Lorsqu’ils doivent subir une hospitalisation de longue durée, les enfants atteints de cancer sont privés de la présence de leurs parents, de leurs frères et sœurs, de leurs amis. Le projet VIK-e, via un robot de téléprésence, permet de maintenir ce lien. Va-t-on vers une meilleure acceptation des traitements ?
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Depuis deux ans, de jeunes patients de l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOPe), à Lyon, peuvent bénéficier de robots de téléprésence pour rester en contact avec leur famille et leurs amis dans le cadre d’un projet-pilote nommé VIK-e.
Vik-e : un projet né de la synergie entre médecins, soignants, patients et familles
Parce que la prise en charge des cancers de l’enfant est très particulière, il existe à Lyon une structure, l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOPe), qui accueille les patients âgés de 0 à 25 ans. Cet établissement est un regroupement sanitaire entre le Centre Léon Bérard et les Hospices Civils de Lyon, où les jeunes patients atteints de cancers ou de maladies du sang (bénignes ou malignes) bénéficient d’une prise en charge optimale. Dans certains cas, notamment si une greffe est nécessaire à leur guérison, les patients doivent suivre un traitement qui supprime leur système immunitaire, les obligeant à être hospitalisés dans des chambres protégées afin d’éviter toute infection. Par mesure de précaution, pendant toute la durée de l’hospitalisation, seuls deux membres de la famille ont l’autorisation d’entrer dans leur chambre.
Faire en sorte que l’enfant malade continue de vivre sa vie sans perdre ses repères, que sa douleur (morale et physique) soit prise en charge, que sa famille soit accompagnée et que la recherche en oncopédiatrie avance, tels sont les 4 piliers fondateurs de l’Association Philanthropique de Parents d’Enfants atteints de Leucémie ou autres cancers (APPEL), présidée par Rose Fromont. Depuis 2016, grâce au soutien de cette association et de la société Brystol-Myers Squibb, des robots de téléprésence de la société Awabot sont proposés aux patients isolés par le biais du Dispositif Adolescents Jeunes Adultes Atteints de Cancer (DAJAC), coordonné par Marion Beaufront. Ce dispositif accompagne les jeunes patients en leur proposant du soutien et des activités. Le principe est simple : un robot est placé dans un des lieux de vie de l’enfant, à la maison, à l’école voire même sur des lieux d’événements. Il est piloté par l’enfant depuis sa chambre grâce à un ordinateur portable doté d’une caméra via une connexion Wifi ou 4G.
Ce projet pilote, nommé VIK-e (Victory in Innovation for Kids-electronic), est unique en France. Coordonné par le Dr Perrine Marec-Bérard, oncopédiatre, il a fait l’objet d’une étude sociologique et psychologique pendant deux ans afin d’évaluer la pertinence du dispositif et de sa généralisation. Au total, 17 jeunes patients et leurs familles, ainsi que des médecins, infirmiers et auxiliaires de puériculture ont participé à l’étude.
Un psychologue s’est entretenu avec les familles et les jeunes patients d’abord au 15e jour de la mise en place de VIK-e et après le retour à domicile du jeune patient. En parallèle, une philosophe a reçu en entretien les personnels soignants à deux reprises : avant la mise en place des robots et 21 jours plus tard.
Pour les patients : simple connexion ou lien réel ?
Comment les jeunes patients ont-ils vécu cette expérience ? Voici les enseignements que tire Tanguy Leprince, psychologue du DAJAC, qui a suivi huit filles et neuf garçons âgés de 8 à 23 ans pendant deux ans.
Pour lui, le plus gros avantage pour les jeunes patients est de pouvoir continuer à participer à des moments importants de la vie familiale. Certes, il existe d’autres moyens de vidéo-communication comme Skype ou Facetime, mais ils n’offrent pas la possibilité de « se déplacer », bien que virtuellement, et d’interagir avec les autres. Le dispositif a permis aux jeunes de conserver un lien privilégié avec leur famille, notamment avec leur fratrie grâce à des sessions de jeux. L’impact psychologique observé est positif et s’accompagne d’une amélioration de leur bien-être pendant leur séjour. S’agissant d’une amélioration de l’efficacité du traitement, il est prématuré de conclure, compte tenu du faible nombre d’enfants participant à l’expérience.
L’étude révèle aussi certains freins. Pour ces jeunes hospitalisés, l’isolement peut se révéler compliqué et générer des frustrations lorsqu’ils se retrouvent face à ce dont ils sont privés. Par ailleurs, certains patients se sont peu connectés, soit parce qu’ils étaient trop affaiblis, soit en raison de problèmes de connexion de réseau. « Les évènements inattendus sont d’autant plus difficiles à vivre pour ces jeunes patients que leur vie est rythmée par des traitements et soins souvent lourds, souligne Tanguy Leprince. Pour eux, chaque imprévu entraîne un stress et une frustration importante. »
La seconde série d’entretiens, au retour à domicile, n’a pas généré de réponses différentes de celles obtenues initialement. Seule différence : les jeunes patients exprimaient davantage leur ressenti et apportaient des retours plus nuancés sur le dispositif. Un seul a déclaré qu’il ne reprendrait pas de robot s’il lui était proposé à nouveau, car la frustration avait été trop grande.
Globalement, il a semblé que, quel que soit l’âge des patients, c’était surtout la personnalité et l’expérience vécue de la maladie qui influençaient ou non l’utilisation du robot.
Pour les familles : un lien qui rassure les parents
Pour les familles, le bénéfice apporté par l’usage du robot est clair : le maintien du lien familial dans sa globalité. Le robot de téléprésence rassure aussi bien le parent à la maison, en lui permettant de voir l’état physique et moral de son enfant, que le parent hospitalisé, qui peut garder contact avec le reste de la famille.
