Écologie - agronomie - développement durable - énergie / Homme - société / Ingénierie Dossier H2O'Lyon - Ecole Universitaire de Recherche - Université de Lyon|Pop'Sciences - Université de Lyon LL’intelligence artificielle : nouvelle alliée pour sauver nos ressources en eau ? | #3 – Dossier Pop’Sciences : Les actualités de l’eau © Image générée par IA L’intelligence artificielle (IA) est une alliée discrète mais essentielle dans notre quotidien. Bien que son rôle dans la robotique et la santé soit bien établi, son implication dans la gestion de l’eau l’est beaucoup moins. Pourtant, des réseaux de distribution d’eau aux satellites en passant par le suivi des polluants, l’IA révolutionne notre compréhension et notre capacité à préserver cette ressource. Quels progrès permet-elle ? Sommes-nous prêts à l’intégrer pleinement à notre gestion de l’eau ? Jusqu’où devons-nous lui faire confiance ? Plongeons ensemble au cœur du débat.Un article rédigé par Sonagnon Donald Boko, Romain Dopierala et Louis Estienne, étudiants du master 2 IWS de Lyon et la classe de terminale BFI du lycée Jean Perrin (Lyon) de Mr Jonatan Christiansen (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article) – Avril 2025.L’eau est une ressource vitale, mais elle fait face à de nombreux défis liés au changement global, notamment l’urbanisation et le changement climatique, qui entraînent des épisodes de pollution, de sécheresse et d’inondation. Pour y répondre, l’intelligence artificielle (IA) propose des solutions innovantes et ouvre de nouvelles perspectives.En analysant des données fournies ou collectées par des capteurs, l’IA traite l’information, résout des problèmes et détermine les actions les plus adaptées. Ses applications sont variées : l’IA prédictive permet d’anticiper des événements météorologiques ; l’IA embarquée, intégrée dans des objets connectés autonomes, facilite la surveillance des milieux aquatiques et de la biodiversité à distance ; enfin, l’IA générative, désormais bien connue avec des outils comme DALL·E ou ChatGPT, créée du contenu textuel ou audiovisuel.L’intelligence artificielle suscite des perceptions diverses, influencées par les expériences personnelles et professionnelles de chacun. Si elle transforme déjà notre quotidien, quel est son impact concret sur la gestion de l’eau et de l’environnement ?Observer et comprendre l’eau depuis le cielGrâce aux satellites comme Landsat ou Sentinel-2, il est désormais possible d’observer l’environnement à grande échelle avec une précision inédite en enregistrant diverses images essentielles, c’est la télédétection. Cependant, le traitement d’une telle quantité de données requiert des ressources considérables. C’est ici que l’IA intervient, par exemple, en filtrant les images dès leur acquisition (elle élimine celles où le couvert nuageux est trop important).Pour le suivi des sédiments fluviaux, l’IA permet de détecter leurs différentes tailles, une tâche laborieuse et ponctuelle sur le terrain. Or, la taille des sédiments est un paramètre clé pour comprendre la dynamique fluviale. Lorsque l’apport naturel en sédiments – qu’il s’agisse de sable, d’argile ou de galets – diminue, le cours d’eau compense en érodant les berges et son lit. Cette érosion fragilise les rives et perturbe l’équilibre entre l’eau de la rivière et la nappe souterraine. Ce phénomène a des répercussions majeures, non seulement sur la préservation des écosystèmes aquatiques, mais aussi sur les usages humains, notamment l’approvisionnement en eau et l’hydro-électricité.Granulométrie réaliser par Galet ©Styx4DIci, l’IA Galet V1 développée par Styx4D permet d’établir la granulométrie d’un banc de galets avec un gradient de couleur : rouge pour les plus grossiers, bleu pour les plus petits. En bas à droite, on retrouve un zoom sur le fonctionnement de l’IA, entraînée pour recomposer les galets partiellement visibles, pour avoir une plus juste mesure.Autre exemple, en agriculture, l’IA analyse des cartes d’humidité des sols et de structure des sols – qui reflète la capacité à retenir l’eau – pour recommander aux agriculteurs le meilleur moment pour arroser et la bonne quantité d’eau à utiliser. Cela assure une meilleure croissance des cultures, tout en préservant les ressources en eau.Lutter contre les fuites d’eauEn France, 20 % de l’eau potable transportée dans le réseau de distribution est perdue. Ce qui représente des millions de litres gaspillés chaque année et engendre un coût économique et environnemental considérable. Ce problème, souvent méconnu, nécessite des solutions efficaces pour limiter ces pertes. Grâce à l’IA intégrée aux capteurs connectés des canalisations, les fuites sont désormais détectées en temps réel avec une grande précision. Ces algorithmes permettent d’intervenir rapidement avant qu’elles ne s’aggravent, réduisant ainsi les coûts de maintenance et anticipant même certaines défaillances avant qu’elles ne surviennent.Prédire et prévenir les pollutions aquatiquesL’IA joue également un rôle clé dans la surveillance des réseaux d’eaux usées, en aidant à détecter les fuites qui peuvent être sources de pollution. Par exemple, des caméras connectées à des systèmes d’IA sont capables d’analyser l’état des canalisations et d’identifier d’éventuelles défaillances, permettant ainsi d’intervenir avant qu’une fuite ne se produise. L’entreprise suisse Pallon développe notamment des technologies innovantes dans ce domaine.