air du temps », qui a des fondements dans la réalité objective, a conduit les chercheurs à s’interroger sur la trajectoire spécifique des sociétés humaines, à mesurer ses effets destructeurs sur le vivant, qui font peser en retour des menaces d’autodestruction et de disparition de notre espèce. Ces questions, absentes de la réflexion d’auteurs tels que Durkheim ou Weber, étaient davantage présentes dans la réflexion de Morgan ou de Marx, qui avaient conscience des liens intimes entre les humains et la nature, ainsi que du caractère particulièrement destructeur des sociétés (étatsunienne et européenne) dans lesquelles ils vivaient.Cinéma et littérature ont pris en charge ces interrogations, qui prennent diversement la forme de scénarios dystopiques, apocalyptiques ou survivalistes. Et des essais « grand public » rédigés par des auteurs plus ou moins académiques, de même que des ouvrages plus savants, brossent depuis quelques décennies des fresques historiques sur la trajectoire de l’humanité, s’interrogent sur ses constantes et les grandes logiques qui la traversent depuis le début, formulent des théories effondristes, etc.Comme souvent dans ce genre de cas, la science a été plutôt malmenée, cédant le pas au catastrophisme (collapsologie) ou au prométhéisme (transhumanisme) et à des récits faiblement théorisés, inspirés parfois par une vision angélique ou irénique de l’humanité. Cette littérature se caractérise aussi par une méconnaissance très grande, soit des travaux issus de la biologie évolutive, de l’éthologie, de la paléoanthropologie ou de la préhistoire, soit des travaux de l’anthropologie, de l’histoire et de la sociologie, et parfois même des deux, lorsque des psychologues évolutionnistes prétendent pouvoir expliquer l’histoire des sociétés humaines en faisant fi des comparaisons inter-espèces comme des comparaisons inter-sociétés.Le social ne se confond pas avec la cultureCette situation d’ensemble exigeant une forte conscience de ce que nous sommes, elle me semble favorable à une réflexion scientifique sur les impératifs sociaux transhistoriques et transculturels, et sur les lois de fonctionnement des sociétés humaines, ainsi qu’à une réinscription sociologique de la trajectoire de l’humanité dans une longue histoire évolutive des espèces.Elle implique pour cela de faire une nette distinction entre le social – qui fixe la nature des rapports entre différentes parties composant une société : entre les parents et les enfants, les vieux et les jeunes, les hommes et les femmes, entre les différents groupes constitutifs de la société, entre « nous » et « eux », etc. – et le culturel – qui concerne tout ce qui se transmet et se transforme : savoirs, savoir-faire, artefacts, institutions, etc. –, trop souvent tenus pour synonymes par les chercheurs en sciences sociales, sachant que les espèces animales non humaines ont une vie sociale mais pas ou peu de vie culturelle en comparaison avec l’espèce humaine, qui combine les deux propriétés.Si les éthologues peuvent mettre au jour des structures sociales générales propres aux chimpanzés, aux loups, aux cachalots, aux fourmis ou aux abeilles, c’est-à-dire des structures sociales d’espèces non culturelles, ou infiniment moins culturelles que la nôtre, c’est parce que le social ne se confond pas avec la culture.Œuvrer pour une conversion du regardÀ ne pas distinguer les deux réalités, les chercheurs en sciences sociales ont négligé l’existence d’un social non humain, laissé aux bons soins d’éthologues ou d’écologues biologistes de formation, et ont fait comme si le social humain n’était que de nature culturelle, fait de variations infinies et sans régularités autres que temporaires, dans les limites de types de sociétés donnés, à des époques données. Certains chercheurs pensent même que la nature culturelle des sociétés humaines – qu’ils associent à tort aux idées d’intentionnalité, de choix ou de liberté – est incompatible avec l’idée de régularité, et encore plus avec celle de loi générale.Les structures fondamentales des sociétés humaines. 