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« Méandres ou la rivière inventée » : comment refaire monde avec les rivières ?

«« Méandres ou la rivière inventée » : comment refaire monde avec les rivières ?

Marie Lusson a consacré une thèse ainsi qu’un film documentaire à la question des rivières. Au-delà des enjeux scientifiques, techniques et sociopolitiques liés à la restauration des cours d’eau, le film documentaire Méandres ou la rivière inventée invite à refaire monde avec les rivières, ses usagers et ses habitants – tant humains que non humains.

Le Vistre était à l’origine une rivière de plaine marécageuse qui s’écoulait au sud de Nîmes, de Bezouce à Mauguio. Dès le XIIe siècle, les marais sont desséchés et son cours est dévié. En 1774, drainages et dragages viennent lui assigner un lit fixe favorable à la navigation jusqu’à Aigues-Mortes. Les opérations de canalisation se succèdent ainsi jusqu’aux années 1950, où son cours large et profond permet alors d’évacuer rapidement les eaux pluviales et usées. Le Vistre modifié devient peu à peu un cloaque. Ses riverains se détournent de lui – et se plaignent de ses débordements destructeurs.

Affiche du film.

Ce point de départ est à la fois celui de la thèse de Marie Lusson (dirigée par Florian Charvolin et Christelle Gramaglia, soutenue en 2021) et du film documentaire Méandres ou la rivière inventée, coréalisé par Emilien de Bortoli et Marie Lusson en 2023.

Dans la thèse, il s’agissait d’exposer de manière critique la trajectoire sociohistorique de quatre rivières du sud-est de la France promises à une restauration pour rendre compte des controverses qui, dans certains cas, limitent les actions de réparation, et dans d’autres, font hésiter entre des travaux de terrassement lourds ou une mise en retrait pour redonner leurs espaces de divagation aux rivières.

Pour autant, le film déborde de la simple répétition illustrée de ce travail de recherche. Il vise avant tout la traduction à l’image de méthodes et concepts de sociologie inspirés par Bruno Latour. Il livre une expérience composite qui relève tout à la fois de l’œuvre d’auteur et du documentaire scientifique.

Des rivières devenues machines

Selon l’historien américain Richard White, qui s’est penché sur la trajectoire de la rivière Columbia, les travaux d’aménagement ont pour conséquence de désassembler les cours d’eau et leurs plaines alluviales pour les mettre au travail.

Beaucoup de rivières, comme le Vistre, sont ainsi devenues des « machines organiques » qui ne fonctionnent plus comme des écosystèmes, mais comme empilement d’entités appréhendées séparément, sur un mode dégradé.

Ces aménagements, qu’il s’agisse d’ouvrages hydroélectriques ou de digues, ont eu pour effet de corseter, fixer et inciser le lit des rivières, tandis que des rejets industriels et urbains dégradaient la qualité de l’eau. Leur profitabilité a toutefois été entamée lorsque l’artificialisation a commencé à générer des conséquences inattendues. Les écosystèmes aquatiques, réduits à l’état de machines organiques, se sont mis à dysfonctionner.

Des proliférations biologiques peuvent survenir. En certaines occasions, les cours d’eau sortent également des lits qui leur ont été assignés, provoquant des destructions d’autant plus importantes que des constructions ont été faites dans leurs plaines alluviales.

Les agriculteurs ont, de leur côté, drainé leurs champs ou pompé de l’eau. Les producteurs d’électricité s’en sont servi pour actionner leurs turbines. Les propriétaires de bateaux de commerce et de plaisance ne se sont plus préoccupés que des niveaux d’eau. Jusqu’aux pêcheurs qui ne se sont plus intéressés qu’à certaines espèces de poissons. Chacun s’est concentré sur une fonction, un service ou une ressource avec la même logique extractiviste, sans se soucier des autres ni de la santé des milieux concernés.

À force, l’accumulation des aménagements, prélèvements et rejets a conduit à la diminution des aménités habituellement tirées des rivières.

Des politiques de restauration encore trop technocentrées

D’autres conséquences indirectes sont à relever :

  • Les liens de dépendance qu’entretenaient nos sociétés avec les cours d’eau pour leurs besoins fondamentaux (boisson, irrigation, hygiène et production énergétique) ont été défaits.
  • Les ouvrages de protection ont éloigné certaines rivières de la vue et endormi la vigilance des riverains.

C’est pourquoi de nouvelles politiques de restauration ont été lancées, telle la Directive-cadre européenne sur l’eau de 2000 transcrite en droit français en 2006. Elles entendent remédier à la dégradation des milieux aquatiques comme cela a pu être fait pour le Vistre.

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La plupart des initiatives dans ce domaine restent toutefois très technocentrées et descendantes. Les professionnels ne convergent pas toujours sur les options à privilégier.

Plus encore, les projets techniques sont élaborés entre gestionnaires et bureaux d’études, indépendamment des habitants. Les controverses sont souvent vives et conduisent, dans les trois quarts des cas, à l’abandon des projets – surtout quand le portage politique fait défaut.

Une médiation artistique inspirée par Bruno Latour

Comment contribuer à l’émergence de projets de restauration qui ne fassent pas fi des controverses, mais au contraire apprennent d’elles pour explorer des pistes de récupération collective ? Les travaux du socioanthropologue des sciences et des techniques Bruno Latour ont ouvert des pistes fertiles.

Depuis ses premières recherches sociologiques sur l’acteur-réseau jusqu’à ses plus récents essais de philosophie sur le nouveau régime climatique (2015) et ses expérimentations artistiques et scientifiques sur la zone critique (2020), il s’est intéressé aux pratiques et aux productions des chercheurs et à leurs effets sur le monde, avant d’entamer un dialogue avec des artistes pour trouver des réponses à la crise écologique.

Il a notamment questionné la manière dont ceux qu’il appelle les « Modernes », ont cherché à s’émanciper d’une nature pensée comme extériorité et reléguée – dans le meilleur des cas – à l’état de décor. Ses recherches ont grandement contribué à renouveler les collaborations scientifiques et les médiations artistiques pour sortir de l’impuissance.

On citera, parmi ceux qu’il a inspirés, l’historienne d’art Estelle Zhong Megual et l’historienne et metteuse en scène Frédérique Ait-Touati, qui se sont penchées sur l’influence de la peinture et du théâtre sur nos perceptions de la nature, trop souvent réduite à l’état d’objet passif. Méandres hérite de cette réflexion collective.

Symétries entre humains et non-humains

Méandres est une œuvre composite qui doit grandement aux collaborations engagées par sa réalisatrice Marie Lusson avec :

  • son co-réalisateur, Émilien De Bortoli, artiste vidéaste et musicien,
  • les scientifiques, issus de plusieurs disciplines des sciences de la terre et de la vie et des sciences sociales de l’Inrae et de l’Université de Lyon,
  • les professionnels du documentaire créatif qu’elle a pu croiser lors de sa formation à l’école documentaire de Lussas.

Ce caractère multiple, qui a pu donner lieu à des tiraillements, est devenu au fur et à mesure une marque de fabrique et une force. Le film relève tout à la fois de l’œuvre d’auteur et du documentaire scientifique. Il montre plusieurs chercheurs et ingénieurs au travail – mais aussi une activiste engagée au chevet de sa rivière.

Il s’attarde également sur des êtres bien plus petits et régulièrement oubliés des réflexions sur le devenir des rivières : les galets, les sédiments, les débris de matière organique, les macro-invertébrés et les poissons les moins nobles qui les peuplent.

Image extraite du film Leviathan.

Le choix de traitement de l’image, qui s’inscrit dans la lignée des productions riches du Sensory Ethnography Lab de l’Université de Harvard, tel le film Leviathan sur la pêche hauturière, opère des effets de symétrisation entre des échelles très différentes.

