Alors que les effets du réchauffement climatique se font chaque année un peu plus visibles, le recours massif aux énergies vertes est une stratégie sur laquelle mise désormais un grand nombre de pays pour réduire au plus vite leurs émissions de gaz à effet de serre. Devant l’impérieuse nécessité de décarboner l’économie mondiale, n’est-il pas pour autant illusoire d’espérer faire reposer la transition écologique sur les seules énergies renouvelables ?
Par Grégory Fléchet
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Longtemps dénigrées en raison de leur faible rendement et du caractère fluctuant de leur production, les énergies renouvelables ont désormais le vent en poupe dans la constitution du mix énergétique de nombreux pays. Comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (Irena) dans un récent rapport, l’ensemble des énergies solaires et éoliennes devrait atteindre une capacité installée de 14500 gigawatts (GW) à l’horizon 2050, contre un peu plus de 1200 GW aujourd’hui. En ajoutant l’hydroélectricité, la production d’énergies renouvelables serait alors en mesure de satisfaire plus de 85% de la demande mondiale en électricité. Ces prévisions pour le moins optimistes doivent toutefois être mises en regard de la consommation mondiale d’énergie qui repose encore aujourd’hui à 80% sur l’inévitable triptyque : charbon/pétrole/gaz. Malgré le déploiement tous azimuts de parcs éoliens et de fermes photovoltaïques, notre économie et nos modes de vie restent donc très largement tributaires des ressources fossiles. Comment, dans ce contexte, mettre en œuvre une transition accélérée vers les renouvelables ? Pour Marc Jedliczka, directeur général de l’association lyonnaise Hespul qui milite pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, il s’agit tout d’abord de repenser notre rapport à l’énergie : « Il faut cesser de raisonner en termes de production pour se concentrer sur la notion de services énergétiques afin de limiter les usages de l’énergie à nos besoins les plus essentiels », plaide-t-il.
Le nécessaire renforcement de l’efficacité énergétique
Selon le dernier scénario négaWatt1 publié en 2017, auquel souscrit l’association Hespul, il serait parfaitement envisageable, en France, d’atteindre 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050 tout en parvenant à la neutralité carbone2. Un tel basculement impliquerait toutefois de diviser par deux notre consommation d’énergie, la montée en puissance des énergies vertes (solaire, éolien, bois…) permettant de satisfaire les besoins restants. Ce scénario de transition reste par ailleurs indissociable d’un renforcement de l’efficacité énergétique dans de nombreux domaines à commencer par celui du bâtiment.
En matière de production énergétique, la stratégie négaWatt mise principalement sur l’éolien et le photovoltaïque qui disposent d’un fort potentiel de développement dans notre pays. Ces deux technologies présentent en outre un bilan carbone satisfaisant tout en offrant l’avantage d’être facilement recyclables. Une éolienne terrestre par exemple, dont la durée de vie moyenne se situe autour de 30 ans, produit en une année assez d’énergie pour compenser celle qui a été dépensée pour sa fabrication. Une fois démantelée, plus de 90 % des matériaux qui la constituent peuvent ensuite être réutilisés. De ce point de vue, le solaire photovoltaïque fait encore mieux. Selon PV-Cycle, une organisation dédiée au recyclage des panneaux solaires en Europe, 95% d’un panneau solaire à base de silicium, la technologie qui équipe actuellement la plupart des installations photovoltaïques, peut être recyclé.
Une ressource largement sous-exploitée
Sur le plan de la performance, le solaire photovoltaïque continue aussi de progresser. « Alors qu’il y a encore quelques années, on pensait qu’un taux de conversion3 de la lumière en électricité de 25% constituait un plafond de verre pour la technologie à base de silicium, les modules photovoltaïques les plus performants atteignent désormais un rendement de 27%. Si les investissements en matière de recherche et développement sont au rendez-vous, il n’est pas illusoire d’espérer dépasser 30% de rendement à l’horizon 2030 », souligne Mohamed Amara, chercheur CNRS à l’Institut des nanotechnologies de Lyon (INL) spécialiste du développement des technologies photovoltaïques. Compte tenu de sa situation géographique, la France jouit par ailleurs d’un niveau d’ensoleillement suffisant sur l’ensemble de son territoire, autorisant ainsi l’exploitation de ce gisement à très grande échelle.
Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le seul potentiel inexploité des toitures avoisinerait 360 GW au niveau national. C’est presque trois fois plus que la puissance installée de l’ensemble du parc de production électrique français. La réalité actuelle du secteur photovoltaïque est pourtant nettement moins radieuse. Fin 2019, la puissance totale installée dans l’hexagone représentait en effet un peu moins de 10 GW soit à peine de quoi couvrir 2% de notre consommation d’électricité.
Selon Marc Jedliczka, cette forme d’apathie serait en partie liée à la prépondérance du nucléaire dans notre mix énergique : « Le fait que cette source d’énergie, que l’on considère comme décarbonée, couvre plus de 70% de notre consommation d’électricité limite fortement les possibilités de croissance de l’énergie solaire tout comme de l’éolien. » La structuration de notre réseau électrique constitue un autre obstacle au développement des énergies renouvelables. Depuis sa création, au sortir de la seconde guerre mondiale, celui-ci repose sur un mode de fonctionnement très centralisé. Produite majoritairement à partir de centrales nucléaires de forte puissance, l’électricité est ensuite acheminée vers les principaux sites de consommation que sont les agglomérations ou les zones industrielles.
Vers un retour en grâce du courant continu
Le modèle de distribution centralisé, qui prévaut dans la plupart des pays européens, se révèle peu adapté à l’intégration des énergies renouvelables. L’éolien et le solaire photovoltaïque s’appuient en effet sur une myriade de petites unités de production souvent implantées à l’écart des grands réseaux électriques. Le niveau de production d’un parc éolien ou photovoltaïque a en outre tendance à fluctuer en fonction de la météo et des saisons. En l’absence d’un système efficace de stockage de l’électricité, la montée en puissance des énergies renouvelables sur le territoire européen pourrait conduire à des situations de surproduction ou de pénurie. « Pour pallier ces inconvénients, il est indispensable d’améliorer l’interconnexion entre les grands réseaux de distribution nationaux », assure Bruno Luscan, directeur technique de SuperGrid Institute. Ce centre de recherche et d’innovation basé à Villeurbanne développe des solutions technologiques destinées à favoriser l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux d’électricité en s’appuyant notamment sur le courant continu à très hautes tensions (CCHT).
« À la différence du courant alternatif à très hautes tensions, le CCHT permet d’acheminer l’électricité sur de longues distances tout en limitant les déperditions énergétiques », précise Bruno Luscan. Cette technologie s’avère ainsi particulièrement adaptée au transport de l’électricité lorsque celle-ci provient d’unités de production très dispersées comme cela est le cas avec l’éolien et le solaire photovoltaïque. À l’heure où l’Union européenne entend faire de l’éolien en mer le pilier principal de sa transition énergétique, en annonçant vouloir déployer d’ici 2050 l’équivalent de 450 GW d’éoliennes off-shore le long de son littoral, la technologie CCHT pourrait même devenir incontournable comme le souligne le directeur technique de SuperGrid Institute :
Les câbles à courant continu sont aujourd’hui les seules solutions technologiques disponibles pour transporter de l’électricité sous l’eau et sur de longues distances.
Les renouvelables à l’épreuve du réchauffement
Au-delà des défis techniques et industriels qui accompagnent leur déploiement à grande échelle, les énergies renouvelables n’échappent pas à la menace du réchauffement climatique. Au sein de la Compagnie nationale du Rhône qui gère l’aménagement hydroélectrique de Pierre-Bénite (près de Lyon), on estime par exemple que le niveau de production de la centrale devrait diminuer de 20 à 40% d’ici 2050 en raison de la baisse progressive du débit du Rhône. Comme d’autres cours d’eau prenant leur source en haute montagne, le plus puissant fleuve de France subit les conséquences de la fonte précoce du manteau neigeux et du glacier qui lui donne naissance. Résultat : son débit tend à augmenter en hiver mais baisse significativement le reste de l’année faute de précipitations. Or, pour une centrale hydroélectrique au fil de l’eau comme celle de Pierre-Bénite, ces fluctuations sont impossibles à anticiper en l’absence de lac de retenue permettant un stockage saisonnier de la ressource en eau.
