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Océans

L’océan, garant de l’équilibre climatique

« Qu’elle est bleue ! » Ce cri du cœur fut celui des astronautes d’Apollo 8, les premiers à quitter l’orbite terrestre, il y a cinquante ans, en voyant notre planète depuis l’espace. Ce bleu, qui caractérise si bien la Terre, est la marque de l’océan qui couvre 71% de la surface du globe.

Par Benoît de La Fonchais, avec Sylvain Pichat, maître de conférences en géochimie, Laboratoire de géologie de Lyon Terre, Planètes, Environnement (LgL-TPE) [1] et chercheur invité au Max Planck Institute for Chemistry, Paleoclimate Department (Allemagne).

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Avec une profondeur moyenne de 3 400 mètres, cette étendue représente un volume d’eau considérable (1,4 x 1021 litres). Par les échanges incessants de chaleur, d’eau et de gaz qu’il entretient avec l’atmosphère, l’océan joue un rôle déterminant dans la régulation du climat global. Comment fonctionne ce formidable « climatiseur » qui a permis à la vie de s’épanouir sur notre planète ?

 

L’océan, réservoir de chaleur

L’océan absorbe l’essentiel du rayonnement solaire qu’il reçoit. En raison de sa masse, il constitue un énorme réservoir d’énergie thermique (on estime que sa capacité calorifique est environ 1 200 fois supérieure à celle de l’atmosphère). Si l’on observe une carte de la température de surface de l’océan (ci-dessous), on voit qu’elle varie selon la latitude : d’une trentaine de degrés aux tropiques jusqu’au voisinage de 0°C aux pôles (la mer gèle à -2°C, car elle est salée).

Carte des températures de surface océanique / DR

Ce stockage de chaleur s’effectue principalement dans les couches supérieures de l’océan. A partir de 200 m de profondeur, la température décroît rapidement. La température moyenne de l’océan s’établit ainsi autour de 2,3°C. Mais l’océan ne fait pas que stocker l’énergie thermique, il la redistribue de la zone intertropicale (en rouge sur la carte) vers les hautes latitudes (en bleu sur la carte) par le biais de la circulation océanique. C’est là qu’interviennent les courants océaniques.

À lire : Dans la peau de l’océan

 

La fonction régulatrice de la circulation océanique

La circulation générale océanique peut être subdivisée en deux composantes : la circulation superficielle et la circulation profonde, parfois appelée circulation thermohaline. La première est générée par les vents et la rotation terrestre (force de Coriolis) : ce sont les courants océaniques de surface, bien connus des navigateurs. Elle s’organise en grands tourbillons symétriques par rapport à l’équateur. Les tourbillons subtropicaux collectent les eaux réchauffées le long de leur parcours équatorial d’est en ouest. Ces eaux se concentrent dans les grands courants chauds et rapides des bords ouest des océans, tel le Gulf Stream dans l’Atlantique Nord. Ces courants se déploient ensuite en direction des pôles en restituant leur chaleur à l’atmosphère. Il faut environ un an à l’eau pour parcourir ce circuit de surface.

Par les échanges permanent de chaleur, d’eau et de gaz qu’il entretient avec l’atmosphère, l’océan joue un rôle déterminant dans la régulation du climat global

Deuxième composante de la circulation océanique : la circulation profonde. Elle est parfois qualifiée de « thermohaline » parce qu’elle dépend, en partie, de la densité de l’eau, laquelle varie en fonction de sa température (« thermos », chaud en grec) et de sa salinité (« halos », sel). Plus une eau est froide et salée, plus sa densité s’accroît ; elle s’enfonce alors dans les profondeurs : les océanologues disent qu’elle « plonge ».

Lorsque le Gulf Stream parvient dans l’Atlantique nord, sa densité a augmenté par évaporation tout au long de son trajet et il se refroidit. Ses eaux se mélangent alors aux eaux polaires et plongent rapidement à de très grandes profondeurs (2 500-4 000 m). Elles progressent ensuite lentement (350 m/an en moyenne) en direction de l’Atlantique Sud où une partie des eaux remonte vers la surface (phénomène d’upwelling). L’autre partie se mélange avec les eaux profondes formées autour de l’Antarctique, en mers de Weddell et de Ross, grâce au refroidissement des eaux de surface. Cette branche de la circulation profonde chemine autour de l’Antarctique et remonte vers le nord dans les différents océans. Ces eaux finissent par remonter vers les couches plus superficielles. Ce circuit s’effectue à une échelle de temps d’un peu plus d’un millénaire.

