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The Conversation|Université Lumière Lyon 2

SSéries télé, réseaux sociaux… nos nouveaux imaginaires de voyage sont-ils compatibles avec les enjeux environnementaux ? | The Conversation

© Pexels, Andrea Piacquadio

Les imaginaires du voyage touristique sont les moteurs de notre envie de parcourir le monde. Entre le XXe et le XXIe siècle, ils se renforcent avec l’essor des transports – automobile, avion – et des médias – télévision, cinéma, Internet. Toutefois, depuis les années 1970, les questions environnementales prennent de plus en plus de place dans l’espace médiatique, les politiques et les mentalités. Mais les imaginaires du voyage se sont-ils acclimatés à la nécessité de préserver l’environnement ?

L’ouverture du monde au voyage, XXᵉ siècle : des imaginaires puissants

Avec le développement du voyage, depuis la fin du XVIe siècle, des récits de voyage comme ceux de Chateaubriand, des guides touristiques, des romans structurent les imaginaires de ceux qui pratiquent le « Grand Tour », qui donne son nom au tourisme.

Au XXe siècle, cet imaginaire passe par d’autres publications : guide du Routard, roman de Nicolas Bouvier érigé en globe-trotteur. L’image joue un rôle majeur avec l’essor des cartes postales, dès le milieu du XIXe siècle, qui incitent à voyager.

Parallèlement, la démocratisation de la télévision, du cinéma et des transports modifie les imaginaires du voyage. Les voyageurs vont plus vite, plus loin, plus aisément. L’espace-temps se contracte. On ne voyage plus pour se déplacer, mais pour la destination. Cela se retrouve dans la culture visuelle. Dans Vers le Sud (2005), le temps de voyage entre les États-Unis et Haïti est supprimé pour arriver directement à destination. Même chose pour les films bondiens où 007 passe d’un pays à l’autre en une milliseconde.

Cette frivolité à l’égard du temps de voyage entraîne les spectateurs à développer des imaginaires du voyage où tout est proche, facile d’accès, quand on est un Occidental. L’avion et le véhicule motorisé ont permis ces gains de temps de déplacement. « Paris-Bruxelles aujourd’hui ? : trois heures de route environ, en échappant aux embouteillages, moins d’une heure et demie en train à grande vitesse, cinquante minutes d’avion. Il fallait aux contemporains de Louis David deux jours de diligence pour relier le Louvre à la place Royale de Bruxelles, puis vingt-quatre heures de galop en 1840. Ce trajet est ramené à douze heures en chemin de fer dix ans plus tard, et moins de six heures en août 1885 […] », dit Christophe Studeny dans son essai Une histoire de la vitesse : le temps du voyage.

Nouveaux imaginaires et nouvelles pratiques touristiques

Avec l’essor des plates-formes numériques et des réseaux sociaux, le tourisme s’engage Vers de nouveaux imaginaires. Netflix, Amazon, Disney et d’autres indiquent les lieux à aller voir : c’est le set-jetting. Après avoir vu Le seigneur des anneaux, on souhaite visiter la Nouvelle-Zélande, The White Lotus, Hawaï. Chez les jeunes, mais pas uniquement, les influenceurs, se présentant comme experts touristiques, orientent les flux tout aussi bien que les guides touristiques papier qui sont désormais un peu délaissés. Instagram, Pinterest, X s’appuient particulièrement sur les photographies qui favorisent le déploiement des imaginaires. Avec la démocratisation du téléphone portable, l’accès à ces photos, fortement esthétisées, est massif et donne l’impression qu’un monde parfait est à portée de clic !

© Pexels, Julie Aagaard

Du fait de l’essor du discours écologique depuis les années 1970, alimenté par l’urgence de préserver notre environnement en péril, le train et le vélo font l’objet de davantage de promotion touristique. Le transport ferroviaire, et notamment les imaginaires qui y sont associés, sont valorisés sous diverses formes : magazine Zadig, expositions dans les musées et dans les films.

En témoignent le retour de l’Orient-Express, le projet du train du Puy du Fou en 2025, le retour des trains de nuit. Ces voyages mythiques, luxueux et aventureux rappelant les temps glorieux du train font rêver les touristes. Les promoteurs insistent sur le confort, le bilan carbone moindre que l’auto ou l’avion et la volonté de se distancier face à l’accélération prégnante dans le quotidien.

On est proche du slow-tourisme qui se développe depuis les années 1980 avec une nouveauté, l’écotourisme. Ces deux éléments se retrouvent aussi dans les imaginaires déployés avec la pratique du cyclotourisme. La Loire, le Morvan, la Bretagne et l’Union européenne ont fait le pari du cyclotourisme en aménagement des voies spécifiques. Sont mis en avant la liberté de mouvement, le dépassement de soi, le faible bilan carbone, le contact avec le territoire. Cela concerne les touristes qui font des balades occasionnelles (loisirs/découvertes), les sportifs, ceux qui se déplacent sur leur lieu de vacances et les itinérants.

Des (nouveaux) imaginaires qui peinent à lier préservation de l’environnement et voyage

Même s’il est un peu tôt pour l’affirmer, il semble que les nouveaux acteurs « touristiques » n’enraillent pas le processus qui a cours depuis plus de deux siècles, à savoir que 95 % des touristes mondiaux se focalisent sur 5 % de l’espace terrestre. Les imaginaires apparaissent figés dans le temps. Cela conduit donc à des pics de surtourisme dans divers endroits.

Ces imaginaires ne sont pas réellement en adéquation avec les enjeux climatiques contemporains. Toutefois, certains influenceurs et des acteurs du tourisme utilisent les réseaux sociaux pour lutter contre les déviances du (sur) tourisme et proposer quelques alternatives mais elles sont encore trop minoritaires pour être mainstream. D’ailleurs l’usage du terme flygskam, apparu en Suède en 2018, qui signifie littéralement « la honte de prendre l’avion », est déjà en voie de disparition.

Les transports, indispensables à la réalisation d’un voyage touristique comptent pour 75 % du bilan carbone touristique. Sur ce pourcentage, 40 % sont le fait de l’avion et 30 % l’automobile. De plus, les imaginaires créés sont inégaux selon le transport. Ceux entourant l’avion, publicisés par les compagnies et les influenceurs, misent sur les destinations lointaines et exotiques et passent sous silence les enjeux environnementaux.

L’avion est certes à progressivement délaisser, mais cela nécessite de puissants imaginaires pour s’en détourner et ils ne sont pas légion. De même, la liberté et l’individualisme que permet le véhicule motorisé est difficile à combattre : l’accès aux espaces enclavés reste une gageure en transport en commun.

C’est justement sur ce mode qu’il faut miser davantage : autocar, autobus doivent se voir affublés d’imaginaires attractifs. Les récits et les images doivent valoriser la lenteur, le trajet doit être source d’aventure et de satisfaction, plus encore que la destination. Pour cela, il faut des relais. À quand James Bond ou Cristiano Ronaldo voyageant en autobus, en vélo ? Il en est de même pour Kylie Jenner, Zendaya ou encore l’influenceuse Léa Elui. Sauront-ils et elles promouvoir la préservation de l’environnement en même temps que leurs modes de déplacement touristique ?

Les acteurs du tourisme et de la préservation de l’environnement doivent travailler de concert pour sauver nos (futures) vacances. Cela passe par une révolution des mentalités et des pratiques avant de passer par une révolution technique. Il faut une révolution des imaginaires des voyages immédiate, puissante et attractive, car les mentalités changent très lentement.The Conversation

>> L’auteur :

Étienne Faugier, Maître de conférences en histoire , Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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