Évaluation de l’état d’une canalisation d’eau usée ©e.g. Pallon Ltd., Zurich, Switzerland.Plus largement, la qualité de l’eau est un élément fondamental des écosystèmes aquatiques, et sa pollution constitue une menace majeure pour l’environnement et, par extension, pour la santé humaine. L’IA est essentielle dans l’analyse prédictive des événements futurs et la modélisation de scénarios. Grâce à ses capacités de calcul avancées, elle permet d’identifier le scénario le plus pertinent en fonction des critères définis.En croisant les données des capteurs de qualité de l’eau et des images satellites, l’IA identifie l’origine des pollutions (industrielles, agricoles ou accidentelles). Elle permet également de suivre et modéliser la dispersion des polluants, afin d’anticiper leur évolution et d’alerter les autorités avant que la situation ne devienne critique.De même, le réchauffement des cours d’eau met en péril la biodiversité aquatique et exacerbe les effets des pollutions organiques (engrais, rejets des stations d’épuration…). De nombreux organismes, comme les poissons, sont extrêmement sensibles aux variations de température. Là encore, l’IA joue un rôle clé en améliorant la modélisation de la température des cours d’eau selon différents scénarios. Ce qui aide à la mise en place de mesures de protection, telles que la revégétalisation des berges pour limiter le réchauffement de l’eau.Générer pour mieux gérerAprès avoir exploré l’impact de l’IA embarquée et prédictive sur les sciences de l’eau, penchons-nous à présent sur l’IA générative à travers deux exemples concrets. Pour faire évoluer Galet V1 vers Galet V2, l’amélioration des modèles d’IA a nécessité un entraînement supervisé approfondi. Les images réelles disponibles ne suffisaient pas : elles étaient trop peu nombreuses, manquaient de diversité et ne permettaient pas une bonne compréhension des surfaces partiellement visibles. Cette limitation a conduit à la décision de générer des images encore plus réalistes que celles utilisées pour la V1. Grâce à l’utilisation de Stable Diffusion, des images photoréalistes ont été créées, avec des dimensions des galets connues, permettant ainsi d’entraîner le modèle V2 de manière optimale. Les jeux de données générés par Styx4D sont présentés ci-dessous.Images générées par Stable Diffusion et entraînement de détection de galets par Galet ©Styx4D.Un autre domaine où l’IA générative trouve des applications intéressantes est l’aide à la décision. Un exemple concret de cette application est celui des étudiants du Master Integrated Watershed Sciences de H2O’Lyon, qui ont utilisé Fooocus AI pour générer des images à partir d’une image de bonne qualité. L’IA, lorsqu’elle reçoit un « prompt » — instructions données à l’IA pour générer du contenu. — modifie l’image en fonction de ces instructions.L’implémentation des solutions fondées sur la nature nécessite souvent des supports visuels pour faciliter la communication et la projection de ces aménagements entre les différents intervenants — urbanistes, gestionnaires des eaux pluviales ou citoyens. Par exemple, pour la place Bellecour, les suggestions, étaient l’intégration d’arbres en pot ou en pleine terre, de pelouses, mais aussi l’optimisation de la circulation piétonne au sein de structures végétales (jardins à la française) et l’intégration d’espaces polyvalents tels que des aires de loisirs ou des terrains de sport.Images générées de la place Bellecour à Lyon selon différents aménagements. ©H2O’LyonCes visuels jouent également un rôle essentiel dans la sensibilisation des citoyens et des responsables politiques aux effets du changement climatique et à son impact sur des espaces urbains emblématiques. Enfin, deux scénarios de catastrophes naturelles ont été générés : une simulation de sécheresse sur le lac du parc de la Tête d’Or et une autre d’inondation dans le quartier de l’Hôtel-Dieu.Génération d’un scénario de sécheresse sur la lac de la Tête d’Or, Lyon. ©H2O’LyonGénération d’un scénario d’inondation à l’Hôtel-Dieu, Lyon. ©H2O’LyonVers une gestion intelligente et responsable de l’eauL’intelligence artificielle présente un fort potentiel, mais soulève également des défis majeurs, qui ne sont pas uniquement technologiques, mais aussi sociétaux et environnementaux. L’IA, fondée sur des algorithmes, hérite des biais des données utilisées pour son apprentissage. Si ces données sont incomplètes ou biaisées, les résultats peuvent être faussés. Un autre défi majeur est l’effet « boîte noire » : certains modèles d’IA manquent de transparence, rendant leurs décisions difficiles à expliquer, ce qui freine leur adoption en toute confiance. Ces limites alimentent des préoccupations sociétales et éthiques, notamment en matière de transparence et de confiance dans ces technologies.À cela s’ajoute un enjeu environnemental, particulièrement pertinent dans le domaine des sciences de l’eau : par exemple, l’entraînement de ChatGPT-3 a consommé 1 287 MWh d’électricité, générant 552 tonnes de CO₂, soit l’équivalent de plus de 300 allers-retours Paris-New York !Malgré ces défis, l’IA peut être une alliée stratégique, à condition d’être encadrée par des principes solides. Elle ne doit pas remplacer l’intelligence humaine, mais la compléter. Sa gouvernance et son développement nécessitent une supervision rigoureuse et des outils de contrôle adaptés. Pour cela, la communauté scientifique a identifié cinq piliers fondamentaux : la justice, pour garantir une représentation équitable des minorités ; l’explicabilité, afin de rendre ses décisions compréhensibles ; la robustesse, pour éviter erreurs et dérives ; la transparence, afin d’assurer un usage responsable ; et la protection des données, pour préserver leur confidentialité.Quoi qu’il en soit, les sciences de l’eau n’ont pas fini d’évoluer !Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec Sonagnon Donald Boko, Romain Dopierala et Louis Estienne, étudiants du master 2 IWS (par ordre alphabétique) : Al Barazi Omar, Ayadi Aya, Bolitho-Cummins Frédérick, Deglon Thomas, Desire-Piombo Pia, Hainaut Niagara , Mezrar Ilyan, Nedelec-Spencer Gaëlle Anne, Keissy Léna, Petit Melina and Thiery Yaelle.