Pop’Sciences répond à tous ceux qui ont soif de savoirs, de rencontres, d’expériences en lien avec les sciences.

EN SAVOIR PLUS

Ressources

Histoire - géographie / Homme - société

Dossier

Université de Lyon|Université Lumière Lyon 2

LLes cités-produit, ou l’expérience de consommation de la ville

©jason-lam

Les villes ont la propension immédiate à symboliser une porte d’entrée de territoire. C’est-à-dire que leur notoriété historique et géographique, parfois antique, et leurs aménagements de réseaux d’entrée/sortie (ferroviaires, aériennes, et routières), en font des catalyseurs de valeur qui les ont poussés à s’engager depuis quelques décennies dans une démarche de marketing territorial qui, au départ, était d’avantage orientée vers la favorisation des flux touristiques.

20 mai 2019

Isabelle Lefort est professeure de géographie à l’Université Lyon 2, spécialiste des enjeux du tourisme, des loisirs et des patrimoines. Selon elle, le marketing territorial s’entend au sens des « politiques de régénération et d’attractivité urbaines » qui s’adressent directement à nos émotions et cherchent à produire des expériences singulières de la ville.

 

Une compétition mondiale

La mondialisation, entendue ici comme le processus d’accélération des échanges enregistré depuis les années 198O, produit et traduit un double mouvement de standardisation et de singularisation. Standardisation parce que les modalités des échanges, de la circulation des flux, de la normalisation des produits sont constitutives de la fluidité du marché. Singularisation, parce que l’entrée sur ce même marché requiert de déployer des avantages comparatifs (ce « plus » qui fait le propre du produit).

Après avoir historiquement concentré les fonctions de productions et de décisions, les grandes villes capitalisent aujourd’hui aussi sur leurs singularités urbaines (architecture, ambiance, infrastructures culturelles) pour participer d’un vaste système concurrentiel d’attractivités plurielles (installation d’entreprises, augmentation des flux touristiques). Après les produits matériels, les espaces sont devenus partie prenante du processus. Ce passage à la logique de marché et surtout les effets de la néo-libéralisation a certes (re)dessiné des hiérarchies mondiales (les villes-mondes) mais se décline aussi à des échelles moyennes, européenne par exemple, voire nationale.

Ce processus fonctionne en valorisant conjointement deux dimensions, conçues et déployées en système dynamique. La première concerne les relations extérieures des grandes villes, leur permettant de participer des flux de visiteurs et de touristes, ce dernier secteur de service étant particulièrement rémunérateur pour les acteurs économiques et globalement pour les territoires. La seconde participe d’une valorisation de l’installation résidentielle et d’entreprises (attraction de CSP supérieures, de niveau sélectif de services). Évidemment l’une et l’autre concourent à une même stratégie urbaine de développement, conçue selon la boucle vertueuse de leurs interrelations.

Quand le marketing s’applique au territoire

L’expression « marketing territorial » ne constitue pas une métaphore pour penser les mises sur le marché des villes, mais relève bien d’un transfert des pratiques managériales usitées pour les entreprises. Les outils développés par les professionnels de ce marketing montrent assez que les modes d’action déployés pour des produits ou des territoires présentent des similarités à la fois conceptuelles et méthodologiques. Il est ainsi significatif de relever que les (grandes) villes voire les métropoles ont mis en œuvre des politiques de labels (à l’instar des produits agricoles) avant de passer à la « marque » (stratégie de branding).

Les premiers relèvent de nomenclature nationale (en France, quartiers historiques valorisés par les labels de ville et de pays d’art et d’histoire, VPAH) ou internationale (label UNESCO). La labellisation implique l’adoption et le suivi d’un cahier des charges (plan de gestion par exemple) qui peut aisément conduire à reproduire, de façon générique et mimétique, les mêmes modes opératoires. La marque, au contraire, obéit à une logique de revendication de singularité. C’est ainsi qu’après le succès de New York (marque déposée en 1977), de nombreuses villes ont suivi cette trajectoire (Amsterdam, Lyon, Metz), élaborant des logos et mettant en place des campagnes de communications : «I’amsterdam», «Lond-on», «Only Lyon».

Toutefois, au moins deux paramètres y fonctionnent de façon spécifique par rapport au marketing d’entreprise ou institutionnel : pluralité et hétérogénéité statuaire des acteurs (politiques lato sensu et économiques) d’une part et d’autre part, objectifs conjoints de maximisation des profits (retours sur investissements) et territoriaux (création d’emplois, améliorations des situations territoriales). Les acteurs du marketing territorial, généralement initié et piloté par les collectivités territoriales, les chambres de commerce et/ou les représentants de l’Etat, rassemblent donc une pluralité d’instances (comité du tourisme, pôle de compétitivité, agence d’attractivité) ou des regroupements d’acteurs dans le cas du branding (Only Lyon, Hubstart Paris Region, Amsterdam Marketing, etc.). Ainsi à Lyon la marque déposée en 2OO7 combine opérations à destination de la population résidente (Lyon Welcome attitude), la mise en réseau des sites (« City card » et centrale de réservation ou le site « Mon week-end à Lyon »). Les stratégies d’iconi-cité de ce type de marketing sont visualisées par un flagship, figure iconique du territoire (à Lyon passage de Fourvière au Musée des Confluences).

