Quoique techniquement possible, la réutilisation de eaux usées urbaines est en réalité très peu pratiquée en Europe. TreeWater, une start-up lyonnaise, a lancé un projet montrant comment il est possible de réutiliser les eaux de lavage issues de blanchisseries pour les recycler en interne. Baptisé RECYCLO, le procédé est en cours de démonstration sur trois sites européens.
Par Caroline Depecker
>>> Version à feuilleter en ligne : cliquez ici
>>> Ou téléchargez le pdf du Pop’Sciences Mag #12 :
Les sécheresses répétitives l’attestent : l’eau est une ressource précieuse à économiser. En août 2022, la Commission européenne prévoyait une augmentation des pénuries d’eau de 50 % d’ici 2030 en Europe[1] et encourageait la Réutilisation des eaux usées traitées (Reut) à travers une série de recommandations. Cette pratique existe déjà, mais de façon anecdotique. Créée en 2017 et issue du laboratoire Déchets Eaux Environnement Pollutions (DEEP – INSA Lyon), la start-up lyonnaise TreeWater s’intéresse au potentiel de la Reut dans l’industrie et plus particulièrement au marché de la blanchisserie. Ce secteur consomme 42 millions de m3 d’eau par an à l’échelle européenne.
Des pilotes de démonstration dans trois pays d’Europe
À travers le projet Life RECYCLO, l’objectif de TreeWater est d’installer, sur trois sites différents, des pilotes industriels visant à démontrer qu’il est possible de recycler jusqu’à 80 % des eaux de lavage et, grâce à une méthode d’oxydation développée au laboratoire, d’éliminer près de 90 % des polluants nocifs qu’elles contiennent. Débuté en 2021, le projet est financé par l’Europe jusqu’en 2024. « En 2016, lors de ma thèse, j’avais identifié le potentiel important de cette technique associant les ultraviolets (UV) et le peroxyde d’hydrogène (H2O2) pour dégrader tout type de molécules présentes dans des effluents[2] industriels, jusqu’à les minéraliser (ie transformer les substances en dioxyde de carbone CO2 et dioxygène O2, NDLR) », explique Bruno Cédat,fondateur de la jeune pousse. Un concours de circonstance a fait le reste. Une blanchisserie du Gard, cumulant les problèmes, l’approche : une région en stress hydrique, des rejets dans une station d’épuration quasi saturée et donc une dissémination des polluants dans les cours d’eau par manque de traitement. Un cas pratique idéal. L’idée de recycler les eaux de blanchisserie est lancée !
Life RECYCLO s’illustre dans trois pays dont le rapport aux pénuries d’eau est différent ainsi, que le prix de l’eau potable. Au sud, l’Espagne connaît déjà des pénuries d’eau, la France commence à en souffrir, tandis que plus au nord, le Luxembourg est pour l’instant épargné. Un mètre cube d’eau potable coûte, respectivement dans chaque pays : 2 à 3 euros, 4 euros environ et 6 à 7 euros. « La dispersion géographique de ces blanchisseries nous permet d’avoir une vision globale des problématiques à traiter, aussi bien techniques, qu’économiques – le procédé doit être reproductible et rentable –, mais aussi législatives. Nous saurons alors où concentrer nos efforts de développement », commente Bruno Cédat.
Transformer les micropolluants en dioxyde de carbone et dioxygène
Breveté, le procédé RECYCLO a été mis au point en collaboration avec la blanchisserie gardoise Saint Jean. Celui-ci se décompose en trois étapes : une coagulation-floculation, puis l’oxydation avancée et enfin l’adsorption sur du charbon actif. L’objectif de la coagulation-floculation est d’éliminer les particules en suspension : on clarifie l’effluent de sorte à le rendre perméable aux UV. Le contenu des effluents étant spécifique à chaque blanchisserie, les doses de réactifs doivent être adaptées après analyse d’échantillons au laboratoire DEEP. De ces doses dépend, en effet, la création d’amas de particules en suspension, qu’il ne reste plus qu’à filtrer pour obtenir, d’un côté des boues, et de l’autre, de l’eau limpide. Vient, ensuite, l’étape d’oxydation avancée. L’eau passe alors à travers un grand cylindre métallique contenant des lampes UV et du peroxyde d’hydrogène dilué. Le dispositif une fois sous tension, le rayonnement UV coupe la molécule H2O2 en deux : des radicaux hydroxyle sont libérés qui, en tant que puissants oxydants[3], s’attaquent aux molécules dissoutes de l’effluent. L’attaque oxydative mène finalement à la libération d’O2 et de CO2. Enfin, les impuretés ayant réussi à passer à travers les mailles du filet précédent, s’adsorbent – se fixent – sur le charbon actif.
