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Planète, Villes

Vers une « démotorisation » en douceur

La façon de se déplacer au sein des grandes agglomérations a beaucoup évolué en quelques années. Bien que la voiture individuelle y occupe toujours une place de choix, celle-ci ne cesse de perdre du terrain au profit d’alternatives en tout genre.

Par Grégory Fléchet
Photographies : Visée.A

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Transports collectifs, autopartage, vélos en libre-service, covoiturage, scooters et autres trottinettes électriques en « free-floating »*… Nous avons désormais l’embarras du choix pour cheminer à travers la ville autrement qu’avec notre voiture. Néanmoins, chacune de ces solutions étant souvent adaptée à un environnement donné, le citadin a de plus en plus tendance à jouer la carte de la complémentarité pour organiser ses déplacements. Avec la diversification des offres de mobilité émergent ainsi les concepts de multimodalité et d’intermodalité consistant à combiner différents moyens de transport pour se déplacer. « Le citoyen joue un rôle crucial dans l’émergence de ces nouvelles manières d’être mobile, car c’est lui qui décide ou non de s’approprier une innovation », souligne Olivier Klein, directeur-adjoint du Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET, Unité CNRS/Université Lumière Lyon 2/ENTPE), où il étudie les déterminants des comportements de mobilité. Visant à cerner le rapport que les jeunes urbains entretiennent de nos jours avec l’automobile, l’enquête Evolmob a été menée auprès d’un panel de citadins des agglomérations de Lyon et de Grenoble âgés de 18 à 35 ans. Publiés en 2016 dans le cadre du Forum Vie Mobiles, ces travaux montrent que l’acquisition d’une voiture et son utilisation par les jeunes urbains diminue pour la première fois depuis plusieurs décennies au profit d’autres formes de mobilité : « Perçue avant tout comme un objet fonctionnel par les jeunes interrogés, la voiture ne reflète plus chez eux une forme de réussite sociale, mais est au contraire de plus en plus perçue comme une contrainte », analyse Pascal Pochet, économiste au LAET ayant contribué à cette étude.

L’aire de pertinence d’utilisation de la bicyclette est passée de 5 à 10 km

Tandis que la voiture individuelle perd progressivement du terrain en milieu urbain en faveur d’une mobilité douce et active comme le vélo et la marche à pied, la situation reste plus nuancée à l’échelle de l’agglomération. Ainsi, si la part modale** de l’automobile a diminué de 6% dans le Grand Lyon entre 2006 et 2015, sur la même période, elle a augmenté de 4% dans l’Est de la métropole. « Bien que cette tendance à la “démotorisation” se généralise dans les centres-villes, on observe en parallèle une poursuite de la croissance de l’utilisation de l’automobile dans les secteurs où l’étalement urbain est le plus marqué, ces derniers étant de fait moins bien desservis par les transports en commun », détaille Olivier Klein. Si pour des raisons d’ordre économique, les acteurs publics de la mobilité ne peuvent se permettre de développer davantage le transport collectif dans ces quartiers à faible densité de population, d’autres solutions à la fois peu coûteuses et faciles à mettre en place existent. Alors que l’utilisation du vélo à assistance électrique s’est aujourd’hui largement démocratisée, il n’est, par exemple, plus du tout utopique de le considérer comme une alternative sérieuse à la voiture individuelle, y compris dans le périurbain. « Grâce au vélo à assistance électrique, l’aire de pertinence d’utilisation de la bicyclette est passée de 5 à 10 km autour de notre domicile, ce qui demeure en dessous de la distance moyenne parcourue chaque jour par un habitant de l’agglomération lyonnaise », précise Pascal Pochet. Pour peu que les collectivités locales incitent à son utilisation en subventionnant ou en développant les pistes cyclables vers la banlieue, le vélo à assistance électrique a sans doute une belle carte à jouer dans le paysage urbain actuel.

* Ce système de location en libre-service sans station permet de louer un vélo, une trottinette ou un scooter électrique via une simple application pour smartphone, sans la contrainte de devoir restituer le véhicule en un endroit précis.

** Proportion de trajets quotidiens effectués à l’aide d’un même mode de transport à l’échelle d’un territoire donné.

"Parler de mobilité, c'est prendre en compte les conditions préalables au mouvement des habitants"

Pop'Sciences_Mag-Hacker-la-ville_PAULHIAC-FlorenceFlorence Paulhiac Scherrer | Professeure à l’Université du Québec à Montréal et accueillie par le Collegium de Lyon, pour mener son projet de recherche au LAET (Laboratoire Aménagement, Économie, Transports).

