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L’Olympisme, une religion laïque ?

Rituels, célébrations, symbolique, message : l’olympisme partage de nombreux traits avec la religion. Universel, il promeut un « développement harmonieux de l’humanité » et « une société pacifique », comme le proclame sa Charte. Conservateur, il veille jalousement au respect de ses valeurs et de son protocole. Puissant, il s’appuie sur une organisation mondiale pour transmettre son idéal aux générations futures.

Par Fabien Franco
Images : © Visée.A (sauf mention contraire)

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Depuis plus de cent ans, l’olympisme promeut les valeurs du sport et du pacifisme. Constitué du Comité international olympique (CIO), des fédérations internationales (FI) et des comités nationaux olympiques (CNO), l’olympisme est l’organisation qui rassemble aujourd’hui le plus de pays au monde, avec pas moins de 206 CNO habilités à sélectionner un athlète pour participer aux Jeux olympiques1. Réunis par les principes de la charte olympique, tous se retrouveront lors des prochains Jeux olympiques d’été de Tokyo en 2020. Cet universalisme olympique, qui prime dès la création des Jeux olympiques modernes en 1894 par Pierre de Coubertin, n’impliquait pourtant pas, au départ, l’égalité entre tous les citoyens. Le baron refusait, par exemple, que les femmes participent aux premiers Jeux et excluait d’emblée les peuples colonisés. Cependant, force est de constater qu’au XXIe siècle, l’olympisme moderne a réussi son pari de mener « une action concertée, organisée, universelle et permanente, […] de tous les individus et entités inspirés par les valeurs de l’olympisme. »2 Pour y parvenir, le mouvement olympique a compté sur les valeurs qui ont présidé à sa fondation. L’universalisme donc, et le pacifisme. En outre, l’olympisme moderne se définit comme étant une « philosophie de vie », alliant le sport à la culture et à l’éducation.

Pour beaucoup, ces valeurs sont prises très au sérieux et l’idéal olympique tient de l’évidence. « Les étudiants de certains pays asiatiques par exemple ont cette croyance des valeurs originelles de l’olympisme. Ils croient en l’éducation par l’olympisme et certains sont impliqués dans des programmes éducatifs où ils véhiculent ces valeurs« , informe Guillaume Bodet, professeur spécialisé en marketing et management, chercheur au L-Vis (laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport, Université Claude Bernard Lyon 1) et intervenant à l’Académie internationale olympique (AIO). « Plus sceptiques, les étudiants français mentionnent la commercialisation des Jeux, leur instrumentalisation par les pouvoirs politiques et économiques« . Pour autant, que l’on soit « croyant », « pratiquant » ou non, l’olympisme continue à rassembler, tous les quatre ans à l’occasion des JO, le plus grand nombre de spectateurs. Seul le sport parvient à accomplir le formidable exploit de réunir autant de nations et de populations autour d’un même dessein. De cette faculté à rassembler, l’olympisme telle une « religion laïque » a su tirer sa puissance et sa pérennité.

 

Au nom du père : la figure du baron de Coubertin

Le sport moderne est né au XIXe siècle, de concert avec l’industrialisation et le libéralisme économique. À cette époque, Pierre de Coubertin, après sa découverte en Angleterre de l’éducation sportive des élites dans les écoles privées, se donne pour mission de convertir la société française à ces vertus. « Pour imposer le sport à la société, Courbertin crée un cheval de Troie : l’olympisme » analyse Raphaël Verchère, chercheur associé au L-Vis (Université Claude Bernard Lyon 1) et professeur de philosophie au Lycée Charlie Chaplin (Décines). Le baron français, qui a reçu une éducation catholique chez les Jésuites, imagine une morale (l’olympisme), une organisation (le Comité international olympique), un culte (les Jeux).

Les Jeux olympiques sont avant tout un rituel et une célébration.

