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Psychologie et origines des migrations humaines

PPsychologie et origines des migrations humaines

Par Samuel Belaud

Les exils et les flux migratoires n′ont cessé de façonner nos sociétés, d′entrechoquer les cultures et de se faire rencontrer les populations au rythme des conflits, des aléas climatiques, ou encore des expansions ethniques, religieuses et commerciales. Qu’est ce qui (re)pousse les humains à migrer ? A quels enjeux psychosociaux liés à l’exil l′Homme a-t-il dû faire face ?

Afin de déterminer pourquoi l’Homme est sorti de son berceau africain, nombre de paléontologues et d’archéologues se sont penchés sur la vocation des humains à migrer. L’idée communément admise voudrait que c’est une fois dressés sur leurs deux patte, que nos congénères se sont mis en quête de contrées propices à l’extension de l’espèce. Pourtant, les chercheurs n’arrivent pas à établir avec certitude les nombreuses et complexes causes de ces premières migrations humaines. Les premiers voyages des Hommes ne sont en effet pas aisés à étudier. Les plus anciennes traces décelées sont celles d’outils lithiques :

« Les plus anciens outils connus à ce jour ont 2,6 millions d’années et proviennent d’Afrique de l’Est. Quelques centaines de milliers d’années après, ils étaient utilisés en Afrique du Nord et du Sud. Un peu plus tard, il y a environ 1,5 million d’années, des outils étaient faconnés au Proche-Orient et en Asie. Toutefois, leur présence n’est pas avérée en Europe avant 1,2 million d’années. » [1]

L’homme est-il un animal qui a la bougeotte ?

Les études paléo-anthropologiques dégagent plusieurs raisons à ces premières migrations. La perte d’habitat liée à des modifications climatiques par exemple. Également mis en avant, les progrès techniques comme la maitrise du feu, qui permirent aux Hommes d’explorer au delà de leur territoire de confort. La maitrise des outils a également eu un impact similaire : l’habileté dans l’art du silex a ainsi ouvert la voie à de nouvelles sources d’alimentation, en gibier notamment. A ces facteurs, il faut ajouter une évolution comportementale majeure faisant des premiers hominidés des êtres de plus en plus “sociaux” :

« On peut présumer qu’au cours de la période en question (entre -1,8 et -1,6 ma) l’Homo ergaster a fait preuve d’une majeure souplesse comportementale et adaptative que son prédécesseur l’Homo habilis / rudolfensis. » [2]

Enfin, d’autres études avancent des causes naturelles aux migrations extra africaines, comme l’apparition d’épidémies ou le suivi par les Hommes des faunes qui migrent. Pour compléter ces approches, d‘autres éclairages complémentaires sont à rechercher du côté d’une autre discipline : la psychologie.

Carte de la première dispersion humaine Out-of-Africa (-1,8 / -1,6 millions d’années – MA). Kozłowski, Janusz K.


Quelle expérience psychique de la migration peut-on étudier?

La psychologie nous apprend que le fait migratoire relèverai d’une “pulsion épistémophilique” ou autrement dit un “désir de savoir”. Gaia Barbieri, doctorante au Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique (Université Lumière Lyon 2), explique à ce propos qu’un désir de la découverte est propre à chaque homo-sapiens. Une volonté intarissable de se confronter à l’ailleurs, qui pousserai les Hommes à s’exiler pour se confronter au monde.

Rapporté aux migrations contemporaines (depuis l’Afrique et le moyen Orient en particulier) cette analyse de la pulsion comme moteur de l’exil peut paraitre inadaptée. Pourtant, malgré les raisons tragiques de leurs exils (insécurité, misère sociale et économique, changements climatiques, guerres, …), l’écoute psychanalytique démontre que les migrants contemporains construisent leur périple comme une aventure. Un récit “malgré tout” dont ils deviennent à la fois auteurs et acteurs. La chercheuse évoque une mythologie fragile autour de l’expérience subjective de la migration, où malgré les difficultés de départ, de traversée, d’insécurité et d’accueil, les sujets tentent de faire une “narration positive” de leur exil (de leur aventure).

