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La cryptographie face à la menace quantique

LLa cryptographie face à la menace quantique

Faut-il s’inquiéter pour la sécurité de nos communications ? Comment renforcer les méthodes cryptographiques afin de les rendre résistantes face à l’avènement éventuel de l’ordinateur quantique ?

Benjamin Wesolowski, mathématicien et cryptologue à l’Unité de mathématiques pures et appliquées, évoque les nouveaux défis de sa discipline pour CNRS le Journal.

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Cnrs le journal

Comment la physique quantique révolutionne l’informatique !

CComment la physique quantique révolutionne l’informatique !

À l’ENS de Lyon, Benjamin Huard et son équipe explorent les mécanismes de la physique quantique les plus contre-intuitifs. Leurs expérimentations ouvrent la voie à l’informatique quantique et à d’extraordinaires capacités de calculs.

Un article rédigé par Fabien Franco, journaliste, Lyon

« Machine quantique  » /©FF

Superposition, intrication et hasard quantiques, autant de propriétés de la physique quantique qui demeurent obscures pour tout béotien en la matière. Pour certains, en revanche, ces mots traduisent une réalité appréhendée au quotidien. Au laboratoire de physique de l’École normale supérieure de Lyon, l’équipe dirigée par Benjamin Huard explore les phénomènes physiques à l’œuvre dans des dispositifs qu’elle conçoit, fabrique et mesure. Son objectif à terme est de pouvoir créer des machines quantiques à la puissance de calcul jamais atteinte jusqu’alors. Elles serviraient à la cryptographie, le codage de la transmission de l’information, et à réaliser des calculs beaucoup plus complexes que ceux effectués par l’informatique classique et en des temps records.

Pour comprendre cette évolution en cours, un détour par le labo s’impose.

Ultra-technologie et seau en plastique

L’ouverture vers la machine quantique/©FF

Un long couloir, comme tant d’autres dans les universités. À gauche, une pièce encombrée d’ordinateurs, d’étagères métalliques, de fils et de câbles. Soudain, un seau en plastique jaune, incongru dans cet univers ultra technologique attire le regard. On se penche et l’on s’aperçoit que le fond percé laisse passer des câbles en provenance de l’étage inférieur. « En dessous c’est le frigo ! » indique un post-doctorant. Première leçon : la machine quantique aime le froid, un froid proche du zéro absolu, soit moins de 273 °C. « Contrairement à l’ordinateur classique, les circuits quantiques ont besoin d’un environnement stable sans excitations thermiques qui viendraient modifier les propriétés des qubits qui y circulent » indique le directeur de l’équipe. Deuxième info : ici on ne parle plus en langage binaire, c’est-à-dire en bit, soit 0 ou 1, mais en qubits, soit toute combinaison simultanée de 0 et 1, en raison de la nature quantique, et non plus électronique, de l’information stockée. Cette capacité de l’ordinateur quantique permet d’obtenir la totalité des résultats possibles d’un calcul non plus d’une manière séquentielle (étape par étape) comme le fait l’ordinateur classique, mais en une seule étape. Ce gain de temps et de puissance inégalés, on le doit aux mécanismes de superposition et d’intrication quantiques. Ce sont ces propriétés physiques surprenantes que les chercheurs de l’ENS de Lyon manipulent avec le plus grand enthousiasme.

La mémoire des états superposés

La superposition, c’est la capacité d’un atome, d’une particule ou encore d’un circuit supraconducteur1 à se retrouver dans deux états physiques à la fois : un état superposé. Pour comprendre, imaginons le circuit comme étant une pièce de monnaie. Les deux états du circuit, appelés 0 et 1, sont comme les côtés pile ou face de la pièce. Si on lui envoie un flash de lumière, le circuit change d’état comme si on avait retourné la pièce. Cependant, si on envoie la moitié d’un flash de lumière seulement (c’est-à-dire sa tension divisée par deux ou le temps divisé par deux), le circuit se trouve dans un état similaire à une pièce posée sur sa tranche.