Des symboles seront créés : le drapeau à cinq anneaux à Paris en 1914, le serment qui engage les concurrents en 1920 à Anvers, la flamme aux Jeux de Berlin en 1936, etc. « Les Jeux olympiques sont avant tout un rituel et une célébration » commente Guillaume Bodet. Cette théâtralisation du sport par l’olympisme vise, comme l’indique la charte en 2019, à « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » Des valeurs donc, et une morale réaffirmée dans les années 20 par le fondateur de l’olympisme. Pierre de Coubertin parle alors de religio athletae : une religion laïque dans laquelle le divin est incarné par les athlètes, ces dieux du stade, éduqués spirituellement par le sport pour forger leur corps et leur esprit. Conçu pour emporter l’adhésion du plus grand nombre, l’olympisme a donc été rapidement contraint à se mobiliser pour organiser sa viabilité. « Dès le départ, la question économique s’est posée« , informe Guillaume Bodet. « En 1896, lors des premiers Jeux, des timbres sont édités, des médailles commémoratives sont frappées. Et cette marchandisation n’a fait que se développer depuis. »

 

Un clergé « olympique » et un Vatican Suisse

Afin de contrôler son image, son discours et l’organisation des Jeux, l’olympisme peut compter sur ses « apôtres disciples« , les membres du CIO tels que nommés par Avery Brundage lui-même, leur président de 1952 à 1972 (Augustin, Gillon, 2004). C’est le CIO qui capte les retombées financières des Jeux. C’est lui qui désigne les pays membres, les villes candidates, choisit d’intégrer ou de supprimer telle épreuve aux Jeux olympiques. Si la ville d’Olympie fait figure de terre sainte, ancrage historique de l’olympisme moderne, Lausanne, terre neutre si ce n’est fiscalement au moins politiquement, est en quelque sorte son « Vatican ».

Le CIO est alors le dépositaire de la parole olympique, puisque c’est lui qui rédige la charte, texte fondamental définissant l’olympisme et contenant les règles qui définissent le fonctionnement du mouvement olympique. Cette « bible » de l’olympisme a connu des refontes en fonction des époques, mais 111 ans après sa première mouture, elle continue à faire fonction de « tables de la loi ». La dernière version, celle en vigueur au 26 juin 2019, contient 61 règles réparties dans 6 chapitres. Sa lecture renseigne aussi bien sur le niveau de contrôle et le mode de fonctionnement de l’olympisme, que sur l’esprit qui le fonde. L’esprit universaliste, par exemple, se doit de perdurer à tout prix, malgré « l’organisation des Jeux qui reste le reflet des forces économiques et politiques dominantes du monde » souligne Pascal Gillon, maître de conférences à l’Université de Franche-Comté et co-auteur de L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques. Et d’indiquer : « En invitant des athlètes de petits pays qui n’ont pourtant pas le niveau olympique requis, le CIO met en pratique sa politique universaliste. » Mû par ses valeurs, l’olympisme s’est constamment appliqué à réunir de plus en plus d’adeptes. Et quoi de plus efficace que de faire appel à un imaginaire multiculturel, à un système très organisé et à une mythologie qui nourrit notre besoin de sacré ?

 

Un CIO conscient du pouvoir des images et des symboles

Pour diffuser son message, le CIO s’appuie sur un maillage d’acteurs très dense, avec les fédérations internationales, les CNO, les fédérations nationales, le Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) et même des comités olympiques régionaux. Comme le stipule la charte, il faut « promouvoir les principes fondamentaux et les valeurs de l’olympisme et protéger le mouvement olympique« . Cette protection se décline dans plusieurs domaines, que ce soit dans la propriété intellectuelle, le sponsoring exclusif ou la visibilité des emblèmes3. « L’arsenal de protection est très important. Cela va jusqu’à changer le droit national des pays hôtes des JO, avant, pendant et après la durée des JO« , indique Guillaume Bodet.

Le contrôle des symboles est détaillé. Ainsi, « Un drapeau olympique de plus grande dimension que tout autre drapeau doit flotter, pendant toute la durée des Jeux olympiques, à un mât dressé à un emplacement bien en vue du stade principal […]. » Concernant la flamme et son utilisation, « Toutes les dispositions relatives à un quelconque relais de la flamme olympique et à toute utilisation de celle-ci doivent être prises dans le respect du Guide du protocole du CIO et des autres conditions en matière de protocole figurant dans le Contrat hôte olympique. » Les cérémonies d’ouverture et de clôture sont également symboliquement très cadrées : « Le contenu et les détails de tous les scénarios, horaires et programmes de toutes les cérémonies doivent être soumis au CIO pour son approbation préalable. »

Dans les stades, là où se jouent les records, où les athlètes dépassent leurs propres limites, où les miracles sportifs adviennent et où la ferveur s’exprime avec le plus d’exaltation, aucune annonce commerciale n’est autorisée. L’image olympique est ainsi préservée. Ce sont les droits de diffusion et le sponsoring qui, par ailleurs, permettent au CIO d’engranger des bénéfices. Cette communication visuelle fait vivre une mythologie olympique, pour un CIO conscient du pouvoir des images, des symboles et de leur utilisation. Pour les Jeux de Londres, les droits de retransmission ont atteint plus de 2,34 milliards d’euros, soit plus de 70 % des ressources du CIO. L’essentiel de ces revenus est ensuite reversé aux comités nationaux, aux fédérations internationales et au COJO.