Ainsi, l’œil de l’écologue est placé à la même échelle (par l’utilisation d’un objectif macro) que les organismes qu’elle observe. De même, des séquences sous-marines, des plans ralentis et des cadrages inhabituels, suivent les frémissements des larves et le déplacement de graviers.

Le film se présente comme connecteur et assembleur de réalités plurielles. La rivière elle-même est montrée comme agencement. Elle est une et plusieurs, mais surtout pleine des êtres qui l’habitent tout autant qu’ils la façonnent. Parmi eux, les non-humains, très souvent oubliés. Il est proposé au spectateur d’adopter momentanément leur point de vue d’une manière à la fois intelligible et sensible.

En cela, ce travail fait écho à des recherches en cours sur le rôle des castors dans le stockage de l’eau ou encore à des réflexions sur les droits des fleuves.

Les scientifiques y sont d’ailleurs traités d’une manière nouvelle : ils ne délivrent pas un discours d’autorité qui imposerait un diagnostic et des solutions. Ils se présentent, eux aussi, avec leurs fragilités et incertitudes, pris dans un entrelacs de relations et préoccupations. Ils ne sont ni nommés ni rattachés à une institution. L’image alterne entre de très gros plans sur leurs visages et leurs mains, et d’autres plans plus larges où, par exemple, un hydrologue acousticien disparaît dans la masse des rochers qui l’entourent.

Ces effets de zoom et dézoom sont pensés pour opérer des rapports de symétrie entre humains et non-humains, quelle que soit leur taille ou leur force. Il en est de même entre professionnels qualifiés et riverains. Ce n’est pas un hasard que le film se termine sur le visage d’une activiste qui explique son engagement en faveur du ruisseau des Aygalades, particulièrement abîmé par l’industrie et la ville, à Marseille.

La caméra nous propose de regarder sur le même plan des entités hétérogènes. L’objectif est de compenser, au moins momentanément, des inégalités, pour libérer les imaginaires et puissances d’agir. De fait, c’est presque une fiction qui nous est proposée pour engager la réflexion sur la restauration des rivières et les médiations indispensables à son succès.

L’autorité des scientifiques n’en est pas pour autant niée, mais elle est placée au même niveau que d’autres perspectives et expériences.

Les séquences dédiées à la descente de la rivière en radeau, qui constituent le fil rouge du film, apportent des contrepoints incarnés. Les jeunes gens embarqués dans cette aventure à la fois ludique et éprouvante, nous convient à ressentir la rivière : les niveaux et la force de l’eau selon le linéaire, les obstacles, le caractère glissant du substrat et les conditions météorologiques. L’alternance de moments joyeux et méditatifs ou le spectacle d’une peau qui se froisse sous l’influence du froid, renvoient les spectateurs à leurs propres souvenirs où l’enfance et ses jeux d’eau sont convoqués.

Enfin, le montage est construit de façon à créer des basculements fluides pour mêler le scientifique au poétique. Cette étape de montage a d’ailleurs été extrêmement longue, six semaines, témoignant de cette difficile cohabitation des registres.

Il en découle un film complexe dans lequel la voix off nous invite à nous interroger sur ce qui fait une rivière et sur les conséquences de nos choix. Elle n’a cependant pas vocation à démontrer ou dénoncer. Elle invite plutôt à la précaution, à l’hésitation et au tâtonnement collectif, pour éviter les erreurs du passé et définir des futurs plus favorables.

À quels êtres et dépendances devrions-nous faire attention pour refaire monde avec nos rivières et plus largement avec l’eau qui vient à nous manquer ? Méandres a non seulement touché un public large dans le cadre de festivals documentaires, mais il est encore régulièrement utilisé lors d’ateliers participatifs destinés à faciliter l’implication des riverains de cours d’eau abîmés dans la co-construction de projets de restauration écologiquement et socialement ambitieux.

Les auteures remercient leurs collègues Maria Alp et Sylvie Morardet (Inrae), mais aussi Béatrice Maurines et Oldrich Navratil (Université de Lyon) qui se sont impliqués dans l’écriture du film. Elles saluent tout particulièrement l’implication de Yannez Fouillet, de PY productions, pour son indéfectible soutien. Sans elle, Méandres n’aurait pas eu le même retentissement.The Conversation

Autrices : Marie Lusson, cinéaste, docteure en sociologie des sciences à l’Inrae, Christelle Gramaglia, sociologue des sciences de l’environnement, Inrae

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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THE CONVERSATION

Eau et développement durable | Géofestival

EEau et développement durable | Géofestival

À l’occasion du Géofestival, organisé par le Géoparc Beaujolais, le Musée Claude Bernard propose des animations autour du thème de l’eau et du développement durable. Ces ateliers pour petits et grands vous permettront de mieux connaître votre environnement.

Le Géofestival est un événement inédit pour découvrir le Beaujolais, son territoire et ses sols, par le biais des arts et de la culture.

>> Au programme : 

> Samedi 24 mai

  • De 14h à 16h30 | Atelier Sobriété énergétique – trois ateliers en continu (20 minutes chacun) : fresque du climat ; montage de panneaux solaires ; jeu des écogestes.
  • De 10h à 11h et de 14h à 16h | Stand de l’Observatoire Ambulant des Paysages : fabriquez votre maquette
  • À 11h et 16h | Lecture de paysages
  • À 17h | Table ronde : les enjeux de l’eau avec Frédéric Cherqui, François Reynal et Frédéric Morand.

> Dimanche 25 mai

  • De 14h à 16h30 | Stand de l’Observatoire Ambulant des Paysages : fabriquez votre maquette.

>> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : 

Géofestival

De l’eau du moulin à celle de demain

DDe l’eau du moulin à celle de demain

Le changement climatique a pris une importance particulière ces dernières années. Le climat tend à se réduire à 2 saisons : une saison humide et une saison sèche, parfois si longue qu’elle a fait craindre une pénurie d’eau. Deux options s’opposent sur la marche à suivre pour éviter la panne sèche. La première est basée sur la restauration de rivières « sauvages » en éliminant tous les aménagements des hommes. L’autre au contraire en maintenant les petits ouvrages, comme les seuils de moulins anciens, qui sont identiques à ceux que les castors avaient construit pendant des millions d’années.

En se basant sur des travaux scientifiques, il apparaît que certaines fonctionnalités écologiques sont effectivement restaurées dans les deux cas, mais les plus nombreuses ne se manifestent que s’il y a présence de petits ouvrages. Un avantage supplémentaire de cette option est la production potentielle d’hydroélectricité quand le seuil apporte l’eau à un moulin.

Pour analyser concrètement l’impact de ces approches, le cas du département de la Loire est présenté. Les deux seuls bassins versants sans problème d’eau sont équipés d’un barrage qui permet de faire du soutien d’étiage et d’éviter les assecs des rivières. La biodiversité aquatique y est remarquable. Tous les autres bassins versants, soit 90% de la surface du département, sont d’ores et déjà en manque d’eau, et ce, même si tous les prélèvements étaient supprimés (irrigation, eau potable, évaporation, abreuvement, industrie). La question de l’avenir de ces territoires se pose sachant que la loi française donne deux priorités : en un, l’eau potable, et en deux, le milieu aquatique. Agriculture et industrie ne sont pas prioritaires. Sachant que les agences de l’eau comme la police de l’environnement sont défavorables à la construction de barrages, l’avenir de ces territoires est discuté.

Organisé par : L’eau à Lyon & la pompe de Cornouailles, association de mise en valeur du patrimoine industriel.

>> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site :

L’eau à lyon

Les stations thermales doivent se réinventer pour survivre à la crise énergétique | The Conversation

LLes stations thermales doivent se réinventer pour survivre à la crise énergétique | The Conversation

Près de la moitié des stations thermales chauffent leur eau, ce qui génère des dépenses énergétiques considérables. Pour éviter cela, à l’heure où de plus en plus de stations sont obligées de fermer suite à la hausse des tarifs de l’électricité, la géothermie est une piste prometteuse.

En avril 2023, le centre thermal de Camoins-les-Bains, à Marseille, annonçait sa fermeture définitive après deux siècles de fonctionnement. Derrière cette nouvelle locale se cache en fait les répercussions inattendues de la crise énergétique mondiale que nous traversons, marquée par des hausses de tarifs du gaz et de l’électricité impactant les activités économiques françaises. Le thermalisme n’en est pas exclu, le propriétaire du centre de Camoins-les-Bains, expliquant la décision de fermer cette institution du thermalisme marseillais par l’important déficit d’exploitation lié en grande partie à l’augmentation du coût de l’énergie gaz et électricité qui a été multiplié par quatre.

Même constat à Budapest, ville emblématique du thermalisme, avec des bains visités chaque année par des millions de touristes, mais où les prix de l’énergie ont fait augmenter les coûts d’exploitation des thermes de 170 % entre 2023 et 2022. Pour y faire face, différentes mesures d’économies sont mises en place (service réduit, bassins extérieurs recouvertes, augmentation des tarifs…).

Un secteur d’activité vital pour les communes rurales et petites villes

En France, ce vent mauvais qui touche le secteur thermal inquiète car il fait travailler, directement ou non un nombre non négligeable de personne et demeure une partie importante de l’identité de certaine commune.

La France est de fait au troisième rang européen en nombre d’établissements thermaux avec 115 thermes sur 89 communes. Le secteur national pèse pour 10 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects (hébergement, restauration…) pour une fréquentation de 457 000 curistes en 2023.

Le thermalisme est de surcroit une activité qui permet le développement du territoire, car il s’agit majoritairement d’espaces ruraux et montagnards, où l’économie est peu diversifiée, voire en situation de mono-activité. Près de 70 % des communes thermales font moins de 5 000 habitants et concentrent près de 54 % de la fréquentation nationale.

Près de la moitié des établissements doivent chauffer leurs eaux

Pour comprendre comment ce secteur d’activité, discret et peu connu, peut être autant affecté par le coût de l’énergie, commençons par rappeler plusieurs choses. D’abord un établissement thermal ne rime pas systématiquement avec eau chaude. Près de la moitié doivent même chauffer leurs eaux.

Fourni par l’auteur ©Guillaume Pfund

Aujourd’hui encore, la dénomination thermale regroupe à la fois des lieux alimentés en Eau Minérale Naturelle (EMN) naturellement chaudes, mais aussi froides ou tièdes, devant être réchauffées artificiellement. Il existe donc un large éventail de situations locales allant des thermes de Chaudes-Aigues, dans le Cantal, avec des émergences à 82 °C, et les thermes de Contrexéville, dans les Vosges qui utilisent un captage d’eau froide à 11 °C.

Sur l’ensemble des 706 captages d’eaux minérales naturelles exploitées par les usages économiques en France, près de la moitié des sources sont des eaux dites hypothermales (inférieur à 20 °C). Le reste des sources sont pour un quart des eaux chaudes (entre 30 et 50 °C), et à part égale des eaux tièdes (entre 20 et 29 °C) et hyperthermale (supérieur à 50 °C). Les eaux naturellement chaudes, supérieures à 30 °C ne représentent donc que 38 % des émergences exploitées. Cette tendance est cependant renforcée pour les sources utilisées par l’usage thermal. Sur les 259 émergences qui alimentent un établissement thermal, un tiers sont des eaux froides (inférieures à 20 °C), 15 % sont tièdes (20-29 °C), un tiers sont chaudes (30-50 °C) et 20 % sont hyperthermales supérieures à 50 °C.

Fourni par l’auteur ©Guillaume Pfund

Cette situation montre qu’à minima près de 45 % des établissements thermaux doivent donc chauffer les eaux thermales dans les bassins et pour les soins. L’impact est d’autant plus significatif que le premier poste de charge pour les établissements thermaux concerne le chauffage de l’eau, dans un contexte global d’équilibre d’exploitation qui reste fragile.

Une occasion pour développer la géothermie ?

Dans le contexte actuel de crise énergétique mondiale, les établissements thermaux doivent donc se réinventer pour survivre. La géothermie basse température est peut être une partie de la solution. Les 63 d’établissement thermaux disposant d’une ressource en eau naturellement chaude pourraient sembler avantagés à mettre en place un système de récupération des calories. Mais dans les faits, très peu de sites ont mis en place de tels dispositifs qui permettent pourtant de couvrir la totalité des besoins en chaleur (chauffage, la production d’eau chaude sanitaire, ainsi que le réchauffement et le maintien de la température des bassins en eau).

Fourni par l’auteur ©Guillaume Pfund

Ainsi, le complexe thermal de Chaudes Aigues (Cantal) inauguré en 2009, qui exploite la source du Par à 82 °C, la plus chaude d’Europe, n’a pas intégré la géothermie basse énergie. À l’inverse, la commune de Saint Gervais, en Haute Savoie, a intégré il y a une quinzaine d’années une valorisation des calories de l’eau à 39 °C dès 2009 pour remplacer la chaudière au gaz. Grâce à cet investissement, la réduction annuelle de charge d’exploitation est de l’ordre de 122 000€, pour un investissement initial de 350 000 € dont 60 % de subvention par l’Ademe et la Région.

De la même manière, les thermes de Luchon, en Haute-Garonne ont installé, il y a huit ans un système d’échangeur thermiques sur les sources Pré et Reine, ce qui permet une réduction des charges de 200 000€ par an.

Une pratique de la géothermie plus ancienne qu’il n’y parait

Mais l’on retrouve des chantiers bien plus anciens d’utilisation de la géothermie dans des établissements pour curistes. Elle a ainsi été mobilisée par les thermes de Lavey-les-Bains, dans le canton de Vaud en Suisse, depuis 1970 grâce à une eau thermale à 62 °C. Si le système couvrait seulement 40 % des besoins de chaleur de 1970 à 1992, la nouvelle installation inaugurée en 2000 permet une autonomie complète. L’antériorité de ce type de projet en Suisse est directement liée aux actions de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), qui a étudié dès 1992 les moyens d’optimiser la ressource géothermique.

La géothermie basse énergie (30-89 °C) est également une solution valorisée par des usages dédiés en France depuis longtemps (serres végétales, chauffage urbain, etc…). Sur la commune de Chaudes-Aigues (Cantal), la valorisation des calories de l’eau thermale par un réseau de chaleur pour des habitations est attestée depuis 1332, avant l’apparition de l’usage thermal au XIXe siècle.

Jusqu’en 2004, une centaine d’habitations étaient ainsi chauffées grâce à l’eau chaude des sources. Désormais orientée en priorité pour l’usage thermal, aujourd’hui, seulement une trentaine de maisons bénéficient de ce chauffage urbain. Mais le trop-plein des thermes est valorisé pour chauffer l’église, la piscine municipale et le collège. A Dax, dans le département des Landes, entre 1940 et 1990, la ville a alimenté en eau thermale naturellement chaude près de 1 600 abonnés particuliers du centre-ville. La diminution des prélèvements d’eau thermale de 40 %, a également permis une remontée de température de 14 °C aux émergences et de prioriser les usages économiques et d’intérêt public (thermes, centre aquatique, Lycée Borda, piscine et des serres municipales).