Rahmstorf S. (2002) Circulation océanique et climat au cours des 120 000 dernières années. Nature n° 419

L’ensemble de cette circulation constitue la composante océanique de la machine thermique planétaire ; on la compare souvent à un gigantesque « tapis roulant ». Elle est stable depuis plus de 8 000 ans, date de la fin de la dernière glaciation, et contrôle, à travers les échanges océan/atmosphère, le climat global de la planète.

 

L’océan, un puits à carbone

Intéressons-nous à présent aux échanges gazeux, et plus spécialement au dioxyde de carbone (CO2). Nous savons tous aujourd’hui que sa concentration dans l’atmosphère a fortement augmenté depuis le début de l’ère industrielle, passant ainsi en deux siècles de 280 à 410 ppm (ou mg/L). Le premier effet de cette augmentation est une hausse de la température moyenne de la planète par accentuation de l’effet de serre. Le second est un déséquilibre du cycle global du carbone.

Si la tendance se poursuit, le risque est de saturer le puits de carbone que représente l’océan
Sylvain Pichat. Maître de conférences en géochimie, Laboratoire de géologie de Lyon Terre, Planètes, Environnement (LgLTPE) et chercheur invité au Max Planck Institute for Chemistry, Paleoclimate Department (Allemagne).

L’océan, en effet, est aussi un gigantesque réservoir de carbone, principalement sous forme d’ions bicarbonates (HC03). Il en stocke 66 fois plus que l’atmosphère et en échange chaque année avec ce dernier une centaine de milliards de tonnes, sous forme de CO2. Une partie de ce carbone est utilisée par le phytoplancton, qui vit dans les couches supérieures de l’océan, pour effectuer la photosynthèse. Ce phytoplancton est la base des chaînes alimentaires marines. Une fraction de la matière organique ainsi produite chute sous forme de particules vers les profondeurs. Une partie encore plus infime (< 1%) atteindra le fond de l’océan et sédimentera pour de très longues périodes. L’absorption du CO2 atmosphérique est également soumise à des processus physico-chimiques. Le refroidissement des eaux de surface aux hautes latitudes augmente leur capacité à dissoudre le CO2. Lorsque ces eaux plongent, en raison de leur densité, dans la circulation profonde, comme on l’a vu plus haut, elles entrainent avec elles le CO2 dans l’océan profond.

L’océan a absorbé environ 25% du CO2 d’origine anthropique, la biosphère en captant 25%, le reste, 50%, s’accumulant dans l’atmosphère. Mais si la tendance se poursuit, le risque est de saturer le puits de carbone que représente l’océan et de provoquer des phénomènes en cascade sur l’ensemble du cycle du carbone planétaire et, ultimement, sur le climat global.

Les effets du réchauffement climatique sur l’océan

Par son rôle tampon, l’océan contribue à ralentir le dérèglement climatique. Il a absorbé ainsi le quart du CO2 rejeté dans l’atmosphère par les humains et plus de 90% de la chaleur induite par ce rejet. Mais à quel prix ? Réchauffement des eaux, acidification liée à l’absorption du CO2 anthropique, désoxygénation, montée des eaux liée à l’expansion thermique et à la fonte des calottes glaciaires et des glaciers… avec des conséquences importantes pour les sociétés humaines et pour les écosystèmes, comme le souligne le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans son rapport spécial sur l’océan et la cryosphère (régions gelées de la planète) de 2019. « La fonte des glaciers et des calottes polaires est désormais la première cause de l’élévation du niveau marin (+1,8 mm/an), devant l’expansion thermique des masses d’eau (+1,4 mm/an). Elle pourrait dépasser 1 m à la fin du siècle dans les pires scénarios », avertit le groupe d’experts. Il déplore aussi les effets délétères des vagues de chaleur qui affectent les eaux de surface et de la baisse du pH (acidification) sur les écosystèmes marins, notamment les récifs coralliens tropicaux qui abritent le tiers des espèces marines connues. Il pointe enfin une diminution de l’oxygène et des nutriments dans les eaux de surface, qui se mélangent moins facilement avec les eaux plus profondes. Autant d’alertes qui devraient nous pousser à agir sans plus attendre.


Références

[1] CNRS – ENS de Lyon – Université Claude Bernard Lyon 1

Bibliographie

  • Un océan en bonne santé, un climat protégé, plaidoyer de la plateforme Océan & Climat.
  • The ocean as a solution to climate change, High Level Panel for a sustainable ocean economy
08'
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