 

L’expérience touristique, pierre angulaire du marketing territorial

Ce marketing territorial vise à recycler les matérialités (architecture, points de vue et paysages urbains) et immatérialités urbaines (réputation, imageries collectives) en « ressources », en travaillant à la fois les aménagements & leurs visibilités. Le secteur touristique, secteur de service fort rémunérateur, s’est ainsi profondément renouvelé dans son enrôlement métropolitain dans le cadre des politiques de régénération et d’attractivité urbaines après les crises industrielles de la fin des Trente Glorieuses. Les villes et métropoles sont ainsi redevenues des destinations touristiques (ce qu’elles étaient aux origines du tourisme), ou bien ont cherché à le devenir. La relation entre tourisme et métropole, dans un contexte de globalisation économique, se sont dès lors intensifiées et diversifiées, participant pleinement d’une stratégie de construction et de valorisation identitaires.

La montée en puissance des city break, ces courts séjours qui se sont développés conjointement au fractionnement des temps de vacances et à la dérèglementation du transport aérien qui en a abaissé les coûts pour les usagers en atteste. Ces espace-temps touristiques en ville (un gros week-end sous la forme d' »escapades en ville », de « week-end coups de cœur » et autres « découvertes capitales ») a d’abord bénéficié aux villes rentières de leur passé touristique (Amsterdam, Paris, Venise) puis a enclenché un processus de mimétisme qui rend compte aujourd’hui d’une offre très large. Les capitales nationales en ont évidemment profité (Berlin, Varsovie, Prague) mais également des villes de second rang dans les réseaux urbains (Turin, Milan, Lyon, Dublin). Cette concurrence fonctionne aujourd’hui comme un levier dont s’emparent des métropoles, voire des agglomérations de moindre taille, pour positionner leurs politiques publiques de développement et d’aménagement et actualiser les projets de patrimonialisation. C’est ainsi que les spécificités architecturales, les histoires et les paysages de la ville sont mobilisés pour produire un (nouveau) discours métropolitain, une forme de récit conçu pour faire circuler des valeurs attractives (reconquête des fronts d’eau, « starchitecture ») : ainsi à Lyon, la geste urbaine a fait appel pour  l’hypercentre historique à J. Nouvel (1993, Opéra), à D. Buren (1994, place des Terreaux) et pour les opérations d’envergues aux péricentres à R. Piano (1985-2007 pour la Cité Internationale) ou le projet Confluence (1998, Coop Himmelb(l)). Mais ce sont également des dispositifs de rénovation multifonctionnels qui y participent comme l’illustre la rénovation de l’Hôtel Dieu à Lyon qui combine offre commerciale, hôtelière de luxe et Cité de la gastronomie.

Sont alors mobilisés et recyclés des structures muséales, selon les normes des standards métropolitains (vague de rénovation des grands musées : Lyon, Berlin et l’Ile aux Musées, Athènes) voire crées de toutes pièces : les musées d’Art contemporain ont largement servi à cette stratégie, dont on espère une réplique du fameux effet Bilbao ou de la Tate Gallery à Liverpool. Mais ce sont également des modalités temporelles qui sont mobilisées : après avoir marchandisé les ressources héritées, c’est l’installation calendaire de moments urbains qui alimente et diversifie l’offre, après que la « tradition » se recycle en offres touristiques (carnaval de Venise ou de Menton, Fête de la Bière à Munich).

L’expérience « fête des lumières » s’exporte à Dubaï

Ainsi de l’événementialisation urbaine (festivals, biennales, capitale européenne de la culture, mais également congrès internationaux) dont l’objectif est d’assurer une actualisation régulière et pérenne. Ainsi à Lyon, Biennale de la danse (1984) et d’art contemporain (1991), Festival Lumière (2009), festival label Soie (2O11) se sont progressivement installés dans l’agenda métropolitain en plus des événements professionnels internationaux (SIRHA, Pollutec, Solutrans) ou artistiques (les Nuits de Fourvière)

Ce faisant, ce sont les pratiques du marketing expérientiel (censé être au plus près des attentes des différents publics cible) et du tourisme expérientiel (faire vivre des expériences singulières, faire éprouver des émotions) qui participent des mises en œuvre (déambulation, dégustation, immersion) pour faire advenir une nouvelle circulation des images et des représentations. La multiplication de ces offres participe d’un brouillage des catégories du tourisme et des loisirs dans la mesure où elles sont susceptibles d’être pratiquées aussi bien par les populations résidentielles que par les visiteurs. De ce point de vue, les mutations urbaines participent d’une transformation culturelle en profondeur du rapport à la ville (le Paris-plage initialement destiné aux parisiens est devenu une attractivité touristique), contribuant à des nouvelles figurations urbaines élaborées autour des paradigmes de la ville culturelle et festive.

Isabelle Lefort