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Mobillité et écologie : comment concilier les enjeux économiques et sociaux ?

MMobillité et écologie : comment concilier les enjeux économiques et sociaux ?

©triangle

Pollution : limiter la mobilité est-ce une solution ? Le transport a-t-il réellement un impact sur le changement climatique ? 

Dans ce deuxième podcast dont le triptyque est consacré à la mobilité, pollution, et transition écologique…nous allons tenter d’éclaircir ces questions.

Pour cela, nous  nous entretenons avec Maxime HURE, Maître de conférences HDR en science politique à l’université de Perpignan (CDED Centre du droit économique et du développement) et chercheur associé au laboratoire Triangle. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Nous avons vu précédemment que limiter la mobilité pourrait réduire les émissions de CO2, cependant, cela n’engendrerait-il pas une atteinte à la liberté de circulation ?

Maxime Huré – Alors ce que l’on peut dire, c’est que cette limitation de la mobilité, ce n’est pas encore une voie choisie par les pouvoirs publics, mais on se rend compte que c’est une des possibilités offertes pour baisser les émissions de CO2 dans le secteur des transports et de la mobilité.
Pourquoi ce n’est pas une voie choisie aujourd’hui par les pouvoirs publics, parce qu’il est important de noter que dès lors que ces pouvoirs publics essayent d’encadrer ou de contraindre les pratiques individuelles de mobilité, sans intégrer pleinement la dimension sociale inhérente à chaque déplacement, cela engendre des mouvements sociaux et des réactions individuelles visant à défendre effectivement un mode de vie, la liberté de circuler ou encore la liberté de choisir son mode de déplacement. On pense ici par exemple aux mobilisations des Gilets Jaunes fin 2018, début 2019.

© Pixabay

Est-il vrai que le transport a un impact considérable sur ce changement climatique, comment expliquez-vous ce fort impact des transports en France et de ce fait quelles solutions pourrait-on envisager ?

M.H. Oui tout à fait, alors sur ce point, on peut même rappeler que la grande majorité des individus vivent la mobilité comme une contrainte, et surtout ils n’ont pas forcément beaucoup de choix pour se déplacer. En France, ils le font bien souvent en automobile, même majoritairement. Dans d’autres pays, notamment ceux qui affrontent des situations de grande pauvreté, la mobilité quotidienne, elle est encore plus contraignante et se résume pour beaucoup à des déplacements à pied dans un périmètre de quelques kilomètres.

Donc finalement les choix d’utiliser des modes de déplacement relativement polluants et sur de grandes distances, bien souvent pour les loisirs, reposent en réalité sur un très faible nombre d’individus à l’échelle mondiale, c’est-à-dire sur les populations les plus favorisées disposant de revenus importants. Ensuite, ce débat, il peut renvoyer à la manière de réguler et de gouverner nos sociétés. Doit-on choisir, par exemple, une régulation par le marché, c’est-à-dire par les fluctuation des cours des matières premières et de l’énergie, comme c’est un peu le cas actuellement, mais qui agissent comme une contrainte auprès des individus ? Doit-on y ajouter un amortisseur social pour les populations les plus touchées par ces variations ? Ou même doit-on davantage s’appuyer sur la régulation politique à l’échelle européenne, nationale ou locale pour encadrer les mobilités ?
Donc, à travers des mécanismes d’intervention ou de non-intervention de la part des femmes et des hommes politiques, il s’agit bien de réfléchir à la manière de faire société et à la question d’un avenir commun qui permettent aux générations futures de trouver leur place.

Et quel serait alors l’impact économique ou encore l’impact social ?

M.H. Les discours et les représentations de la modernité dans la période de l’après-guerre et pendant les Trente Glorieuses ont assimilé finalement la notion de liberté à celle de déplacement automobile. De ce fait, une grande partie de nos activités économiques et sociales qui s’est organisée autour du système automobile, dans un pays où la production industrielle automobile relève d’une histoire assez particulière. Donc cette démocratisation de l’automobile a accompagné le progrès social, mais elle a aussi créé ce que Gabriel Dupuy appelle « la dépendance automobile », c’est-à-dire un système où les individus sont dépendants de la voiture pour accéder aux activités et aux services du quotidien.

De la même manière, une partie de nos activités sociales s’est organisée autour des loisirs longue distance au tournant des années 1980-1990, en s’appuyant sur des discours positifs attribués au développement touristique international et à la mondialisation culturelle. Cette transformation a propulsé l’aviation comme un moyen de transport moderne et relativement accessible avec l’avènement des compagnies dîtes Low Cost.
Donc ces évolutions ont structuré de manière décisive nos sociétés, et même l’aménagement du territoire et les modes de vie.

