Pop’Sciences répond à tous ceux qui ont soif de savoirs, de rencontres, d’expériences en lien avec les sciences. Le site est en cours de maintenance : il peut apparaître des défauts d'affichage pendant quelques jours. Nous vous remercions pour votre patience et compréhension.

EN SAVOIR PLUS

Ressources

Astronomie - espace - univers

Article

Université de Lyon

HHubble : trente ans d’observations spatiales pour éclairer le côté sombre de l’Univers

Télescope Hubble en orbite

Télescope Hubble / ©European Space Agency

Mis en orbite par la navette spatiale américaine Discovery, le télescope Hubble a ouvert ses yeux dans l’espace le 25 avril 1990. Les informations livrées par la qualité inédite de ses images a permis des avancées majeures en cosmologie. Parmi elles, la découverte de l’énergie noire, une force mystérieuse à l’œuvre dans l’expansion de l’Univers. 

Pour en savoir plus sur le sujet, une nouvelle sonde, baptisée Euclid, sera bientôt lancée.

Un article rédigé par Caroline Depecker, journaliste, pour Pop’Sciences – 16-04-2020

Cela fait 30 ans qu’il orbite à plus de 600 kilomètres au-dessus de nos têtes : avec son miroir principal de 2,4 mètres, le Hubble Space Telescope (HST) est le plus grand télescope spatial jamais lancé. Grâce à une série de cinq missions de réparation et de maintenance impliquant des astronautes des agences spatiales américaine et européenne, il nous offre encore aujourd’hui de magnifiques images d’objets célestes : des planètes jusqu’aux lointaines galaxies, des étoiles, depuis leur naissance jusqu’à leur mort.

« Hubble a dominé l’astronomie moderne des années 90 » , commente Yannick Copin, enseignant-chercheur en cosmologie observationnelle à l’Institut de physique des deux infinis de Lyon – IP2I. « Sa facilité à distinguer de tout petits détails, qu’on appelle résolution optique, de 0,1 seconde d’arc et la profondeur de son champ d’observation, c’est-à-dire sa capacité à voir des objets lointains et peu brillants, faisaient de lui l’instrument le plus performant pour l’observation spatiale. »

Aujourd’hui, les télescopes de plus de huit mètres déployés au sol, comme le Very Large Telescope de l’ ESO1, peuvent proposer des images de meilleure qualité lorsqu’il s’agit d’acquérir des informations sur des objets lointains. Mais Hubble garde le regard le plus perçant. « Ses données restent de référence lorsqu’il s’agit de calculer la position d’une étoile avec précision. Sa très haute résolution a d’ailleurs été à l’origine d’un projet clef du télescope spatial, à savoir déterminer la valeur de la constante de Hubble, dite « H0 »,qui reflète le taux actuel d’expansion de l’Univers ». Une valeur qui diffère selon les méthodes employées par les scientifiques, ce qui remet en cause, ni plus ni moins, la façon dont on le décrit.

Un univers gâteau gonflant au four

Pour comprendre, faisons un petit retour en arrière. Le télescope spatial doit son nom à l’astronome américain Edwin Hubble qui, grâce à l’observation de galaxies lointaines, a montré à la fin des années 20, avec le belge Georges Lemaître, que l’Univers est en expansion : il ne cesse « d’enfler ». Les astres s’éloignent les uns des autres, comme les raisins secs d’un gâteau gonflant au four. Une double révolution conceptuelle a lieu ! « On s’aperçut alors que la Voie lactée était un tout petit morceau de l’Univers et non l’Univers lui-même. Qui plus est, celui-ci n’était pas statique, figé… comme on le pensait jusqu’alors », précise le cosmologiste.

Constater l’expansion de l’Univers signifie que son passé est différent de son présent et que les physiciens peuvent reconstituer son histoire. La cosmologie était née.