Les grandes métropoles ne parlent plus des transports, mais de la mobilité. Que traduit ce changement sémantique ?
Alors que les politiques publiques centrées sur le transport se réfèrent uniquement aux réseaux de transport collectif, la notion de mobilité tient également compte des modes de déplacement privilégiés par les usagers, des raisons de leurs déplacements, ainsi que des ressources financières et cognitives qu’ils sont capables de mobiliser pour effectuer ces trajets. En substituant la politique de mobilité à celle des transports, les collectivités choisissent donc de complexifier l’éventail des enjeux auxquels elles doivent faire face. Une telle décision incite notamment à mieux prendre en compte les conditions préalables au mouvement de l’ensemble des habitants d’un même territoire urbain.

Comment ces enjeux d’égalité d’accès à la mobilité sont-ils assurés par les pouvoirs publics ?
Ces derniers mettent le plus souvent en place une politique tarifaire visant à rendre les transports collectifs socialement plus justes pour les chômeurs, les étudiants, les retraités ou les personnes en situation de handicap. La France est très en avance sur ces questions, certaines villes allant même jusqu’à instaurer une forme de tarification solidaire selon le niveau de revenu de chaque ménage. La réflexion des agglomérations en matière de mobilité s’oriente par ailleurs de plus en plus vers la notion d’accessibilité spatiale. En tenant compte de critères comme la pénibilité, le confort ou l’efficacité des divers modes de déplacement dont dispose une personne au voisinage de son domicile, on peut alors lui proposer la solution modale la moins contraignante pour rejoindre son lieu de travail.

Pourquoi la voiture individuelle reste-t-elle le premier moyen de locomotion du citadin malgré les efforts déployés par de nombreuses agglomérations pour favoriser des alternatives ?

Bien que l’on n’ait jamais autant investi dans le développement des transports collectifs et des modes de transport alternatifs, la dépendance à l’automobile reste en effet très présente dans les grandes villes. Cette situation qui peut sembler paradoxale est en grande partie liée à la physionomie de nos métropoles, à savoir un territoire très étendu où la périphérie reste peu propice au développement du transport collectif du fait de sa trop faible densité de population.

Le covoiturage et l’autopartage peuvent-ils permettre de réduire l’utilisation de la voiture individuelle dans ces quartiers périphériques ?

Dans ces lieux, l’objectif n’est pas de faire disparaître l’automobile, mais plutôt de diminuer ses effets négatifs, comme la congestion du trafic routier. En ce sens, la voiture partagée et le covoiturage peuvent constituer des alternatives intéressantes. Toutefois, pour que ces nouvelles formes de mobilité parviennent à s’imposer dans le paysage urbain, elles devront d’abord faire la démonstration d’une efficacité similaire à la voiture individuelle et ce en dehors de tout avantage écologique ou économique. Car les gens se sont pas tant attachés à leur voiture qu’à la très grande efficacité qu’offre ce mode de déplacement dans n’importe quelle circonstance.


LA MÉTROPOLE LYONNAISE RÉINVENTE SA MOBILITÉ

La mobilité constitue l’un des quatre piliers de la stratégie « Métropole intelligente » du Grand Lyon. Dans ce domaine, l’agglomération a notamment conçu, en 2015, l’application mobile Optimod’Lyon et le site OnlyMoov. Nourris en permanence par les données des usagers, ces deux outils numériques permettent de calculer la durée de ses déplacements en temps réel selon le ou les moyens de transport utilisés. L’innovation en matière de mobilité passe aussi par la poursuite des investissements dans les transports en commun, l’extension régulière du réseau de pistes cyclables, qui devrait atteindre les 1000 km à l’horizon 2020, et l’incitation active au covoiturage et à l’autopartage. Au sud de la ville, la transformation annoncée de l’autoroute A7 en boulevard urbain participe de cette même volonté de repenser la mobilité à l’échelle de la métropole. Tout en réduisant le trafic automobile de moitié, le projet a été pensé pour inciter les automobilistes à privilégier le covoiturage, une voie de circulation devant leur être exclusivement dédiée. Et pour convaincre toujours plus de citadins de se tourner vers cette forme de mobilité partagée, la métropole songe à mettre en place un système de régulation dynamique de l’infrastructure routière. L’objectif de la mesure : permettre aux covoitureurs d’emprunter les couloirs de bus dès lors qu’ils ne sont pas utilisés par les véhicules du Sytral.

 

Immersion dans le tunnel « mode doux » de la Croix-Rousse à Lyon.

Partagée et moins subie. Quelle mobilité demain ?

Face à la croissance des agglomérations et leurs cortèges d’embouteillages, de nouvelles manières de se déplacer en milieu urbain émergent peu à peu. Éclairages avec Emmanuel Ravalet, chercheur en économie des transports à l’Université de Lausanne en Suisse et chef de projet au bureau d’étude Mobil’Home.

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