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Plastique

Un encombrant déchet

Quand des archéologues fouilleront les vestiges de notre société, le plastique sera très probablement le matériau marqueur de notre époque. Près de 5 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été rejetés dans notre environnement depuis 1950*. Avec des durées de vie pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines d’années, cette matière sera probablement représentative de notre ère, à l’instar des céramiques ou des métaux pour les civilisations anciennes. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le plastique a envahi notre monde : une abondance de nouveaux objets, qui, étant facilement jetables, constituent une abondance de détritus dont l’accumulation est aujourd’hui un véritable sujet. Comment avons-nous pris la mesure d’une telle quantité de déchets ? Et quels choix de gestion avons-nous opéré pour y faire face ?

Pour répondre à ces problématiques, Yann Brunet, doctorant en histoire à l’Université Lumière Lyon 2**, et Aurore Richel, professeure en chimie des ressources renouvelables à l’Université de Liège, reviennent avec nous sur l’histoire de ce matériau aussi révolutionnaire qu’encombrant.

*Geyer, R. et al. Production, use and fate of all plastics ever made, Science Advances (2017).
** > Laboratoire d’études rurales, Laboratoire environnement – ville – société, École Urbaine de Lyon.

Propos recueillis par Samantha Dizier, journaliste

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Comment les plastiques ont-ils inondé le monde ?

Aurore Richel – La première chose à rappeler est que le mot plastique désigne toute matière qui peut être mise en forme. On parle ainsi de matières plastiques. Leur utilisation est très ancienne : les Aztèques utilisaient, par exemple, les résines de caoutchouc qui provenaient des hévéas. Mais c’est au moment de la Révolution industrielle que les premières formes de plastique à destination du grand public sont apparues. Il s’agissait alors de trouver des alternatives à des ressources en déficit ou trop coûteuses. Au 19e siècle, il y avait, par exemple, une pression importante sur l’ivoire. L’une des premières utilisations industrielles de matière plastique a ainsi été de remplacer l’ivoire pour la production de boules de billard. Entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, l’humanité a commencé à mieux maîtriser le pétrole, entraînant une croissance de la production de ces matériaux. Puis, la Seconde Guerre mondiale a été un moment charnière. Il était alors très difficile de s’approvisionner en ressources renouvelables. Et le pétrole était, quant à lui, largement disponible, peu onéreux, et permettait de produire des matériaux de substitution. La guerre et l’après-guerre ont ainsi été de fortes périodes de production de ces matériaux plastiques, qui séduisaient grâce à de nombreux avantages. Une matière plastique peut prendre toutes les formes et toutes les fonctions souhaitées, contrairement au papier, au verre ou au métal.

« La très grande majorité des déchets plastiques – près des trois-quarts - a été enfouie dans les sols. »
Yann Brunet, Doctorant en histoire à l’Université Lumière Lyon 2.

Une matière plastique est légère, très résistante et hygiénique. Et grâce à l’ajout d’additifs, on peut lui donner une large gamme de propriétés comme la transparence ou la conduction électrique. Ces matériaux sont alors créés pour être durables dans le temps. Ils ne sont pas produits pour se dégrader. Ce qui a assez vite posé la question de l’accumulation de ces matières dans l’environnement.

Comment a-t-on géré ces nouveaux déchets ?

Yann Brunet – La très grande majorité des déchets plastiques – près des trois-quarts – a été enfouie dans les sols. La pollution des océans par le plastique est souvent mise en avant, ais les sols sont les premiers touchés. Ces déchets étaient alors principalement concentrés en décharges. Dans certains cas, ils étaient incinérés[1].

Aurore Richel – Les techniques de recyclage, elles, ne sont apparues que tardivement, à la fin des années 1990. Auparavant, tout était mis dans la même poubelle et géré de la même manière : soit les déchets étaient incinérés, soit ils étaient envoyés dans des centres d’enfouissement. Au bout d’un moment, les ordures ménagères se décomposaient et les plastiques commençaient à remonter à la surface. Les plastiques que nous retrouvons aujourd’hui dans notre environnement sont bien souvent des vestiges des années 1950, et non des résidus de notre consommation contemporaine.

« Les plastiques que nous retrouvons aujourd’hui dans notre environnement sont bien souvent des vestiges des années 1950. »
Aurore Richel, Professeure en chimie des ressources renouvelables à l’Université de Liège.

Et en quoi ces déchets sont-ils problématiques ?

