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Les milieux aquatiques au bord de l’overdose

Partout autour du globe, les déchets plastiques s’amoncellent dans les eaux des mers et des océans. Tandis que les gros débris menacent de blesser les animaux de grande taille, les microplastiques présentent quant à eux un risque de toxicité à tous les niveaux du réseau trophique marin. Après s’être principalement intéressés aux impacts en mer, les chercheurs remontent aujourd’hui jusqu’à la source de cette pollution par le plastique, la terre, pour mieux comprendre ses effets sur les écosystèmes d’eau douce, comme les fleuves et les rivières.

Par Marie Privé, journaliste

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Des poissons piégés dans des sacs plastiques, des tortues avec une paille coincée dans le nez… Ces images tristement explicites, largement médiatisées, témoignent de l’ampleur d’une pollution identifiée depuis presque 50 ans[1], celle provoquée par la dissémination des déchets plastiques. De la surface jusqu’aux fonds des océans, ce matériau a progressivement colonisé l’ensemble des habitats marins. Des particules de plastique ont été retrouvées jusque dans la fosse des Mariannes, la fosse océanique la plus profonde connue à ce jour (près de 11 km de profondeur). À l’échelle mondiale, on estime qu’il y aurait environ 30 millions de tonnes de plastique dans les océans et près de 110 millions dans les cours d’eau. Au fur et à mesure de leur dérive, les débris plastiques se concentrent dans les gyres océaniques (zones de convergence de courants marins circulaires), dont le plus grand, situé dans le Pacifique Nord, est surnommé le « septième continent de plastique » … un peu à tort : il ne s’agit pas d’une étendue solide sur laquelle on peut marcher, mais plutôt d’une sorte de « smog » marin, un mélange toxique de gaz et de particules, à l‘instar de ce que l’on peut observer sous forme de brume dans l’air des grandes villes polluées. Des concentrations de débris plastiques encore plus élevées ont été observées dans certaines zones côtières, comme en Méditerranée ou dans le Golfe du Bengale, avec des densités au-dessus du million de particules plastiques par km² (contre en moyenne quelques centaines de milliers dans les gyres océaniques)[2].

Le plastique a colonisé les milieux marins

Cette soupe de plastique géante menace l’équilibre des écosystèmes marins. Les impacts qu’elle génère sur le vivant peuvent être classés en trois grandes catégories. D’abord, on observe des conséquences liées aux plus gros débris plastiques, les macro-déchets, qui affectent principalement la macro-faune avec des phénomènes d’obstruction des voies respiratoires et digestives, des emmêlements, des étranglements ou des blessures qui peuvent provoquer la mort des animaux.

Les tortues marines constituent un indicateur fiable du niveau de pollution par le plastique en mer : « Ces espèces ont une forte propension à avaler des déchets, explique Gaëlle Darmon, biologiste de l’environnement et hercheuse indépendante. De plus, on les retrouve partout dans les eaux marines du globe, ce qui permet de comparer les variations spatiales. » De 2017 à 2021, la biologiste a autopsié des tortues caouannes retrouvées mortes sur les côtes atlantiques et méditerranéennes. Elle a confronté ses résultats avec des données récoltées depuis 1988 sur 1116 spécimens. Si à peine 2 % des tortues ont directement été tuées par des déchets (obstruction, perforation du tractus digestif), 70 % d’entre elles en ont ingérés. « Un chiffre qui grimpe à 100 % dans certaines zones, comme le sud-est de la côte méditerranéenne française », précise la chercheuse. En moyenne, 38 % de la surface de leur tube digestif est occupée par du plastique. Et les conséquences sont graves, comme le rapporte la biologiste : « Une partie de la place habituellement occupée par la nourriture est remplacée par du plastique. Les tortues grossissent moins, elles ont des difficultés à plonger pour trouver à manger, à se déplacer vers les zones de reproduction et à échapper aux prédateurs, ce qui entrave la capacité de survie de ces espèces ».