"Pour l’olympisme, la géopolitique demeure anecdotique. Ce qui fonde l’olympisme et lui permet de durer, c’est la promotion même de l’olympisme."
Raphaël Verchère. Philosophe, chercheur associé au laboratoire L-Vis (Université Claude Bernard Lyon 1) et professeur de philosophie.

Moderniser les Jeux tout en préservant le mythe

L’olympisme est puissant, organisé, tout droit tendu vers son objectif : pérenniser l’olympisme pour les générations futures. Raphaël Verchère commente : « Pour l’olympisme, la géopolitique demeure anecdotique. Ce qui fonde l’olympisme et lui permet de durer, c’est la promotion même de l’olympisme. » C’est pourquoi, le CIO s’attèle à intégrer de nouveaux sports dans les JO, « plus sexy pour les jeunes » relève Guillaume Bodet, et à investir les nouveaux canaux de communication (Internet et réseaux sociaux). Demain, le skateboard, les épreuves d’escalade de vingt secondes et pourquoi pas l’E-sport ; hier déjà : le half-pipe, le snowboard, etc.

Cependant, une menace inédite tendrait à remettre en cause sa pérennité au sein même des pays historiques qui ont fondé le mouvement. Ce sont les démarches citoyennes dénonçant l’impact environnemental des Jeux olympiques et les coûts engagés au détriment de la réduction des inégalités. L’olympisme doit-il s’en alarmer ? Nul doute qu’il prépare déjà une riposte sur le terrain de la communication. « D’ailleurs, pourquoi demander au sport d’être meilleur que le temps et l’époque dans lesquel on le pratique ?« , interpelle Pascal Gillon. De la course aux médailles que se sont livrés les États-Unis et l’URSS, jusqu’à la cérémonie d’ouverture des Jeux d’été à Pékin en 2008, la lecture géopolitique des Jeux représente un instantané assez fidèle des bouleversements politico-économiques qui agitent les sociétés. « À condition que le pays ait décidé d’investir dans le sport« , tempère le géographe en rappelant que l’Inde, « malgré le fait qu’elle soit deuxième démocratie et septième économie mondiale, n’a aucun poids olympique« . Les valeurs sportives demeurent pourtant très efficaces pour valoriser l’image d’un pays, démontrer sa puissance politique ou exposer son dynamisme économique. Pas de quoi cependant troubler complètement la foi des athlètes, des membres du CIO et des spectateurs, largement exaltés par la performance olympique.

À l’instar d’une grande religion qui participe à la marche du monde sans pour autant ébranler la hiérarchie des puissances et l’ordre établi, nul doute que l’olympisme continuera à promouvoir ses valeurs là où il trouvera la meilleure écoute. Après tout, son projet depuis plus d’un siècle n’est-il pas de faire du sport, en premier lieu, une destinée morale pour l’humanité ?

Figures et symboles olympiques à travers le temps

Jean-Claude Soulages est professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et chercheur au Centre Max Weber4. Il est spécialiste de la sémiologie et de l’analyse des discours médiatiques et des productions culturelles. Nous lui avons proposé d’analyser quelques images des Jeux olympiques par le prisme de la sémiologie, cette discipline qui, au dire de son initiateur Ferdinand de Saussure, est « la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ».

Au cours du XXe siècle la médiatisation et l’industrialisation du sport ont changé le statut des images sportives. Elles deviennent dès lors des images médiatiques de promotion de l’événement et se différencient des images de rencontres sportives pures, qui sont avant tout événementielles ou documentaires. Les photographies et illustrations étudiées ci-après sont soit promotionnelles, soit des témoignages. Au-delà de l’extension sans précédent de l’écosystème médiatique, ce qui a changé au cours du siècle dernier c’est le fait que le sport est devenu une véritable industrie culturelle comme les autres. Les enjeux financiers, des stratégies marketing et le besoin intarissable de reconnaissance, font que le mouvement olympique s’appuie de plus en plus sur un design d’images spectaculaires.