Mesurer le circuit revient à secouer la table sur laquelle est posée notre pièce de monnaie, sur la tranche : il y aurait alors 50% de probabilité qu’elle tombe côté pile et 50% côté face. Les scientifiques ont observé qu’en envoyant un premier demi-flash de lumière sur le circuit, puis un deuxième demi-flash lumineux (dans notre exemple, des demi-secousses), le circuit a changé d’état comme une pièce qui se serait retournée. Plus de hasard ici, au total, le circuit est passé de 0 à 1 ou de 1 à 0. Cette capacité à préserver l’information du premier demi-flash (la première demi-secousse pour la pièce de monnaie), place le circuit dans un état superposé de 0 et 1. Rien ne pouvait dire en amont du premier demi-flash si le circuit était en 0 ou 1. Et pourtant, après le deuxième demi-flash, il sera toujours dans le même état, comme si la pièce de monnaie après deux demi-secousses allait toujours tomber du même côté.

Ce hasard est troublant, mais il est nécessaire pour comprendre la suite. Revenons maintenant à ce qubit qui structure l’objet quantique. Ce que tentent de construire les chercheurs de l’ENS de Lyon ce sont des systèmes stables qui stockent des qubits couplés, les briques de base de l’informatique quantique. Pour y parvenir, il faut que les qubits traitent l’information pareillement et simultanément. C’est là qu’intervient une autre propriété quantique : l’intrication.

États intriqués et corrélation non locale

Le laboratoire de physique quantique : des ordinateurs, des câbles, des armoires électriques…/©FF

À l’échelle quantique, l’information ne circule pas seulement d’un émetteur à un récepteur. L’information quantique peut être stockée sur des objets éloignés qui partagent alors le même état quantique : ils sont intriqués. Pour reprendre notre exemple : imaginons deux pièces de monnaie situés à plusieurs kilomètres l’une de l’autre. On les prépare de façon à ce qu’elles soient posées sur le même côté. À ce stade, elles (photons, circuits ou particules) sont intriquées. Dès lors, elles seront toujours mesurés dans le même état si tant est qu’on leur fasse subir le même sort, y compris les demi-flashs. C’est comme si nos pièces de monnaie sans corrélation locale tombaient toujours du même côté, pile ou face, sans que rien ni personne n’interviennent dans cette coordination si ce n’est le hasard quantique. Ce serait un hasard inexplicable à notre échelle humaine. En revanche, dans le monde quantique, cela arrive fréquemment. « L’information n’est pas localisée c’est pourquoi bien qu’en séparant les photons intriqués, ils gardent des propriétés identiques, autrement dit ils continuent à partager la même information. »

L’intrication permet, par exemple, d’augmenter le flux d’information transmise, comme si deux personnes tenaient une conversation en utilisant moitié moins de mots que nécessaire. Elle certifie par ailleurs que personne n’ait pu voir de quel côté allait tomber la pièce. En physique quantique en effet, l’observation perturbe l’objet étudié et toute mesure est dès lors repérable. Et tant qu’on n’a pas mesuré l’état quantique, on ne peut connaître la nature de l’information. Récapitulons : une information non localisée, volumineuse et la garantie que personne n’ait pu l’espionner. Autant de gages de sécurité informatique que seule permet la physique quantique.

