Quand on parle d’aller sur Mars, certains y voient un formidable défi à relever. D’autres, du temps perdu à ne pas tenter de rendre meilleure la vie sur Terre. Nous sommes repartis comme aux plus belles heures de l’exploration spatiale, pour autant est-ce une réelle avancée pour l’humanité ? Et si le véritable enjeu résidait dans la relation intime qu’entretiennent les humains avec le cosmos ?
Par Fabien Franco
Photographies : Visée.A
Téléchargez le magazine en .pdf
Dans son roman Mars blanche1, l’auteur anglais de science-fiction Brian Aldiss prévient : « Les planètes sont des environnements qui possèdent leur intégrité propre. Tout projet technologique de grande envergure serait une agression. La conséquence ultime ne pourrait être que la transformation de Mars en banlieue lugubre, imitant les aspects les moins séduisants des villes terrestres. Un complexe militaro-industriel la gouvernerait certainement. » Pessimiste ? Peut-être. Toujours est-il que se poser la question du voyage sur Mars et de l’exploration spatiale n’a rien d’anodin. Au-delà des enjeux de progrès technologique, géopolitique et scientifique, elle interroge les capacités de l’espèce humaine à se penser et à inventer.
Conquêtes et profits
Le Président américain a récemment remis la conquête spatiale sur le devant de la scène médiatique, déclarant sa volonté d’envoyer des astronautes américains sur la Lune d’ici à 2024. Le gouvernement chinois multiplie les projets à destination spatiale jusqu’à cet alunissage réussi sur la face cachée de la Lune en début d’année. En 2019, Roscosmos, l’agence spatiale russe, assurera pas moins de neuf lancements depuis Baïkonour (Kazakhastan) et Kourou (Guyane). L’Inde, qui a ramené ses propres images de Mars (sonde MOM), développe elle aussi un programme spatial ambitieux. À l’instar de l’État israélien qui, avec la sonde Bereshit (« au commencement« , premier mot du livre de la Genèse en hébreu), s’ajoute aux rares pays qui ont envoyé un engin sur la Lune.
Quant à l’Europe, elle continue à financer de nombreux programmes dans l’espace et depuis la Terre2. Autant de projets qui foisonnent dix ans seulement après la crise financière de 2008. Pour autant, l’exploration des étoiles est-elle vraiment onéreuse ? Avec 37 € par an et par habitant, et même si le budget que consacre l’État français à l’espace est le deuxième au monde, l’investissement reste relativement modéré. Cet investissement comprend la contribution à l’agence spatiale européenne (965 M€) et le programme national (726 M€). D’après les estimations de la Nasa, le coût d’une mission à destination de Mars s’élèverait à une somme comprise entre 200 et 300 milliards de dollars soit 1 à 1,4 % du PIB des États-Unis en 2018.
L’argent investi dans l’exploration spatiale n’est pas motivé par les seuls intérêts scientifiques. Quel retour sur investissement escomptent les états dans ce qui semble être une nouvelle course aux étoiles ? « Le premier investisseur de l’exploration spatiale est le complexe militaro-industriel, rappelle Ghaouti Hansali, physicien, chercheur à l’Institut des Origines de Lyon (LabEx LIO), car très peu de domaines sont capables de mobiliser autant de moyens sur le long terme et la guerre est l’un d’entre eux. » À l’heure où les géants chinois et américain entrent en concurrence sur la scène internationale, ce n’est pas un hasard si l’exploration spatiale marque son retour dans l’agenda géopolitique de ces deux nations. Elle est l’un des vecteurs par lequel les États affirment leur puissance.
Cependant, comme on le verra plus loin, tous ne jouent pas dans la même catégorie. Et tout ce « petit monde » se retrouve pacifiquement dans le Bureau des affaires spatiales, l’organe onusien chargé de favoriser l’utilisation de la science et de la technologie spatiales pour le développement économique et social de tous les pays. Fort heureusement, les politiques spatiales sont aussi motivées par la science. Et leurs retombées sont abondantes, infusant dans nombre de domaines et pas uniquement dans ceux de la sécurité et de la défense. Les télécommunications, l’informatique, la navigation, la biologie, la climatologie, la géologie, l’hydrologie, la chimie, la physique fondamentale, etc. bénéficient des moyens mis en œuvre et des nouvelles découvertes qu’ils permettent.
Puissance politique, dynamisme économique, intérêt scientifique… L’espace demeure bel et bien cet écran sur lequel l’humanité projette ses richesses et ses contradictions. Du côté de la science, on s’affaire activement pour rendre possible des observations et des voyages jamais effectués jusqu’alors. Tout d’un coup, la Lune et même la planète rouge semblent plus que jamais accessibles.