Cependant, tout cela a un impact…qui est d’avantages de pollution…

M.H. Oui, la massification de l’utilisation de l’automobile et de l’avion a généré des effets négatifs, comme l’augmentation des pollutions et des émissions de CO2, ce que les économistes nomment les « externalités négatives ».
À l’échelle individuelle, nous sommes devenus des hyper-mobiles pour reprendre le terme d’Yves Crozet car nous nous déplaçons toujours plus, toujours plus loin et toujours plus vite. Cette situation pousse certains experts et chercheurs à remettre en cause aujourd’hui cette course à la vitesse. Mais limiter ou restreindre les déplacements individuels dans le cadre de notre système économique et social actuel et même au regard de notre aménagement de l’espace pourrait potentiellement être perçu comme une nouvelle contrainte forte pour de nombreux individus, de nombreux ménages. Donc il faut nous interroger sur les solutions à imaginer.
Faut-il plutôt envisager des incitations à l’autolimitation ou à la sobriété pour reprendre un mot à la mode aujourd’hui ? Dans quelle mesure une relocalisation des activités à grande échelle, y compris touristiques, pourrait accompagner de nouveaux comportements de mobilité ? Quid encore des effets du télétravail et des transformations liées au numérique ? Ce que l’on peut dire c’est que ces questions stimulantes occupent une réflexion importante de nombreux chercheurs en sciences sociales aujourd’hui.


Précédemment : Mobilité : ses enjeux dans la France d’aujourd’hui

> À suivre…

Notre troisième et dernier podcast concernant le thème de la pollution et mobilité abordera le thème de la diminution du CO2 avec les progrès technologiques, les nouveaux modèles de vie  …Rendez-vous jeudi prochain  !

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Le vélo : vecteur de propagande ? Loisir ou déplacement écologique ? Triptyque

LLe vélo : vecteur de propagande ? Loisir ou déplacement écologique ? Triptyque

En selle pour ce triptyque ! Pourquoi ? Parce qu’il est consacré au vélo !

Et dans ce premier podcast, nous allons découvrir comment il est devenu le moyen de locomotion le plus répandu en Italie, sous l’ère du fascisme.

Allez vous êtes prêts ? On enfourche le vélo et on part pour une balade historique avec Clément LUY, doctorant en études italiennes à Triangle dont le travail de thèse porte sur le cyclisme à l’époque du régime fasciste italien. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Pourquoi le cyclisme a-t-il vécu des heures de gloire sous l’ère du fascisme ?

Clément Luy – Je pense en effet que l’on peut vraiment parler d’un âge d’or, dans l’Italie fasciste comme dans la France des années 1930 pour le déplacement à vélo et le sport cycliste. Dans les journaux et revues de l’époque, le cyclisme est présenté comme le sport le plus populaire en Italie, au-delà même du football et de la boxe qui ont déjà une très bonne réputation. Les courses en tous genres attirent des milliers de personnes. Il y a une grande effervescence, de très nombreux clubs et associations cyclistes, partout en Italie et en particulier dans le Nord, des dizaines de courses sont organisées tous les week-ends, pour les cyclistes de tous les niveaux.

© Pixabay

Et en même temps, le vélo c’est aussi un moyen de transport pas cher ….

C.L. – Oui, c’est en train de devenir un des moyens de transport du quotidien. Entre 1922 et 1945, donc les années fascistes, il y a entre trois millions au début et jusqu’à six ou sept millions de vélos en circulation en Italie, d’après les statistiques que l’on peut trouver dans les livres d’histoire, c’est un nombre très important qui reflète le niveau de développement industriel et économique des différentes régions : il y en a moins dans le sud et dans les zones les plus reculées, les plus éloignées des villes du sud. A côté de cela, les voitures sont encore très rares, même si les dirigeants fascistes les préfèrent car elles sont plus modernes, et beaucoup plus rapides. Par conséquent, tant par sa présence dans la vie quotidienne que dans l’activité sportive, soit des amateurs de bas ou de haut niveau ou des professionnels, le cyclisme est bien présenté comme le sport le plus populaire ; l’activité a vraiment plein de formes différentes : du simple moyen de déplacement, jusqu’au sport amateur ou de haut niveau, ou à mi-chemin, l’activité cyclo-touristique avec toutes les excursions dans les collines, en montagne, dans les campagnes, très présente dans les organisations du régime comme le Dopolavoro qui est une organisation de loisirs, créée pour tous les travailleurs pour occuper des heures du temps libre.

Et comment l’Etat a poussé les individus à l’époque, à faire du vélo. Et surtout à en produire ?