Galaxie spirale NGC 4603, la galaxie la plus lointaine dans laquelle une classe spéciale d’étoiles pulsantes appelées variables céphéides ont été trouvées. / ©Jeffrey Newman (Univ. of California at Berkeley) and NASA/ESA

Très vite, connaître ce taux d’expansion est apparu essentiel : si l’on sait, en effet, à quelle vitesse s’éloignent deux astres distants d’un mégaparsec (Mpc), soit 3,3 millions d’années-lumière, on peut, en remontant le temps, déterminer l’âge de l’Univers. Pour calculer H0, deux valeurs doivent être déterminées : la vitesse à laquelle un astre nous fuit et la distance qui nous sépare de lui. Pour ce faire, avec les moyens observationnels limités de l’époque, E. Hubble et G. Lemaître ont observé des céphéides, des étoiles qui constituent des « chandelles standard » en astrophysique, car leur éclat, variable dans le temps, est connu.

« Leurs calculs étaient plutôt grossiers, du fait de mesures de distance largement entachées d’erreurs », commente Yannick Copin. « Les premières estimations de H0 étaient comprises ainsi entre 500 et 600 (km/s)/Mpc, soit huit fois plus que la valeur admise actuelle ».

Au milieu du XXe siècle, les calculs se sont affinés et les scientifiques ont estimé que chaque Mpc se dilatait à raison de 50 à 100 km/s, ce qui aboutissait à un cosmos âgé de 10 à 15 milliards d’années. Mais au-delà de l’âge de l’Univers, dont les scientifiques s’accordent aujourd’hui pour dire qu’il est de 14 milliards d’années, c’est sur cette base que les astronomes ont bâti le premier modèle cosmologique.

Quand les étoiles s’éloignent de plus en plus vite

Puisque l’Univers est en expansion, à ses toutes premières secondes il devait être extrêmement dense et chaud, phase qui a pris le nom de Big Bang et qui constitue son acte de naissance. Se retroussant les manches, les théoriciens ont étoffé le modèle moyennant des arrangements un peu énigmatiques. Tout d’abord, pour rendre compte de la vitesse élevée d’étoiles situées en périphérie de galaxies, ils ont proposé l’existence d’une « matière noire2 », une masse dont on ignore la nature, mais qui intervient par son effet gravitationnel.

Par ailleurs, il y a deux décennies, ils ont dû ajouter un nouvel ingrédient : « l’énergie noire », une force répulsive mystérieuse responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers. A la base de cette ajout, les travaux, en 1998, de deux équipes d’astrophysiciens menés respectivement par Saul Perlmutter, du laboratoire national Lawrence Berkeley, et dAdam Riess3, de l’Université John Hopkins (États-Unis). Scrutant des étoiles en cours d’explosion, appelées supernovae, les scientifiques sont arrivés à la conclusion que celles-ci étaient plus éloignées que supposées ! Une découverte qui leur a valu le Prix nobel de physique en 2011.

Détail de la nébuleuse Veil : nuage de gaz en cours de formation après l'explosion d’une étoile massive.

Détail de la nébuleuse Veil : nuage de gaz en cours de formation après l’explosion d’une étoile massive. / ©NASA-ESA-Hubble Heritage Team

La constante de Hubble porte mal son nom. « Sa valeur est identique quel que soit l’endroit de l’Univers », explique le chercheur de l’IP2I, « mais elle évolue avec le temps. Tout ce qui nous est accessible, c’est sa valeur actuelle, une donnée primordiale, car elle sert de point d’ancrage pour reconstuire l’évolution du cosmos ainsi que son contenu ».

En 2001, grâce aux données transmises par le télescope Hubble, un groupe de recherche international4 a estimé la valeur de H0 à 72 ± 8 (km/s)/Mpc. La précision recherchée, et atteinte, était de 10%. Depuis, celle-ci s’est améliorée et d’autres calculs ont été faits : la mesure la plus précise, obtenue en utilisant les céphéides, les supernovae et le télescope Hubble, a été publiée par Adam Riess et son équipe, en mars 2019. Elle est de 74,03 ± 1,4 (km/s)/Mpc.

