Et si les institutions productrices de savoirs comme l’université ou les laboratoires de recherche s’inspiraient de la démarche des musées qui ont fait du visiteur un acteur à part entière de leur activité ? Directrice Culture, Sciences et Société de l’Université de Lyon, Florence Belaën encourage l’émergence d’une recherche plus participative.
Par Florence Belaën, Samuel Belaud
Photographies : Visée.A
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Même si les amateurs ont toujours participé au développement de nouvelles connaissances, la redéfinition de la frontière entre expert et non-expert est au cœur des préoccupations de nombreux organismes scientifiques. Une institution est particulièrement représentative de l’évolution de la place de l’usager dans son fonctionnement : le musée. Garants de la sauvegarde et de la préservation de la mémoire, les musées étaient par excellence les lieux où les savoirs se construisaient à travers la gestion des collections et la production de recherche scientifique à partir de celles-ci. « L’entrée massive des visiteurs dans ces lieux, qui n’était permise qu’à certains créneaux horaires au XIXe siècle, n’avait alors pour finalité que d’admirer les œuvres, rappelle Florence Belaën. Aujourd’hui, le savoir des visiteurs, leurs perceptions, émotions, représentations font partie des éléments qu’un musée se doit d’exposer. »
S’inspirer de la mutation opérée par les musées
Les possibilités offertes par le numérique ont bouleversé le rapport experts/non-experts et réaffirmé la place centrale du citoyen dans l’institution. « L’affirmation de communauté d’intérêt, le désir de transparence et d’être témoin des coulisses du musée, la personnification de la visite : tout ceci a conduit à des expériences de visite. » Les visiteurs ne sont plus de simples récepteurs car ils s’affirment comme des coproducteurs du discours et des éléments à exposer. Cette dynamique a abouti, par exemple, à l’intégration de témoignages de visiteurs dans les écrits des expositions, la réutilisation des photos personnelles prises dans le musée ou, dans un autre registre, l’animation de communautés d’amateurs d’art sur les réseaux sociaux.
A cet égard, la muséologie communautaire des écomusées des années 60 peut apparaître prémonitoire, avec l’idée que ce sont les acteurs d’un territoire qui « patrimonialisent » leur propre histoire. Où, comme le disait le muséologue français George Henri Rivière, le musée n’a pas des visiteurs, mais des habitants. Aujourd’hui, “on observe une tendance où, grâce au numérique, les musées se positionnent désormais moins comme experts descendants, que davantage comme modérateurs de la parole dans l’espace public, considérant le savoir des scientifiques autant que celui des amateurs”. Le Rize, centre d’histoire contemporaine de la ville de Villeurbanne est un exemple où l’histoire d’une ville n’est pas seulement l’affaire de spécialistes, c’est également celle de ses habitants. Leur histoire est “construite non seulement sur des faits avérés, mais également sur un imaginaire et un inconscient collectif.”
Ouvrir les portes de la recherche scientifique
Florence Belaën, Directrice Culture, Sciences et Société de l’Université de Lyon
Si l’évolution de l’université reste plus lente, des signaux de cette entrée des citoyens dans les modalités de production de la connaissance académique sont notables. Comme le synthétise le rapport de François Houllié, alors PDG de l’Inra et président de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), les sciences participatives sont des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles participent, avec des chercheurs, des acteurs de la société civile, à titre individuel ou collectif, de façon active et délibérée. Ces sciences participatives deviennent alors un nouveau champ de production des savoirs, aboutissant àdes publications. Il existe plusieurs modalités d’implications des citoyens dans ces protocoles de recherches, allant de la simple collecte de données, à la coproduction de l’ensemble du protocole de recherche.
La Myne, ici présentée est encore un autre modèle où ce sont des chercheurs sans arrimage institutionnel qui décident de faire de la recherche selon un mode collaboratif. Ils se présentent comme « un tiers-lieu open-source des transitions ou encore espace de liberté et d’expérimentation libre, en bref, un laboratoire citoyen ouvert ». Leur objectif est de combiner plusieurs approches coopératives, au service du développement d’un entrepreneuriat dit « communautaire ». Pour ce faire, les membres du hackerspace s’appuient sur un espace ouvert qui facilite la rencontre et le partage. Ils développent également une approche dite de « recherche-action » qui pousse à investiguer des questions complexes et à y répondre par l’expérimentation ou le prototypage. Enfin, la Myne croit à la vertu de l’émancipation de ses membres, par l’action et par la création d’un patrimoine commun d’informations et de savoirs.
« La MYNE est un laboratoire de recherche pour les citoyen.ne.s qui expérimentent le futur ».
Un Tier(s)-Lieu(x) par les Communs.
Développer les “Boutiques des sciences”
“Les universités anglo-saxonnes commencent à voir en ces nouvelles formes de recherche une possibilité d’obtenir de la part de la société civile une augmentation des moyens de collecter de la donnée et une capacité d’ancrer leurs objets de recherche dans des enjeux sociétaux”. L’Université de Lyon se distingue par la gestion d’une Boutique des sciences depuis 2013, dispositif de recherche participative inspiré du modèle science shop issu des universités néerlandaises (Wageningen et Gröningen). “L’idée est de répondre à une demande exprimée par un collectif de citoyens au moyen de travaux d’étudiants, soit en stage, soit en projet de classe ou soit en séance d’idéation”. Ce genre de dispositif (voir le photoreportage ci-après) où les citoyens sont non seulement à l’origine de la question, mais également parties prenantes dans le processus de recherche en participant de la collecte de données à l’interprétation des résultats, offrent plusieurs intérêts à l’institution : “Déjà les demandes sociales révèlent une société qui bouge, qui se cherche dans ces nouveaux lieux ou engagements citoyens. Et bien plus encore, les questions émanant de la société se révèlent complexes et appellent des réponses pluridisciplinaires, ce qui peut bousculer les silos de l’organisation de la recherche”. Ce type de projet permet également de redonner la place aux universitaires dans des débats publics engagés comme la gestion des déchets, la désertification médicale ou l’abandon de ligne ferroviaire.
Le positionnement du chercheur s’en trouve bousculé, étant pressé par le monde associatif d’apporter des réponses concrètes et parfois tranchées. Les sujets de recherche impulsés, par exemple dans la Boutique des sciences, montrent “tout le bénéfice d’une société civile active, qui perturbe parfois et rappelle également qu’une recherche n’a pas seulement pour objectif de répondre à des critères normatifs académiques. Elle doit aussi rester socialement construite.”
L’université a tout intérêt à se positionner, à l’instar des musées, comme un espace forum où les savoirs d’usage, d’expériences, les émotions et les représentations ont leur place aux côtés de savoirs académiques. Au dire même de Florence Belaën, “l’heure est venue d’une université 2.0 !”
Recherche scientifique participative. Quelle place aux citoyens ?
Quels sont les enjeux que la participation des citoyens à la production de connaissances pose aux universités ? Nous avons interrogé Olivier Leclerc, chercheur en droit au Centre de Recherche Critique sur le Droit et membre du comité scientifique de la Boutique des sciences de l’Université de Lyon, pour nous éclairer sur les opportunités qu’ont les laboratoires à davantage ouvrir leurs portes.