Exploration spatiale, enjeux humains
Ces dernières décennies ont été des plus stimulantes et ont vu l’échelle d’exploration passer de la « proche banlieue terrestre » à des confins extrêmement plus lointains de notre galaxie. La première exoplanète a été découverte par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz en 1995. Dix ans plus tard, une lune de Saturne nommée Titan devenait l’ultime frontière de l’humanité : la sonde Huygens envoyée par l’agence spatiale européenne s’y est posée tout en douceur après un voyage d’1,5 milliard de kilomètres. La cartographie du supercontinent de galaxies Laniakea par l’astrophysicienne Hélène Courtois et son équipe de l’Institut de physique nucléaire de Lyon3 en 2014 a permis de situer plus précisément la Voie lactée, et donc notre système solaire, dans l’Univers. Mais la décennie qui vient annonce le grand retour de Mars comme nouvel horizon à xplorer. Cathy Quantin-Nataf et son équipe du Laboratoire de géologie de Lyon4 ont identifié et sélectionné le site d’atterrissage de la mission européenne Exo Mars. En 2021, le véhicule baptisé Rosalind Franklin5 y roulera avec l’objectif de déceler d’éventuelles traces de vie fossilisée. Le rover sera équipé de neuf instruments russes et européens et pourra forer jusqu’à deux mètres de profondeur, pour atteindre une zone protégée des rayonnements cosmiques et des oxydants de surface.
Aller sur Mars, c’est comprendre ce qu’a pu être la Terre il y a quatre milliards d’années…
…une période considérée comme celle de l’apparition de la vie sur Terre, « et la plupart des roches sur Mars sont datées de cette époque« , informe la géologue. Si tout se passe bien, se posera alors la question d’envoyer des êtres humains sur Mars. « Je ne suis pas sûre qu’il y ait un grand intérêt, Mars étant très inhospitalière. Une mission robotisée me semble plus pertinente » analyse-t-elle.
En 2021, Cathy Quantin-Nataf sera aux premières loges pour voir atterrir le robot européen. Cette année-là, les États-Unis auront envoyé leur propre rover collecter des échantillons en surface qui devront être récupérés et analysés. Les ingénieurs de la Nasa ont prévu en outre de survoler les reliefs martiens à l’aide d’un drone piloté depuis la Terre. La Chine, devrait être présente, elle aussi, sur la planète rouge à ce moment-là, on ne sait encore avec quel dispositif. « La concurrence est grande, mais les États-Unis jouent bien en première division, contrairement aux Européens, qui n’ont pas encore réussi à poser un véhicule sur Mars, et les Chinois, pour qui ce serait une première tentative« , commente la scientifique spécialisée en géologie extraterrestre. Celle qui vit désormais dans le temps long, collectif et cosmopolite de l’exploration spatiale partage, enthousiaste : « C’est extraordinaire de travailler dans une équipe internationale unie par un objectif commun qui fait avancer la connaissance. » Preuve, s’il en est, que l’exploration spatiale mobilise à la fois le cœur et la tête… Depuis l’aube des temps, les êtres humains arpentent de nouveaux territoires et l’Univers repousse aujourd’hui les frontières du possible pour les éternels explorateurs que nous sommes.
Besoins élémentaires
Si la technologie le permet, il est fort probable que des femmes et des hommes fourniront les efforts nécessaires pour atteindre ces régions spatiales hostiles, froides, sans possibilité de retour. « L’exploration spatiale répond à un besoin universel » relève Ghaouti Hansali. « Je ferais le parallèle avec l’art. Bien qu’inutile pour nourrir la planète, l’art demeure indispensable aux êtres humains. Les sciences spatiales procèdent d’une démarche similaire. Elles répondent à une curiosité fondamentale. »
Qu’en est-il de la dimension éthique ? « La Nasa a déjà posé la question de la protection planétaire. En cas de doute sur la présence de vie, on n’atterrit pas. Parce que nous n’avons pas les moyens d’étudier une forme de vie sans la contaminer, répond la géologue. La Terre est un petit grain dans l’espace, mais pour l’être humain c’est tout. Aller sur Mars, c’est voir la non-unicité de la place de l’Homme, c’est toucher du doigt la diversité de l’Univers » conclut le physicien.
1 > Mars blanche ou La libération de l’esprit. Utopie du 21e siècle, de Brian Aldiss, co-écrit avec Roger Penrose, ’éminent physicien et mathématicien. Paru en France en 2001, traduit de l’anglais par Daniel Lemoine, aux éditions Métailié. Titre original White Mars, première édition Brian W. Aldiss et Roger Penrose, 1999.
2 > Au Chili, l’Europe est en train de construire le plus grand télescope au monde, l’ELT (Extremely Large Telescope). Il visera entre autres la recherche d’exoplanètes dans cette « zone habitable » où la vie pourrait exister > eso.org
3 > CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, Université de Lyon
4 > ENS de Lyon, CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, Université de Lyon
5 > Du nom de la biologiste britannique qui a permis d’identifier la structure en double hélice de l’ADN.
Observatoire de Lyon. L'instrumentation des étoiles
Les ingénieurs, techniciens et astrophysiciens lyonnais élaborent des instruments innovants pour observer l’espace. Leur domaine de prédilection est l’exploration « à l’aveugle » d’un grand volume de l’Univers par la spectrographie intégrale de champ.