Aurore Richel – Le problème des matières plastiques, ce n’est pas le plastique en lui-même, mais les additifs qui ont été ajoutés[2]. Sous le terme générique de plastique, on désigne tout un tas de matières qui sont différentes du point de vue de leur structure chimique : il y en a des centaines et des centaines. Ce sont des matériaux extrêmement hétérogènes, qui ne se décomposent pas de la même manière dans les sols. Et c’est également pour cela que le recyclage de ces déchets peut être compliqué. De plus, dans le cas de leur incinération, les fumées émises peuvent contenir des molécules variées selon la composition des plastiques, tels que des composés chlorés et des composés soufrés, néfastes pour l’environnement et notre santé.

Yann Brunet – En France, le premier texte de loi réglementant les émissions de ces incinérations date de 1986. Jusque-là, les matières plastiques étaient incinérées avec les autres déchets sans vraiment se soucier des conséquences environnementales ou sanitaires. À partir des années 1990, avec la mise en place de nouvelles usines d’incinération, des dispositifs pour traiter les fumées ont été installés. Ce sont alors souvent des procédés à base de chaux. Ces techniques sont, elles aussi, génératrices de rebuts, chargés de substances délétères, qui doivent être gérés de manière spécifique. On a ainsi déplacé le problème de la pollution de l’air vers une autre forme de contamination : celle des matériaux de traitement.

Quand a-t-on pris conscience des problématiques liées aux déchets plastiques ?

Yann Brunet – Très rapidement, les scientifiques mettent en avant les problèmes potentiels associés à la production de ces matières-là. Dès les années 1970, on commence à s’interroger sur la santé des ouvriers des usines qui fabriquent des objets en plastique. La question de l’accumulation de ces déchets en quantité dans l’environnement émerge également. Il n’y avait alors pas forcément d’études scientifiques, mais il s’agissait de questions posées publiquement sur ce qui était appelé « l’invasion plastique »[3]. L’incinération posait aussi question : brûler des PVC émet de l’acide chlorhydrique qui dégrade les installations. Cela posait donc des problèmes importants d’un point de vue économique. Des groupes industriels ont alors mandaté des études dans les années 1970 pour saisir l’ampleur des impacts de ce « nouveau matériau » sur l’industrie.

Aurore Richel – Au départ, les matières plastiques présentaient de nombreux avantages pour le consommateur. Depuis, les images témoignant de la pollution plastique diffusées dans les années 2000, comme celles de tortues s’étouffant avec des sacs plastiques, ont sensibilisé et alerté l’opinion publique. Et ces matériaux sont apparus comme des éléments à bannir de notre quotidien. Maintenant, le consommateur veut revenir à des composants naturels. Or, dans 99 % des cas, la production des matières plastiques reste plus avantageuse pour l’environnement que ne l’est celle des matériaux traditionnels. Ces derniers n’ont pas une empreinte écologique nulle : il faut de l’énergie pour fabriquer du verre, il faut ajouter des agents chimiques dans la fabrication du carton. Le plastique a ainsi une mauvaise image, mais beaucoup d’éléments liés à son impact global sont méconnus.

Quelles réponses a-t-on apportées à ces problèmes ?

Aurore Richel – Les premières politiques de recyclage ou de changement de composition des plastiques étaient davantage liées à des questions d’économie plutôt que de protection de l’environnement. Le but était avant tout de préserver les matières premières, comme le montrent les exemples des chocs pétroliers des années 1970. C’est l’augmentation du coût du pétrole qui a poussé les producteurs de plastiques à se tourner vers des ressources renouvelables.

Yann Brunet – La question du recyclage des plastiques a été posée relativement tôt, mais n’a été effective que tardivement. Dans les années 1970, il y a eu des premières expériences de recyclage, de collecte de verre et de PVC au sein de l’agglomération lyonnaise. Mais ces exemples ne sont que très marginaux. Cela ne débute réellement qu’avec la loi de 1992, relative à l’élimination des déchets, qui impose aux producteurs de déchets de les gérer. Suivant cette réglementation, seuls certains types de déchets ont été véritablement recyclés, car une grande partie des plastiques est très difficile à traiter. Pour pouvoir étendre le recyclage à l’ensemble des plastiques, des technologies « de pointe » sont nécessaires et cela a un coût important. Ainsi, les premières stratégies de collecte et traitement de toute la gamme des plastiques ménagers sont très contemporaines et ne datent que de 2019.[4]

Aurore Richel – Les études sur le recyclage sont très récentes. C’est un sujet qui a longtemps été mis de côté, car les matières plastiques avaient été créées pour durer. Nous manquons ainsi de maturité technologique : ce qui explique que les procédés ne sont pas toujours efficaces, qu’ils demandent beaucoup d’énergie et qu’ils coûtent chers. Encore aujourd’hui, il y a peu de financements pour des études universitaires sur le recyclage. C’est un sujet qui est laissé aux grandes entreprises. Or, nous voyons bien que nous manquons de connaissances fondamentales sur le sujet, et c’est là où les pouvoirs publics feraient bien d’investir.