2023. Éditions la DécouverteC’est cela que je remets profondément en cause dans cet ouvrage, non en traitant de ce problème abstraitement, sur un plan exclusivement épistémologique ou relevant de l’histoire des idées, mais en montrant, par la comparaison interspécifique et inter-sociétés, que des constantes, des invariants, des mécanismes généraux, des impératifs transhistoriques et transculturels existent bel et bien, et qu’il est important de les connaître, même quand on s’intéresse à des spécificités culturelles, géographiques ou historiques.Cette conversion du regard nécessite un double mouvement : d’une part, regarder les humains comme nous avons regardé jusque-là les non-humains (au niveau de leurs constantes comportementales et de leurs structures sociales profondes) et, d’autre part, regarder les non-humains comme nous avons regardé jusque-là les humains (avec leurs variations culturelles d’une société à l’autre, d’un contexte à l’autre, d’un individu à l’autre, etc.).L’auteur vient de publier Les structures fondamentales des sociétés humaines, aux Éditions La Découverte, août 2023.Auteur : Bernard Lahire, Directeur de recherche CNRS, Centre Max Weber/ENS de Lyon, ENS de LyonCet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
CConférence de Philippe Dufieux sur l’architecte Abraham Hirsch À l’occasion de la parution de son ouvrage « Abraham Hirsch. Architecte de la Troisième République à Lyon » aux Presses universitaires de Lyon, Philippe Dufieux donnera une conférence à l’Université Lumière Lyon 2, jeudi 14 septembre 2023, à 18h.Philippe Dufieux est professeur d’histoire de l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon (ENSAL) et directeur d’EVS-LAURe (UMR 5600).Entrée libre sur inscription : pul@univ-lyon2.frEn savoir plus sur le site-web de l’Université Lumière Lyon 2
MMémoires collectées 18 Mars 1962, les accords d’Evian sont signés et le Général de Gaulle annonce un cessez-le-feu marquant la fin de la guerre d’Algérie. À travers les histoires de différents personnages, évoluant sur des temporalités allant de 1945 à 2022, le spectateur est amené à observer trois familles, trois générations qui vivent et racontent, voyageant entre les deux pôles France / Algérie, ce que fut l’intime de cette guerre, les conséquences de la non-transmission, les traumatismes de ce que l’on commence enfin à déplier. Entre humour et moments suspendus de témoignages, ces personnages donnent corps à la mémoire et aux paroles rapportées d’hier et d’aujourd’hui.Distributioncollectif 81 %Texte : Manon AgostiniMise en scène : Rodolphe HarrotInterprètes : Camille Muche Prieux, Alice Vigneau et Manon AgostiniScénographie : Jason DinantCréation musicale : Jeanne Chaucheyras
EEiffel, en fer et contre tous Plongez dans l’incroyable aventure de la Révolution industrielle avec ses grands hommes, ses formidables inventions et ses coups bas. Découvrez comment le visionnaire Eiffel, emblème du progrès, de l’inventivité et du génie du XIXe siècle, fut jeté en pâture aux Français et releva fièrement la tête, de la manière la plus inattendue.1888. À trois mois de l’inauguration de la Tour Eiffel, les ouvriers se mettent en grève. Comment Eiffel va-t-il gérer cette crise ?Mais, au-delà de l’anecdote, que s’est-il passé pour que, à la fin du XIXe siècle, la France entière haïsse à ce point Gustave Eiffel, rendu responsable du suicide de milliers de personnes ?Découvrez Eiffel moderne, qui inventa le Management.Découvrez Eiffel visionnaire, qui fit entrer la France dans la démocratisation technologique comme Steve Jobs imposa la démocratisation numérique.Découvrez Eiffel génie, qui créa l’emblème de la France et lui redonna sa fierté de grande puissance mondiale.Découvrez l’homme impitoyable et juste qu’était Gustave Eiffel.De et par Alexandre DelimogesEn partenariat avec l’IUT Génie Civil et Construction Durable de Lyon 1, à l’initiative de Didier Langlois et Florence Playe-Faure, dans le cadre de l’année Eiffel 2023. Un bord de plateau avec le comédien aura lieu à l’issue de la représentation.