L’expansion de l’Univers : source de tensions entre cosmologistes

Sans passer par l’observation d’astres lointains, il est encore possible de déterminer indirectement le taux actuel d’expansion de l’Univers en exploitant les informations contenues dans le « fond diffus cosmologique » : c’est ainsi qu’a été appelée la toute première lueur émise dans l’Univers, près de 400 000 ans après le Big Bang, d’après le modèle en vigueur. L’étude de cette lumière a été la mission du satellite Planck de l’ESA, Agence spatiale européenne. Suite à l’analyse des données, les scientifiques ont établi, en 2018, la constante de Hubble à 67,4 ± 0,5 (km/s)/Mpc. C’est la valeur la plus précise à ce jour. Les données de Planck ont encore permis de dresser le portrait de l’Univers : l’énergie noire compterait pour 69,2 % de son contenu, la matière noire pour 25,9% tandis que la matière ordinaire représenteraient seulement 4,9%.

Ainsi, les méthodes qui ont recours à l’observation avancent une constante de Hubble avec une valeur haute. Celles qui s’appuient sur le modèle cosmologique, une valeur basse. L’écart de 10 % entre les estimations constitue un véritable « gouffre » pour les physiciens, source de tensions et de débats. « Certains biais de mesure existent dans les observations proches », commente Yannick Copin. Si on les corrige, les valeurs obtenues se rapprochent de la valeur de Planck sans toutefois l’égaler.

« C’est un véritable problème : il y a quelque chose que nous ne comprenons pas dans le modèle cosmologique. Modifier la répartition entre l’énergie noire et la matière ne suffira pas, il va nous falloir repenser les équations qui le sous-tendent ».

Les esprits s’échauffent, chacun y allant de son bricolage théorique pour sortir de l’impasse.

Ultraviolet Coverage of the Hubble Ultra Deep Field / ©NASA, ESA, H. Teplitz and M. Rafelski (IPAC/Caltech), A. Koekemoer (STScI), R. Windhorst (Arizona State University), and Z. Levay (STScI)

« Casser le modèle actuel ? Enthousiasmant ! »

La solution viendra peut-être du télescope spatial européen Euclid sur lequel travaille le physicien de l’IP2I. Euclid est en cours de construction, son lancement est prévu pour 2022. Pièce majeure du programme « Cosmic Vision » de l’ESA, sa mission est prévue pour une durée de six ans : elle vise à étudier les composantes sombres de l’univers, à savoir la matière et l’énergie noires. Pour cela, il utilisera les effets de distorsions gravitationnelles qui fournissent une mesure directe de la distribution de la matière dans l’Univers. Grâce à ses deux instruments fonctionnant en lumière visible et l’autre dans l’infrarouge, il cartographiera la forme, la luminosité et la distribution en trois dimensions de deux milliards de galaxies5. Son regard balaiera un tiers de l’ensemble du ciel et permettra de remonter 10 milliards d’années dans le temps, couvrant la période où l’énergie noire a joué un rôle significatif dans l’accélération de l’expansion de l’Univers, soit les deux derniers milliards d’années.

Nébuleuse Tête de cheval

Nébuleuse Tête de cheval / ©NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (AURA/STScI)

L’attente est grande du côté de Lyon :

« Si Euclid confirme tout ce qui a été déjà mesuré par le passé, ce sera une petite déception. Par contre, si ses observations divergent, alors on pourra casser le modèle cosmologique existant pour en imaginer un nouveau, avec de bonnes bases. Et là, ce sera enthousiasmant ! » conclut Yannick Copin.

 

 

 

 

——————————————————–

Notes :

(1)European Southern Observatory, Observatoire européen austral

(2) – Matière sombre, Futura Sciences

(3) – Measurements of Omega and Lambda from 42 High-Redshift Supernovae, S. Permulter et coll., Cornel University, 8 déc. 1998

(4) – Final Results from the Hubble Space Telescope Key Project to Measure the Hubble Constant, Wendy L. Freedman et coll., The Astrophysical Journal, 19 déc. 2000

(5) – Galaxie, Futura Sciences

PPour aller plus loin

Nébuleuse NGC 2174 dite Tête de singe/ ©NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (STScI/AURA)