Cette dernière permet de d’obtenir, en une seule fois, une quantité jamais atteinte de données sur la source qu’on observe (mouvement, température, composition, éloignement…). C’est dans le hall d’intégration à l’Observatoire de Lyon (site historique de Saint-Genis-Laval) que les scientifiques ont assemblé MUSE, aujourd’hui l’instrument le plus demandé à l’ESO, l’observatoire européen austral basé dans le désert d’Atacama au Chili. MUSE (pour Multi Unit Spectroscopic Explorer) permet d’observer pour la première fois, d’autres galaxies que la nôtre. Porté par le Centre de recherche astronomique de Lyon (Cral), et développé en collaboration avec six laboratoires européens, il a été installé sur le VLT (Very Large Telescop) en 2014. Des milliers de spectres de galaxies et d’étoiles pourront être enregistrés dans le cadre du projet de spectrographe Nirspec (near infrared spectrograph) auquel le Cral participe également. Ce dernier, conçu pour observer l’Univers en infrarouge, sera installé sur le James Webb Space Telescop, le télescope spatial successeur de Hubble. Il sera lancé par une fusée Ariane 5 depuis Kourou, le 30 mars 2021. Développé par les agences spatiales américaines, européennes et canadiennes, il observera l’Univers dans l’infrarouge. Le Cral est aussi responsable de la conception, de la réalisation et de l’assemblage des deux spectrographes de basse résolution qui seront installés sur 4Most, un spectrographe très grand champ multi-objets à fibres optiques. Il sera monté sur le plus grand télescope du monde dédié à la cartographie systématique du ciel, Vista, au Chili. Enfin, c’est le projet Harmoni qui mobilise actuellement le centre de recherche lyonnais. Il a pour objectif d’explorer la formation des galaxies et de caractériser les exoplanètes, ces planètes situées hors de notre système solaire, dont celles qui pourraient héberger la vie. Ce spectrographe à très haute résolution devrait être installé sur l’ELT (extremely large telescop) : doté d’un miroir primaire de 39 mètres de diamètre, il sera en 2024, le plus grand télescope jamais construit par l’ESO.
Compréhension de l'Univers : Ce sera encore mieux demain !
Emmanuel Pécontal
Historien et astronome au Centre de recherche astronomique de Lyon – CRAL
En astronomie, le progrès est une réalité quantifiable. L’humanité avance dans sa quête de l’infini, au gré des avancées technologiques et des observations qu’elles permettent.
Les années 2010 sont particulièrement stimulantes. Avec l’observation des ondes gravitationnelles en 2015, la théorie d’Albert Einstein est confirmée d’une manière inédite. La déformation mesurée de l’espace-temps, née de la coalescence (réunion) de deux trous noirs donne vie à une nouvelle science : l’astronomie gravitationnelle. En avril 2019, la relativité générale est à nouveau vérifiée avec la première image jamais produite d’un trou noir, M87, baptisé désormais Powehi (création sombre insondable ornée, en hawaïen), situé à quelque 53 millions d’années-lumière de la Terre. « Le niveau de précision d’observation atteint revient à voir une pièce de 50 centimes à 5 millions de kilomètres de distance« , illustre Emmanuel Pécontal, historien et astronome au Centre de recherche astronomique de Lyon (Cral). Ces deux observations scientifiques donnent la mesure du chemin parcouru, des astronomes de l’Antiquité aux astrophysiciens du XXIe siècle.
Mesures et hypothèses
Ératosthène mesure la circonférence de la Terre, environ 40 000 km, dès le IIIe siècle avant notre ère. Il a pu la déterminer en observant l’ombre portée d’un bâton de bois au soleil ! En 1781, William Herschel découvre Uranus, première planète observée par un télescope. Bien sûr, il faut des théories. La théorie de la force universelle de Newton met tout le monde d’accord jusqu’au XVIIIe siècle avant que de nouvelles observations astronomiques en ébranlent les fondations. Comment expliquer l’orbite de Mercure, si proche du Soleil que sa course autour de l’étoile solaire en est modifiée ? Il faut attendre 1905 et la théorie de la relativité générale pour en comprendre les effets. « Les équations d’Einstein décrivent pour la première fois la gravitation comme une déformation de l’espace-temps. » Dès lors la géométrie de l’Univers en est bouleversée. Ce n’est plus une force universelle qui mène la course, mais bien les étoiles elles-mêmes qui déforment l’Univers autour d’elles. Comme une boule de billard viendrait déformer autour d’elle la surface d’un trampoline… L’Univers désormais est bien cet espace-temps relatif, et non plus un espace absolu dans un temps absolu.
Vers l’infini et au-delà
« Aujourd’hui, l’objet de la physique est de décrire le maximum de phénomènes avec le minimum d’hypothèses« , souligne Emmanuel Pécontal. En 2018, une image de l’ESO (Observatoire européen austral) parvient à mesurer le mouvement d’une étoile passant à proximité d’un trou noir. À nouveau, la déformation de l’espace-temps est observée. Demain, les observations astronomiques permettront des niveaux de précision jamais atteints. La formation des galaxies, la détection de vie extra-terrestre, la compréhension de la matière noire, l’accélération de l’expansion de l’Univers… Ce sont ces voies d’investigation qu’exploreront les astronomes modernes avec la même fascination que leurs illustres prédécesseurs.