Depuis plusieurs décennies, la pratique du sport de haut niveau reste indissociable de la lutte antidopage. Malgré des méthodes de détection de plus en plus sophistiquées, l’usage par certains sportifs de produits interdits est toujours d’actualité. Alors que certains plaident pour une certaine libéralisation du dopage, d’autres mettent en garde contre « la course à l’armement » qu’entrainerait la banalisation de telles pratiques.
Par Grégory Fléchet
Images : © Visée.A (sauf mention contraire)
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Les derniers mondiaux d’athlétisme organisés par le Qatar ont une nouvelle fois rappelé que le spectre du dopage plane toujours sur une poignée de sportifs et de fédérations. L’affaire Salazar, du nom de cet entraineur américain suspendu en pleine compétition par l’agence antidopage américaine pour « organisation et incitation à une conduite dopante interdite », est venue ajouter une ombre au tableau de ces mondiaux, déjà décriés pour leur organisation défaillante. Tout comme l’athlétisme, le cyclisme entretient un rapport particulier avec l’usage de produits dopants. À la fois ancienne et sulfureuse, cette relation éclate pour la première fois au grand jour le 13 juillet 1967, lorsque Tom Simpson s’écroule en plein Tour de France dans l’ascension finale du Mont Ventoux après avoir consommé plusieurs tubes d’amphétamines. « Le décès du coureur britannique va provoquer un électrochoc dans la prise de conscience du dopage, non seulement parce que cette tragédie est retransmise en direct à la télévision, mais aussi parce qu’elle frappe le champion du monde de la discipline dans la plus célèbre des courses cyclistes« , souligne Pascal Charroin, historien du sport à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne et chercheur au L-Vis (laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport, Université Claude Bernard Lyon 1). Si la mort de Tom Simpson ne résout pas la question de l’usage de produits dopants par certains coureurs, cette tragédie va néanmoins conduire à une évolution des pratiques.
D’un dopage individualisé et inorganisé, le sport bascule progressivement vers un dopage collectif et rationalisé. La première loi française sur le dopage a été votée deux ans plus tôt, en 1965, sous l’impulsion de l’alpiniste Maurice Herzog, alors haut commissaire au ministère de la Jeunesse et des Sports. Elle vise essentiellement à lutter contre l’usage des stimulants. « Les contrôles antidopages menés dans le cadre de cette nouvelle loi ciblent le cyclisme et l’athlétisme, car ce sont les deux principales disciplines sportives à pouvoir tirer bénéfices de l’effet « booster » de produits stimulants comme les amphétamines qui sont alors les seules substances dopantes disponibles« , rappelle Pascal Charroin.
Vers une harmonisation de la législation
Depuis cette époque, l’arsenal de produits dopants dont disposent les sportifs de haut niveau pour accroître leurs performances s’est considérablement étoffé. Il regroupe désormais des centaines de substances et méthodes de dopage dont certaines, comme la prise de testostérone ou l’autotransfusion sanguine, restent aujourd’hui encore difficiles à repérer. Les progrès en matière de lutte antidopage n’en restent pas moins indéniables. « L’un des tournants majeurs coïncide avec la création, en 1999, de l’Agence mondiale antidopage (AMA), puis l’entrée en vigueur du code mondial antidopage qui, à compter de 2004, harmonise pour la première fois les règles liées au dopage dans tous les sports et dans tous les pays« , rappelle Martial Saugy, directeur, pendant près de quinze ans, du LAD (laboratoire suisse d’analyse du dopage) de Lausanne. Depuis 2016, cet expert en toxicologie analytique est à la tête du Centre de recherche et d’expertise des sciences antidopage (REDS), une structure de recherche académique travaillant en étroite collaboration avec le LAD.
Pour qu’un laboratoire antidopage comme celui de Lausanne, qui réalise environ 14 000 contrôles chaque année, puisse être agréé par l’AMA, il doit être capable d’analyser un minimum de 3 000 échantillons par an. « Sachant que sur 500 échantillons testés, deux cas graves de dopage, comme la prise d’érythropoïétine (EPO)1 ou de stéroïdes anabolisants, sont généralement détectés, il est essentiel qu’un laboratoire dispose d’une expérience suffisante pour pouvoir défendre la fiabilité d’un résultat devant un tribunal« , explique Martial Saugy.
Le passeport biologique comme arme de dissuasion
Au tournant des années 2000, le scientifique contribue à la mise au point du « passeport biologique de l’athlète » dans le cyclisme. En vigueur dans l’athlétisme depuis 2011, ce document électronique référence les résultats de contrôles antidopage subis par un sportif, ainsi que ses profils hématologique et endocrinologique. Il a récemment été adopté par l’Union des fédérations européennes de football (UEFA) pour réaliser le suivi des joueurs de la Ligue des Champions. Le passeport biologique permet ainsi de lutter indirectement contre le dopage en identifiant certains paramètres physiologiques hors norme, par exemple, un taux de globules rouges anormalement élevé. Cet outil a aussi contribué à révéler le pouvoir d’adaptation des « tricheurs ». Dans les mois qui suivirent sa mise en place dans le cyclisme professionnel, les profils sanguins aberrants ont fait figure d’exception. Le directeur du REDS se souvient :
Le suivi longitudinal a contraint certains coureurs à innover en s’injectant des microdoses d’EPO dans le but de lisser leurs paramètres sanguins.
Cependant, les scientifiques savent faire preuve de créativité lorsqu’il s’agit d’identifier la présence de produits dopants difficilement détectables. C’est le cas pour la testostérone. Associé à l’EPO, ce stéroïde naturellement produit par notre organisme, améliore de manière significative la récupération de l’athlète. La testostérone prise à des fins de dopage étant éliminée très rapidement dans les urines, la fenêtre de détection de la molécule est donc très réduite. Pour pallier cet inconvénient, les chercheurs du LAD se focalisent alors sur d’autres indicateurs biologiques de la prise de testostérone, comme les métabolites résultant de sa dégradation. « Rien que pour la testostérone, nous avons identifié une cinquantaine de ces métabolites qui constituent autant de preuves indirectes de la prise de cette substance dopante. » Avec le temps et les avancées de la science, échapper au dépistage se révèle de plus en plus délicat.
Réinventer notre relation à la performance
À l’ère du Big Data, la collecte, puis l’analyse de l’intégralité des signaux d’un seul échantillon sanguin, qui peuvent parfois se compter en dizaines de milliers, pourrait bientôt révolutionner l’approche de la lutte antidopage. En attendant, certains détracteurs du système actuel, à l’image de Bengt Kayser qui dirige l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, revendiquent une libéralisation progressive des produits interdits par l’AMA au prétexte que la lutte contre le dopage demeure largement inefficace : alors que certaines enquêtes menées par des fédérations sportives évaluent entre 15 et 25 %, le taux de sportifs de haut niveau dopés, seuls 1 à 2 % des échantillons analysés lors de contrôles antidopage se révèlent positifs. Mais, selon Martial Saugy, une légalisation même partielle du dopage aurait de très grandes chances d’aboutir à une escalade des conduites dopantes chez les sportifs : « À l’époque où l’EPO était encore indétectable, tous les coureurs d’une même équipe en prenaient pour la simple raison que sans leur dose d’EPO, les « porteurs d’eau » auraient été physiquement incapables de ravitailler leur leader.«
Pour le sociologue Philippe Liotard, cette persistance du dopage ne serait pas tant liée aux éventuelles failles du système de répression qu’au rapport particulier que médias, spectateurs, fédérations sportives et sportifs entretiennent avec la performance. « Bien que chacun d’entre nous semble avoir intériorisé le fait que se doper est une pratique hautement répréhensible, de quel droit demandons-nous à de jeunes athlètes d’être irréprochables dès lors que des personnes bien plus haut placées dans l’échelle sociale comme des hommes politiques ou des chefs d’entreprise ne le sont pas ? », s’interroge le chercheur du L-Vis.
En s’armant des dernières innovations scientifiques, la lutte contre le dopage est de plus en plus efficace. Mais pour réussir, elle ne se mènera pas seulement sur le terrain biologique et médical. Les gouvernances sportives et la société en général ont également à faire évoluer leur rapport à la performance.
Dans les coulisses de l'antidopage
À l’heure actuelle, vingt-huit laboratoires disséminés sur les cinq continents sont accrédités par l’Agence mondiale antidopage.
Leur mission : améliorer les processus de détection et rechercher divers produits dopants dans les échantillons d’urine ou de sang prélevés chez les athlètes à l’occasion d’un contrôle. Ces mêmes structures peuvent réaliser des analyses de sang dans le cadre du suivi longitudinal des sportifs (ndlr : un suivi médical régulier et sur le long terme) servant de base à l’établissement du fameux passeport biologique. Reportage à Lausanne (Suisse) au laboratoire suisse d’analyse du dopage (LAD), qui fait partie de ces maillons essentiels de la lutte contre le dopage. Reportage.
Bibliographie
- Aubel O. ; Ohl F. (2016) Le sportif en travailleur face à la lutte antidopage. Eléments de critique et propositions. Movement & Sport Sciences n°92, p. 33-43
- Liotard P. ; Andrieu A. (2005) Dopage : prévention, répression et enjeux éthiques. Éthique publique vol.7, n°2.
- Coste O. ; Noger K. ; Liotard P. ; Andrieu A. (2017) Dopage. Comprendre et prévenir. Elsevier
- 1 > En stimulant la prolifération des cellules souches précurseuses des globules rouges, cette hormone entraîne une augmentation de leur concentration dans le sang.