La menace des microplastiques se précise

La pollution aux macro-plastiques constitue la face émergée de l’iceberg : ce sont les effets qui se voient, qui choquent, et qui ont donc été les plus étudiés. Récemment, une autre catégorie de pollution plastique, plus insidieuse, a été mise au jour. Dissipés dans l’environnement, les plastiques se dégradent et se fragmentent en micro et nano-plastiques. Du fait de leur petite taille, ils peuvent être ingérés par l’ensemble des maillons de la chaîne alimentaire, du plus petit zooplancton au plus grand mammifère marin. Si la recherche fait encore face à des difficultés de méthode pour évaluer l’impact réel des microplastiques en milieu naturel, les études en laboratoire[3] ont permis d’observer deux types d’impacts. Les premiers sont des impacts directs liés à la présence de microplastiques dans le tractus digestif de l’animal (comme pour les tortues avec les macro-déchets) ; et les seconds, des impacts indirects de toxicité chimique due au relargage de molécules toxiques depuis les plastiques vers les animaux. Il s’agit soit d’additifs ajoutés au plastique lors de sa production (colorants, plastifiants…), soit de contaminants déjà présents dans l’environnement et qui vont se fixer sur les plastiques (hydrocarbures, pesticides, PCP…)[4]. Dans les deux cas, les microplastiques peuvent perturber le métabolisme énergétique (les réactions chimiques internes qui produisent de l’énergie) et les grandes fonctions physiologiques (croissance, reproduction, survie, système immunitaire) de la biodiversité marine. Chez l’huître, par exemple, une étude a montré qu’une exposition aux microplastiques pendant la période de reproduction augmentait significativement sa prise alimentaire, pour compenser la perte énergétique liée à l’ingestion de plastique. « Cela provoque des effets néfastes sur le système reproducteur du mollusque, commente Kevin Tallec, écotoxicologue au Cedre[5]. Les huîtres exposées au plastique ont produit moins de cellules reproductrices (spermatozoïdes et ovocytes), et celles qu’elles ont produites étaient de moins bonne qualité, avec des larves plus faibles (retard de croissance). »

« La plupart de ces déchets restent bloqués sur terre. »
Gaëlle Darmon, Biologiste de l’environnement.

Le plastique convoyeur de parasites

Enfin, la présence de déchets plastiques en mer induit des risques liés au transport d’espèces. Une fois dans l’eau, le plastique est colonisé par un grand nombre d’organismes marins : des invertébrés (mollusques, crustacés), mais aussi d’autres microorganismes invisibles à l’œil nu comme des bactéries, des virus, des champignons… Les déchets plastiques étant très mobiles, ces parasites peuvent facilement être transportés d’un point A à un point B de la planète. À la suite du tsunami qui toucha le Japon en 2011, une étude a, par exemple, montré que près de 300 espèces marines japonaises s’étaient déplacées jusqu’aux côtes ouest nord-américaines et hawaïennes, en s’accrochant aux débris plastiques brassés par le tsunami. « Ces nouvelles espèces peuvent s’avérer très nocives, note Kevin Tallec. Potentiellement invasives, elles peuvent prendre la place d’une autre espèce native et détruire l’écosystème présent à la base. » À cela s’ajoute le risque de transport de maladies ou de pathogènes dont les plastiques sont vecteurs et qui peuvent nuire à l’équilibre du milieu dans lequel ils se retrouvent. En examinant l’état de santé de 159 récifs coralliens d’Asie du Sud-Est, des chercheurs ont découvert que les coraux vivant dans des zones contaminées par le plastique avaient 20 fois plus de risques de développer des maladies[6].

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Une quatrième catégorie d’impacts pourrait encore s’ajouter à la liste, mais elle reste hypothétique : des tests en laboratoire ont suggéré que les micro et nano-plastiques pouvaient interférer avec la vitesse à laquelle descend la “neige marine”, ces agrégats de détritus d’origine organique produits en surface qui descendent dans la colonne d’eau et dont se nourrissent les animaux des profondeurs[7]. La modification de ce flux de carbone vers l’océan profond pourrait ainsi affecter cet écosystème très particulier qui n’a pas accès à d’autres types de nourriture. Elle empêcherait également la séquestration du carbone dans les eaux profondes, un processus qui participe au phénomène de puits de carbone océanique[8] et contribue à l’équilibre du climat terrestre.

Si l’océan est contaminé, l’état des fleuves est alarmant

Si des zones d’ombre subsistent, on sait néanmoins que la dissémination de plastiques provoque des effets néfastes sur l’ensemble du vivant des mers et des océans, à tous les niveaux du réseau trophique marin. Mais qu’en est-il des impacts en amont ? Les images chocs des plastiques dans les océans ont aidé à créer des financements orientant jusqu’à maintenant la recherche vers les milieux marins. Pourtant, 80 % de ces déchets en mer seraient issus du milieu terrestre, en grande partie véhiculés par les fleuves et les rivières. Et ce n’est pas le plus alarmant, puisque « la plupart de ces déchets restent bloqués sur terre », rappelle Gaëlle Darmon et leurs impacts sur les écosystèmes d’eau douce sont très peu connus. À l’aune des conséquences délétères en mer, « il faut s’attendre à des résultats “trash” concernant l’impact terrestre », avance la biologiste.

Déchets plastiques retrouvés lors de l'autopsie d'une tortue, sur l'Île de la Réunion.

Déchets plastiques retrouvés lors de l’autopsie d’une tortue, sur l’Île de la Réunion. © Kélonia_INDICIT

Les effets des macro-déchets sur la faune terrestre sont globalement similaires à ce qui se passe en mer : des ingestions, des étranglements, des emmêlements et, chez les oiseaux, l’utilisation de plastique pour construire leurs nids. « Ils font exprès de prendre ces déchets, explique la chercheuse. Ils les choisissent en fonction de leur odeur pour faire fuir les prédateurs (mégots) ou de leurs couleurs vives pour la sélection sexuelle. Ces interactions ont été observées, mais leur impact reste méconnu. » Concernant les microplastiques, une étude portant sur 812 goujons (poissons d’eau douce très répandus), dans 33 cours d’eau français, a montré que 10 % des spécimens étaient contaminés aux microplastiques, sans pour autant établir de lien avec d’éventuels effets sur leur santé. En effet, comme en milieu marin, ceux-ci restent complexes à évaluer en conditions réelles. Cependant, des bio-essais d’écotoxicité́ réalisés en laboratoire ont souligné́ l’impact des microplastiques sur la croissance, la reproduction et la mortalité d’organismes d’eau douce comme certaines algues et micro-crustacés.

La recherche doit se poursuivre

Si l’état de la recherche à terre ne permet pas encore de tirer de conclusions en matière de toxicité, l’heure est au changement. Des études plus globales sur les milieux d’eau douce sont en cours, comme la mission Tara Microplastiques, qui a collecté des milliers d’échantillons de microplastiques dans neuf grands fleuves européens (résultats attendus à l’automne 2022) ou encore Plastic-Rhône, première évaluation mondiale de la pollution plastique réalisée à l’échelle d’un continuum fleuve-mer (lancée en 2021). Gaëlle Darmon démarre également, avec plusieurs partenaires[9], une évaluation des microplastiques ingérés par les poissons d’eau douce sur l’ensemble du territoire national : « On doit mieux comprendre le comportement et les impacts des déchets plastiques de la terre jusqu’à la mer, afin de montrer la réalité aux pouvoirs publics, pour qu’ils agissent et amorcent des directives. » C’est en documentant l’hémorragie de sacs plastiques et de pailles échoués en mer que ces objets furent respectivement interdits en 2015 et en 2021. Un premier pas qui doit désormais ouvrir la voie vers des mesures renforcées et globales contre la dissémination des plastiques dans l’environnement.


NOTES

[1] Les premiers articles décrivant la présence de plastique dans les océans Pacifique et Atlantique Nord datent de 1972 et 1974. Source : Ifremer.

[2] Galgani, F. et al., Pollution des océans par les plastiques et les microplastiques, Techniques de l’ingénieur (2020).

[3] Les concentrations utilisées pour les tests en laboratoire sont plus importantes que la quantité de microplastiques observée dans le milieu naturel actuel, mais elles pourraient refléter la réalité d’ici une vingtaine d’années, à cause de la fragmentation continuelle des plastiques en mer.

[4] Paul-Pont I., Un océan de plastiques : quels impacts sur le vivant ? [Vidéo] Canal Uved, (2021).

[5] Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentellesdes eaux.

[6] Lamb, J. et al., Plastic waste associated with disease on coral reefs, Science, 359-6374 (2018).

[7] Tallec, K., Impacts des nanoplastiques et microplastiques sur les premiers stades de vie (gamètes, embryons, larves) de l’huître creuse Crassostrea gigas (p.43). Thèse de doctorat. Université ́ de Bretagne occidentale – Brest (2019).

[8] L’océan est capable de capturer le CO2 atmosphérique grâce au couplage de phénomènes physiques et biologiques. C’est ainsi qu’il est qualifié de « puit de carbone », puisqu’il séquestre à lui seul près de 30 % du CO2 émis par les activités humaines.

[9] L’association HISA, le CEFE (CNRS), l’OFB et le laboratoire départemental d’analyses de la Drôme.

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