« À cause de la diminution progressive du débit de la majorité des cours d’eau français, l’hydroélectricité ne sera pas en mesure de contribuer à plus de 10% au scénario négaWatt prévoyant d’utiliser 100% d’énergies renouvelables en 2050 », précise Marc Jedliczka. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, réchauffement climatique et énergie solaire ne font pas non plus bon ménage. « La température optimale de fonctionnement d’un panneau solaire se situe autour de 25°C, rappelle Mohamed Amara. Au-dessus de ce seuil, chaque augmentation de 1°C provoque une baisse de production électrique de l’ordre de 0,4%. » Sous des températures ambiantes de 35°C, ce qui pourrait devenir la norme en été dès la seconde moitié de ce siècle, les cellules photovoltaïques peuvent atteindre 80°C en surface et perdre ainsi jusque 30% de leur rendement. L’éolien pourrait finalement être l’une des rares sources d’énergies renouvelables à tirer profit du changement climatique. Plusieurs études scientifiques ont en effet montré que celui-ci s’accompagne d’un renforcement progressif de la vitesse des vents dans de nombreuses régions du monde. Selon un article publié en 2019 dans la revue Nature Climate Change, la production d’énergie éolienne pourrait ainsi augmenter de 37% d’ici 2024.
Si les énergies renouvelables ne sont pas exemptes de défauts, elles semblent malgré tout à même de répondre aux grands enjeux du 21e siècle que sont le réchauffement climatique global, l’épuisement des ressources naturelles ou la pollution atmosphérique. À la fois peu coûteuses et faiblement émettrices de gaz à effet de serre, ces sources d’énergie inépuisables laissent entrevoir un avenir moins sombre à condition de se donner les moyens de les développer massivement.
Notes
1> Association fondée en France en 2001, négaWatt promeut le « négawatt » comme l’unité théorique de la puissance électrique économisée.
2> Les Accords de Paris signés en 2015 définissent la neutralité carbone comme le moment où l’on « parvient à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre ».
3> La performance d’une cellule photovoltaïque est déterminée par sa capacité à convertir la plus grande part possible de la lumière qu’elle reçoit en électricité.
Bibliographie
- De Gerlache J. Mettre en œuvre les transitions énergétiques, Dunod, 2019.
- Salomon T. Jedliczka M. Changeons d’énergies, Actes Sud, 2013.
- Dictionnaire critique de l’anthropocène, CNRS Editions, 2020.
Produire du gaz vert en faisant feu de tout bois
C’est en plein cœur de la vallée de la chimie, dans le sud de l’agglomération lyonnaise, que le groupe Engie a choisi d’installer une structure de recherche et développement unique en Europe. Cette plateforme semi-industrielle baptisée Gaya vise à valider le modèle technologique et économique de la filière de production de biométhane, à partir d’une large variété de résidus issus de la biomasse sèche. Ce démonstrateur préfigure les futures usines de production de ce gaz renouvelable dont le premier exemplaire pourrait être déployé à l’horizon 2023.
Gaya
Implantée sur la commune de Saint-Fons, la plateforme Gaya a commencé à produire ces premiers mètres cubes de biométhane il y a tout juste un an.
Le gaz généré par ce démonstrateur semi-industriel est en partie utilisé pour chauffer les locaux administratifs qui jouxtent l’installation.
Une fois débarrassée de ses impuretés, la biomasse est acheminée à l’aide d’un tapis roulant jusqu’au sommet de l’installation où elle vient alimenter un gazéifieur.
Après avoir été introduite dans le gazéifieur, la biomasse est portée à plus de 800°C. Le chauffage à très haute température permet de convertir cette matière première en un mélange gazeux constitué de monoxyde de carbone (CO), de dioxyde de carbone (CO2) de dihydrogène (H2) et de méthane (CH4). Ces molécules passent ensuite par une étape de filtration avant d’être recombinées à l’aide de catalyseurs. C’est cette réaction, dite de méthanation, qui permet de produire du biométhane en grande quantité.
Chaque étape du processus de production du biométhane est scrutée à distance depuis la salle de contrôle. Des paramètres comme les niveaux de température et de pression ou le taux d’humidité de la biomasse utilisée sont ainsi mesurés en temps réel
Les granulés de bois comptent parmi les composés d’origine végétale susceptibles d’alimenter la plateforme Gaya, au même titre que les résidus issus de l’industrie papetière, les débris de palettes ou bien encore les noyaux d’olive concassés.
Avec une tonne de cette biomasse sèche, Gaya peut produire jusqu’à 600m3 de biométhane.
À l’aide d’une caméra thermique, un technicien de la plateforme Gaya passe en revue le complexe réseau de canalisations de l’installation.
Ce type d’inspection vise à repérer les éventuelles zones de déperdition de chaleur susceptibles de limiter le rendement de production du biométhane.
Gaya dispose de son propre laboratoire dédié à l’étude des résidus solides et liquides prélevés tout au long de la chaîne de production. Leur analyse par chromatographie permet notamment de caractériser les différentes molécules chimiques générées à chaque étape du processus industriel.