SSpectacle jeune public : Descendre de Jeanne Levez-vous pour accueillir la cour !Le Tribunal des Affaires Historiques Sensibles et Controversées ouvre le procès de Jeanne d’Arc. Objection votre honneur ! Aujourd’hui Jeanne n’est plus accusée : c’est elle qui porte plainte ! Elle en a assez que l’on raconte tout et n’importe quoi à son sujet, alors ça va chauffer ! Le tribunal parviendra-t-il à bouter hors de nos têtes les mythes, récupérations et idées reçues qui la poursuivent ?Quoi de mieux qu’un polar judiciaire pour enquêter avec humour sur ce sujet brûlant ?Un spectacle tout public mêlant plaidoirie loufoque, reconstitution historique et combat médiéval.Spectacle jeune public, à partir de six ansen extérieur, au square Evariste Gallois (6 avenue Gaston Berger, au pied du bâtiment Astrée)Distributioncompagnie ColegramTexte : L. Bernardi, C. Bouvarel, G. Dubreuil et C. SchneiderInterprètes : Coline Bouvarel, Gaël Dubreuil, Michel Le Gouis et Cécilia SchneiderRégie : Thibault Deloche
UUne histoire des émotions au Moyen Âge Pour cette première rencontre du cycle « Penser critique » consacré aux émotions, nous nous intéresserons à leur histoire.Les émotions sont aujourd’hui omniprésentes. Pourtant, elles ont longtemps été oubliées ou ignorées des historiens, car considérées comme non rationnelles et donc en dehors de tout intérêt d’études.À ce vide historiographique s’ajoute des préjugés sur le Moyen Âge qui ont participé à l’associer à la qualification de période « obscurantiste ». On la décrit ainsi comme une époque trouble aux émotions exacerbées et excessives, les hommes médiévaux sont particulièrement jugés irrationnels et donc, immatures voire « enfantins » passant du rire aux larmes, de l’amour à la colère, de l’amitié à la haine.Cependant, l’historien Damien Boquet envisage une toute autre idée dont il sera question dans cette conférence : si les émotions ne s’opposent pas à la raison, sont-elles alors une construction culturelle ? Universelles, elles ont pourtant leur historicité. Différentes de notre époque contemporaine, elles sont exprimées, vécues également de manière dissimilaire. Ainsi, acédie, componction et vergogne sont des émotions qui nous échappent aujourd’hui, mais qui étaient ordinaires fut un temps.Pour en savoir plus, consultez le site de la :Bibliothèque Municipale
LL’université doit-elle se mettre au service de l’économie ? Retour sur un débat vieux de plusieurs siècles | The Conversation Au Moyen Âge, on observe des liens robustes entre des universités et certaines sphères de l’activité économique. Flickr/Levan Ramishvili Depuis le milieu du XXe siècle, les deux principales missions de l’université communément identifiées sont l’enseignement et la recherche. Cependant, il existe une troisième mission, moins connue, qui amènerait l’université à adopter une approche dite « entrepreneuriale », et qui depuis les années 2000 fait l’objet d’un engouement croissant.Selon les partisans de la troisième mission, l’université doit s’engager – au-delà de ses fonctions d’éducation et de recherche – dans des activités entrepreneuriales, et avoir des impacts bénéfiques sur le développement socio-économique, notamment au niveau local. La troisième mission de l’université consiste ainsi à transférer des connaissances produites dans la sphère académique vers la société, au travers essentiellement de la valorisation de sa propriété intellectuelle, et d’activités d’essaimage, c’est-à-dire la création d’entreprises issues de connaissances universitaires.Aux États-Unis, la volonté de soutenir la mission entrepreneuriale de l’université s’incarne au travers de la loi emblématique Bayh Dole votée en 1980. Ce texte a été répliqué, en partie, en France en 1999 avec la promulgation de la loi sur l’Innovation et la recherche, et de manière plus ou similaire dans d’autres états de l’Union européenne. Dans les tous les cas, il s’agit de construire des ponts entre d’un côté des savoirs universitaires et de l’autre côté des activités économiques et sociales.Depuis les années 2000, on observe chez différents acteurs – politiques et économiques – un intérêt accru envers la dimension entrepreneuriale de l’université, la littérature académique notamment en sciences économiques et de gestion s’en est fait largement l’écho. Selon cette perspective, le transfert et la valorisation des connaissances académiques peuvent contribuer à la création d’entreprises, d’emplois, à l’émergence d’innovations (technologiques, organisationnelles, sociales…), et plus généralement à la croissance économique.LLes universités, des tours d’ivoire ?Parmi les critiques bien connues adressées aux universités, on retrouve l’argument selon lequel ces dernières seraient enfermées dans des tours d’ivoire, insensibles aux difficultés économiques et aux défis sociétaux. Ces reproches conduiraient à favoriser une ouverture des universités au monde extérieur.Cependant, l’engouement pour une mission entrepreneuriale est loin de faire consensus au sein de la sphère académique. Nous pouvons regrouper les arguments contre une intensification des liens entre les universités et les activités marchandes dans deux sous-ensembles : premièrement, certains chercheurs restent sceptiques quant à la faisabilité des objectifs associés à cette troisième mission, même au niveau régional.Deuxièmement, d’autres chercheurs font part de leurs craintes concernant la qualité de la recherche scientifique : la nature heuristique de la recherche pourrait être affectée par des pressions économiques venant du secteur privé. En d’autres termes, favoriser une recherche appliquée en lien avec des intérêts économiques de court terme pourrait perturber des processus de recherche fondamentale qui visent, à long terme, des répercussions