C.L. Alors pour répondre précisément à cette question, il faut probablement distinguer deux périodes, ce qu’a très bien fait l’historien Stefano Pivato, un des grands spécialistes italiens du sport. Dans les années 1920 et au début des années 1930, le régime fasciste est plutôt méfiant envers le vélo, pour de multiples raisons : ça ne correspond pas à l’idéal de modernité et de vitesse qu’il met en avant, qui est réservée à la voiture, c’est un sport qui est trop connoté « populaire », voire parfois « de gauche » socialiste ou communiste pour le fascisme ; et puis le problème c’est que les courses cyclistes mettent en valeur le mauvais état des routes, au contraire de l’image de modernité que le fascisme veut donner de l’Italie pour développer le tourisme. Et puis le sport pour le régime fasciste ça a l’objectif de construire un homme nouveau, viril, fort musclé, or la morphologie du cycliste ne correspond pas vraiment à cette image, et à ce concept de musculature, contrairement à celle d’autres sportifs comme les boxeurs. Malgré tout, il n’y avait pas vraiment besoin de pousser les Italiens à faire du vélo, c’est déjà une activité pour se déplacer qui est considérée comme très pratique, très efficace et un sport très populaire, bien que les chiffres dont j’ai parlé soient en dessous de la moyenne européenne et en particulier dans le sud de la péninsule. Enfin, à partir de 1935 se développe un discours sur la nécessité d’équiper les Italiens en « bicyclettes autarciques » et de les faire pratiquer cette activité cycliste le plus possible.

Et pourquoi un tel revirement quant à l’approche du vélo ?

C.L. C’est pour plusieurs raisons historiques, l’Italie subit de plein fouet les effets de la crise économique de 1929 puis l’effet des sanctions diplomatiques décrétées par la France, la Grande Bretagne et la Société des Nations puisqu’elle a envahi l’Ethiopie en 1935-1936 contre toutes les règles du droit international fixées par la Société des Nations. Donc dans ces conditions, il y a beaucoup de restrictions, le rêve automobile s’évanouit et un grand travail est mené pour présenter le vélo comme le moyen de locomotion idéal : économique, peu consommateur de matières premières dont la rareté se fait sentir, fabriqué en Italie donc vraiment « autarcique ». Le régime fasciste promeut un discours en faveur du vélo qu’on voit dans les journaux, dans des publications, dans les discours politiques, et puis même dans les actualités cinématographiques, des sortes de premiers JT qui sont présentés au début des séances de cinéma. L’enjeu est de montrer que faire du vélo, c’est bon pour la santé et c’est être un vrai « patriote », mais aussi un autre enjeu de ce discours c’est de montrer que dans d’autres pays, il y a des privations similaires et que la situation italienne ressemble à celle d’autres pays.


> À suivre…

Restez en selle car le prochain podcast du triptyque vélo expliquera comment le vélo illustre les sociétés de crise…et notamment de crise énergétique.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

webdocumentaire : la rue partagée par tous

wwebdocumentaire : la rue partagée par tous

Nous assistons actuellement à une révolution de la mobilité qui modifie nos habitudes de déplacements. La rue va-t-elle s’adapter pour autant à ces nouveaux usages et apporter de nouvelles solutions aux usagers ?

 

Pour y répondre, l’Ifsttar a construit à coté de Lyon une ville laboratoire «Transpolis » afin de tester en grandeur réelle les innovations.

A cette question de société, l’Institut a choisi de consulter, dans le cadre d’ateliers participatifs, les jeunes du centre social Gérard Philipe de Bron (69). Le regard qu’ils portent sur les évolutions technologiques a permis de recueillir des avis pertinents et des solutions originales.

Une expérience qui les sensibilise à des déplacements plus sûrs et plus agréables.

Découvrez le webdocumentaire , sur l’espace Science et Société de l‘Ifsttar.

 

Un partenariat Ifsttar, Imagineo, Centre social Gérard Philipe

 

Au 1er janvier 2020, l’Ifsttar est devenu l’Université Gustave Eiffel

[Pop’Cast] 3 utopies pour la mobilité de demain

[[Pop’Cast] 3 utopies pour la mobilité de demain

Bouger moins mais bouger mieux ? La gratuité des transports ? Un réaménagement des aires urbaines ? Ré-écoutez le podcast de l’émission radiophonique enregistrée le 30 novembre 2018, dans le cadre du Pop’Sciences Forum « Citoyens, la ville de demain vous appartient ! ». Débat autour de trois innovations qui pourraient peut-être bien révolutionner nos mobilités.


Les  innovations technologiques et les nouveaux usages des modes de transports explosent (vélo libre service, véhicules autonomes, applications de transports partagés, GPS communautaires…). Ces innovations sont-elles réellement en phase avec les attentes de tous les usagers ? Ceux du centre-ville autant que ceux des périphéries ou des campagnes ?

  • Animation : Matthieu Adam, post-doctorant (Laboratoire Aménagement Économie Transports, LabEx Intelligences des Mondes Urbains)
  • Invités : Nathalie Ortar, anthropologue, directrice de recherche (Laboratoire Aménagement Économie des Transports, ENTPE); Emmanuel Ravalet, docteur en économie des transports et en études urbaines (Université de Lausanne) et chef de projet (Mobil’Homme); Florence Paulhiac, urbaniste et professeure (Université du Québec à Montréal)

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