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Eau

Polluants chimiques : un impact irréversible sur la ressource ?

Grâce à la généralisation des stations de traitement des eaux usées et le changement de certaines pratiques, l’eau de nos cours d’eau est en bien meilleure santé qu’il y a deux siècles. Mais la bataille de l’eau – de sa qualité – n’est pas gagnée. Les pollutions diffuses sont un souci majeur et la dissémination des micropolluants complexifie le problème. Quels moyens naturels nos bassins versants disposent-ils pour y faire face ? Comment pouvons-nous les aider ? Le point avec trois experts lyonnais.

Par Caroline Depecker

 

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Le propos aurait de quoi étonner, il est en fait nuancé. « La qualité de l’eau s’est nettement améliorée au fil du temps sur le territoire français : elle est bien meilleure aujourd’hui que ce qu’elle a pu être au 19e siècle, voire au début du 20e siècle », lance Gilles Pinay, chercheur au Laboratoire environnement – ville – société (EVS) de l’École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon). « Mais, ce constat d’amélioration est à moduler car, aujourd’hui, grâce à des moyens d’analyse plus performants, nous détectons de nouveaux polluants qui passaient inaperçus jusqu’à présent. Il s’agit de la grande quantité de molécules chimiques créées par l’industrie pour répondre à nos besoins ».

Lorsqu’on évoque la pollution chimique de l’eau, des distinctions importantes sont à connaître. Tout d’abord, différencier la pollution dite ponctuelle, provenant d’un site unique, de celle qui est diffuse, c’est-à-dire rejetée en différents points de l’espace et du temps. « Pour la première, c’est presque facile. Une fois la source polluante localisée, il s’agit de mettre en place un traitement efficace », commente le biogéochimiste et écologue. En cela, l’équipement des métropoles en stations de traitement des eaux usées (STEP) à partir des années 1970, et leur généralisation aux
plus petites communes il y a 20 ans suite
à la promulgation de la Directive-cadre européenne sur l’eau (DCE 2000,) a eu une action efficace. Ainsi, les polluants majeurs, appelés « macropolluants », soit la matière en suspension (MES), la matière organique, les éléments azotés et phosphorés qui arrivent aux stations d’épuration, sont rejetés dans les cours d’eau après un abattement – une réduction – de l’ordre de 60 % à 90 % de leurs teneurs initiales.

« Aujourd’hui, grâce à des moyens d’analyse plus performants, nous détectons de nouveaux polluants qui passaient inaperçus jusqu’à présent. »
Gilles Pinay, Chercheur au Laboratoire Environnement Ville société (EVS), École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon).

Un bon état des lieux écologique et chimique d’ici 2027 ?

En 2000, la DCE a fixé pour ambition l’atteinte du bon état de l’ensemble des masses d’eau, à l’échelle de l’Europe, au plus tard en 2027. On est encore loin du compte. Ainsi, dans un rapport du Sénat de 2022[1], on peut lire qu’en 2019, seules 43 % des eaux superficielles françaises étaient dans un bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique. Tandis que 88 % des eaux souterraines du pays présentaient un bon état quantitatif (l’eau des nappes n’est pas
surconsommée, NDLR
) et 70,7 % un bon état chimique ; les 30 % restants contenant des pesticides et des teneurs trop élevées en nitrates. Les résultats à l’échelle européenne étaient du même ordre de grandeur. Dans le document, les agences de bassin concluent que les pollutions diffuses notamment celles d’origine agricole – s’avèrent avant tout le problème le plus préoccupant.

Les produits phytosanitaires et engrais phosphorés ou azotés répandus dans les sols posent un problème identique : celui de leur stockage dans l’environnement et de leur relargage tôt ou tard dans le milieu aquatique. « Le phosphore s’associe facilement aux argiles et on le retrouve séquestré entre autres dans les sédiments des cours d’eaux. Mais sous certaines conditions physico-chimiques, il est relargué dans l’eau », explique Gilles Pinay. Sous forme de nitrates, l’azote est, quant à lui, facilement transporté par l’eau qui percole à travers les sols pour s’accumuler dans les aquifères[2]. Il peut y rester ainsi des dizaines d’années, pour en sortir progressivement. Les apports de phosphore et d’azote dans les eaux douces et côtières sont cause du développement incontrôlé d’algues vertes qui peuvent conduire au phénomène d’eutrophisation[3]. Une raison qui explique pourquoi les eaux bretonnes restent toujours tant concernées par ce polluant alors que les pratiques agricoles en ont fortement diminué l’usage.

Des bactéries dénitrifiantes dans les zones humides

Parmi les services qu’elle nous rend, la nature possède un outil de lutte contre les nitrates : les zones humides des cours d’eau, des zones de transition entre la terre et l’eau ayant la capacité à conserver l’eau dans le sol ou à la surface et accueillant des formations végétales amatrices d’eau, appelées ripisylves[4]. Lorsque le niveau d’eau sature les sols ou les sédiments, certaines bactéries des ripisylves, ne trouvant pas d’air où puiser l’oxygène pour leur respiration, s’attaquent aux nitrates pour capter ledit élément chimique et libérer du diazote gazeux inerte et inoffensif, le même que l’on retrouve dans l’air que nous respirons. « L’action biologique positive des ripisylves est visible à l’échelle d’un bassin versant, mais elle est insuffisante, tempère Gilles Pinay. Tout simplement parce que les eaux qui ruissellent sur les bassins versants ne traversent pas forcément ce type de formation végétale lors de leur trajet naturel ».

« Les macropolluants sont réglementés et bien suivis depuis longtemps, il faut dire que leurs conséquences sur la faune et la flore sont rapidement visibles, commente Cécile Miège, de l’unité de recherche RiverLy (Centre INRAE Lyon-Grenoble Auvergne-Rhône-Alpes). Leur détection peut se faire à l’aide d’images satellitaires : pensez simplement au changement de couleur de l’eau (brune ou verdâtre, ndlr) lorsqu’il y a un processus d’eutrophisation ». Le cheval de bataille de cette chercheuse en chimie environnementale est tout autre : elle s’efforce de détecter le plus efficacement possible les « micropolluants ». Médicaments, hormones, pesticides, cosmétiques, additifs alimentaires, produits d’entretien ménager ou issus de stations de lavage, métaux à l’état de traces, etc. Ces composants, organiques pour la plupart, font partie de nos produits du quotidien. Ils finissent logiquement dans les cours d’eau via les eaux usées ou pluviales, à des concentrations infimes certes (1 millionième de fois plus faibles que les macropolluants), mais détectables avec les méthodes d’analyse actuelles.

« À chaque fois, il faut une petite crise sanitaire et une inquiétude citoyenne pour débloquer les financements nécessaires à nos travaux. »
Cécile Miège, Directrice de recherche au laboratoire de chimie des milieux aquatiques, RiverLy (INRAE).

Une crise pour surveiller les micropolluants du Rhône et de ses affluents

« On a un temps de retard sur le sujet, déplore Cécile Miège. Les enjeux de recherche sont énormes pour comprendre ce qu’est et ce que devient cette contamination chimique dont on prend conscience depuis début 2000, mais dont on a encore beaucoup à découvrir. À chaque fois, il faut une petite crise sanitaire et une inquiétude citoyenne pour débloquer les financements nécessaires à nos travaux ». Si la dissémination environnementale des composés per- et polyfluoroalkylées (les PFAS) est l’actualité du moment, la question des perturbateurs endocriniens[5] comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et des polychlorobiphényles (PCB) a été celle des années 2000.

En 2005, la découverte de la présence de PCB dans les poissons du Rhône, à des niveaux les rendant inconsommables, a généré une « crise » sanitaire et environnementale qui a joué le rôle de déclencheur. À partir de 2011, l’Observatoire des sédiments du Rhône (OSR) a démarré un programme de suivi du transport des sédiments le long du fleuve avec un volet ambitieux sur la mesure des « micropolluants ». En comparant l’évolution des concentrations en polluants au fil de stations de mesure placées sur le trajet du Rhône et plusieurs de ses affluents, deux conclusions principales émergent[6]. La première : les agglomérations sont de grandes émettrices de micropolluants. « En effectuant des analyses sur des matières en suspension prélevées en amont et en aval de Lyon, on s’est aperçu qu’il y avait environ 40% de plus de HAP transportés en sortie de l’agglomération qu’en entrée ! », commente Marina Coquery, chercheuse à RiverLy et co-directrice scientifique de l’OSR.

Des analyses non ciblées pour anticiper les réglementations futures

Une seconde conclusion s’est imposée : la Saône est l’un des affluents le plus contributeur pour certains micropolluants, tout particulièrement en pesticides et en métaux. « Une dynamique nouvelle s’est mise en place depuis deux ans sur la zone atelier du bassin du Rhône : elle a donné naissance en 2021 au Plan Rhône-Saône[7] », note Marina Coquery. Dans ce cadre, un nouveau programme de recherche mené par l’OSR débutera fin 2023 pour identifier l’origine exacte des contaminants sur la Saône. Dans une note positive, soulignons que l’OSR précise, dans une étude de 2022[8], que « le bassin du Rhône est beaucoup plus propre aujourd’hui en PCB, HAP et métaux traces qu’il y a quelques décennies, probablement en raison des réglementations environnementales ».