Assez peu développé en France, les projets de géothermie basse énergie émergent au moment des crises énergétiques. C’est le cas entre 1961 et 1980 par exemple. Mais aujourd’hui, sur les 112 forages profonds dédiés en France, seulement 34 installations géothermales basse énergie sont en fonctionnement dans le Bassin parisien et le Bassin aquitain (Bordeaux, Mont-de-Marsan, Dax).

Différents projets émergent à nouveau sur les communes thermales. C’est le cas de l’écoquartier des Rives de l’Allier à Vichy, de l’écoquartier de la Duranne à Aix-en-Provence, ou du projet de micro-centrale géothermique à Chaudes Aigues.

Plus que jamais, la valorisation des calories des émergences d’eau naturellement chaude par un système de géothermie basse température est une opportunité à saisir pour plus de la moitié des établissements thermaux français. Pour les autres, la capacité de résilience est à rechercher ailleurs comme c’est le cas à Vals-les-Bains) avec la mise en place de plusieurs solutions notamment, des travaux d’isolation, l’installation de pompe à chaleur, et le recyclage de la chaleur des eaux usées.The Conversation

>> L’auteur :

Guillaume Pfund, Docteur en Géographie Economique associé au laboratoire de recherche EVS, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Évian, Vittel, Volvic : les industriels connaissent-ils suffisamment bien l’eau qu’ils exploitent ? | The Conversation

ÉÉvian, Vittel, Volvic : les industriels connaissent-ils suffisamment bien l’eau qu’ils exploitent ? | The Conversation

Le scandale Nestlé Waters a levé le voile sur l’industrie de l’eau minérale naturelle. Celle-ci repose sur des connaissances précises des sources d’eau exploitées… Mais paradoxalement, celles-ci viennent souvent à manquer.

On en boit au quotidien, mais la connaît-on vraiment ? L’eau minérale naturelle (EMN), qu’il s’agisse d’Evian, de Vittel, de Volvic ou des autres, relève d’une appellation juridique spécifique en France. Elle se définit comme une eau d’origine souterraine, sans traitement, dont les composants physicochimiques – la teneur en minéraux de l’eau minérale – restent stables dans le temps, avec moins de 10 % de variation.

En France, deux usages économiques majeurs exploitent cette ressource naturelle : l’industrie de l’embouteillage d’une part, et les établissements thermaux d’autre part. Ces deux secteurs dépendent du maintient de l’appellation officielle et de l’autorisation d’exploitation à l’émergence délivrée par le ministère de la Santé sur avis de l’Académie de médecine.

Récemment, cet enjeu est passé sur le devant de la scène médiatique, les usines gérées par Nestlé ayant été épinglées par la justice pour avoir recouru à des traitements interdits et procédé à des prélèvements sur des forages ne disposant pas d’autorisation d’exploitation. Courant septembre, Nestlé Waters a finalement accepté de payer une amende de deux millions d’euros pour échapper au procès.

De quoi dévoiler ce pan méconnu de l’économie qui a une place majeure non seulement en France, mais également en Europe et dans le monde.

La France championne de l’eau minérale

Car la France est sur le podium européen, que ce soit pour le thermalisme ou pour l’eau minérale en bouteille. Le pays se trouve ainsi au troisième rang européen en nombre d’établissements thermaux, avec 115 thermes répartis sur 89 communes du territoire.

Le secteur de l’embouteillage français, pour sa part, est le premier exportateur mondial d’eau minérale naturelle au monde, avec 50 usines réparties sur 50 communes. Dans le même temps, la France possède aussi le premier patrimoine hydrominéral d’Europe, avec près de 20 % des sources en exploitation sur le vieux continent. Ce palmarès correspond à une valorisation de 37 % de la ressource nationale, soit 706 sources exploitées sur 1900 sources d’EMN inventoriées.

Malgré le caractère historique de l’exploitation des eaux minérales naturelles en France, ces ressources restent pourtant vulnérables. En cause : le manque de connaissances hydrogéologiques et leur hétérogénéité selon les sites.

En effet, chaque gisement d’EMN constitue un système dont la configuration et la composition dépendent des spécificités locales de chaque terroir géologique. Le niveau de vulnérabilité d’un gisement va également dépendre de paramètres hydrogéologiques, selon qu’il s’agisse d’une nappe peu profonde ou au contraire d’une nappe profonde bénéficiant d’une protection naturelle accrue.

Des gisements encore mal connus

Or, ces gisements gardent une part d’inconnu. L’acquisition des connaissances sur un gisement est nécessairement progressive et perpétuelle car l’objet d’analyse est un système naturel dont l’homme doit découvrir le plan et les conditions de fonctionnement.

L’étude d’un gisement d’eau minérale naturelle fait appel à différentes spécialités des sciences de la terre (géologie, hydrogéologie, hydrogéochimie et géophysique), qui permettent d’étudier les trois zones constituant un gisement :

  • la zone d’alimentation appelée impluvium, qui collecte les eaux pluviales,
  • la zone de transit souterraine où circule l’eau,
  • et enfin la zone des émergences en surface, où jaillit la ou les sources.

Très peu de sites exploités ont une connaissance hydrogéologique précise de leur gisement. Faute de moyens, la majorité des propriétaires des émergences (souvent les communes) ou les exploitants des usages ne financent pas de programme de recherche.

Seuls les sites d’embouteillage majeurs, comme Evian, Vittel ou Spa, en Belgique, se sont donnés les moyens, depuis 1970, de réaliser des recherches approfondies sur le fonctionnement de leur gisement. Ces quelques acteurs économiques connaissent la délimitation géographique précise des trois zones constitutives des gisements, parce que les enjeux industriels le nécessitent.

Ces industriels emploient des ingénieurs hydrogéologues salariés, par exemple via l’institut Henri Jean à Spa et le Centre international de l’expertise de l’Eau à Evian. Ils financent également des thèses de doctorat en partenariat avec l’université de Liège et de Chambéry.

Seulement quatre territoires ont financé au début des années 2000 des programmes de recherches préalables sur certains gisements thermaux (Auvergne, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Massif central) avec le BRGM. Cependant, dans la plupart des cas, les recommandations de recherche complémentaire du BRGM quant aux vulnéralibités détectées sont restées lettre morte.

Face à ce constat, le BRGM a édité en 2005 un guide qualité pour inciter les propriétaires et exploitants de la ressource à progresser dans l’acquisition des connaissances hydrogéologique et à programmer des investissements.

Aix-en-Provence, Ribeauville, Luchon… Les risques de la perte d’appellation

Faute d’une bonne connaissance scientifique sur la ressource exploitée, celle-ci peut subir des changements brutaux dans sa composition physico-chimique venant mettre en péril son appellation d’eau minérale naturelle.

Les conséquences économiques sont pourtant dévastatrices, tant pour les activités de cures thermales que pour la vente d’eau en bouteilles. Aix-en-Provence a ainsi perdu son agrément de ville thermale en 1998 du fait de la contamination des forages par la pollution urbaine. En 1996, au regard des contraintes d’exploitation du captage de la source des Ménétriers, l’usine d’embouteillage de Ribeauville (marque commerciale Carola) a perdu son appellation d’eau minérale naturelle. L’exploitation se poursuit uniquement sous statut d’eau de source avec un nouveau forage.

Depuis 2019, les bouteilles d’eau Luchon, vendues par Intermarché, ne peuvent plus être vendues sous le statut d’eau minérale naturelle. OpenFoodFacts

Depuis 2019, ce sont les bouteilles d’eau de Luchon (vendues par le réseau Intermarché) qui ne peuvent plus être commercialisées sous le statut d’eau minérale naturelle.