Ségolène Payan, docteur en psychologie, enseignante et chercheuse au Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société – Université Paris, développe [3] à propos de cette mythologie une réflexion complémentaire autour du syndrome (ou pulsion) d’Ulysse [4] :

« La construction du mythe du retour constitue l’avant-dernière étape du travail d’exil et se retrouve dans le « syndrome d’Ulysse. »

L’exilé est engagé dans le désir d’aller trouver un mieux-être ailleurs, et les épreuves subies lors de ce parcours restent supportables grâce au mythe du retour que le migrant entretient comme certificateur de son identité (Can Liem Luong). Ce que Salman Rushdie décrit comme « le rêve du retour glorieux » [5]. Bien que l’exilé ait l’illusion qu’un retour est possible, ce ne semble pas être le cas. En étudiant l’interface entre le psychisme du migrant et la culture à laquelle il est confronté, le terrain de la psychologie clinique permet d’appréhender une nouvelle forme de narration de la migration : “en analysant les relations entretenues avec la famille du sujet, avec son passé, avec son avenir  et en mettant au centre le sentiment d’aventure qui parait être le commun de tout homme” (Gaia Barbieri).

Adolescents from Pondoland in Transkei. Their faces are painted white and they are swathed in blankets as part of puberty rights. 1/Jan/1982. UN Photo/x. www.unmultimedia.org/photo/

La double rupture, violente, avec “là d’où je viens” et “là ou je suis maintenant”

L’étude des Hommes confrontés aux phénomènes migratoires par la psychologie s’opère en prenant en compte deux réalités – deux ruptures – auxquelles l’exilé (le premier sapiens Out of Africa, tout comme l’adolescent qui aujourd’hui fuit les combats en Syrie) doit faire face.D’abord la rupture fondatrice. Qui veut que celui ou celle qui migre garde sa vie d’avant, “sa vie perdue derrière lui” [6], et se confronte à des personnes dans un nouvel endroit qui ne savent rien de ce passé. Ensuite la rupture expérientielle, ou l’exilé est assujetti à une double-vie. Celle d’avant  qui le”poursuit” et une nouvelle qui se construit, non pas ailleurs, mais à l’écart. Les exilés témoignent alors d’un entre-deux à la fois plus chez “soi” et ni chez “l’autre”. Le sentiment de déracinement combiné à la crainte de ne pas être (ou d’être mal) intégré, représente alors ce moment auquel chaque migrant est confronté et à partir duquel l’adaptation à la ”nouvelle vie” doit se faire.

S’intégrer et être intégré.

L’analyse des parcours psychiques, sociaux et économiques des migrants permet de dégager de nombreux facteurs d’intégration sur lesquels se fonde la réussite ou l’échec de l’exil. La langue en est un. Pour Ségolène Payan (op.cit), étudier le rapport de l’exilé à la langue du lieu dans lequel il réside désormais, revient à étudier l’une « des capacités d’adaptation et d’investissement d’un individu à l’égard d’un pays nouveau. » Elle ajoute :

« La vie dans une nouvelle langue constitue parfois une mutilation qui peut entraîner une perte ou une censure de la mémoire. »

Alors, depuis les premières migrations humaines nous pouvons imaginer que les processus de l’exil se soient répétés … sans cesse. Dans l’entre-deux que constitue le risque d’expulsion d’un côté et l’impossibilité du retour de l’autre, l’expérience de l’exil s’articule autour d’une crise traumatique en particulier, celle de l’identité.

« Une migration représente un traumatisme, mais un traumatisme particulier. Comme dans tout traumatisme, le moi est bouleversé, déréglé. L’affect de perte, bien qu’important, ne semble pas caractériser la situation du migrant. De même, le sentiment d’instabilité, la confusion ou l’angoisse se retrouvent dans bon nombre de traumatismes. Ce qui semble à réviser dans le cas du traumatisme de la migration est l’apparition d’un remarquable clivage du moi et ses conséquences sur le sentiment de l’identité. » [7]

 


Références :

[1] : A. de Beaune S., Balzeau  A. (2009) La Préhistoire CNRS Éditions

[2] : Kozłowski, Janusz K. « Les premières migrations humaines et les premières étapes du peuplement de l’Europe », Diogène, vol. 211, no. 3, 2005, pp. 9-25

[3] : Payan Ségolène « Du déplacement au sentiment d’exil », Recherches en psychanalyse, vol. 9, no. 1, 2010, pp. 171-182.

[4] : Lire également à ce propos Gamboa, S. (2007). Le syndrome d’Ulysse. Broché

[5] : Rushdie, S. (2003). Franchissez la ligne. Paris : Plon

[6]: Gómez Mango, Edmundo. « Les temps de l’exil », L’information psychiatrique, vol. volume 83, no. 9, 2007, pp. 745-750.

[7] : Eiguer, Alberto. « Migration et faux-self : perspectives récentes », L’information psychiatrique, vol. volume 83, no. 9, 2007, pp. 737-743.