Un large programme de recherche transdisciplinaire a démarré après les attentats de Paris et Saint-Denis en novembre 2015. Une équipe de recherche suit, et cela pendant plus de 10 ans, des personnes rescapées des attaques, directement exposées à l’événement, ainsi que des témoins indirects (proches, voisins…). Croisant travaux neuroscientifiques et en sciences humaines et sociales, l’objectif est de mieux comprendre la formation et l’évolution des mémoires individuelles et collectives suite à ce type d’événement.
Par Matthieu Martin
Éditions 2020 et 2022
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Des programmes similaires ont déjà émergé aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Anne-Marie Mouly, Chercheure au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, voit une opportunité de recherche dans ce programme « 13 novembre » : « C’est assez rare d’avoir un ensemble de patients ayant vécu la même expérience, qui seront suivis à la fois au niveau de leur activité cérébrale et de toutes les réponses de l’organisme, et ce, sur une longue durée. L’objectif premier reste cependant de soigner les personnes atteintes de ce syndrome, qui rend leur vie parfois insupportable ».
Soirée de deuil après les attentats du 13 novembre. Le programme de recherche « 13 novembre » tente de comprendre comment se construit la mémoire traumatique individuelle et collective suite à ce type d’événement traumatisant. memoire13novembre.fr
D’après un récent article paru dans la revue Science concernant les survivants des attentats du 13 novembre 2015, les patients qui ont développé un syndrome de stress post-traumatique présentent un déficit de régulation des mémoires intrusives. Ce résultat s’expliquerait par un dysfonctionnement du régulateur permettant de supprimer l’activité des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe. Cette étude suggère qu’une approche thérapeutique basée sur le renforcement des mécanismes de contrôle de la mémoire pourrait permettre d’améliorer la condition de ces patients.
Une autre piste sérieuse consiste à utiliser le caractère « malléable » de notre mémoire, qui repose notamment sur la capacité du cerveau à fonctionner par association. Dans le cadre du stress post-traumatique, la réaction du corps conditionne l’émotion ressentie, pouvant paralyser la personne à la simple évocation du souvenir. Certaines recherches en cours proposent la prise d’un bêta-bloquant, le propanolol, qui va inhiber le système sympathique et réduire la réponse du corps lors de l’évocation d’un souvenir traumatisant. Ainsi, au moment d’évoquer son expérience traumatisante, le patient ne se trouve plus dans un état d’excitation paralysant ; les battements du cœur et la respiration n’accélèrent plus de façon démesurée à l’évocation du souvenir. Au fil des séances, le souvenir de l’évènement traumatisant ne disparaît pas, mais devient plus facile à gérer car il s’associe à une réponse corporelle qui perd en intensité. Tout cela est rendu possible par cette propriété de notre mémoire : chaque fois qu’un souvenir est réactivé, il change un peu car il s’associe aux éléments présents du contexte, parmi lesquels figure l’état du corps perçu par le cerveau. « Cela montre que nous sommes des « machines à associer », c’est ce que l’on fait en permanence » ponctue Olivier Koenig, Professeur de neurosciences et psychologie cognitive (Université Lumière Lyon 2, Laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs).