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Plastique

Recyclage, l’illusion d’un modèle vertueux

Chaque année, le recyclage gagne du terrain et occupe une place prépondérante dans les campagnes de lutte contre la pollution par les déchets plastiques. Présentée comme une solution idéale face à la surabondance de plastique, cette méthode n’en reste pas moins sous-développée et encore inadaptée à certains types de polymères. Le recyclage se révèle ainsi incapable d’endiguer un flux de matière en perpétuelle croissance, tandis que la promesse d’une économie circulaire qui abolirait l’idée même de déchet, piétine à l’état d’utopie.

Par Grégory Fléchet, journaliste

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Les chiffres de la production mondiale de plastiques ont de quoi donner le vertige. À l’échelle de la planète, ce sont désormais plus de 400 millions de tonnes qui inondent chaque année tous les secteurs de l’économie. Si le tiers de cette production est assuré par la Chine, l’Europe n’est pas en reste. En 2020, le vieux continent a généré à lui seul 58 millions de tonnes de matières plastiques. Pour limiter leur dispersion dans l’environnement, trois stratégies sont actuellement mises en œuvre. La plus répandue reste l’incinération. « En Europe, plus de 40 % des déchets plastiques sont utilisés comme combustibles. Ils viennent notamment alimenter les fours des cimenteries », précise Yvan Chalamet, enseignant-chercheur en science des matériaux à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne et au Laboratoire ingénierie des matériaux polymères. Alors que 25 % des plastiques usagés continuent d’être enfouis en décharge, le tiers de ces déchets est désormais recyclé. Ces vingt dernières années, le taux de recyclage dans l’Union européenne a même quadruplé : 10 millions de tonnes de déchets plastiques y sont recyclés tous les ans. Ces chiffres encourageants masquent toutefois une réalité moins reluisante.

Parmi les dizaines de composés plastiques produits à l’échelle industrielle, une petite minorité est facilement recyclable. Au sein de ce club très fermé, le polyéthylène téréphtalate (PET) tient le haut du pavé. Cette matière transparente est avant tout dédiée à la fabrication des bouteilles d’eau minérale, de jus de fruits et de sodas. « Du fait de sa structure chimique, le PET est capable de faire barrière aux molécules de grande taille auxquelles appartiennent la plupart des polluants. Ce qui facilite sa réutilisation comme contenant alimentaire », explique Yvan Chalamet. Ce polymère[1] a, en outre, la particularité de conserver des fonctions réactives à chacune de ses extrémités. Une propriété qui permet aux courtes chaînes de PET générées par son recyclage mécanique (qui consiste à broyer le matériau, puis le réduire sous forme de paillettes) de se réassembler très facilement. Les longs chapelets de molécules ainsi obtenus peuvent ensuite servir à façonner une nouvelle bouteille en plastique.

Purifier le plastique en misant sur la chimie

Pour la majorité des autres matières plastiques fabriquées à partir d’hydrocarbures, le recyclage se révèle plus complexe. C’est le cas du polyéthylène (PE) et du polypropylène (PP) qui représentent, à eux seuls, 60 % des plastiques consommés dans le monde. Comme toutes les substances de la famille des polyoléfines, le PE et le PP ont une certaine propension à retenir les substances toxiques avec lesquelles elles se retrouvent en contact. Ainsi, les bouteilles conçues à partir de PE ne peuvent être réemployées pour façonner un nouvel emballage alimentaire. Afin de répondre au besoin de purification préalable de ces polyoléfines et parvenir à les réutiliser, les industriels de la pétrochimie misent désormais sur le recyclage chimique. L’opération consiste à séparer les constituants de base d’un polymère, que sont les monomères. En Europe, plusieurs usines pilotes utilisent déjà le recyclage chimique. Les procédés qu’elles emploient reposent pour la plupart sur le traitement à haute température des déchets de plastique, par pyrolyse ou gazéification.

« Dans 95 % des cas, ces plastiques, soi-disant recyclés, ne servent pas à reconstituer le même produit mais d’autres objets. »
Nathalie Gontard, Directrice de recherche à l'Inrae, spécialiste des matières plastiques et de leur recyclage.

Toutefois, « ces formes de recyclage sont bien plus énergivores que leur pendant mécanique et nécessitent l’utilisation de différentes substances nocives pour l’environnement », prévient Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), spécialiste des matières plastiques et de leur recyclage. Avec la hausse spectaculaire des prix du gaz et de l’électricité, à laquelle la plupart des pays du globe sont désormais confrontés, la montée en puissance du recyclage chimique des plastiques pourrait bien faire long feu.

Qu’il soit dédié à la protection des aliments ou au transport de produits non périssables, l’emballage reste de loin le premier poste d’utilisation des matières plastiques. À lui seul, il accapare 40 % de la production mondiale. Or, les méthodes de recyclage actuelles ne peuvent assurer le renouvellement de la ressource à partir des seuls contenants usagés. Dans le cas des bouteilles en PET, qui reste le plastique le plus simple à recycler, deux à trois réutilisations successives peuvent être envisagées, avant que le matériau ne devienne trop fragile pour servir à fabriquer de nouvelles bouteilles.

Les dommages collatéraux du recyclage

Pour Nathalie Gontard, la notion de recyclage est d’ailleurs inappropriée lorsqu’on l’applique aux plastiques : « il s’agit avant tout de “décyclage”[2] puisque dans 95 % des cas, ces plastiques, soi-disant recyclés, ne servent pas à reconstituer le même produit, mais d’autres objets comme des vêtements, des cintres ou des panneaux d’isolation qui eux ne seront pas recyclés. » Si ce recyclage déguisé ne fait que différer dans le temps la pollution environnementale par les plastiques, il vient aussi concurrencer d’autres produits plus durables. « Les trois-quarts de nos vêtements chauds étant désormais confectionnés à partir de polyester en partie recyclé, les filières textiles reposant sur l’utilisation de fibres naturelles telles que la laine ou le coton sont aujourd’hui menacées de disparition », déplore la scientifique de l’Inrae. Le même constat peut être fait dans le secteur du BTP, où le plastique recyclé vient peu à peu se substituer à des matériaux isolants ne posant pas ou peu de problèmes environnementaux tels que le bois ou la terre cuite.

« Le commerce international des déchets plastiques peut être interprété comme une continuité dans le temps et l’histoire de l’économie coloniale. »
Mikaëla Lemeur, Anthropologue à l’Université d’Aix-Marseille.

En outre, un pays qui fait le choix de développer massivement le recyclage du plastique n’a pas pour autant l’assurance de réduire sa consommation. En Allemagne et en Autriche,
où le taux de recyclage atteint, voire dépasse, les 50 %, la consommation de plastique vierge reste stable depuis plusieurs années. Car une fois opérationnelle, toute usine de recyclage doit être alimentée en permanence par de gros volumes de matières plastiques pour que l’activité reste rentable. « Pour pouvoir fabriquer des bouteilles en PET recyclé, un ajout de plastique vierge est souvent indispensable pour que le nouveau contenant conserve des propriétés fonctionnelles satisfaisantes, ce qui a pour effet de maintenir à un niveau important la production de PET », complète Nathalie Gontard.

Quel que soit le niveau de recyclage que parviennent à atteindre les riches pays du Nord, la tentation d’expédier une partie de leurs déchets vers des états moins bien lotis économiquement reste grande. Pendant longtemps, la Chine fut la principale terre d’accueil de ce trop-plein de plastiques, celle-ci absorbant jusqu’à 80 % des exportations provenant des États-Unis, d’Europe, du Japon ou d’Australie. Depuis plusieurs années, ces déchets, constitués pour l’essentiel d’emballages usagés, inondent aussi d’autres pays d’Asie du Sud-Est au premier rang desquels figurent la Malaisie, la Thaïlande et le Viêt-Nam.

Invisibiliser les déchets via le commerce international

Apparu avec la vague de « conteneurisation »[3] qui a suivi la chute du mur de Berlin, le phénomène s’est intensifié à mesure que l’économie se mondialisait. Le mécanisme qui l’alimente est d’une redoutable simplicité : une fois les produits manufacturés des usines asiatiques arrivés à destination, les conteneurs ayant servi à les transporter repartent dans l’autre sens chargés de rebuts. Bien souvent constituée d’emballages plastiques de qualité et de nature variables, cette « matière secondaire » est devenue une marchandise comme les autres.

À gauche : Tri préalable au recyclage des matières plastiques que les pays riches envoient au Viêt-Nam. À droite : Réutilisation de cette matière pour fabriquer des sacs en plastiques recyclés. © Mikaëla Le Meur

« Le commerce international des déchets plastiques s’inscrivant dans un jeu de circulation matérielle inégalitaire, il peut être interprété comme une continuité dans le temps et l’histoire de l’économie coloniale », analyse Mikaëla Le Meur, anthropologue à l’Université d’Aix-Marseille qui a longtemps travaillé sur le recyclage des déchets plastiques au Viêt-Nam. Dans ce pays, le recyclage est en partie assuré par des entreprises familiales, chacune d’elles achetant un ou deux conteneurs de déchets débarqués dans le port de Hanoï. Les cargaisons sont ensuite acheminées par la route vers les villages de l’intérieur des terres, où sont implantées ces petites unités de recyclage. « Une fois les matières plastiques valorisables récupérées et lavées, elles servent à fabriquer des granulés de plastiques qui seront à leur tour transformés en sacs plastiques de piètre qualité ou en films destinés à l’agriculture locale », précise Mikaëla Le Meur.

Depuis le 1er janvier 2018 et la décision du gouvernement chinois d’interdire les importations de déchets plastiques sur son territoire, la géopolitique du recyclage s’est massivement déportée vers d’autres territoires du sud-est asiatique. En Thaïlande, les flux de plastiques ont, par exemple, été multipliés par 70 entre janvier et avril 2018 par rapport à la même période de l’année précédente. Confronté à un emballement similaire, le Viêt-Nam a décidé de stopper pendant plusieurs mois le débarquement des conteneurs de déchets plastiques dans le port de Hanoï. Comme d’autres États de la région, le Viêt-Nam envisage désormais d’interdire définitivement l’importation de matières plastiques usagées. Une mesure salutaire pour la santé et l’environnement de sa population, qui ne résout toutefois en rien le casse-tête du retraitement des déchets plastiques à l’échelle de la planète. « Tant que les pays riches poursuivront leurs exportations de plastique, il y aura toujours la possibilité de trouver de nouveaux exutoires dans les économies les plus paupérisées de la planète », s’insurge Mikaëla Le Meur. Si la prise en charge du recyclage des déchets plastiques par le territoire qui les produit relève du plus évident principe de justice sociale, cette approche présente une autre vertu cardinale : inciter les citoyens que nous sommes à prendre enfin conscience de notre consommation excessive de plastiques en cessant une bonne fois pour toute de l’invisibiliser.


NOTES

[1] Un polymère est une molécule constituée d’une chaîne de molécules semblables et répétitives, appelée monomères.

[2] Procédé de transformation d’un déchet en un nouveau matériau ou produit de qualité ou de valeur moindre.

[3] Développement d’un système de transport de fret intermodal, mondialisé, standardisé et utilisant des conteneurs.


BIBLIOGRAPHIE

  • Le Meur M., Le mythe du recyclage, Premier parallèle (2021).
  • Gontard, N., Seinger, H., Plastique, le grand emballement, Stock (2020)

Dépolluer les emballages pour renforcer leur recyclage

L’amélioration du recyclage passera-t-elle par le développement de nouvelles techniques d’extrusion ?* C’est en tout cas l’une des voies qu’explore depuis peu la plateforme Fluscritex installée au Centre des savoirs pour l’innovation de l’Université Jean Monnet. Cette extrudeuse de dimension semi-industrielle doit notamment servir à mettre au point de nouvelles méthodes de dépollution des granulés de plastiques fabriqués à partir de films alimentaires. « Pour relever ce défi, nous cherchons à coupler le procédé d’extrusion à l’injection de CO2 à l’état supercritique**, ce qui implique de mener l’opération à très haute pression, détaille Yvan Chalamet qui supervise cette toute nouvelle plateforme scientifique. Dans de telles conditions, le CO2 est capable de piéger les substances toxiques susceptibles d’avoir contaminé notre film plastique. » Une fois l’opération de décontamination terminée, le CO2 est extrait pour être ramené à l’état gazeux tandis que les molécules indésirables, demeurées à l’état liquide, peuvent être isolées sans difficulté. « Des collaborations initiées autour de cette technologie, avec plusieurs industriels du département de la Haute-Loire, visent à recycler des films plastiques alimentaires dans la perspective d’en faire un matériau réutilisable », illustre l’enseignant-chercheur stéphanois.

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* > Procédé de transformation en continu permettant de façonner un produit plastique profilé long ou plat à partir de granulés solides injectés dans un tube chauffé muni d’une vis sans fin.

** > État de la matière lorsque celle-ci est chauffée au-delà de sa température critique et comprimée au-delà de sa pression critique. Le CO2 atteint l’état supercritique lorsqu’il est porté à une température de 31°C et une pression de 73,8 bars.

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