Les molécules fabriquées par l’industrie chimique pour notre confort et qui se transforment en micropolluants une fois rejetés dans la nature se comptent par milliers. Vouloir toutes les chercher en s’appuyant sur la connaissance de leur formule chimique est illusoire, vu leur nombre et le secret industriel qui protège la composition de certaines d’entre elles. Dans une démarche différente, Cécile Miège, au sein de son laboratoire, s’intéresse à une méthode d’analyse qualitative dite « non ciblée ». En utilisant un spectromètre de masse haute performance, elle est capable de comptabiliser de façon exhaustive les différentes molécules présentes dans un échantillon d’eau. Reste, dans un deuxième temps, à identifier la nature des molécules en question. La méthode, en cours de développement, pourrait constituer une avancée majeure dans la surveillance des micropolluants. « Elle permettrait de mettre en évidence de nouvelles familles de contaminants dont on ne soupçonne pas la présence aujourd’hui et d’aider à prioriser la surveillance de celles qui semblent les plus abondantes », explique Cécile Miège. Et par cette occasion, donner des arguments pour orienter, voire anticiper les réglementations futures.

Une solution : recomplexifier les paysages des bassins versants

« Pour retrouver des cours d’eau de bonne qualité, il nous faut changer de pratiques », commente Gilles Pinay. À travers ses recherches, le biogéochimiste s’intéresse aux pollutions diffuses et au lien existant entre elles et la structure paysagère des bassins versants. Car c’est dans ces derniers que s’acquiert la qualité des cours d’eau. « Tout est question du temps de résidence[9] et de la surface de contact entre l’eau et les sols qu’elle traverse. Plus ceux-ci sont importants et plus l’épuration naturelle a lieu grâce aux interactions avec la biodiversité bactérienne, végétale et animale », complète Gilles Pinay.

Or, depuis une trentaine d’années, on a imperméabilisé les sols à l’excès dans les villes, on a pratiqué une agriculture intensive qui en a fortement appauvri la teneur en carbone, diminuant d’autant leur capacité à retenir l’eau. On a drainé les zones humides en grande partie et rectifié les cours d’eau de sorte à les linéariser et à favoriser leur écoulement rapide. Quelles solutions imaginer ? Revenir en arrière et faire un pas de côté. « Il y a eu un remembrement agricole dans les années 1970-1980, il s’agit d’opérer un remembrement écologique, poursuit le chercheur. Recomplexifier les bassins versants en remettant des haies et des arbres sur les parcelles agricoles, recréer des fossés… In fine, recréer un système permettant de retenir l’eau le plus possible, le rendant d’autant plus résilient aux contraintes climatiques ». Revenir à une polyculture-élevage, renaturer les villes en augmentant leur biodiversité participeraient au processus de la même façon. « Le système actuel n’est pas viable, conclut Gilles Pinay. Maintenant, reste la mise en musique politique et l’accompagnement aux changements de pratiques ». Et de ce côté, on sait que le temps peut s’avérer très long.

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Notes

[1] Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau, Rapport d’information n° 142, Sénat (2022).

[2] Un ensemble de roches qui peut contenir une nappe d’eau, et qui est également perméable, permettant la circulation de l’eau.

[3] Apport en excès de substances nutritives (nitrates et phosphates) dans un milieu aquatique pouvant entraîner la prolifération des végétaux aquatiques et la détérioration du milieu.

[4] Gerino, M., Laffont-Schwob, L., La remédiation naturelle et l’autoépuration des milieux aquatiques, L’eau à découvert (2015).

[5] Les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interférer avec notre système hormonal, et pouvant donc affecter différentes fonctions de l’organisme : métabolisme, fonctions reproductrices, système nerveux, etc.

[6] Piégay, H. et al., L’Observatoire des sédiments du Rhône. 12 années de recherche pour la connaissance et la gestion hydro-sédimentaire du fleuve. Bilans et perspectives scientifiques (2022).

[7] Un futur Plan Rhône-Saône 2021-2027, Plan Rhône-Saône (2020).

[8] Delile, H. et al., Legacy-micropollutant contamination levels in major river basins based on findings from the Rhône Sediment Observatory, Hydrological Processes (2022).

[9] Durée durant laquelle l’eau demeure dans une zone ou un système particulier.

 


 

Pour aller plus loin

« Micropolluants : comment mieux les traiter à la sortie des villes ? » par Caroline Depecker, Pop’Sciences Mag #12, novembre 2023.

12'
Chapitres
Eau
Les activités humaines : quelles conséquences sur les milieux aquatiques ?
NUMERO 12 | NOVEMBRE 2023
Villes
Micropolluants : comment mieux les traiter à la sortie des villes
NUMERO 12 | NOVEMBRE 2023