Cet arrêt résulte d’une variation naturelle du taux de sodium présent dans l’EMN à l’émergence du puit Lapadé. Malgré la vulnérabilité de cet ouvrage souterrain ancien peu profond, mis en évidence par le BRGM dès 1991, aucune recherche n’a depuis été menée pour améliorer les connaissances hydrogéologiques et trouver un forage de secours.

Faute de connaissances précises sur le fonctionnement du gisement, la commune (propriétaire) et l’exploitant ont mené des campagnes prospectives en urgence avec la réalisation de trois forages profonds en 2019 et 2020 pour plus de trois millions d’euros.

Malheureusement infructueuse, cette recherche à l’aveugle s’est soldée par l’arrêt de l’embouteillage d’EMN. Seule l’embouteillage d’eau de source subsiste.

Selon le BRGM, il reste en France 58 captages anciens exploités pour un usage économique. Pour ceux-ci, les risques liés au manque de connaissances hydrogéologiques sont réels.

À Divonne-les-Bains, une bataille de l’eau franco-suisse

D’autant plus que les carences de savoir sur les gisements peuvent également alimenter des conflits sociaux. C’est le cas à Divonne, à proximité de la frontière franco-suisse, où la commune ambitionnait en 2016 d’ouvrir une usine d’embouteillage d’eau minérale naturelle, afin d’exploiter un forage réalisé en 1992, qui a obtenu la précieuse appellation en 1994.

L’affaire a viré au fiasco : le projet sera finalement abandonné, sur fond de conflit transfrontalier franco-suisse. Collectifs syndicalisés, riverains et élus locaux franco-suisse se sont opposés au projet au nom du principe de précaution par rapport à un risque possible (mais non avéré) sur l’alimentation en eau potable, faute de connaissances hydrogéologiques. Le projet a été stoppé le 3 septembre 2019 à six mois des élections municipales, pour éviter une guerre de l’eau franco-suisse.

Le conflit est né de la peur de l’existence d’interconnexions souterraines entre la nappe d’EMN et les nappes peu profondes utilisées pour l’alimentation en eau potable, dans un contexte local de croissance démographique et de tension d’alimentation en eau publique des habitants. Pour autant, dès 2003, le BRGM soulignait que les connaissances hydrogéologiques du site étaient lacunaires. Il avait formulé des propositions d’investigations à mener pour améliorer la compréhension de l’aquifère et de son fonctionnement.

Des enjeux politiques et économiques

Au regard des carences actuelles en matière de connaissances hydrogéologiques, assistera-t-on à une multiplication de ce type de conflit sur les territoires ayant des problématiques locales de manque d’eau potable ? Cette problématique est d’autant plus délicate dans les zones transfrontalières où une partie du gisement peut être de part et d’autre de la frontière, comme à Saint-Amand-les-Eaux, entre France et Belgique.

Pour les communes propriétaires des captages et de leurs exploitants, il est urgent de reconsidérer la question de la gestion du risque selon les spécificités des gisements hydrogéologiques. L’acquisition de connaissances est vitale pour l’avenir. En résumé : mieux connaître pour bien protéger.

Les enjeux sont majeurs pour les territoires souvent dépendant de cette filière économique. Ne pas gérer ce risque expose à des pertes d’emplois, de revenus (surtaxe d’embouteillage, redevance d’exploitation) et surtout d’attractivité (visibilité et image de marques toponymes).

Les élus locaux, souvent issus de la société civile, ne disposent pas de connaissances préalables dans ce domaine précis. Il n’existe pas aujourd’hui de formation à destination des élus locaux sur la filière EMN. Les expertises sont à rechercher à l’extérieur de la commune. Pour autant, la responsabilité d’un propriétaire de captage d’EMN et des usages économiques dépendant reste entière. En dépassant le motif du manque de moyen financier, les communes doivent trouver des solutions de montage public-privé avec leur exploitant.

Les acteurs locaux doivent s’appuyer sur des laboratoires de recherches hydrogéologiques publics français et européens, sur le soutien financier au travers des plans État-Région et du Fonds européen de développement régional, ainsi que du guide qualité édité par le BRGM, en planifiant des investissements réguliers d’acquisition des connaissances hydrogéologiques. La majorité des petits sites français doivent s’inspirer de démarche lancée à Évian, Vittel et Spa, qui co-financent des thèses de doctorat en partenariat avec les Universités de Chambéry, de Lorraine et de Liège, en partenariat avec l’INRA.The Conversation

>> Auteur :

Guillaume Pfund, Docteur en Géographie Économique associé au laboratoire de recherche Environnement Ville Société – EVS -, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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PPour aller plus loin

Eaux minérales naturelles : sécheresse et pressions sur l’eau, quelques idées reçues à déconstruire | The Conversation

EEaux minérales naturelles : sécheresse et pressions sur l’eau, quelques idées reçues à déconstruire | The Conversation

La différence entre les types d’eau – l’eau du robinet dédiée à l’alimentation en eau potable, l’eau de source et l’eau minérale naturelle – reste méconnue du grand public. Chacune a pourtant des spécificités réglementaires, techniques et de qualité.

En période estivale, il arrive souvent que des arrêtés préfectoraux de sécheresse soient mis en place pour restreindre les prélèvements d’eau pour les usages agricoles et industriels (ces derniers prélevant à la fois des eaux de surface : lac, rivière, canaux, et des eaux souterraines). Les producteurs d’eau minérale naturelle (comme Volvic, par exemple) sont affectés au même titre que tous les industriels.

Ces restrictions ne concernent pas directement les prélèvements en eau minérale naturelle embouteillée, mais bien les eaux industrielles utilisées dans le processus de nettoyage des bouteilles et des installations (équipements/circuits), ainsi que des zones de services (chaudières, tours aéroréfrigérantes). Issues souvent de forages peu profonds selon les sites, les eaux industrielles sont nécessaires au maintien de l’état hygiénique de l’usine d’embouteillage.

Face aux contraintes de sécheresse, les minéraliers, comme d’autres industriels, ont mis en place au cours des dernières années des actions visant à optimiser leur processus industriel. Par exemple, en permettant une filtration et une réutilisation des eaux industrielles en boucle fermée.

Le groupe Danone a réalisé de tels investissements à Volvic et à Évian, ce qui a fait diminuer les besoins en eau de rinçage de 1,95 L pour 1 L d’eau minérale naturelle (EMN) embouteillée en 2014 à 1,35 L en 2023 et 1,15 L visé en 2025, comme me l’ont déclaré Danone et Nestlé Waters au cours d’entretiens réalisé dans le cadre de mon travail de doctorat.

Eau minérale naturelle, mode d’emploi

Contrairement à l’eau du robinet, l’eau minérale naturelle se définit par une grande traçabilité avec une origine uniquement souterraine. Elle doit présenter une certaine qualité. Pour l’eau potable du réseau, au contraire, l’enjeu d’utilité publique est surtout quantitatif.

Captée, utilisée ou embouteillée à proximité directe de l’émergence, l’eau minérale naturelle ne subit aucun traitement chimique. L’ajout de chlore ne concerne que l’alimentation en eau potable pour pallier le risque sanitaire dans le réseau de distribution.

Enfin, les composants physico-chimiques de l’EMN doivent rester stables dans le temps. Cette méconnaissance sur l’eau minérale naturelle complique souvent la vision médiatique et celle de nos concitoyens. Un enjeu important dans le contexte du changement climatique, avec la multiplication d’épisodes de sécheresse.

Eaux minérales naturelles et épisodes de sécheresse

Peu de médias font la distinction entre les différents types d’eau et les raccourcis brouillent la bonne compréhension des consommateurs. Tentons d’y voir plus clair.

