Pop’Sciences répond à tous ceux qui ont soif de savoirs, de rencontres, d’expériences en lien avec les sciences.

EN SAVOIR PLUS

Le développement de l’énergie solaire a-t-il été torpillé en 1882 ? | The Conversation

LLe développement de l’énergie solaire a-t-il été torpillé en 1882 ? | The Conversation

Dessin de couverture du magazine hebdomadaire illustré la Science populaire, en août 1882. | ©Fourni par l’auteur

À la fin du XIXe siècle, le Français Augustin Mouchot inventait un ingénieux concentrateur solaire. Mais la bureaucratie technique de l’époque, chargée de l’évaluer, en a livré une appréciation biaisée en la comparant au charbon qui alimentait les machines à vapeur – condamnant, au passage, l’appareil et ses multiples applications.

En matière d’énergie solaire, plusieurs moyens ont permis, au XXe siècle, de stopper l’innovation et de garantir le monopole des énergies fossiles et de leurs savoirs. Par exemple : la menace pure et simple, le rachat de brevets, la montée au capital ou encore la fermeture d’activité. L’expertise tendancieuse – sinon mensongère – a pu constituer un autre levier, ainsi que le montre le cas de l’évaluation officielle des appareils solaires d’Augustin Mouchot et de son associé Abel Pifre, à la fin du XIXe siècle.

Absent des manuels scolaires et délaissé des commémorations nationales pour le bicentenaire de sa naissance en 2025, le professeur de mathématiques appliquées et de physique Augustin Mouchot (1825-1912) est le pionnier français méconnu de l’énergie solaire moderne.

Four solaire de Mouchot et Pifre, conservé au CNAM à Paris. | ©Rama/Wikimedia, CC BY-SA

Il a défendu et démontré les atouts de l’énergie solaire thermique et thermodynamique, particulièrement pour les pays de la zone intertropicale. Et cela, dès son ouvrage de synthèse et de prospective en 1869, puis avec un premier moteur à vapeur solaire de retentissement international, présenté à l’Exposition universelle de 1878 à Paris.

Mais ce dernier a également rencontré après une mission de trois ans en Algérie et des financements publics importants, les incompréhensions auxquelles les énergies énergies renouvelables ont été confrontées depuis cette période. Ce qui n’a pas été sans lui valoir des adversaires…

Une commission d’étude transsaharienne de la chaleur solaire

La Commission des appareils solaires est créée le 19 février 1880 dans le cadre des travaux préparatoires du chemin de fer transsaharien. Elle doit tester les concentrateurs solaires à vapeur développés depuis près de 15 années par Augustin Mouchot – et depuis 1878 par Abel Pifre – dans la perspective du pompage de l’eau indispensable à la recharge des locomotives et au développement de gares-dépôts de combustible.

L’assassinant du colonel Flatters et de son escorte lors de la seconde reconnaissance du tracé, le 16 février 1881, un an et deux mois avant la remise du rapport de la commission, mettra fin au projet.

La commission rassemble alors deux ingénieurs, un colonel et deux professeurs aux facultés de médecine et des sciences de Montpellier. L’appareil solaire testé, doté d’un réflecteur de trois mètres de diamètre, est construit par la société d’Abel Pifre, officiellement constituée en janvier 1881 et première entreprise au monde à commercialiser des cuiseurs, distillateurs et moteurs solaires.

Les essais ont lieu en 1881 au fort de Montpellier sous la supervision du professeur de physique André Crova (1833-1907), qui rédigera le rapport final.

Docteur en physique électrochimique, avec 74 publications touchant à l’optique, à l’électricité, aux « radiations calorifiques » – dont celles du Soleil –, c’est un pionnier du calcul de la « constante solaire », quantité d’énergie solaire reçue par la Terre hors atmosphère sur une surface d’un mètre carré exposée perpendiculairement au soleil.

Les étranges calculs du « rendement industriel »

La note manuscrite d’André Crova, discutée durant la séance du 3 avril 1882 de l’Académie des sciences, est la version courte du rapport qu’il publie dans les mois suivants, qui comporte quarante-cinq pages et une illustration.

Son diagnostic déborde du projet transsaharien et met en regard l’énergie solaire avec la grande énergie fossile, alors concurrente, que représente le charbon.

« On s’est préoccupé dans ces dernières années de tentatives faites en vue d’utiliser pratiquement l’énergie des radiations solaires. Ces radiations sont en effet la cause presque unique de tous les phénomènes atmosphériques, de tout travail moteur, et de la vie sous toutes ses formes, à la surface de notre globe. Mais ces forces motrices, irrégulières et sujettes même à faire défaut à un moment donné, sont maintenant partout remplacées par celle de la vapeur, qui, toute coûteuse qu’elle est, a du moins pour elle la constance et la régularité, qui sont une des premières conditions que l’industrie demande à un moteur. »

André Crova inaugure ainsi le discours des experts dont l’influence va se renforcer au fil de l’ère thermo-industrielle. Spécialiste d’un domaine étroit – la mesure des radiations solaires –, il est mandaté pour l’évaluation d’une technologie de conversion énergétique – les récepteurs solaires thermodynamiques Mouchot-Pifre –, dans le cadre d’une ligne de transport à l’intérieur du Sahara.

Au final, il délivre un avis non pas sur le fond, mais sur sur les formes d’énergie qui devraient être privilégiées dans le cadre de la modernité. Ce glissement fait de son rapport la première grande condamnation officielle de l’utilisation du rayonnement solaire pour produire de l’énergie.

Car la commission ne s’arrête pas sur les applications pratiques de la machine à vapeur solaire. Citons par exemple :

  • 189 jours de fonctionnement sur l’année en 1881 à la latitude de Montpellier et 14 litres d’eau distillée (c’est-à-dire, vaporisée) par jour de fonctionnement en moyenne ;
  • la possibilité d’y ajouter une pompe ou un moteur rotatif ;
  • celle de procéder à la distillation d’alcools, de plantes ou à la pasteurisation de l’eau ou des aliments ;
  • celle de procéder à la cuisson de la nourriture humaine ou pour les animaux ;
  • celle de procéder à la calcination et au chauffage de matériaux (chaux, graisses, briques, poteries, pâte à papier) ;
  • la possibilité d’en faire une pile thermoélectrique ;
  • la possibilité de produire de la glace avec l’ammoniac et une machine des frères Carré, (comme Mouchot le fit en 1878 ;
  • la possibilité éventuelle de procéder de faire tourner une machine à coudre ou d’imprimer des journaux avec.

Gravure décrivant l’impression d’un journal grâce au moteur solaire en 1882.

Mais non, le travail d’André Crova se limite à la mesure d’un « rendement industriel de l’appareil », à partir du « nombre de calories emmagasinées par la chaudière ».

Le principe est le suivant :
  • La chaudière placée au centre du réflecteur solaire vaporise de l’eau à partir de laquelle, une fois la vapeur refroidie dans un serpentin, il est possible, « au moyen de la formule de Regnault », de calculer « le nombre de calories utilisées par l’appareil » ;
  • Simultanément un « actinomètre » évalue le rayonnement solaire d’heure en heure, corrigé par la température, l’hygrométrie de l’air et la hauteur du soleil (c’est-à-dire, la transparence et l’épaisseur atmosphériques), afin de calculer les « calories incidentes » ;
  • En divisant le premier chiffre par le second, on obtient un rapport, que l’on appelle « rendement économique de l’appareil ». En 1881 à Montpellier, il a été évalué à 0,491 calorie par mètre carré, avec un maximum à 0,854.

En un mot, à l’évaluation de la puissance effective, de la fonctionnalité et de la praticité des appareils solaires s’est substituée, au prix d’une somme d’approximations considérables, la simple évaluation d’un rendement théorique : celui du nombre de calories captées par rapport aux calories disponibles.

Le tour de passe-passe accompli autorise le physicien rapporteur André Crova à conclure sur des hypothèses économiques, et non à se prononcer sur l’intérêt technoscientifique du principe et du fonctionnement du moteur solaire.

La condamnation du solaire

C’est donc sur un mode conditionnel que la condamnation de l’énergie solaire est exprimée en 1882. Il est intéressant de noter que les termes en sont restés presque inchangés jusqu’à nos jours, y compris pour les autres types de conversion d’énergie tels que le photovoltaïque – solaire vers électrique – ou l’éolien – mécanique vers électrique.

Déjà en 1882, la régularité économique et la disponibilité des combustibles fossiles dans les pays développés sont les principaux arguments avancés par André Crova.

« En France et dans les climats tempérés, l’énergie de la radiation solaire est trop affaiblie au niveau du sol […] pour que l’on puisse espérer pouvoir emprunter dans des conditions économiques et régulières une partie de l’énergie solaire pour l’appliquer aux besoins de l’industrie. Telle est mon opinion personnelle, qui résulte des expériences que nous avons faites pendant la durée de l’année 1881. […] Remarquons d’ailleurs que, dans les conditions dont nous parlons, le prix du travail moteur ou de la chaleur équivalente a une importance relativement faible, vu la facilité de transport du combustible. […] Mais dans les pays où le soleil […] envoie des radiations plus intenses, la conclusion serait-elle identique ? La réponse à cette question exige la connaissance de trop de points spéciaux pour que nous puissions la donner ici. »

Le professeur d’université André Crova, spécialiste de la mesure de la chaleur solaire, exécute avec les mots d’un expert industriel les appareils Mouchot-Pifre. Il admet pourtant des limites à son travail. En effet, lorsque

« le vent souffle avec force dans la direction de l’orifice de l’actinomètre […] les observations sont impossibles […], tandis que la distillation (c’est-à-dire la production de vapeur, ndlr) se produit même dans les circonstances les plus défavorables, pourvu que le soleil brille. »

Autrement dit, l’appareil, plus efficient que son « mesureur », fonctionne même les jours où l’on ne peut effectuer de mesures. Dans son mémoire à l’Académie des sciences, le physicien admet aussi qu’en l’absence d’isolation de la chaudière, la température extérieure influence davantage la distillation de l’eau que le soleil.

Pire, puisque l’actinomètre ne laisse pas passer les mêmes longueurs d’onde que le manchon en verre de la chaudière. Comme l’écrit André Crova,

« par les plus fortes intensités, les radiations obscures (rayonnement infrarouge, ndlr), non transmissibles par le verre, sont arrêtées par le manchon, et le rendement diminue, quoique la quantité de chaleur utilisée augmente ».

Ainsi, du fait du choix d’un tel rendement comme valeur d’évaluation, les appareils solaires « fonctionneraient » moins bien dans les périodes précises où justement ils chauffent le plus. On croit rêver.

La notion de rendement pour une source primaire d’énergie gratuite et inépuisable révèle ici sa limite : nul besoin d’être physicien pour comprendre que plus le soleil brille, plus l’énergie solaire est abondante, quand bien même la qualité de la conversion/captation du rayonnement baisse avec l’augmentation de l’intensité de ce rayonnement.

« De l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot »

Mais le coup de grâce tient dans l’image que retient la presse, c’est-à-dire la mise en équivalence du rendement maximum du mètre carré solaire selon les calculs précédents et de la quantité de charbon correspondant. Celui-ci représente :

« à peu près la chaleur produite par 240 grammes de charbon, en admettant que la moitié de la chaleur qu’il produit en brûlant soit utilisée à vaporiser l’eau ».

Une poignée de carbone polluant contre une heure de soleil sur un mètre carré de métal brillant ? Sans gaz à effet de serre, éternellement et gratuitement, mais avec des intermittences ? On peut se demander ce qu’il serait advenu du monde si André Crova n’avait pas déversé sans vergogne « de l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot », ainsi que relèvera immédiatement le journaliste scientifique de l’époque Louis Figuier.

Malgré les démentis, deux ans plus tard l’entreprise d’Abel Pifre disparait, et avec elle les projets et brevets solaires d’Augustin Mouchot.

Changer de regard sur l’énergie solaire ?

L’histoire d’Augustin Mouchot n’est pas un cas isolé. L’économiste Sugandha Srivastav soulignait, au sujet d’un autre innovateur solaire – américain celui-ci – arrêté dans sa course au début du XXe siècle, que

« s’il est douloureux de réfléchir à ce grand “et si” alors que le climat s’effondre sous nos yeux, cela peut nous apporter quelque chose d’utile : savoir que tirer de l’énergie du soleil n’a rien d’une idée radicale, ni même nouvelle. C’est une idée aussi vieille que les entreprises de combustibles fossiles elles-mêmes ».

Aurions-nous aujourd’hui, 143 ans plus tard, la même sévérité sur le potentiel des ressources solaires et les mêmes certitudes à propos des énergies fossiles que la commission du ministère des travaux publics de Montpellier ? C’est la question qu’il nous faut poser, de façon urgente, à tous les André Crova de notre temps.The Conversation

Auteur : Frédéric Caille, maître de conférences HDR en Science Politique, ENS de Lyon

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

>> Lire l’article original :

The Conversation

Promenade le long d’un pétale | Conférence immersive « Les Échappées inattendues »

PPromenade le long d’un pétale | Conférence immersive « Les Échappées inattendues »

Les fleurs ont toujours fasciné par leurs couleurs, leurs formes et leur grande diversité. Les pétales sont les organes floraux les plus attractifs, aussi bien pour nous que pour les insectes pollinisateurs. Mais qu’est-ce qu’un pétale exactement ? Comment ses cellules arrivent-elles à produire la couleur et l’iridescence des fleurs ?

Cette conférence immersive des Échappées inattendues du CNRS a été enregistrée le 1er juin 2024 dans le cadre des Rendez-vous aux Jardins en partenariat avec le planétarium de Vaulx-en-Velin et RSA Cosmos. L’univers visuel a été réalisé par l’artiste Alex Andrix. Embarquez pour les Échappées inattendues, des événements et des rencontres ouverts à toutes et tous à côté de chez vous pour débattre, expérimenter, explorer, échanger.

Intervenante :

 

Pour en savoir plus :
Les échappées inattendues

Écrans et cerveau des enfants : une exposition préjudiciable pour les apprentissages ? | Cortex Mag

ÉÉcrans et cerveau des enfants : une exposition préjudiciable pour les apprentissages ? | Cortex Mag

Publié en avril 2024, le rapport « Écrans et enfants » a soulevé beaucoup de questions quant à l’impact que leur usage pouvait avoir sur les jeunes. Jérôme Prado, chercheur au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon – CRNL -, nous livre son analyse du sujet en se focalisant sur l’un des impacts potentiels de la consommation d’écrans, objet de son champ d’expertise : le développement cognitif des enfants.

Les écrans sont-ils en train de redéfinir le développement des enfants ? Publié au printemps 2024, le rapport « Enfants et écrans : À la recherche du temps perdu » commandé par le président Emmanuel Macron auprès d’une commission d’experts, a donné lieu à des recommandations aux intonations inquiétantes. Soulignant l’urgence de repenser l’utilisation des technologies numériques chez les enfants et les adolescents, le rapport recommande d’encadrer celui-ci par des limites strictes. Alors que les études sur les liens entre jeunes et écrans sont encore insuffisantes, nous avons cherché à comprendre l’écho médiatique suscité par ce document et les points clefs qu’on pouvait en retenir.

Qu’y a-t-il dans ce rapport ?…

Un article rédigé par Marie Rochas, diplômée du master en neurosciences fondamentales et clinique de l’Université Claude Bernard Lyon 1, et Caroline Depecker, journaliste scientifique, avec l’expertise de Jérôme Prado chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon –CRNL

>> Article à lire en intégralité sur :

CORTEX MAG

Contre la métropole barbare, les Français·es à la recherche d’« espaces pirates » | The Conversation

CContre la métropole barbare, les Français·es à la recherche d’« espaces pirates » | The Conversation

ZAD Notre Dames des Landes. La recherche d’espaces éloignés de la métropolisation touche de nombreux habitants. ©Rue89 Strasbourg/Flickr, CC BY-ND

De Sydney à Paris, de Montréal à Rio, de Genève à Berlin, la multiplication des luttes contre la gentrification et les ségrégations urbaines fait aujourd’hui écho aux nombreuses actions de désobéissance civile contre les effets écologiques d’une société de consommation particulièrement développée dans les grandes villes.

Par ailleurs, de l’Italie au Mexique, de la Bolivie à l’Allemagne et à l’Afrique du Sud, les résistances n’ont cessé de se déployer sur les 20 dernières années contre des grands projets d’équipement, d’extraction et/ou d’exploitation nécessaires à la généralisation des modes de vie urbains occidentaux.

Ces collectifs très médiatisés, très divers, par leur composition sociogénérationnelle, leurs modes d’action et leurs inspirations idéologiques ou philosophiques, remettent en cause la croissance des grandes villes et, en arrière-plan, la métropolisation du monde et son urbanisation généralisée.