favorables sur l’ensemble de la société et l’économie. Ce dernier argument fait référence au principe de sérendipité, c’est-à-dire de découverte liée au hasard, principe crucial pour de nombreux scientifiques.UUn vieux débatSelon une croyance répandue, l’université entrepreneuriale serait un phénomène relativement récent. Ce terme est apparu en 1983 dans l’ouvrage d’Etzkowitz, qui, dès les années 1980, soulignait la mise en œuvre de transformations majeures dans le monde universitaire. Cependant, des traces de l’existence d’un intérêt porté par les universités à l’environnement économique sont en réalité très anciennes. Le premier signe d’une université dite entrepreneuriale remonte au XIe ou XIIe siècle en France, en Italie et au Royaume-Uni.Au Moyen Âge, on observe déjà des liens robustes entre des universités et certaines sphères de l’activité économique. Un des objectifs associés à la création d’universités est alors la formation de professionnels qui seraient davantage compétents qu’une partie de l’administration royale et des élites.Plus tard, à la Renaissance, le mécénat joue un grand rôle dans le financement de recherches scientifiques. De son côté, le début du XIXe siècle est marqué par l’apparition, outre-Rhin, du modèle de Humboldt qui met l’accent sur l’éducation et la recherche comme étant les deux activités clés des universités. L’université de Berlin, créée en 1810 sur la base de ce modèle est considérée comme l’une des institutions d’enseignement et de recherche les plus prestigieuses au monde, générant de nombreux prix Nobel et de célèbres étudiants, tels que Karl Marx, Max Weber, Arthur Schopenhauer, Albert Einstein et Otto von Bismarck. Le modèle de l’université de Berlin s’est largement répandu notamment en Europe continentale.Bâtiment principal de l’université Humboldt à Berlin. Jean-Pierre Dalbéra/Flickr, CC BY-SANéanmoins, au cours de la même période, on observe comme un contrepoids, l’émergence d’établissements d’enseignement supérieur purement utilitaristes axés sur l’enseignement, sans préoccupation pour la recherche. L’objectif principal de ces établissements est alors de répondre à des besoins industriels et sociétaux, c’est notamment le cas du modèle des grandes écoles en France.Cependant, on peut relever le rôle clé joué par les universités lors de la première révolution industrielle : de nombreuses inventions émergent de collaborations entre les universités et l’industrie. Cela a notamment donné lieu à des avancées technologiques majeures apparues en Allemagne dans les secteurs de l’électricité et de la chimie. Au Royaume-Uni, au XIXe siècle, Lord Kelvin incarne à la fois un physicien reconnu et un membre de la direction de la filiale britannique de la société américaine Kodak. Un autre exemple illustre français demeure celui de Marie Curie, lauréate de deux prix Nobel, et à l’origine d’une toute nouvelle industrie.Ce n’est qu’au cours du XXe siècle, après les deux guerres mondiales, un changement conséquent se produit avec l’apparition d’un certain éloignement entre le monde universitaire et le monde industriel. Les universités semblent moins enclines à se rapprocher des entreprises privées, notamment pour y trouver des financements. Cela est dû, au moins en partie, à la forte croissance, à la fois des activités économiques et de la richesse du monde occidental.En Europe continentale, la perception selon laquelle les missions de recherche et d’éducation doivent être à la fois prépondérantes et corrélées devient une opinion dominante. En effet, à cette époque de nombreux opposants à la valorisation économique de la recherche affirment que recherche et formation représentent le modèle souhaité de ce que devrait être une université. Ils défendent ainsi un modèle d’université indifférent à toute préoccupation économique.EEt maintenant ?Finalement, si on considère les siècles passés plutôt que les dernières décennies, la période pendant laquelle les universités ont été étrangères à toute considération sociale et économique demeure assez limitée. Ainsi, il n’y aurait pas eu de passage récent d’un mode de production de connaissances purement académique à un mode plus utilitariste de production de connaissances, comme certains ont pu l’affirmer dès les années 1990. Ces deux modes co-existent simultanément depuis longtemps.Cependant, leur poids, leurs influences respectives, et leurs configurations varient au cours du temps, en fonction de valeurs sociales, économiques et politiques. Aujourd’hui, les grands défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés, tels que la transition écologique, le vieillissement de la population, la souveraineté technologique et industrielle, l’impact de la digitalisation et de l’intelligence artificielle (IA), appellent premièrement à un renouvellement de la réflexion sur les interactions au sein des universités entre recherche, enseignement et engagement entrepreneurial.Deuxièmement, dans la continuité des travaux sur la recherche et l’innovation responsable (RIR), on peut également s’interroger sur l’importance de construire des relations fortes entre les universités d’un côté et la société de l’autre. En effet, face à des défis complexes, changeants, combinant des enjeux technologiques et sociétaux, et caractérisés par une forte incertitude, la question du rôle et des missions des organisations de création de savoirs tels que les universités, est plus que jamais d’actualité. Publié sur The Conversation le 8 juin 2023Valérie Revest, Professeure des universités en sciences économiques, centre de recherche Magellan, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 et Jean-Régis Kunegel, Docteur en économie, Université Lumière Lyon 2Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.