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LLe vélo serait-il le symbole d’une société en crise ?

En selle !
Car nous poursuivons notre étude sur le vélo, sujet de notre triptyque. Dans ce deuxième podcast, nous allons découvrir comment ce dernier peut illustrer les sociétés de crise, et notamment les cas de crise énergétique.

Allez vous êtes prêts ? On enfourche de nouveau notre vélo et on part  avec Clément LUY, doctorant en études italiennes à Triangle dont le travail de thèse porte sur le cyclisme à l’époque du régime fasciste italien. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Nous avons appris précédemment que le cyclisme et le vélo étaient très populaires dans l’Italie fasciste, mais que le régime a longtemps hésité à promouvoir ces activités. A partir du milieu des années 1930, il y a un revirement : que se passe-t-il concrètement ?

Clément Luy – Oui, tout à fait, on a parlé dans le podcast précédent très rapidement du contexte de crise et de sanctions économiques qui expliquait ce changement rapide. Dès que ce choix est fait un peu par obligation, la production des industries italiennes est fortement encouragée et promue par la propagande, notamment lorsqu’elle permet de mettre en place des prix accessibles aux consommateurs parce que le vélo ça coûte quand même encore un peu cher. Les associations fascistes du temps libre, donc le Dopolavoro, que j’ai déjà évoqué la dernière fois, s’organisent pour avoir de plus en plus de promotions et de tarifs de groupe en quelque sorte pour l’achat groupé des vélos et du matériel. Mais la situation empire progressivement avec le début de la seconde guerre mondiale en 1939, l’État fasciste incite de plus en plus à se déplacer à vélo en exerçant un contrôle strict des prix de vente, qui va se transformer carrément en 1942 en un contrôle des modèles vendus qui doivent tous correspondre à un même « type » pour économiser des matières premières. Enfin, la taxe sur la circulation des vélos est abolie et les cyclistes sont mêmes autorisés à emprunter l’ensemble des routes, y compris les premières autoroutes jusqu’ici réservées aux voitures. C’est vraiment un symbole de l’échec des rêves de motorisation, de l’automobile portés par le fascisme.

© Pixabay

L’Etat contrôlait donc le prix de vente des vélos afin que la majorité des personnes puissent en acheter. Aussi, pourrait-on dire que c’est un peu comme aujourd’hui avec les aides financières  ?

C.L. – C’est difficile de faire un tel parallèle historique mais il est certain que dans les moments de crise, les vélos apparaissent comme un moyen de transport simple, économique, sûr et assez fiable pour les trajets du quotidien. C’est quelque chose que l’on retrouve à plusieurs occasions donc actuellement, comme tu l’as dit, mais aussi il y a cinquante ans, en 1973 au moment de la crise pétrolière où en Italie l’usage privé des automobiles est interdit le dimanche et les jours fériés, ce qui entraîne un retour des vélos sur les routes italiennes pour les promenades du dimanche. Là encore, en 1973, c’est un moment de crise qui incite à promouvoir le déplacement à vélo. Malgré ces parallèles, ces similitudes, les discours sont très différents, les raisons de promouvoir le vélo ne sont pas du tout les mêmes en 1940, en 1973 et aujourd’hui parce que les sociétés ont bien changé. Mais le point commun du « vélo bon pour la santé » peut être aussi souligné. Sinon, on est dans des contextes bien différents.

Donc, finalement, à chaque crise d’énergie est corrélé l’usage du vélo ?

C.L – En effet c’est arrivé à plusieurs reprises et dans plusieurs contextes pour plusieurs raisons différentes au XXe siècle.

Pourrait-on dire que le vélo peut être une ressource en cas de crise ?

C.L – On pourrait, parce qu’il y a une facilité à utiliser le vélo qui en fait un substitut utile à d’autres moyens de transport beaucoup plus coûteux et beaucoup plus énergivores. C’est vraiment un aspect qui est mis en avant dans les manuels d’utilisation du vélo, ou dans les articles de presse publiés en Italie au début des années 40 et à la fin des années 30. Et il n’est d’ailleurs pas impossible que justement quand les privations se terminent, donc à la fin de la seconde guerre mondiale, et au début des trente glorieuses du miracle économique italien dans les années 1950, on cherche très vite à remplacer le déplacement à vélo par le déplacement en vespa ou en mobylette justement pour oublier cette situation de crise passée. Le vélo reste symbole de pauvreté et de privations, ce que l’on peut voir par exemple dans le film « le voleur de bicyclettes » qui est sorti en 1948 : c’est pour ça que les Italiens cherchent très rapidement à trouver d’autres moyens de transport, au moins pour leurs déplacements du quotidien, comme la vespa, les mobylettes. Le cyclisme, lui en tant que sport amateur ou professionnel, reste très populaire, comme en témoigne les histoires des grands champions des années 1940 et 1950.

Mais aujourd’hui, nous pouvons aussi ajouter que l’utilisation du vélo peut s’avérer être une alternative quant à l’émission de CO2, et notamment en ville ?

C.L – C’est une évidence et c’est la nouvelle urgence à laquelle on fait face, et c’est pour cela que l’État, ou la mairie ou la métropole, et puis même les administrations interviennent pour soutenir l’usage du vélo. Bien entendu, cette urgence écologique est nettement moins présente dans les années 1930, 1940, elle est carrément absente. Et on voit ainsi régulièrement, que dans un contexte de crise, l’Etat et les administrations publiques sont à l’initiative, de mesures de soutien. Ainsi, c’était aussi le cas en Italie, à la fin des années 1930, avec toutes les interventions de l’État pour soutenir la production et faire baisser les prix pour les consommateurs. C’était une intervention qui était elle aussi nécessaire en raison de l’urgence de la situation. De la même manière, l’Etat est intervenu très fortement lors du choc pétrolier de 1973, avec cette interdiction dont j’ai parlé pour les voitures de circuler le dimanche ; ou maintenant en France, avec les aides financières dont tu as parlé. Ces différentes mesures évidemment sont toutes différentes car elles prennent en compte la spécificité des contextes historiques et des urgences auxquelles il faut faire face et puis elles sont aussi limitées par les marges de manœuvre de l’État.


Précédemment : le vélo, outil de propagande, loisir ?

> À suivre…

Le prochain podcast du triptyque consacré au vélo posera la question de la popularité de ce moyen de transport.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle