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Eau

Gestion de l’eau : régie publique ou privée ?

Après un doctorat à l’Université Grenoble-Alpes en aménagement-urbanisme sur les réformes de modernisation des services d’eau, Antoine Brochet est actuellement postdoctorant à l’Institut des Géosciences de l’Environnement de Grenoble. Il revient sur les différents systèmes de gestion de l’eau en France et leurs évolutions, qui montrent que de plus en plus de communes adoptent la régie directe. Mais est-ce une bonne idée pour mieux gérer la ressource ?

Propos recueillis par Ludovic Viévard

 

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Antoine Brochet, postdoctorant à l’Institut des Géosciences de l’Environnement de Grenoble.

Quels sont les systèmes de gestion de l’eau en France ?

Il y en au moins trois modèles : en commun, public et délégué. Historiquement, les habitants étaient souvent coproducteurs de la ressource et non simples usagers comme aujourd’hui. Ils s’organisaient en commun, par exemple pour capter une source et permettre un accès équitable à l’eau. Ils sont à l’origine de vrais petits services d’eau dont il reste des traces, notamment dans les régions de montagnes. Ce mode de gestion a périclité au milieu du 19e siècle, avec l’attribution aux communes de compétences de salubrité publique. Seules ou regroupées, elles ont organisé leur service d’eau, en l’exerçant elles-mêmes ou avec le soutien d’opérateurs privés, par Délégation de Service Public (DSP), quand elles n’avaient pas les moyens techniques ou d’investissement.


Entre les deux systèmes, où va la tendance ?

Plutôt à la remunicipalisation, comme à Bordeaux ou Lyon. Mais il ne faut pas s’arrêter à une vision aussi binaire. Dans les faits, les systèmes sont souvent hybrides. D’abord, la compétence eau potable est sécable, donc une commune peut n’en conserver qu’une partie comme la production d’eau, mais pas sa distribution, etc. Ensuite, cela dépend également du type de contrats de délégation privilégiés. Certaines collectivités font le choix de l’affermage où le délégataire ne fait qu’exploiter le réseau sans financer les infrastructures nécessaires au fonctionnement du service, qui demeurent à la charge de la collectivité. D’autres font le choix de la concession dans lequel le délégataire prend en charge l’exploitation ainsi que les investissements liés au réseau. D’autres encore conservent la régie directe, mais sous-traitent des opérations pour lesquelles elles n’ont pas le personnel ou l’équipement, comme la recherche de fuites.


Qu’est-ce qui différencie ces systèmes ?

Principalement la gouvernance. Avec la DSP, les élus transfèrent des responsabilités à une société privée et ont moins de liberté. En outre, les DSP sont confiées à des sociétés qui cherchent une rentabilité – contrairement à la régie directe – et ont intérêt à vendre le plus d’eau possible. D’un autre côté, ces entreprises ont une expertise et une capacité d’innovation technique que n’ont pas des services en régie directe. Ceci étant, ces systèmes tendent à converger depuis les années 1990, sous l’influence du Nouveau Management Public[1] qui impose aux régies des normes et standards de gestion issus du secteur privé (employés de droit privé, indicateurs de performances, contrats d’objectifs, droit de la consommation, etc.). Le cadre juridique de la gestion en régie, autrefois non marchand, s’est ainsi progressivement calqué sur celui du privé, avec un principe de vérité des prix qui doit rendre compte du coût réel de l’eau.

 

En termes de préservation de la ressource, les avantages restent-ils à la régie directe ?

Tout dépend de la façon dont les collectivités exercent leur compétence. Ce qui est certain, c’est que le système leur en offre la possibilité puisqu’il a pour lui d’être plus démocratique. Cela compte quand il faut trancher des conflits d’usages ! Il dispose aussi de plus de souplesse pour l’innovation sociale. Par exemple, Grenoble est allé au-delà des textes règlementaires en créant un comité des usagers de l’eau qui n’est pas seulement consultatif, mais participe à fixer les prix, décider des investissements. Finalement, c’est un système qui se rapproche par certains aspects d’une gestion en bien commun, souvent caractérisé par la littérature scientifique comme étant le plus soutenable.

 

[1] Le Nouveau Management Public (NMP) vise à transposer les outils de gestion et les modes d’organisation du secteur privé vers le secteur public.

 

Pour aller plus loin

« Quand le droit de l’eau doit évoluer » par Ludovic Viévard, Pop’Sciences Mag #12, novembre 2023.

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