De manière générale, les eaux minérales naturelles émanent de gisements profonds : le temps de cheminement de l’eau et la profondeur sont variables d’un site à l’autre, mais il peut aller de quelques années à une centaine d’années voire plusieurs milliers d’années. Leur transit souterrain est par exemple de 3-4 ans à Thonon, 5 ans à Volvic, 15 ans à Évian, 20-25 ans à Cilaos, et 50-60 ans à Meyras.

C’est au cours de ce long parcours que les eaux acquièrent les caractéristiques physico-chimiques spécifiques à chaque terroir géologique. Cette spécificité est déterminée par la composition des roches, la température et la durée de transit. Les épisodes ponctuels de sécheresses n’ont par conséquent que très peu d’impact sur le renouvellement de la ressource.

De manière ponctuelle toutefois, selon des particularités locales hydrogéologiques, des interférences entre nappes superficielles et gisements profonds peuvent exister. C’est notamment le cas à Vittel, où un conflit très médiatisé a eu lieu de 2016 à 2019, concernant l’usage de la ressource en eau.

Le cas de Vittel Bonne Source, une exception

À Vittel, dans les Vosges, les connaissances hydrogéologiques ont démontré dès 1975 des interférences entre certains aquifères souterrains, associées à un lent renouvellement de la ressource en eau et des prélèvements d’usage multiples dans un espace géologique local précis. Située dans le secteur sud-ouest de Vittel, cette zone très limitée (85km2) est nommée nappe captive Grès du Trias Inférieur (GTI).

Entre 1960 et 1980, la multiplication des forages entre 1960 et 1980 dans une zone géographique restreinte, afin de répondre aux besoins en eau potable des collectivités locales, des agriculteurs et des industriels, a généré un déficit de la nappe (de 2,5 millions de m3 par an).

Un arrêté préfectoral a interdit tout pompage supplémentaire, ce qui a permis de stabiliser la situation à partir de 1980. Les prélèvements ont drastiquement chuté (de 4,7 millions de m3 en 1979 à 3,27 millions de m3 en 2010), permettant une forte baisse du déficit (de 2,9 millions de m3 par an en 1979 à 1,15 million de m3 par an en 2010). Malgré cela, le déficit de recharge persiste pourtant.

En 2010, la responsabilité des prélèvements relevait de plusieurs acteurs : d’un côté les industriels (47 %) dont 19 % par la fromagerie l’Ermitage et 28 % par Nestlé Waters, et de l’autre les syndicats des eaux pour alimenter le réseau d’eau potable (44 %), dont 19 % en fuite de réseau et 25 % en consommation réelle.

En ce qui concerne Nestlé Waters, les prélèvements dans cette nappe concernent des forages peu profonds d’eau industrielle et du forage de l’eau minérale naturelle Vittel Bonne Source, exploité depuis 1990 et dédié à l’export en Europe (80 % Allemagne, 15 % Suisse, 5 % Europe de l’Est).

Cette eau faiblement minéralisée représente 22 % de la production de l’usine avec 307 millions de bouteilles par an, à côté des eaux minérales naturelles fortement minéralisées de Vittel Grand Source, Contrex et Hépar, exploitées par des forages sur d’autres gisements indépendants.

Volontarisme de Nestlé Waters

Pour répondre au problème, les industriels ont engagé dès 2016 des actions pour diminuer leurs prélèvements : la fromagerie a optimisé son processus, divisant par 3 ses prélèvements afin d’aboutir à 1,25 litre d’eau industrielle pour 1 litre de lait. Nestlé Waters a cessé d’exploiter les forages d’eau de rinçage dans la nappe GTI en substitution de forages d’autres gisements indépendants. Bien qu’autorisée par la préfecture à prendre jusqu’à 1 million de m3 par an dans la nappe GTI, Nestlé Waters a diminué ses prélèvements à 744 000 m3 en 2018.

Des démarches de concertation sont menées cette année-là entre les membres de la CLE (collectivités territoriales, les industriels, associations…), suivies de l’intervention de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse. Un protocole d’engagement est signé en 2020 sous l’égide de la préfecture pour fixer des actions d’économies d’eau, dont chaque usager contribue au prorata des prélèvements : modernisation du réseau de distribution d’eau potable pour stopper les fuites et prélèvement de 300 000 m3 d’eau potable par an dans d’autres nappes, une plus grande sobriété des bâtiments des collectivités publiques et des activités industrielles.

Le but : mettre un teme au déficit de la nappe en 2027 avec un prélèvement maximum à 2,1 millions de m3 par an.

Face à ces nouveaux objectifs de réduction et aux très fortes pressions médiatiques continues du collectif Eau 88, Nestlé Waters a annoncé l’arrêt des contrats à l’export de Vittel Bonne Source vers la Suisse en 2019, et vers l’Allemagne (Lidl) en 2021, accompagné d’un plan social associé à l’arrêt d’environ 20 % de la production de l’usine.

Pour cette raison, dès 2023, Nestlé Waters baisse ses prélèvements à 200 000 m3 par an dans la nappe GTI. Face à la surreprésentation médiatique de ce type de collectif, nous pouvons nous interroger sur la capacité des médias et des concitoyens à avoir une lecture claire des enjeux actuels sur la filière EMN.

Si cette situation est spécifique à un des gisements à Vittel, la carence de connaissances hydrogéologiques générale en France ne permet pas une identification exhaustive d’autres exceptions locales, et laisse planer des doutes sur l’émergence de cas similaires.

Des prélèvements mineurs face à l’usage d’eau potable

Pourtant, en dehors de ces cas spécifiques, la filière EMN en France représente des prélèvements d’eau modestes, par rapport à l’usage d’eau potable. À l’échelle nationale, ils représentent ainsi 7,26 millions de m3 par an pour l’embouteillage et 5,39 millions de m3 par an pour le thermalisme. Les utilisations économiques actuelles ne valorisent que 37 % de la capacité française de ressource en eau minérale naturelle.

Les 12,65 millions de m3 d’eau minérale naturelle par an prélevés par les usages historiques restent limitée au regard de la consommation d’eau potable, qui représente 3,68 milliards de m3 par an. À cela s’ajoutent 937 millions de m³ d’eau potable perdus par les fuites du réseau vieillissant.

Autrement dit, la mise en avant des EMN embouteillées sur la scène médiatique semble disproportionnée en comparaison avec d’autres enjeux liés à l’eau : elle est davantage un symbole de clivage qu’un enjeu national lié aux changements climatiques et des épisodes de sécheresse.

Alors que le « Plan Eau » présenté en 2023 par le gouvernement vise à améliorer la gestion de l’eau en France et faire face aux sécheresses, remettons la place des eaux minérales naturelles en perspective : bien souvent en avance sur le déploiement législatif, les minéraliers ont depuis longtemps fait émerger les bonnes pratiques de gestion.

Les actions d’optimisation pour réduire de 10 % les prélèvements d’eau en 2030 dans tous les secteurs économiques et résorber les fuites du réseau d’eau potable sont des interventions d’ores et déjà en cours sur les territoires de la filière EMN.The Conversation

>> L’auteur :

Guillaume Pfund, Docteur en Géographie économique associé au laboratoire de recherche Environnement Ville Société, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Club de sciences | Les Savants Fous

CClub de sciences | Les Savants Fous

Pour la rentrée 2024/2025, le club des sciences des Savants Fous propose à vos enfants scolarisés en cycle 3 de se réunir les mercredis afin d’expérimenter ensemble et tout au long de l’année des thématiques scientifiques et technologiques.

Les après-midis de 3 h se déroulent ainsi :

  • 30 min d’accueil et de jeux,
  • 2 h d’activités,
  • 30 min pour la pause goûter et jeux.

Chimie, physique, espace, eau, faune & flore, corps humain et bien d’autres encore seront au programme toute l’année ; manipuler, expérimenter comprendre et recréer à l’aide de nos expériences à emporter et à partager en famille.

Nos différentes gammes de robots interviendront plusieurs fois afin d’apprendre à coder et décoder le monde d’aujourd’hui et de demain mais aussi, de stimuler l’imagination et la créativité en programmant des animations interactives et autres jeux vidéos.

Partager sa passion des sciences tout en se faisant de nouveaux copains durant les 30 séances qui rythmeront la prochaine année scolaire.

>> Pour plus d’information, rendez-vous sur :

Les savants fous

Life RECYCLO : vers une meilleure gestion des ressources en eau | Un dossier Pop’Sciences

LLife RECYCLO : vers une meilleure gestion des ressources en eau | Un dossier Pop’Sciences

Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Avec Pop’Sciences, suivez toute l’aventure du projet Life RECYCLO.

Article rédigé en septembre 2022

Dans le cadre du projet européen Life RECYCLO, la société TreeWater, une start-up lyonnaise issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, développe un procédé de traitement et de recyclage des eaux usées pour le secteur de la blanchisserie. L’objectif ? Proposer une meilleure gestion des ressources en eau et réduire le déversement de substances polluantes dans le milieu aquatique. Un projet qui prend place en France, en Espagne  et au Luxembourg de 2021 à 2024.

Partenaire du projet de septembre 2021 à février 2024, Pop’Sciences vous propose de suivre toutes les avancées, les péripéties et les réussites de ce projet au sein de ce dossier mis à jour au fil de l’eau.

>> Le dossier :

Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous explique : découvrez le projet Life RECYCLO.

Pop’Sciences vous emmène découvrir les coulisses de la fabrication du système de recyclage des eaux usées, un procédé innovant. Suivez pas à pas le développement de la technologie RECYCLO.

Dans le cadre de ce projet, s’est posée la question suivante : cela est-il acceptable, à la fois pour les gérants et les clients de blanchisseries, de laver du linge avec de l’eau recyclée ? Retrouvez dans cet article les résultats de l’enquête sur la perception sociale du projet.

Des enjeux de la protection de l’eau à la mise en place du premier prototype, l’aventure du projet Life RECYCLO a été filmée et a donnée lieu à un documentaire en 3 épisodes.

>> Retrouvez toutes les ressources du dossier :

 Life RECYCLO | Un dossier Pop’Sciences

Recycler les eaux usées de blanchisseries : le projet Life RECYCLO | #1 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO

RRecycler les eaux usées de blanchisseries : le projet Life RECYCLO | #1 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO

Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous explique.

Article rédigé en février 2022

42 millions de m3 par an, c’est la quantité d’eau utilisée dans le secteur de la blanchisserie en Europe. Un chiffre non-négligeable, d’autant plus dans un contexte de réchauffement climatique où cette ressource va être amenée à être réduite drastiquement. C’est pour tenter de répondre à ce problème que le projet Life RECYCLO a vu le jour. Lancé en septembre 2021 par la société TreeWater, il fait partie du programme LIFE de la Commission européenne, qui finance les initiatives dans les domaines de l’environnement et du climat. Il a pour objectif de mettre en place un système de traitement des eaux usées de blanchisseries pour les recycler et pouvoir ensuite les réutiliser.

Selon la Commission européenne, les pénuries d’eau vont être amenées à augmenter de 50 % en Europe d’ici 2030. En France, nous en consommons actuellement 148 litres par jour et par personne. Une fois utilisées, les eaux sont traitées puis rejetées dans le milieu naturel. Mais elles ne sont que très rarement recyclées. Dans le monde, la réutilisation des eaux usées est très hétérogène selon les pays. Ce sont généralement les états pour lesquels cette ressource est limitée qui utilisent davantage des procédés de recyclage. Mexico réemploie, par exemple, près de 100 % de ses eaux usées pour l’irrigation. En Israël, le taux de réutilisation atteint 80 %. Mais ces exemples ne sont pas majoritaires. En Europe, alors que l’Espagne et l’Italie réutilisent respectivement 8 et 14 % de leurs eaux, la France n’en réemploie que moins de 1 %. En France, comme dans le monde, le principal usage de ce recyclage est l’irrigation agricole.

Recycler les eaux de blanchisseries

On dénombre environ 11 000 blanchisseries en Europe. Leurs eaux usées finissent le plus généralement dans les réseaux d’assainissement publics et ne sont que très peu réutilisées. Le lavage du linge conduit à l’émission de micropolluants tels que les phtalates (DEHP, DEP…), les phénols, les métaux lourds, les solvants ou les surfactants. Et les stations d’épuration ne sont très souvent pas adaptées au traitement de ces molécules particulières, qui terminent alors leur trajet dans notre environnement. Or, même à faible concentration, ces polluants affectent directement le milieu aquatique, les écosystèmes et donc notre santé. Plusieurs de ces substances sont ainsi des perturbateurs endocriniens, cancérogènes et mutagènes.

Station d’épuration © Shutterstock

Le projet Life RECYCLO propose de traiter les micropolluants présents dans les eaux usées de blanchisserie afin de permettre leur réutilisation dans le processus de lavage du linge. Le procédé RECYCLO est un système d’oxydation avancée, qui associe le peroxyde d’hydrogène et les rayons ultraviolets. Ces derniers vont transformer le peroxyde d’hydrogène en radicaux hydroxyles : ce sont alors eux qui vont détruire les polluants. Les rayons UV désinfectent également l’eau en parallèle. Ce procédé a pour objectif de réduire la consommation d’eau potable des blanchisseries de 50 à 80 %, mais également d’éliminer 90 % des polluants rejetés par le lavage du linge. D’autres procédés de recyclage existent et sont développés en France et dans le monde. Celui de TreeWater présente notamment les avantages de ne produire que peu de résidus de traitement et de dégrader directement les polluants organiques, contrairement à d’autres technologies qui ne font que les enlever.

Des tests, des analyses et une enquête sociologique

Après une première expérimentation réussie dans une blanchisserie du Gard, la Blanchisserie Saint-Jean, ce système breveté poursuit son développement. Le but de ce projet est alors d’achever son industrialisation et de tester sa reproductibilité. Il sera ainsi mis en place dans deux autres blanchisseries : la Fundacio Mas Xirgu en Espagne et Klin SARL au Luxembourg. Le système de la Blanchisserie Saint-Jean sera, quant à lui, transformé en laboratoire in-situ pour préparer le procédé aux nouvelles pollutions émergentes, comme les micro et les nanoplastiques. TreeWater, issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, et le Catalan Institute for Water Research de Gérone vont alors réaliser des analyses pour étudier l’efficacité du procédé.

En parallèle de ces essais techniques, une enquête sociologique sera également menée auprès de blanchisseries et de leur clientèle pour évaluer leur perception de la réutilisation des eaux usées dans ce contexte. Cette enquête est alors conduite par Pop’Sciences, qui s’occupe également de la communication de ce projet, à l’interface entre sciences et société.

Le premier prototype sera mis en place à la fin de l’été 2022. Les deux autres prototypes seront installés au début de l’année 2023. Ils seront, ensuite, suivis et étudiés de très près. Les résultats de l’enquête sont, eux, prévus pour l’automne 2022. Un projet à suivre jusqu’en 2024 !

>> Pour suivre toute l’actualité du projet :

Site de Life RECYCLO

Vous souhaitez savoir comment fonctionne une machine à recycler l’eau : cliquez ici

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Construire une machine à recycler l’eau : mode d’emploi | #2 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO

CConstruire une machine à recycler l’eau : mode d’emploi | #2 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO

Le projet Life RECYCLO a pour objectif de développer un procédé de recyclage des eaux usées. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous emmène découvrir les coulisses de la fabrication de ce système.