Qu’a-t-il été fait à une échelle politique et législative ?

Aurore Richel – La principale difficulté des textes de loi est que généralement ils ne s’intéressent qu’à un type d’application ou à un type de matière spécifique. Il y a eu beaucoup de législation sur les emballages ou les plastiques à usage unique, mais d’autres plastiques peuvent être très problématiques, tels que les masques chirurgicaux, les films à l’intérieur des gobelets en carton, etc. C’est là toute la complexité de la législation autour de ces matières : comme il s’agit d’un secteur avec des applications et des problématiques très différentes, il faudrait énormément de lois pour répondre à tous les problèmes liés au plastique.

Yann Brunet – Dans les années 1970, la multiplication des textes relatifs à l’environnement s’accompagne du développement des technologies propres – destinées à permettre la transformation de l’appareil productif dans ce contexte de préoccupations environnementales. Ces réglementations ont favorisé le développement d’un « marché de l’environnement » de plus en plus florissant. On a alors produit de la valeur à partir des déchets. Concernant le recyclage, les grands groupes industriels sont bien souvent au cœur et à l’initiative des politiques de recyclage. Anticipant les restrictions à venir, elles prennent l’initiative, pour garder un contrôle sur la mise en forme de ces politiques. Nous pouvons ainsi citer l’exemple de la législation de 1992 sur les emballages, pour laquelle 19 industriels s’étaient regroupés en amont du décret pour former Eco-Emballage[5]. Or, il ne faudrait pas poser la question des déchets seulement sur le terrain des industriels, ni se contenter uniquement de solutions technologiques. À mes yeux, il s’agit d’une question de planification du territoire, qui doit se dérouler très en amont. Pour l’exemple des emballages, il faudrait ainsi penser l’aménagement du territoire en fonction du système alimentaire, pour rendre ce dernier moins énergivore et moins consommateur en plastique. L’enjeu n’est pas de se focaliser sur les déchets, mais sur le système qui les produit.


NOTES

[1] Sur les 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques créées entre 1950 et 2015, 0,8 milliard de tonnes ont été incinérées (Geyer et al., 2017).

[2] Ces additifs sont, par exemple, des retardateurs de flammes (hydroxyde d’aluminium, phosphonates), des antioxydants (diphénylamine), des agents biocides, des stabilisants d’ultraviolets, ou bien des colorants.

[3] L’invasion plastique, JT du 13H du 20 juin 1974.

[4] La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a un objectif d’étendre progressivement les consignes de tri à l’ensemble des emballages plastiques sur l’ensemble du territoire avant 2022. Des expériences d’extension de ces consignes ont ainsi été instaurées dans plusieurs agglomérations (Lyon, Paris, Lille, etc.) dès 2019 par Citeo, entreprise privée spécialisée dans le recyclage des emballages ménagers.

[5] Eco-Emballages est l’un des deux éco-organismes agréés par l’État pour organiser, superviser et accompagner le recyclage des emballages ménagers en France.


BIBLIOGRAPHIE

  • Monsaingeon B., Plastiques : ce continent qui cache nos déchets, Mouvements, 2016.
  • Comment le monde s’est plastifié, The Conversation, septembre 2019.
  • Un monde en plastique, France Culture, juin 2019.

Une matière polyvalente

 

Rideaux, dessus de lit, nappes… Les usages du film plastique Nylex se comptent par centaines. Dans cette publicité australienne de 1952, les promesses de ce matériau semblent sans limite : il imite de nombreuses textures, il résiste à l’eau et à la graisse, il est facilement lavable. Et tout cela pour un prix « incroyablement » bas. Dans les années cinquante, les matières plastiques ont ainsi révolutionné le quotidien de nombreux foyers dans le monde entier. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, leur production s’est amplifiée et leurs usages se sont multipliés, accompagnant la naissance de la société de consommation et du « tout-jetable ».

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