Par Samuel Belaud
Photographies : Visée.A
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Qualité du diagnostic, suggestion de traitement, suivi personnalisé des patients, prévention : l’IA va modifier en profondeur le parcours de soin des patients. Médecin oncologue au Centre Léon Bérard à Lyon, engagé dans plusieurs programmes de recherche sur les applications de l’IA dans le domaine de la santé, Pierre-Étienne Heudel dessine les contours de l’hôpital public de demain.
L’analyse automatique des images révolutionne déjà le parcours de soin et les métiers
Le 28 mai 2018, une équipe internationale de chercheurs a dévoilé, dans la revue Annals of Oncology, la conception d’un algorithme de détection de mélanomes par apprentissage profond. Sur une série de 100 photographies, le taux de réussite du programme dans le diagnostic de ce type de cancer de la peau surclasse celui d’un groupe de 58 dermatologues spécialistes (95% contre 87%).
Pierre-Étienne Heudel observe que l’analyse automatique d’images (scanners, IRM, mammographies, échographies…) est aujourd’hui « poussée à son paroxysme par le deep learning*.» Nous assistons à une très impressionnante course à l’innovation dans ce domaine et les applications sont extrêmement prometteuses, insiste-t-il « tant au niveau du diagnostic, que dans l’appréhension des risques évolutifs d’une maladie. »
Le deep learning, ou apprentissage profond, désigne un des paradigmes de l’intelligence artificielle qui génère automatiquement des connaissances et des modèles intelligents à partir de couches successives de grandes quantités d’information. Cette technologie n’est pas « consciente » des images qu’elle analyse. Dans ce cas précis, l’algorithme interprète en réalité un amas de pixels qu’il reconnaît comme étant agencés de telle manière qu’ils correspondent à un certain diagnostic.
L’oncologue appuie ses propos sur les avancées d’un programme de recherche pluridisciplinaire auquel il est associé. Depuis une année à Lyon, avec le professeure Françoise Galateau-Sallé de l’Unité d’Anatomie et cytologie pathologique du Centre Léon Bérard et la start-up française OWKIN, toute une équipe développe une IA qui facilite l’étude morphologique d’anomalies microscopiques sur des cellules de surfaces. Basé sur de complexes algorithmes d’apprentissage (machine learning), ce projet lancé il y a moins d’un an permet d’analyser des correspondances entre certaines morphologies cellulaires précises et des diagnostics d’une rare et virulente forme de cancer : le mésothéliome. Les résultats et la vitesse à laquelle l’intelligence artificielle apprend et améliore ses performances, impressionnent Pierre-Étienne Heudel. Le médecin observe que le modèle, bien qu’encore balbutiant, est aujourd’hui « aussi performant dans l’analyse que l’expert mondial de la maladie ». Il présage ainsi que « l’analyse automatique de l’image et l’IA de manière générale, vont profondément modifier la prise en charge de nos patients dans les 5 à 10 ans ».
Il s’attend à ce que l’impact de l’intelligence artificielle atteigne des sommets lorsque nous réussirons à opérer des corrélations entre différents types de données de santé et environnementales (textes, images, informations génomiques, cartographies, statistiques…).
Croiser les bases de données biologiques, génétiques, environnementales et médicales
Les programmes d’intelligence artificielle en santé sont et seront structurés à partir d’immenses quantités de données qu’il faut normaliser et rendre intelligibles, comme des compte-rendus de consultations, des résultats de prise de sang, des diagnostics, ou encore le suivi des vaccinations. Pierre-Étienne Heudel précise que cet exercice délicat et filandreux d’informatisation et d’ordonnancement des données de santé est déjà bien avancé, en particulier en région Auvergne-Rhône-Alpes (où près de quatre millions de profils ont été enregistrés au DPPR (Dossier patient partagé et réparti). Cette masse d’information est une aubaine pour les professionnels qui peuvent aisément exploiter et croiser des informations, grâce notamment à l’outil ConSoRe (outil de recherche d’informations disséminées dans le texte de centaines de milliers de dossiers des patients des centres de lutte contre le cancer).
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Demain, l’IA permettra de croiser des informations sur les antécédents héréditaires de millions de personnes atteintes d’un certain type de cancer, avec les réponses que ceux-ci ont développées face à différents types de traitements, mais également avec leurs habitudes nutritives, leur activité physique ou encore leurs résultats de diagnostics biologiques établis au fur et à mesure de l’évolution de leur maladie. En faisant corroborer des bases de données cliniques ou génomiques (sur l’hérédité par exemple), avec des informations liées à l’environnement ou les habitudes sociales de très nombreux patients, nous allons bénéficier de systèmes capables de catégoriser, et comparer des quantités infinies d’informations pour en déduire une réponse la plus juste possible.
Pierre-Étienne Heudel prend pour exemple un projet, auquel il est associé aux côtés de l’unité Cancer et environnement du centre Léon Bérard, sur les « seconds cancers ». 18% de la population française est touchée par le phénomène de déclaration d’un deuxième type de cancer, après avoir déjà été touché par la maladie. À ce titre, le médecin s’est demandé si les pollutions environnementales (de l’air, de l’alimentation et de l’eau) ne pouvaient pas expliquer un peu cette tendance. « L’objectif est ici de croiser les données cliniques issues de ConSoRe, avec des bases de données environnementales » issues, notamment, du travail de géomaticiens qui modélisent des environnements et des expositions au polluants sur des cartes complexes et dynamiques.
« La complexité et la quantité des informations qu’un algorithme sera capable de digérer et d’analyser est bien supérieure à ce que des experts, même réunis collégialement autour d’un cas particulier, ont comme capacité d’intelligences collectives. »
Vers une réussite de la médecine personnalisée et intégrée
Demain les patients arriveront en cabinet avec des pré-résultats issus d’une application mobile. « Évidemment, précise Pierre-Étienne Heudel, l’histologie et des prélèvements viendront corroborer ou infirmer ces présomptions de maladies ». Pour autant, la grande famille des praticiens de santé (infirmiers, médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, auxiliaires, etc.) ne pourra pas éviter le virage technologique de l’IA, tant celle-ci va révolutionner leur métiers et les parcours de soin.
« L’intelligence artificielle offrira une aide précieuse et sans précédent dans le processus de décision, mais pour autant, les métiers ne seront pas voués à disparaître » insiste-t-il. Rien ne pourra remplacer une relation de confiance entre un patient et un professionnel de santé et il sera toujours nécessaire de valider des pré-diagnostics, ainsi que les suggestions de traitements qui leurs sont associés.
Des parcours personnalisés et plus participatifs
Les hôpitaux publics pourraient voir leur fonctionnement rapidement bouleversé par l’irruption de l’IA dans le parcours de soin, en passant de modèles généralistes à des centres très spécialisés. L’expert fait une analogie avec le cas des « plans cancers » qui ont permis la création en 2010 de la fédération UNICancer et ont radicalement transformé le parcours de soin dans le cas de la la lutte contre cette maladie : « nous avons aujourd’hui trois fois moins d’établissements qui traitent le cancer qu’il y a 15 ans, et pourtant la qualité des diagnostics et des soins n’a jamais été aussi performante ». L’intelligence artificielle va ainsi, selon lui, accélérer ce mouvement et faire que les centres spécialisés deviennent les centres de décision.
Quant à la prise en charge du patient, « nous avons l’opportunité de la relocaliser au plus près de son domicile » augure-t-il. L’IA permettra un meilleur partage de l’information et des compétences entre les spécialistes et les pharmaciens en officine, les infirmiers à domicile ou le médecin généraliste des patients. Pierre-Étienne Heudel insiste : « il est fondamental, au regard de ce que le rapport de Cédric Villani préconise, de bien former tous les praticiens de santé (tant en formation initiale que continue), afin d’assurer la sécurisation du parcours de soin et d’améliorer l’interaction avec des patients de plus en plus experts ».