Article rédigé en juin 2022

Dans le cadre du projet européen Life RECYCLO, la société TreeWater, une start-up lyonnaise issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, développe un procédé de traitement et de recyclage des eaux usées pour le secteur de la blanchisserie. L’objectif ? Proposer une meilleure gestion des ressources en eau et réduire le déversement de substances polluantes dans le milieu aquatique. Le procédé développé a pour but d’éliminer plus de 90 % des polluants. Ces eaux recyclées seront alors réutilisées par ces mêmes blanchisseries dans leur processus de nettoyage, avec un objectif d’économie de 50 à 80 % d’eau. Mais comment cela fonctionne-t-il exactement ? Comment fait-on pour recycler de l’eau ?

Le procédé RECYCLO se décompose en trois étapes : la coagulation-floculation, l’oxydation avancée et l’adsorption sur charbon actif. La seconde étape est la phase principale du processus : son principe est d’associer un composé chimique, le peroxyde d’hydrogène, et des rayons ultraviolets. Ce procédé doit être adapté à chaque blanchisserie selon ses effluents, c’est-à-dire ses eaux usées. Les ingénieurs de TreeWater font ainsi du sur-mesure pour mettre en place leur technique. Nous vous proposons de découvrir les trois étapes de ce recyclage au travers de la visite des laboratoires et installations de la start-up.

Du sur-mesure

Première étape de la recette : la coagulation-floculation. Pour la découvrir, nous nous sommes rendus dans le laboratoire de TreeWater, hébergé au laboratoire DEEP. Thibault Paulet, technicien recherche et développement, nous y accueille, entouré de béchers, pipettes et autres ustensiles. Et il nous explique en quoi consiste cette première étape : « La coagulation va permettre d’enlever tout ce qui n’est pas dissous dans l’eau, les matières en suspension. » Il s’agit ainsi d’une première phase de nettoyage de l’eau, qui est essentielle pour la suite. « Cela va rendre l’eau limpide et améliorer la transmission des rayonnements ultraviolets. Ce qui sera primordial pour l’étape suivante d’oxydation avancée à base de ces derniers », analyse Thibault Paulet.

Thibault Paulet est en train de déposer le coagulant dans un effluent de blanchisserie. / © S. Dizier

Pour mettre en place ce processus, il faut introduire un coagulant dans les effluents. Celui-ci va regrouper les molécules solides entre-elles. C’est alors à cette étape que les dosages doivent être faits au cas par cas. Tous les rejets d’eaux usées de blanchisseries ne contiennent pas les mêmes choses, et vont donc réagir différemment avec le coagulant. « Je dois faire des essais sur plusieurs concentrations, parce que si je ne mets pas assez de coagulant, cela ne va pas fonctionner, raconte Thibault Paulet. Mais si on en met trop, cela ne va pas coaguler non plus. Il faut donc trouver le juste milieu. » Le scientifique dépose donc précisément différentes quantités de coagulants dans plusieurs béchers remplis du même effluent. Le but est alors de déterminer quelle est la concentration idéale pour cet effluent précis. Plusieurs essais sont alors nécessaires pour trouver le bon dosage. Des agitateurs sont placés dans les béchers. Et c’est parti pour 200 rotations par minute pendant deux minutes. On voit alors déjà les particules apparaître.

Résultats de coagulation-floculation selon des concentrations de produits différentes (de gauche à droite : du moins au plus concentré). / © Thibault Paulet

Le floculant entre alors en jeu. Son but est de favoriser l’agrégation des molécules, telle une colle. Ce regroupement en amas de molécules rend ainsi la filtration plus aisée. Le technicien rajoute le floculant aux mélanges. Et après quelques tours de rotation supplémentaires, des nuages moutonneux de particules apparaissent au fond des béchers. Il ne reste plus qu’à les filtrer pour obtenir une eau limpide. Une fois le dosage idéal trouvé, cette eau va alors être soumise à des tests sur un prototype miniature du système d’oxydation avancée. Et si le test est concluant, on peut alors passer à la seconde étape de notre recyclage.

Peroxyde d’hydrogène et rayons ultraviolets

Pour cela direction Alixan, à quelques kilomètres de Valence, dans les locaux de TreeWater.  Dans un hangar en bois, les ingénieurs de la société s’affairent sur le pilote de leur procédé. Il s’agit de l’élément central de la deuxième phase du processus de recyclage : le système d’oxydation avancée. Le principe de cette technologie est d’associer le peroxyde d’hydrogène et les rayons ultraviolets. Ces derniers vont agir sur le peroxyde d’hydrogène, ce qui a alors pour effet de les transformer en radicaux hydroxyles. Ce sont alors ces radicaux qui vont détruire les polluants. Les rayons UV désinfectent également l’eau en parallèle.

Concrètement, le dispositif ressemble à un grand cylindre en métal dans lequel se trouvent les lampes UV et les effluents passent au milieu de celles-ci. Paul Moretti, chef de projet recherche et développement et coordinateur du projet Life RECYCLO, nous présente le pilote sur lequel sont faits les essais. « Ce n’est pas une installation finale, il s’agit d’une machine intermédiaire pour faire des essais à plus grande échelle qu’en laboratoire, nous explique-t-il. Cela permet d’identifier le rendement du traitement sur un effluent spécifique sur une période plus longue et avec de plus grands volumes. »

Le réacteur du système d’oxydation avancée du pilote comporte trois lampes UV. / © S. Dizier

Ce pilote comporte trois lampes UV. L’installation finale sera composée de V12, des réacteurs qui contiennent douze lampes et 75 litres d’eau. La quantité de réacteurs dépend alors de la quantité d’eau utilisée quotidiennement par les blanchisseries. Pour une blanchisserie de taille industrielle, comme la Blanchisserie Saint Jean, partenaire du projet, trois V12 seront nécessaires. Il faut alors compter sur des armoires électriques conséquentes pour alimenter ce processus. Vincent Fraisse, responsable conception et fabrication chez TreeWater, nous explique : « L’armoire pilote toute l’installation : les lampes UV, mais aussi tout ce qu’il y a autour comme les pompes, le moteur et l’automate qui pilote l’ensemble. » Tout l’appareillage nécessaire au recyclage – la coagulation/floculation, le système d’oxydation avancée et l’armoire électrique – sera ainsi placé dans un conteneur attenant à la blanchisserie ; une installation d’une taille non-négligeable.

L’armoire électrique nécessaire au fonctionnement de tout le processus de recyclage. / © S. Dizier

Après le passage dans le système d’oxydation avancée, vient alors l’étape finale de notre recette. Il s’agit de l’adsorption des impuretés sur charbon actif. Pour cela retour au laboratoire où les essais sont également effectués. « C’est le dernier traitement des effluents. L’eau va passer dans la colonne de charbon actif pour la débarrasser des toutes dernières impuretés », nous décrit Thibault Paulet. Après cette ultime étape, notre objectif est atteint : l’eau est recyclée. Elle peut alors être mélangée à 20 % d’eau potable et ainsi être réutilisée en toute sécurité pour le nettoyage du linge.

Trois prototypes à l’essai

Dans le cadre du projet Life RECYCLO, le premier prototype de cette technologie sera mis en place durant l’automne 2022 dans une blanchisserie espagnole près de Gérone. Deux autres prototypes seront installés en 2023 dans une blanchisserie luxembourgeoise et une blanchisserie française, la Blanchisserie Saint Jean (Gard). L’objectif est alors d’achever l’industrialisation de ce système breveté et de tester sa reproductibilité. Un projet à suivre jusqu’en 2024 !

Pour en découvrir davantage sur le projet Life RECYCLO, retrouvez le premier article du dossier Life RECYCLO de Pop’Sciences.