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Océans

Aline. Là où vrombit l’Océan

Aline Pénitot passe son temps à révéler la puissance sonore des mers qu’elle explore. Dans ses créations, elle nous emmène loin du havre de silence auquel nous pourrions profanement nous attendre. Elle tend son hydrophone au fracas des vagues, au crissement des glaciers, ou encore au chant des baleines… et révèle des relations intimes entre la musique et l’Océan.

Par Samuel Belaud

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Documentariste, compositrice, navigatrice

©Bérangère Lopez Oros

La navigatrice a très tôt estimé comme essentielle la dimension sonore des mondes sauvages qu’elle parcourt. Mettre une oreille dans la mer, par le biais d’un micro, se révèle être une expérience sensorielle particulière qui permet de concevoir la réalité des mondes sous-marins et de mieux comprendre ce qui s’y trame. Tous les microphones, mais pour elle, “particulièrement les hydrophones révèlent des sons que l’oreille et le cerveau humain filtrent habituellement“ : les bulles d’air qui s’échappent, le crissement d’une plaque de glace, le cri d’un cétacé… Le silence n’existe pas au creux des courants, mis à part peut-être celui de l’ignorance. Aline Pénitot rappelle que “nous avons moins cartographié la mer que la Lune.

On ne sait que peu de choses des fonds marins et de ceux qui les habitent. C’est là, dans cette méconnaissance, que réside le seul silence de l’Océan.

Les harmonies sous-marines

Entourée de scientifiques, la compositrice raconte la musicalité sous-marine par le biais de séries documentaires. Ensemble, ils “s’attachent à ce que la connaissance scientifique abreuve l’émotion esthétique et réciproquement”. À titre d’illustration, elle travaille aux côtés d’une physicienne sur la mesure des ondes que génèrent les vagues au cours d’une tempête. Avec Nadia Sénéchal (Laboratoire EPOC, Université de Bordeaux), dans le fracas des lames océaniques, elles s’intéressent particulièrement aux caractéristiques de l’onde infragravitaire. Sorte de vague ultime qui résulte de la somme des longueurs d’ondes de toutes les autres vagues. “Une poétique incroyable se dégage du travail scientifique sur les longueurs d’ondes”. Aline s’est même laissée surprendre par le “langage parfois commun entre musique et mathématiques (…) Quand une physicienne vous évoque “la libération des harmoniques“, vous ne pouvez pas en tant que compositrice y rester insensible.”

À écouter :

© Gautier Dufau

 

La réponse de la baleine à bosse

Piéger 40 bioacousticiens sur ce qu’ils pensaient être un enregistrement de chant de baleine à bosse, pendant la conférence scientifique mondiale dédiée à ce cétacé, ça n’a pas de prix. Cette prouesse, Aline Pénitot a pu la mener grâce à une interface de dialogue humain/baleine qu’elle est en train de développer aux côtés d’Olivier Adam (CNRS – Sorbonne Université, Paris-Saclay). Elle a dans un premier temps découvert des relations sonores entre le chant de la baleine à bosse et le basson, de sorte que ni les bassonistes ni les scientifiques ne reconnaissent ce qui provient de l’instrument ou du géant des mers.

Mais les baleines se font-elles également avoir ? La documentariste détaille le fonctionnement de l’interface : “D’abord, on enregistre leurs chants, pour ensuite les analyser. À l’issue d’un travail précis, à l’aide de l’interface, de reformulation (d’imitation) de la musicalité que ces mammifères produisent, nous diffusons et leur faisons entendre le produit de notre travail. Aujourd’hui, l’objectif est de signifier à la baleine que les humains tentent de les écouter et de développer un dialogue.” Et le pari est gagné ! Aussi surprenant que cela puisse paraître : “elles nous ont déjà – et à plusieurs reprises – répondu ! C’est-à-dire qu’elles ont reproduit les sons que la documentariste leur a diffusé. Le dialogue qui s’est mis en place a d’ailleurs sidéré l’équipage du bateau : “La sensation était telle que notre corps a lâché sous le poids de l’émotion”.

À écouter :

La démarche musicale décuple la recherche scientifique … et réciproquement. Là réside la réussite de l’échange inédit qu’Aline Pénitot et ses compagnons de bord ont pu brièvement mener avec les baleines à bosse et qui va être amplement prolongé.

En définitive, la musique et le son plus généralement, se révèlent être de formidables leviers pour réinventer nos relations avec les animaux sauvages.

Dans la baie de Sermermiut sur la côte ouest du Groenland, où la jeune documentariste plonge ses premiers hydrophones, la puissance du paysage sonore fait partie de la culture locale. “mes premières prises de son sous l’eau m’ont bouleversées, se rappelle-t-elle, notamment en Arctique où j’ai eu la chance d’écouter la vie de la glace”. Les Inuits y ont pour habitude ancestrale de plonger un bois creux dans l’eau par le fond de leurs canoës. Ils écoutent ainsi les vas-et-viens des espèces qu’ils chassent, nécessaires à leur survie alimentaire dans un monde dénué de toute végétation. Cette expérience initiatique est venue ratifier le pacte qu’Aline Pénitot a conclu avec les ondes sonores : “lorsqu’on y capte un son, c’est toute la culture inuit qu’on écoute”.

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