Or, il est un fait encore largement minoré dans les médias : un nombre croissant de personnes, de l’ordre de 600 à 800 000 personnes sur les quatre dernières années en France, quittent les espaces métropolitains pour emménager dans les grandes périphéries, et ce en faisant de plus en plus le choix d’autres styles et formes de vie, notamment par l’écologie et l’autonomie.

DDes espaces entiers se redynamisent

Ainsi, loin du discours longtemps dominant dans les mondes universitaires, singulièrement de la géographie, niant l’attrait si ce n’est l’existence même des périphéries – comme en témoignent les critiques répétées adressées aux travaux de Christophe Guilluy – des espaces entiers demeurent dynamiques voire se redynamisent, y compris dans la fameuse diagonale du vide, victime de la désindustrialisation (du nord-est au sud-ouest).

Les lieux historiques du refuge et de confins vis-à-vis des modes de vie urbains, tels que le Limousin ou encore la Lozère et l’Ardèche deviennent des lieux d’accueils mais aussi, plus amplement de nombreux espace du sud-est de la Bretagne au centre de la Drôme, du Cotentin au Cantal, du Tarn à l’Aveyron…

Ces périphéries représentent alors de véritables espaces pirates par le foisonnement des alternatives et leurs passions joyeuses face aux mutations métropolitaines d’une vitesse inégalée.

440 % du territoire national concerné

Au total, ce sont plus 40 % du territoire national concerné par une multitude d’initiatives, comme le montre, parmi d’autres, la carte participative du portail Internet et réseau anonyme Utopies concrètes qui recense 3 000 lieux en France, aux deux tiers périphériques aux grandes polarités et aux grands centres urbains.

Par l’observation directe ou indirecte d’une centaine de luttes ou d’initiatives, j’ai noté dans mes recherches l’émergence d’une grande diversité de nouveaux modes de vie. Il s’agit par exemple d’habitat groupé et d’habitat léger (autoconception, autofinancement, autoconstruction) pour faire autonomie résidentielle mais aussi des lieux de production : permaculture, espaces potagers communautaires y compris dans les espaces périurbains des grandes villes, et fermes sociales pour faire autonomie alimentaire.

On retrouve également des systèmes d’échanges locaux (SEL), des ressourceries et centrales villageoises pour faire autonomie technique et énergétique, des coopératives intégrales (où toutes les ressources vitales sont mises en partage) et communautés existentielles (lorsque la communauté de vie souhaite s’autogérer entièrement), prenant parfois la forme d’éco-hameaux et éco-lieux

Eco-hameau à Andral (dans le Lot).

HHabiter, coopérer, autogérer

Ces observations mettent en lumière trois grands communs. Tout d’abord, refaire corps avec le vivant en habitant autrement la terre, et donc la Terre. Il s’agit ici très souvent d’adopter et de développer des pratiques dites écologiques de ménagement du milieu (et non d’a-ménagement), en prônant sobriété et frugalité.

Pour cela, il y a logiquement à retisser des liens d’entraide et de solidarité par des coopérations renouvelées. D’autres rapports aux ressources locales et aux activités territoriales s’incarnent très directement, car coopérer demande d’apprendre des savoirs pratiques et situés, souvent sur la base de techniques manuelles et d’expériences de la terre.

Enfin, troisième et dernier commun, non le moindre, il s’agit de faire autonomie non seulement dans le domaine de l’alimentation, du logement, de l’énergie, des déplacements… mais plus encore par des règles d’organisation réellement démocratiques, propres aux individus et aux collectifs.

Le triptyque habiter/coopérer/autogérer est indéniablement un système de valeurs en construction dans plusieurs espaces périphériques, et ce par une écologie bien plus existentielle et relationnelle que le simple empan gestionnaire de la smart city et la seule imposition des règles de droit de la propriété privée foncière.

ZAD, un an après, France 3.

Ce système ne se conçoit pas d’ailleurs sans lien parfois avec la tradition des biens communaux (souvent des bois, des prés, des landes et des marais, gérés en commun par des habitants d’une communauté rurale), que ce soit dans les activités agropastorales ou artisanales.

DDes manières de vivre loin du folklore

Par une grande diversité de situations et surtout d’expériences, c’est le cas du collectif de la vallée Longue en Lozère et de la communauté de l’Arche en Isère, de la commune de Trémargat dans les Côtes-d’Armor, de la communauté Longo Maï du Mas de Granier dans les Bouches-du-Rhône ou encore de l’écovillage Ecoravie dans la Drôme… Tout ceci sans même parler des Zones à Défendre, telle celle très emblématique de Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique.