Parallélisme quantique

Ces deux mécanismes que sont la superposition et l’intrication constituent le parallélisme à l’œuvre dans la puissance de l’ordinateur quantique. « Une particule peut être à la fois dans deux états différents, pile ou face ou pile et face dans notre exemple. Maintenant, si nous avons deux particules ou deux pièces quantiques, nous aurons : à la fois, pile-pile, face-face, pile-face et face-pile. Avec 2 pièces, nous obtenons 4 combinaisons possibles. Avec 3 pièces, nous avons 8 combinaisons. Et avec n pièces, nous avons 2n combinaisons » explique le physicien. Dès lors, l’enjeu va être pour les chercheurs de pouvoir coupler les qubits afin de pouvoir effectuer des calculs de plus en plus complexes. « Des calculs qui prendraient mille ans avec des ordinateurs classiques pourraient être réalisés en une heure avec des ordinateurs quantiques. »

Ces prouesses de calcul que l’ordinateur quantique laisse augurer requièrent cependant des algorithmes spécifiques qu’il reste à inventer. Une chose est sûre : ces derniers pourront décomposer n’importe quel nombre en produit de nombres premiers2 ou résoudre de manière optimale le problème du voyageur de commerce. Une évolution à laquelle les méthodes de cryptographie les plus répandues ne pourraient résister, mais qui augmenterait d’une manière exponentielle la puissance de calculs des ordinateurs.

La course aux temps

Les recherches menées par Benjamin Huard explorent les moyens d’augmenter le nombre d’opérations possibles au cœur de la machine quantique. « Autrement dit, faire en sorte que la pièce demeure sur la tranche le plus longtemps possible. » Le physicien travaille sur des circuits supraconducteurs qui ont l’avantage de pouvoir tenir sur des puces électroniques et interagissent de manière satisfaisante avec les particules lumineuses. L’objectif étant de pouvoir coupler le plus de qubits possibles sans les modifier, car rappelons qu’en physique quantique, la mesure impacte la valeur de l’objet qui peut alors passer de 0 et 1 à 0 ou 1. Il faut donc non seulement préserver les qubits des interactions extérieures et aussi, des mesures qui viennent altérer leurs propriétés. On comprend ainsi l’importance de « garder sur la tranche », donc dans un état stable favorable au calcul, ces objets si sensibles à leur environnement.

L’enjeu est important : coupler et contrôler les qubits, c’est à terme augmenter la puissance de calcul de la machine quantique.

C’est en 2003 qu’une équipe autrichienne est parvenue à réaliser le premier couplage à deux qubits. Depuis, laboratoires universitaires et entreprises de la Silicon Valley n’ont de cesse de vouloir accroître les performances. Google, IBM, Microsoft et d’autres se livrent à une course effrénée pour intriquer le plus grand nombre possible de qubits. Cet ordinateur imaginé par le Nobel de physique, Richard Feynman au début des années 80, mobilise plus que jamais la communauté scientifique. À Lyon, on imagine d’ores et déjà ses applications dans le domaine de la chimie et de la pharmacologie. Les molécules interagissant entre elles selon des propriétés quantiques, l’ordinateur quantique permettra de mieux comprendre les interactions moléculaires et de prédire les résultats d’une réaction chimique, par exemple.

« Rien ne s’oppose à terme à l’existence des ordinateurs quantiques » soutient le physicien de l’ENS de Lyon. Cela ne signifie pas pour autant que l’informatique quantique sera à portée de tous. Et d’ailleurs quel intérêt ? L’ordinateur classique suffit pour surfer sur la toile, écouter de la musique ou regarder sa série préférée. En revanche, pour la recherche et le traitement de très grands volumes de données, l’informatique quantique annonce bel et bien une véritable révolution.

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Notes :

(1) Le supraconducteur est un matériau qui permet de capturer le photon. Un circuit supraconducteur est le circuit dessiné sur une puce qui forme le système quantique dans lequel des cavités contiennent les couples de photons.

(2) La sécurité informatique est basée sur des clefs de cryptage que demain l’informatique quantique pourra factoriser en produit de nombres premiers. Dès lors, on pourra décrypter le message et réceptionner l’information qu’il contient.

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Une fois par mois, retrouvez sur CNRS Le Journal les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

Nicolas Houy, chercheur CNRS au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE) est co-auteur de l’article avec François Le Grand, professeur associé de finance à l’emlyon business school.

Pour consulter l’intégralité de l’article, rendez-vous sur le site de CNRS le Journal