L’enfant et le sportif

C’est une image symbolique de la transmission, le passage du relais-flambeau, qui illustre le concept utilisé par Edgar Morin dans les années 60 qualifiant les stars « d’Olympiens » en référence aux dieux de l’Olympe. S’il s’agit d’une religiosité, il s’agit d’une religiosité laïque et profane. Le cadrage de la photographie assigne au spectateur un statut de voyeur, spectateur à distance de l’événement. La blancheur des tenues ne renvoie pas seulement à une valeur de pureté mais surtout à celle d’un départ à zéro, proche d’une quasi renaissance que le feu initie. La seule relation possible entre les deux personnages est symbolisée par le bras qu’ils lèvent tous les deux, ces deux bras soudés, symbolisent le lien, la transmission, le passage d’une génération d’élus à une autre qui va le devenir. La netteté des personnages exalte la valeur de ce que peut devenir l’individu-sportif, un Olympien, en opposition avec la foule, floue en arrière-plan.

Cérémonie de clôture, JO de Moscou, 1980

C’est le spectacle qui prime et l’image ne témoigne en aucune manière du sport et de la présence des athlètes, il s’agit d’une cérémonie du politique et de la mise en visibilité de son pouvoir.

Cérémonie de clôture, JO de Moscou, 1980

C’est le spectacle qui prime et l’image ne témoigne en aucune manière du sport et de la présence des athlètes, il s’agit d’une cérémonie du politique et de la mise en visibilité de son pouvoir.

Les supporters à Londres 2012

La foule des supporters est ici l’objet de la représentation. Un public qui n’est plus une foule anonyme, mais des individus avec leurs passions et leur fougue. Le sport n’est plus l’otage du politique ou du nationalisme mais simplement du hobby, du loisir et c’est une foule pacifique et inoffensive, voire ludique qui est associée à l’événement.

Nadia Comăneci* l’enfant sportif

Cette photographie de triomphe du sportif est plutôt celle de la parade maladroite d’un enfant, d’un corps d’enfant travesti en sportif. La gestuelle, le sourire sont ceux de la naturalité de l’enfance qui n’ont pas encore l’artificialité et l’assurance de l’adulte et du professionnel. L’image témoigne d’une ambivalence, le succès pour une part, mais dans l’ombre le prix de ce succès, l’enfermement dans l’entraînement, le sacrifice de toute une enfance au service à l’époque d’un État totalitaire. L’enfance et le sport instrumentalisés par le pouvoir.

* Gymnaste roumaine ayant obtenu la note parfaite de 10 à seulement 14 ans.

Nadia Comăneci : l’excellence et l’esthétique sportive

Ici la fonction témoignage prend le dessus en isolant une séquence de l’exploit sportif. On commence à envisager l’activité sportive comme un objet culturel auquel s’appliquent des formes artistiques d’expression. Le cadre « l’instant décisif » choisi par le photographe témoigne de ce début d’esthétisation des images du sport.

Cérémonie officielle

Ici aussi, c’est l’événement médiatique qui est célébré : on a changé de registre, l’événement devient une potentialité médiatique événementielle, qui augure d’une longue séquence d’infodivertissement.

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Bibliographie

  • Augustin J ; Gillon P. (2004) L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques, Armand Colin.
  • Kenyon J. ; Manoli A. ; Bodet G. (2018) Brand consistency and coherency at the London 2012 Olympic Games, in Journal of strategic marketing.
  • Clastres P. (Interview, 2018) De l’athlète au prophète, les religions de Pierre de Coubertin, in Protestinfo (Villoz L.).
  • Charte olympique (version du 26 juin 2019).
  • Rapport annuel du CIO (2018).
  • Code du mouvement olympique sur la prévention des manipulations de compétitions (2018).
Notes
  • 1 > Auxquels la liste officielle ajoute les athlètes olympiques indépendants (IOA), les participants olympiques indépendants (IOP) et l’équipe olympique de réfugiés (EOR).
  • 2 > 3e Principe fondamental de l’olympisme, issu de la Charte olympique.
  • 3 > Voir à ce propos le programme TOP dans l’édition 2019 de l’Olympic marketing fact file.
  • 4 > CNRS, ENS de Lyon, Université Lumière Lyon 2, Université Jean Monnet Saint-Étienne.
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