En fait, loin de tout folklore champêtre et sa nostalgie pour un modèle « villageois », les ruralités sont de plus en plus composées de personnes qui ont quitté la grande ville pour donner sens à leurs convictions en s’efforçant de mettre en pratique d’autres manières de vivre.

Dans ces périphéries, chacun peut en fait se percevoir comme acteur, y compris les catégories populaires, et faire de sa main, en participant notamment aux activités et affaires locales.

En souscrivant à ces modes d’action, ces personnes rejettent les phénomènes de métropolisation qui combinent dépossession du pouvoir d’habiter et de lutter dignement pour l’écologie de son milieu de vie.

Projet Ecoravie.

UUne métropolisation synonyme de néolibéralisme urbain

Cette métropolisation remise en cause désigne le processus de renforcement de la puissance des métropoles par l’organisation et l’aménagement du territoire, suivant en cela le modèle de la ville-monde, dont les sept totems sont New York et Hongkong, Londres, Paris, Tokyo, Singapour et Séoul.

Plus de 120 villes à ce jour imitent très directement leur modèle de développement, dont quelques-unes françaises, Lyon notamment. Et sous peu quelques autres par les efforts déployés : Bordeaux, Lille, Montpellier ou encore Nantes.

Un étalage de fruits au large de Brick Lane. ©Garry Knight/Flickr, CC BY-ND

La métropolisation représente un moment particulier de la longue histoire des densités urbaines, qui ont, pour rappel, toujours été de dessein à la fois économique, pour garantir les rendements, et politique, pour réguler les conduites. Ce moment est celui, néolibéral, du capitalisme urbain.

Les cibles de population sont majoritairement les groupes du techno-managériat et les classes dites créatives (sciences et ingénierie, architecture et design, arts et culture…), la petite bourgeoisie intellectuelle, les jeunes biens formés, les actifs plus âgés et biens portants. Soit un peu plus de 40 % de la population nationale.

Le « bosco verticale » (« bois vertical » en français) est un complexe architectural conçu et porté par le Studio Boeri avec l’aide d’horticulteurs et de botanistes, constitué de deux tours d’habitations hautes de 76 mètres et 110 mètres, Porta Nuova à Milan, en Italie. ©Wikimedia, CC BY

Cependant, des politiques d’aménagement assez mimétiques à travers le monde ont créé les paysages et ambiances idoines de cette attractivité : architecture starifiée et grandes tours végétalisées, urbanisme temporaire et street-art, espaces publics convertis en esplanades marchandisées et grands parcs pour joggers affairés, fêtes et évènements sportifs mondialisés, clusters scientifiques et pôles de compétitivité… Sans oublier la bucolisation marketée des projets d’aménagement (éco-quartiers) et la numérisation… de tous les lieux. Les paysages métropolitains s’homogénéisent.

Ces pratiques ont rendu les coûts d’accès à la vie métropolitaine inaccessibles, évinçant les pauvres et subalternes, avec gentrification et ségrégations grandissantes du fait notamment des prix des logements centraux.

Clara Zetkin Park, Leipzig. ©Sachsenbrücke/Flickr, CC BY-ND

UUn coût écologique

Cette croissance a des effets écologiques tout à fait considérables par la surconcentration humaine : artificialisation des sols, exploitation des ressources, arraisonnement total des espaces, y compris éloignés, pour leur alimentation, leur desserte, leur divertissement. En leur sein, la nature y est de plus en plus aseptisée, les taux de pollution battent des records, et les métropoles accèdent à un nouveau label, estival, celui de « fournaises urbaines » comme le révèle notre enquête réalisée en juillet 2019 sur le vécu du changement climatique dans trois métropoles du sud de la France.

L’urbanisation généralisée, c’est aujourd’hui 56 % de la population mondiale (annoncée à 70 % en 2050) pour, d’ores et déjà, 70 % des déchets planétaires, 75 % de l’énergie consommée, plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre, et de 90 % des polluants atmosphériques.

Enfin et surtout, cette croissance métropolitaine n’est pas sans effet sur les vécus de chacun.e : perception d’accélération sans frein, impression d’étouffement, sensations de suffocation, sentiment de dépossession des existences.