Sur les 11 000 blanchisseries européennes, peu bénéficient d’un traitement in situ de leurs eaux qui, chargées en micropolluants finissent pour la plupart dans la nature. Phtalates, phénols, tensioactifs, solvants… « À côté des analyses de routine classiques qui ne présentent aucun souci, nous traçons une trentaine de micropolluants couramment utilisés pour le lavage du linge et dont l’écotoxicité est avérée. La performance du procédé est bonne ! Puisque seuls 10 % d’entre eux résistent au traitement », note Bruno Cédat.
Recycler jusqu’à 80 % des effluents et valoriser des boues localement
Quels autres avantages au procédé TreeWater ? Tout d’abord, parce que l’installation est simple et peu encombrante, elle nécessite peu de ressources humaines : un technicien peut à lui seul surveiller son bon fonctionnement. Cela permet à la société de viser les petites et moyennes blanchisseries. Entre 50 % à 80 % d’eaux usées peuvent être réinjectées dans le lavage. Enfin, selon leur nature, les boues issues de la clarification sont aisément valorisables : en compostage, en épandage agricole ou encore en méthanisation. Le choix se porte sur la filière locale la plus propice. In fine, la faible quantité de charbon actif restera le seul résidu polluant.
Finalisé dans les ateliers lyonnais, le prototype espagnol est installé sur site, près de Gérone (Espagne), depuis octobre 2023. C’est le seul pour l’instant. Il devrait permettre d’avoir une première idée du retour sur investissement de l’installation pour l’industriel. Et donc du déploiement possible de RECYCLO. La construction du pilote français est à l’arrêt, depuis qu’un décret français de mars 2022[4], bien plus restrictif que celui de l’Espagne, exclut la Reut pour l’hygiène corporelle et le linge. Un point de blocage réglementaire qui pourra évoluer dans l’avenir. Mais l’équipe de TreeWater est plus que jamais confiante et les idées fourmillent. Une installation mobile a été construite afin de promouvoir RECYCLO et de montrer son efficacité auprès de potentiels clients : blanchisseries et autres industriels. « Nous travaillons sur des effluents de papeterie pour lesquels nous pourrions aisément dupliquer le système. Et nous cherchons à l’améliorer afin qu’il détruise les microfibres de plastique, c’est théoriquement possible », conclut en souriant Bruno Cédat.
Cet exemple montre bien le potentiel de la Reut dans un contexte industriel, où ces eaux ne sont pas toujours bien traitées. Mais cela, à condition d’être mise en place dans les conditions adéquates, en prenant en compte le contexte local, pour ne pas impacter de manière négative l’environnement, en diminuant, par exemple, le retour de la ressource aux milieux via le rejet de nos eaux usées traitées.
NOTES
[1] Hullin, V., Pénurie d’eau et recyclage des eaux usées : la Commission européenne s’en mêle, Euronews (2022).
[2] Ensemble des rejets d’eaux usées.
[3] Les oxydants appartiennent à une catégorie de substances capables de modifier profondément la structure des molécule organiques ou inorganiques en réalisant avec celle-ci une réaction chimique, dite « d’oxydation ».
[4] Mendret, J., Sécheresse : comment fonctionne la réutilisation des eaux usées, Le Point (2023).
Pour aller plus loin
« La sobriété passera-t-elle par la réutilisation de nos eaux usées ? » par Grégory Fléchet, Pop’Sciences Mag #12, novembre 2023.