Texte : Samuel Belaud
Photographies : ©Visée.A
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Après que la pratique de la submersion des déchets radioactifs dans les océans ait été stoppée dans les années 1990, la France a développé des solutions de confinement de ces déchets sur et sous terre. En 1998, le site de Bure dans la Meuse (98 habitants) a été désigné, non sans discordance, pour l’installation du centre industriel de stockage géologique – Cigéo.
Reportage à 500m sous terre
Garantir la sûreté du futur site d’enfouissement
L’objectif de l’Andra : prévenir, réduire le risque et prévoir les modes d’intervention en cas d’incident. « Le risque majeur lié aux déchets se situe dans le temps long. Nous devons prévenir au mieux la dégradation des colis de déchets afin d’éviter tout risque de fuite de radioactivité du site » précise Mathieu Saint Louis, chargé de communication de l’Andra.
C’est là que les sciences géologiques jouent pleinement leur rôle en étudiant précisément la structure et l’évolution de la couche rocheuse au cœur de laquelle les déchets seront entreposés. Les parois sont, en ce sens, criblées de capteurs et d’outils de mesures géologiques.
Cigéo : une double emprise territoriale
- Au sol, les paysages de la frontière entre Haute-Marne et Meuse seront durablement redessinés avec l’implantation de deux sites industriels d’exploitation, un de 280 ha pour l’enfouissement (zone descenderie) et la recherche, l’autre de 270 ha pour les travaux et l’entretien des galeries souterraines (zone puits). Le territoire est autant transformé par cette emprise industrielle que par la construction de nouveaux équipements et aménagements routiers (station de carburants, réseau d’éclairage urbain, voirie rénovée…).
- En sous-sol, l’emprise est invisibilisée, mais bien plus conséquente qu’en surface : les galeries seront creusées dans une zone souterraine de 15 km² allant jusqu’à 500 m de profondeur, au cœur de la couche argileuse.
Un confinement inspiré des poupées russes
Avec Cigéo, l’Andra mise sur la multiplication de couches protectrices autour des matières radioactives pour sécuriser les « colis ». Les combustibles sont d’abord vitrifiés, puis mis en colis inox.
Ces colis sont ensuite entreposés dans une alvéole, elle-même incluse dans une couche ouvragée en béton armé, laquelle est entourée d’une dernière couche, la plus épaisse, celle formée par la roche argileuse située entre –350 et -490m sous le plancher des vaches buroises.
Un héritage à transmettre à des centaines de générations
« Cigéo sera vite rempli. Aujourd’hui, la moitié des emplacements de stockage prévus est déjà pourvue » prévient Mathieu Saint-Louis. En un siècle Cigéo aura rempli la première partie de son contrat : emmagasiner plus de 80 000 m3 de déchets. La seconde, le confinement sécurisé de la radioactivité, durera au moins 100 000 ans. Se pose dès lors la question de la « réversibilité » de l’enfouissement. Doit-on en 2150 sceller ad vitam eternam la crypte nucléaire ? Et dans ce cas, comment peut-on être certains que l’information sur son emplacement et sa structure se transmette efficacement pendant plusieurs siècles ? La question n’est pas encore tranchée et fait toujours l’objet de controverses industrielles, sociétales et scientifiques. L’Andra travaille plusieurs scénarios à la croisée de l’archéologie des paysages, de la linguistique, de la science des matériaux, pour créer des messages et des supports les plus durables possibles. Par exemple, l’utilisation du papier permanent (photo ci-contre).
Entre acceptabilité et résignation
Dans le centre-bourg de Bure, séparés par la rue de l’Eglise, la maison de la résistance et les locaux du Comité Local d’Information et de suivi du Laboratoire de Bure se font face. Symbole d’une réconciliation impossible ?
D’ici 2035, date de mise en service prévue de Cigéo, l’Andra est entré dans une démarche de ‘’conquête du consensus’’. Elle mène pour ce faire une campagne de concertations publiques qui, dans un effort de transparence, visent à une meilleure acceptabilité sociétale du projet. Il s’agit pour l’organisme de « sonder les attentes de la population riveraine à propos de la gestion de l’eau, de l’aménagement de l’espace, de l’énergie nécessaire aux installations ou encore de la desserte en transports du site ».
Cette démarche de dialogue arrive en réponse à une importante mobilisation citoyenne contre le projet. Passé par des contestations visibles jusqu’en 2018 (ZAD, manifestations, blocages…) le combat s’opère désormais plus discrètement sur des plans juridiques et politiques. Ce faisant, l’ampleur de l’emprise territoriale de l’Andra est déjà telle (une écothèque, un observatoire de l’environnement, un laboratoire scientifique, un centre technique… sont déjà sortis de terre), que la résignation semble prendre le pas sur l’opposition.