DDéparts silencieux

Les changements sont d’une profondeur et d’une rapidité historique inégalées pour les vies, humaines comme non humaines. C’est d’ailleurs la définition que nous donnons à la métropolisation : un fait social total, celui d’un processus de reconfiguration accélérée d’espaces vécus et des (bio)pouvoirs qui s’exercent dessus.

Dans ce contexte, rien d’étonnant à assister à cette autre croissance, silencieuse, de départs des espaces métropolisés (notamment dans l’agglomération parisienne), des cadres surmenés jusqu’à de jeunes précarisés.

Ce sont d’ailleurs dorénavant très officiellement les communes peu denses qui attirent et gagnent de nouveaux habitants

DDe nouvelles aspirations

En 2016, une enquête du forum Vies Mobiles montrait que sur les 12 000 personnes interrogées représentatives de six pays seules 18 % désignaient la grande ville comme un lieu de vie idéal, et même 13 % en France. 74 % estimaient que le rythme de vie dans la société actuelle est trop rapide (80 % en France) et 78 % souhaitaient personnellement ralentir (82 % en France). Toujours selon le même Forum Vies Mobiles, cette fois-ci par une enquête menée auprès de 13 201 Français en 2019, il y aurait lieu de mener une politique de réaménagement du territoire et de ralentissement des rythmes de vie.

Une non moins récente enquête de l’Observatoire Société et Consommation et de Chronos montre que 74 % des Français qui trouvent leur commune trop dense souhaiteraient vivre ailleurs (février 2020), et en décembre 2019, une autre enquête du premier organisme auprès de 2 000 Français de 18 à 70 ans a dépeint une organisation de l’économie et de la société tendue vers la sobriété, le « moins mais mieux ». Cette vision idéale est majoritairement partagée devant l’utopie « techno-libérale » ou l’utopie « sécuritaire ». Un sondage Odoxa de 2019 indique même que, pour protéger l’environnement, 54 % des Français préféreraient la décroissance à la croissance « verte » (45 %).

LLe risque : replonger dans des habitudes anciennes

Toutefois, un risque au moins demeure, non des moindres : que les comportements vécus dans la métropole et ses périphéries épigones, intériorisés, viennent coloniser des espaces a priori encore épargnés.

Plusieurs habitudes et chaînes comportementales sont à desserrer : la mobilité permanente et l’accélération sans fin des mouvements, le divertissement ininterrompu et le nomadisme généralisé, la connectivité continue et les corps prétendument augmentés.

Bref, tout ce qui simultanément scinde socialement les sociétés, met en péril les écosystèmes et fatigue les existences.

Or, la tâche est tout sauf simple si l’on en juge la force des dynamiques néolibérales et celle des discours idéologiques derrière un tel régime passionnel (que l’on retrouve d’ailleurs allègrement dans les politiques périphériques) : la mobilité servirait notre émancipation, le divertissement nos humanités, la connectivité notre citoyenneté.

Puisqu’il s’agit de tempérer les comportements à des fins de ménagement du vivant, de ralentir pour reprendre le souffle des existences, se limiter et trouver de la mesure par le rapprochement et l’intensité des liens entre humains et non-humains sont le premier moyen de se désaliéner. Citons ainsi Cornelius Castoriadis:

« L’autonomie – la vraie liberté – est l’autolimitation nécessaire non seulement dans les règles de conduite intrasociale, mais dans les règles que nous adoptons dans notre conduite à l’égard de l’environnement. »The Conversation

 

Publié  sur The Conversation le 15 mars 2023

Auteur : Guillaume Faburel, Professeur, chercheur à l’UMR Triangle, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original :

THE CONVERSATION

Comment sonder les mystères de l’esprit des bébés ?

CComment sonder les mystères de l’esprit des bébés ?

Notre nature sociale affecte la façon dont nous percevons notre environnement. Par exemple, nous voyons les visages avant toute autre chose. Quels sont les mécanismes cérébraux influençant notre vie sociale, et comment apparaissent-ils ?

Dans le cadre de la Semaine du Cerveau 2021, un scientifique illustre la manière dont les sciences cognitives révèlent les aspects les plus cachés de notre cerveau social, qui se développe dès le plus jeune âge !

Avec Jean-Rémy Hochmann, chercheur à l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod.

Toutes les rencontres de la Semaine du Cerveau 2021 à Lyon sont disponibles en rediffusion :