La majorité des parents ont perçu le robot comme bénéfique pour le moral de l’enfant, en lui permettant de rompre l’isolement et de se distraire. Comme pour les enfants hospitalisés, les familles préfèrent le robot aux autres moyens de communication aujourd’hui disponibles. Néanmoins, quelques difficultés ont été évoquées : à la fois l’inquiétude des parents lorsque l’enfant n’initie pas la connexion, mais aussi la déception et l’incompréhension des plus jeunes de la fratrie lorsqu’il se connecte peu. Les parents s’interrogeaient également sur le risque de frustration ressenti par l’enfant qui réalise ce dont il est privé, ou la difficulté du retour à l’isolement une fois la communication terminée.
On note aussi que le dispositif, prévu pour que les enfants aient l’initiative de l’appel, avait souvent été détourné par les parents (suggestion d’appel ou appel par un parent présent dans la chambre). Certains parents ont eu le sentiment a posteriori d’avoir ainsi imposé la communication à leur enfant. Malgré ces critiques, les familles ont estimé que les bénéfices l’emportaient sur ces difficultés.
Pour les soignants : une fenêtre sur l’univers du patient
L’évaluation du dispositif par les personnels soignants a été confiée au Dr Julie Henry, maître de conférences en philosophie à l’École normale supérieure de Lyon et spécialisée dans l’éthique des pratiques de soins. De par leur relation étroite et privilégiée avec les jeunes patients, l’impact de la présence des robots est essentiel à cerner dans la prise en charge et la gestion des soins.
Avant l’arrivée des robots, certains soignants comprenaient que ce dispositif pouvait être bénéfique pour les patients, mais ne voyaient pas en quoi il pouvait leur être aussi profitable. Ils avaient également manifesté leurs craintes concernant une potentielle perturbation des soins due à la mise en place du dispositif.
Comme pour les patients et leur famille, le robot a globalement été reçu de manière positive par les soignants bien qu’il leur ait été difficile d’évaluer leur propre ressenti concernant ce dispositif non lié directement aux soins. L’ouverture de la chambre du patient sur l’extérieur leur a permis de rencontrer la famille des jeunes patients et de mieux connaître leur cadre de vie.
En revanche, le cas d’une patiente présentant une défaillance physique alors qu’elle était connectée avec sa famille a complexifié sa prise en charge. La soignante a alors dû s’occuper de l’état de la patiente tout en gérant les parents connectés.
Finalement, les soignants ont proposé quelques recommandations. Il semble nécessaire de ne pas faire la mise en place du dispositif dès l’arrivée des patients, mais plutôt après un temps d’adaptation, afin d’avoir le temps d’établir une relation de confiance. Les enjeux du secret médical, de la confidentialité des données personnelles et de l’intimité des soins semblent essentiels à prendre en compte lors de la mise en place d’un tel dispositif dans la chambre du patient, qui peut être perçu comme intrusif.
Quel avenir pour Vik-E ?
Les avantages de VIK-e dans les parcours de soins semblent pour le moment supérieurs aux inconvénients. Cependant, les chercheurs en charge du projet insistent sur la nécessité du suivi psychologique du patient et de sa famille lors de l’utilisation de ces robots ainsi que l’importance de ne pas substituer cet outil à la présence physique des parents.
Les résultats de cette première étude penchent vers l’élargissement de l’utilisation de ces robots à d’autres centres et aux patients plus âgés. Une extension du projet VIK-e va d’ailleurs être mise en place au Centre Léon Bérard et dans d’autres centres hospitaliers. Pour ce deuxième projet, les robots seront cette fois mis à disposition d’adultes, parents de jeunes enfants. Une patiente du Centre Léon Bérard ayant deux jeunes enfants a déjà pu bénéficier de cet outil, et les retours ont été extrêmement positifs. Grâce au robot de téléprésence, elle réveillait ses enfants, leurs lisait des histoires et triait même le linge en compagnie de sa famille.
Lila Gilis, hématologue au Centre Léon Bérard précise :
Ce projet nous permettra d’évaluer l’impact direct de la présence du robot sur les patients et leur famille, ainsi que d’évaluer le maintien de la parentalité du patient.
Une enquête réalisée par Margot Thirion étudiante en 2e année de Master « Innovations Thérapeutiques en Cancérologie » de l’Université Claude Bernard Lyon 1, actuellement en stage au Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon ; Camille Léonce, Docteure en Pharmacie, Doctorante en 2e année de thèse au Laboratoire de recherche translationnelle du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon et Mirela Diana Ilie, interne en endocrinologie et étudiante en 2ème année de Master « Biologie du cancer » de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Avec le soutien de Patricia Lamy (Pop’Sciences – Université de Lyon)
Nous tenons à remercier toutes les personnes qui nous ont aidé dans l’élaboration de cet article ainsi que les personnes qui nous ont reçu et parlé de ce beau projet : Mme Marion Beaufront, coordinatrice du DAJAC; Dr Perrine Marec Bérard, oncopédiatre de l’IHOPe, responsable du programme Vik-e ; Mme Rose Fromont, présidente de l’association APPEL ;Dr Julie Henry, Docteur en philosophie à l’ENS ; Tanguy Leprince, psychologue du DAJAC ; Dr Lilas Gilis, hématologue au CLB ; Marine Leborgne & Jérémie Koessler (société Awabot); l’équipe soignante de l’IHOPe; la fondation OL, et bien sûr les patients et leurs familles.